Mais quelle est cette Sauvage qui envahit les murs et les trottoirs de la ville? (Pariétaire de Judée)
Parietaria judaica (Pariétaire de Judée) appartient aux Urticaceae, la famille des piquantes Orties. C'est une Sauvage qui vous est certainement familière — au moins de visu — si vous vivez à proximité de falaises ou de vieux remparts... Son nom vient du latin Paries, c'est à dire «mur» ou «paroi». C'est là qu'elle préfère s'installer et pousser. Plus généralement, elle est très courante au cœur des villes; elle fait partie du prestigieux top 10 des Sauvages les plus observées dans nos cités (source: Sauvages de ma rue).
Pariétaire de Judée: la Garde de Nuit veille au pied du Mur...
Parietaria judaica est une vivace au port ramifié et couché (ou partiellement dressé). Ses racines sécrètent une substance capable de dissoudre la roche pour s'y enfoncer d'avantage et y puiser sa maigre nourriture. C'est peut-être ce qui lui vaut son appellation local: dans le Poitou, elle est surnommée la Perce-pierre.
Des clôtures de pierres ne sauraient barrer la route à l’amour.
(Roméo + Juliette, Baz Luhrmann)
Jeunes feuilles de la Pariétaire de Judée: alternes, ovales ou obovales, acuminées.
Il faut ramener le forage de Parietaria judaica à la juste échelle végétale, lente et discrète, pas de quoi écrouler des châteaux forts! Plus que ses racines, ce sont les fleurs de la Sauvage qui lui cause une mauvaise presse: son pollen fait partie des grands allergisants de notre temps. Il peut être la cause d’asthmes, de démangeaisons, de rhinites... Transporté par le vent, celui ci ne va toutefois généralement pas bien loin, et c'est à proximité des plantes que les symptômes se font le plus sentir.
Atchoum! Oh je suis désolé, je suis allergique aux conneries!
(I, robot, Alex Proyas)
Fleurs discrètes de la Pariétaire de Judée, Poitiers quartier gare
Différencier la Pariétaire de judée de la Pariétaire officinale demande un examen minutieux des inflorescences à la loupe ou à la binoculaire (les bractées sont soudées chez la Pariétaire de Judée, libres entre elles chez l'officinale). La Pariétaire officinale, plus rare sur le territoire, préfère la proximité de l'eau. Elle présente à maturité un port plus haut, dressé, non ramifié et des feuilles plus longues (feuilles jusqu'à 10cm contre feuilles de 3 à 4 cm maximum pour la Pariétaire de Judée). La confusion n'est toutefois pas dramatique, les deux Sauvages étant d'excellentes comestibles, appréciées de l'homme comme des chenilles et des papillons (les vanesses vouent parfois une véritable passion aux urticacées, voir notre article sur la Grande Ortie).
Au même titre que l'Ortie (mais en beaucoup moins goûteuses), les jeunes pousses de Parietaria judaica sont bonnes en salade (crues), en gratin ou en soupe (cuites). Si elle manque un peu de caractère en bouche, il est bon de noter que son usage permet d'adoucir le goût prononcé d'autres plantes dans les recettes, tout en apportant sa richesse en mucilages (adoucissants), tanins (asséchants et usage externe) et nitrates de potassium (diurétiques).
Pour aller plus loin :
- Parietaria judaica sur Tela-botanica
- La Pariétaire: Ange ou démon? sur le site Zoom Nature
Pariétaire de Judée: un îlot de verdure sur un océan de macadam.
Gaillet gratteron, Poitiers chemin de la Cagouillère
Galium aparine (Gaillet gratteron ou Guifron en poitevin-saintongeais) appartient au clan Rubiaceae, dont fait partie le célèbre caféier (Coffea). Autrefois, on pensait certains Gaillets capables de faire cailler le lait; une croyance (invalidée aujourd'hui) qui aurait inspiré le nom de la plante, Gala signifiant «lait» en grec. Pour d'autres, l'origine du nom serait latine, Gallus signifiant «coq» et la forme des feuilles ressemblant aux pattes d'une poule.
Fleurs discrètes du Gaillet gratteron: corolle à 4 lobes pointus, 4 étamines libres autour d'un pistil à deux styles au centre.
Galium aparine est une annuelle qui aime les terrains riches en azote, en matière organique animale et végétale. Originaire des sous-bois, elle se plait aujourd'hui sur les terres amendées et cultivées, où sa présence concurrentielle aux céréales (qu'elle renverse en leur grimpant dessus) n'est pas la bienvenue.
Feuilles du Gaillet gratteron: sessiles, verticillées et mucronées.
Sa tige carrée et ses partie aériennes sont hérissées de petits aiguillons recourbés qui lui permettent de s'accrocher à tout ce qui lui tombe sous la feuille. Aparine en latin signifie littéralement «qui s'agrippe»; et pour agripper, Galium aparine agrippe! C'est un véritable tentacule végétale qui se colle aux plantes alentour pour s'élever et trouver la lumière; mais aussi aux fourrures des animaux et aux vêtements des promeneurs, qui en disséminent les graines malgré eux (les fruits, des diakènes, sont aussi munies de crochets).
Vous allez à Paris ? Hein ? A Lyon ? Oh oui, oh ben alors...
Ça me rapprochera toujours un petit peu. Bon allez va !(L'auto-stoppeur, Coluche)
Quand le Gaillet gratteron s'emmêle les tentacules : sans doute les conséquences de la présence du Phytopte du Gaillet (Cecidophyes galii), un acarien qui s'attaque aux feuilles de la Sauvage.
L’usage populaire du Gaillet gratteron veut qu’une infusion massée sur la peau soulage un coup de soleil, une brulure, un eczéma, ou fasse même office shampoing anti-pelliculaire… Les jeunes pousses (lorsqu’elles sont encore tendres) de Galium aparine sont comestibles, crues en salade ou cuites, bien que légèrement amères. Les petits fruits cueillis verts (bon courage pour le ramassage), grillés à sec, écrasés et finalement mis à bouillir dans de l'eau fournissent un excellent succédané de café. Pour rappel, Galium aparine est de la même fratrie que le caféier, peut-être est-ce là un goût de famille?
Je m’appelle John Caffé, comme le café sauf que ça s’écrit pas pareil !
(La Ligne Verte, Stephen King)
Gaillet gratteron, le café du shérif!
Et puis qui sait, garder la Sauvage près de soi augmente ses chances de pouvoir observer l'incroyable Moro sphinx (Macroglossum stellatarum), un papillon capable de vol stationnaire et d'une vitesse de déplacement ahurissante, au point d'être surnommé le Sphinx Colibri. Car c'est sur les Galium, mais aussi sur d'autre Sauvages collantes du clan Rubiaceae, comme la Garance voyageuse (Rubia peregrina), que le papillon pond et installe sa progéniture.
Chenille du Moro sphinx (ici sur Galium verum).
Crache sang (Timarcha tenebricosa), un coléoptère qui se nourrit exclusivement de Gaillets à feuilles tendres (ici Galium mollugo).
Si le Gaillet gratteron (Galium aparine) est le plus célèbre des Gaillets (peut être parce qu'il est le plus attachant!), on peut croiser d'autres membres de sa tribu dans les jardins et aux bords des routes. La liste n'est pas exhaustive, mais parmi les plus communs:
le Gaillet Mollugine (Galium mollugo) est une vivace à la taille plus modeste, mais dont la floraison blanche est plus généreuse (les fleurs sont regroupées en panicules étalés). Les tiges, les feuilles et les fruits glabres de ce dernier n'accrochent ni les pantalons, ni les mains qui les caressent...
Gaillet Mollugine (Galium mollugo), Biard (86)
Un peu moins urbains, les Gaillet jaune (Galium verum) et Gaillet croisette (Cruciata laevipes) sont deux vivaces qui fréquentent les prairies ou les bords des routes de campagne. Le Gaillet jaune dresse des feuilles très minces, non agrippantes, et des fleurs jaunes groupées en panicules le long de sa tige.
Gaillet jaune (Galium verum), Salilhès (15)
Le Gaillet croisette forme parfois d'importantes colonies qui dégagent une odeur de miel au printemps. Ses fleurs jaunes sont portées par des pédoncules bien plus courts que ses feuilles ovales, poilues, non agrippantes, et toujours groupées (verticillées) par quatre.
Gaillet croisette (Cruciata laevipes), Quinçay (86)
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Gaillet gratteron au micro de France Bleu Poitou
- Galium aparine sur Tela-botanica
- Galium aparine: identification assistée par ordinateur
- Galium mollugo sur Tela-botanica
- Galium mollugo: identification assistée par ordinateur
- Galium verum sur Tela-botanica
- Galium verum: identification assistée par ordinateur
- Cruciata laevipes sur Tela-botanica
- Cruciata laevipes: identification assistée par ordinateur
- Le Gratteron, capitaine crochet de l'escalade sur le site Zoom Nature
Ornithogale en ombelle, Béceleuf (79)
Ornithogalum umbellatum (Ornithogale en ombelle ou Aillochon en poitevin-saintongeais) appartient à la famille contemporaine Asparagaceae (c'est la classification qui est récente, et non ses membres!), ce qui en fait la petite sœur des célèbres Asperges. Ornithos gala, en grec, est littéralement le «lait d'oiseau», à cause de sa couleur délicate, mais surtout parce que la Sauvage est fantastique(ment belle), comme le lait d'oiseau! Umbellatis en latin est bien sûr l'«ombrelle» ou le «parasol», une référence à ses fleurs étoilées qui apparaissent entre début avril et juin au dessus d'une rosette de feuilles linéaires couchées au sol.
Ornithogalum umbellatum est une vivace qui se multiplie efficacement via ses semences et ses bulbilles souterraines (si sa présence reste modérée dans le Poitou, elle est devenue depuis son introduction une véritable invasive en Amérique du Nord). Elle aime les terrains ensoleillés et argileux; ses colonies importantes peuvent être le signe d'un sol compacté et pauvre en vie microbienne aérobie.
Fleur de l'Ornithogale en ombelle: 6 tépales blancs dessus, verts dessous (moitié pétales, moitié sépales!), 6 étamines libres (au filet aplati) entourent le pistil au centre.
Il existe une confusion en France autour du genre Ornithogalum: on peut lire dans Flora Gallica, (la bible des botanistes), qu'il existe probablement plusieurs espèces confondues sur le terrain avec l'Ornithogale en ombelle (O.divergens, O.kochii, O.orthophyllum...). Le seul élément discriminant entre ces espèces serait l'extraction et l'observation minutieuse du bulbe, parfois à l'état juvénile, parfois à l'état adulte... La plupart des observateurs (dont je fais partie) se contentent de noter Ornithogalum umbellatum sur leurs relevés, histoire de ne pas prendre le risque de déterrer et de sacrifier la perle rare!
Dame d'onze heures, il est 11h00, et c'est l'heure de ne pas tondre la pelouse!
Ornithogalum umbellatum est souvent surnommée Dame d'onze heures... La faute à sa ponctualité: la Sauvage ouvre ses fleurs blanches lorsque l'ensoleillement est à sa plénitude, généralement vers 11 heures du matin. En réalité, par ciel couvert, quelle que soit l'heure affichée à notre montre, Ornithogalum umbellatum ne s'ouvre guère!
Toute la plante est toxique, pour l'homme comme pour le bétail et les animaux domestiques. Ornithogalum umbellatum est cependant utilisée sous forme d’élixir floral, les fameux élixirs du docteur Bach, pour soulager les personnes sous le coup d'un choc mental ou d'un deuil difficile... La méthode de fabrication, toute en poésie, consiste à récupérer les qualités «émotionnelles» de la fleur à travers la rosée matinale qui la recouvre; jusqu'à en extraire un peu de son aptitude à ouvrir les bras — ou plutôt les pétales — à la grande lumière!
Vous savez, on peut trouver du bonheur même dans les endroits les plus sombres. Il suffit de se souvenir d’allumer la lumière.
(Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, J.K. Rowling)
Feuilles linéaires de l'Ornithogale en ombelle: comme de l'herbe.
Pour aller plus loin:
- Ornithogalum umbellatum sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur