Baies rouges du Fragon au cœur de l'hiver poitevin
Ruscus aculeatus (Fragon ou Fregeon en poitevin-saintongeais) appartient à la famille Asparagaceae (ex Liliaceae) dans les classifications récentes. La Sauvage doit son nom de clan aux Asperges; difficile au premier coup d’œil de trouver un air de famille dans cet assemblage hétéroclite, où Fragon et Asperges côtoient les Agaves, les Scilles, les Jacinthes ou les Muscaris! À ce jour, la mise en ordre des anciennes Liliaceés ressemble à un jeu de chaises musicales sur fond de sables mouvants, et la partie est loin d'être terminée...
Jeune pousse de Fragon: comme un petit air d'Asperge...
Peu importe, le Fragon brille avant tout pour son originalité, et non pour ses ressemblances avec telle ou telle Sauvage. Mais si l'on devait lui trouver un faux frère dans le règne végétal, ce serait plutôt le Houx (Ilex aquifolium de la famille Aquifoliaceae). Si bien que Ruscus aculeatus est surnommé Petit Houx, et que son nom de Fragon dérive du bas latin frisco, l’appellation gauloise du Houx. Si le Houx est un petit arbre, le Fragon n'est qu'un sous-arbrisseau, forcément vivace, qui aime les sols ombragés et bien drainés des forêts de plaine et de montagne.
Petit houx (en haut, «vrai» Houx juste en dessous), trop grand pour être une herbacée, trop petit pour être un arbuste: tel est le sort du sous-arbrisseau!
Fleur verdâtre (6 tépales) du Fragon, portée par un cladode, c'est à dire un rameau aplati tel une feuille.
Seuls des tiges ou des rameaux peuvent supporter des fleurs. CQFD: si les feuilles du Fragon portent les fleurs, c'est qu'elles ne sont pas des feuilles! Mais en botanique comme en magie, rien n'est jamais définitivement tranché: le Fragon a bien des feuilles, mais pas là où on s'attend à les trouver. La petite épine disposée au bout de chaque cladode est une feuille, si réduite qu'elle ne peut plus assurer ses fonctions chlorophylliennes (c'est souvent le cas chez les Asparagaceae). En quelque sorte, chez le Fragon, les feuilles sont des rameaux et les épines sont des feuilles!
Bouquet de Fragon, Poitiers bords de Boivre
C'est au cœur de l'hiver que l'excentricité du Fragon est la plus manifeste: les baies rouges des pieds femelles suspendus aux cladodes donnent l'impression de léviter à quelques centimètres de la tige. Un œil peu averti les confondra peut être avec les fruits du Houx, et la branche terminera dans un salon à la veille de Noël, décorant le manteau de la cheminée.
Si le goût de la cueillette vous prend, soyez vigilant: le Fragon est un plante commune dans l'ouest (c'est le cas en Poitou) et le sud du pays, mais tend à se raréfier au centre, et surtout à l'est et au nord de la France. Le Fragon est même placé sous divers statuts de protection dans plusieurs régions et départements. Renseignez vous avant de lui soustraire quelques branches, il se pourrait que vous soyez tombé sur un trésor qui mérite la plus grande bienveillance.
Fragon en automne: un attrape feuilles mortes et un abri sûr pour les oiseaux.
Si votre territoire le permet, le prélèvement d'une poignée de rameaux (avec modération, la croissance du Fragon étant somme toute assez lente) peut vous permettre de fabriquer un balai de fortune, ou un hérisson de ramonage pour entretenir la cheminée. Le Fragon est d'ailleurs nommé Butcher’s broom («balai du boucher») outre manche (à balai): on pensait autrefois qu'en plus de servir d'ustensile de ménage, les parties aériennes de la Sauvage contenaient une huile essentielle capable de freiner la prolifération des bactéries. Idéal pour nettoyer le plan de travail d'un coupeur de steak! Mais peut-être préférerez vous simplement placer quelques tiges sur votre panier à provision, les épines tenant à l'écart les souris chatouilleuses.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Fragon au micro de France Bleu Poitou
- Ruscus aculeatus sur Tela-Botanica
- Un article du blog Books of Dante sur l'usage médicinal du Fragon Petit Houx à travers l'histoire
- Composition chimique et propriétés du Fragon sur le site Phytomania
Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Amorpha fruticosa (Amorphe buissonante ou Indigo du bush) est un arbuste à croissance rapide de la famille des Fabaceae, celle des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces ou encore Gesses... Une confrérie au milieu de laquelle notre Sauvage fait office d'excentrique: Amorpha est d’ailleurs la «déformée» en grec, tant ses fleurs ne ressemblent guère a celles de ses consœurs.
Amorpha fruticosa est une Sauvage américaine (Amérique du Nord et Mexique), importée sur le territoire européen dès le 18ème siècle pour ses qualités ornementales: elle pousse vite, son système racinaire étendu fixe efficacement les berges et les talus, sa floraison est élégante et très mellifère.
Amorphe buissonante, à l'ombre d'une autre invasive: l'Ailanthe Faux-vernis du Japon.
Si certaine région française sont déjà très impactées par sa présence, Amorpha fruticosa reste une curiosité botanique en Poitou Charentes: on ne recense que quelques pieds sauvages autour de Poitiers. Pour le botaniste Yves Baron (Les plantes sauvages & leurs milieux en Poitou-Charentes), ceux ci nous auraient été laissés par le passage de l'armée américaine en 1917 (volontairement ou fortuitement). Ce qui ferait d'Amorpha fruticosa une plante polémochore, un terme inventé par les botanistes pour qualifier les végétaux importés lors des guerres (littéralement «dispersé par la dispute»)!
- T’es de quelle tribu?
- L’armée américaine.
(La planète des singes, Tim Burton)
Feuilles imparipennées de l'Amorphe buissonante qu'on pourrait confondre avec celles d'un autre membre du clan Fabaceae, le Robinier faux-accacia (Robinia pseudoacacia).
Dans les parties les plus colonisées au sud du pays, c'est le long des cours d'eau, au bord des lacs et des marais, que Amorpha fruticosa aime planter ses racines; elle supporte cependant n'importe que type de sol, même les plus pauvres et les plus secs... Ce qui ne va pas sans poser quelques préoccupations:
En terrain favorable, la Sauvage se resème abondamment. Ses graines lourdes et imposantes restent généralement à proximité du pied mère, mais présentent un pouvoir germinatif exceptionnel (certains auteurs avancent un taux de réussite de 80%). La croissance rapide des nouveaux nés asphyxie la concurrence alentour. A cette reproduction sexuée efficace s'ajoute une forte capacité à la multiplication végétative, via des rejets vigoureux, ainsi que des tiges et des racines qui se bouturent sans peine en milieu humide.
Fruits (gousses) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa ne connait pas de prédateurs sous nos latitudes (ses feuilles et ses gousses contiendrait des toxines la mettant à l'abri des ravageurs). Elle supporte le froid, la sécheresse comme les grands vents. Bref, dans le sud du pays (et dans les pays du bassin méditerranéen, comme l'Italie), la belle a déjà gagné son titre d'invasive et rejoint les rangs du grand banditisme végétal au côté de la Renouée du Japon ou de la Jussie.
Foliole "perforée" de petites glandes (contenant des substances aromatiques) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa profite des erreurs de gestion (absence de programme de végétalisation après des coupes à blanc ou des réfections de berges) pour s'implanter avant tout le monde. Ainsi, du côté de la Vallée du Rhône, certaines colonies d'Amorpha fruticosa semblent échapper à tout contrôle, comme l’atteste cette impressionnante carte postale envoyée par un ami qui herborise sur les berges de la Lône de Caderrouse (84):
Amorpha fruticosa est également susceptible de bouleverser les milieux naturels qu'elle colonise... Par la richesse qu'elle apporte au sol! Comme les autres membres Fabaceae, la Sauvage puise ses forces depuis l'azote atmosphérique (grâce à une symbiose avec une bactérie, ou nodosité, voir l'article sur Medicago arabica). Force qu'elle rend au sol au fur et à mesure de son dépérissement (c'est la raison pour laquelle nombre de Fabaceae sont utilisés comme «engrais verts»). Sa présence est donc marquante pour le sol, au risque de voir certaines populations végétales, pour qui une forme de pauvreté du milieu est une nécessité, se faire définitivement déloger.
- Qu'est ce que tu viens me chanter là avec ces pauvres? Plus vite ces crève-la-faim repartiront et plus vite arriveront les Yankee! Et eux au moins ils ne paient pas en monnaie de singe! Ils règlent en dollars! Et cash!
(Le Bon la Brute et le Truand, Sergio Leone)
Fleurs en épis de l'Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Pour l'heure, du côté du Poitou, la présence très discrète (mais surveillée) de la Sauvage Yankee n’inquiète guère. Elle est même, de par sa rareté à l'état sauvage, une «attraction botanique» à l'heure de sa floraison atypique: chaque fleur est constituée d'un unique pétale pourpre, enroulé sur lui même comme une galette mexicaine, d'où jaillissent ses étamines oranges. Des atouts qui attirent quelques promeneurs, mais surtout les butineurs qui se bousculent autour de ses fleurs à la fin du printemps.
Pour aller plus loin:
- Amorpha fruticosa sur Tela-botanica
Lierre grimpant, Poitiers bords de Clain
Hedera helix (Lierre grimpant ou Herre en poitevin-saintongeais) appartient au clan Araliaceae. Si cette famille exotique compte 1300 espèces à travers le monde (essentiellement des arbres, des buissons et des lianes, dont le célèbre Ginseng), elle ne disposait jusqu’ici que d’une unique espèce indigène sur le sol français, mais pas des moindres : le Lierre grimpant. La classification récente lui accorde la compagnie de quelques Hydrocotyles, des plantes aquatiques ou semi-aquatiques.
Hedera vient du latin hedea, la «corde»; helix est la «spirale». Hedera helix évoque le lasso tournoyant des jeunes rameaux à la recherche d'un support à cramponner. Car il n'aura échappé à personne qu'Hedera helix est une liane grimpante. Pour certains, c'est une liane arbustive, pour d'autres, une liane arborescente. Alors, le Lierre grimpant: arbuste ou arbre? Le suspens repose sur les caractéristiques étonnantes du sauvageon... Difficile, à première vue, de le considérer comme un arbre: il est incapable de tenir debout tout seul. Et pourtant, Hedera helix peut atteindre une hauteur de 30 mètres de haut. La durée de vie d'un seul pied peut dépasser le siècle! Dans les bois, notre regard admiratif se pose généralement sur les grands arbres centenaires, plutôt que sur le Lierre grimpant, omniprésent... Mais derrière un pied de Lierre se cache peut être un des grands doyens de la forêt.
Ses tiges ligneuses peuvent épaissir jusqu'à 20cm de diamètre... C'est beaucoup et c'est peu, si on considère la longueur potentielle du végétal (jusqu'à 30 mètres). Son bois blanc, dur et léger, fournit une ressource honorable en ébénisterie ou en vannerie.
Pied ligneux et épais du Lierre grimpant, Migné-Auxance (86)
Lierre grimpant, une explosion de vie au cœur des villes (Rochefort, 17)
Hedera helix est une Sauvage coriace, qui se contente de trois fois rien (elle a toutefois besoin de soleil et d'un sol riche pour fleurir). Son développement aisé sur terre ou en l'air, en tout lieu, crée des couloirs de circulation et d'échange pour la faune urbaine entre les diverses zones de nature (parcs, jardins, friches, etc.).
Enfin, le Lierre grimpant est une plante dépolluante, capable d’absorber dans l'air des éléments dangereux pour l'homme (comme le benzène des gaz d'échappement).
C’est comme si je ne pouvais pas respirer sans toi.
(Grey’s Anatom, Shonda Rhimes)
Parmi les nombreux butineurs qui comptent sur les fleurs tardives du Lierre grimpant, la Collète du lierre (Colletes hederae), une abeille solitaire qui porte le nom de sa plante favorite, en récolte le pollen pour garnir les loges souterraines qui accueilleront ses larves.
S'il est une caractéristique qui illustre la formidable capacité d'adaptation d'Hedera helix, c'est son feuillage aux mille visages. Le Lierre grimpant est une inépuisable source de divertissement pour celui qui cherche des formes inattendues. Souvenez-vous de notre série d'articles sur la reconnaissance des formes foliaires en botanique: plantez-vous devant un vieux pied de Lierre grimpant et vous aurez toute la matière nécessaire pour commencer un entrainement intensif!
Échantillon de la palette infiniment variée des feuilles du Lierre grimpant, Poitiers
On considère deux grands types de feuilles du Lierre grimpant (toutes les nuances intermédiaires sont possibles): les feuilles juvéniles, palmées (3 ou 5 lobes plus ou moins prononcés), et les feuilles des rameaux florifères, ovales et aiguës, voir lancéolées.
Les feuilles palmées optimisent la captation de lumière en zone ombragée: pour rappel, le Lierre grimpant a besoin pour fleurir d'une terre riche en matière organique (un sol de type forestier) et surtout d'un bonne dose de soleil (sans expositions aux photons, le pied reste stérile). Au sommet de son escalade, les feuilles lancéolées offrent une moindre prise au vent, et laissent passer la lumière vers les étages inférieures.
Laissons entrer le soleil, la terre vous dit : hello!
(Charlie et la Chocolaterie, Tim Burton)
Les fruits charnus (des drupes), d'abord verts, murissent en hiver et deviennent noirs; les oiseaux, en attendant le retour du printemps, s'en régalent. Les graines germeront au cour de l'été suivant, une fois tombée au sol.
Fruits charnus (drupes) du Lierre grimpant à la fin de l'automne: les décorations de Noël sont déjà de sortie?
Chez Hedera helix, les fruits et les feuilles (dans une moindre mesure) sont toxiques. Ce n'est pas une des Sauvage les plus virulentes de la forêt; ses feuilles ont même été utilisées autrefois en tant que remède purgatif. À mois d'être un spécialiste en la matière, on s'abstiendra de consommer la Sauvage, sous quelle que forme que ce soit.
Toxique pour l'homme, le Lierre grimpant n'en reste pas moins une aubaine pour la chenille du Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus) au cœur de l'hiver !
Pour rendre un hommage en fanfare au merveilleux Lierre grimpant, et avant de lever le rideau sur une bien curieuse scène de théâtre, je vous propose une toute autre utilisation, garantie 100% inoffensive (à moins que le ridicule tue, mais au dernière nouvelle, ce n'était pas le cas)!
Le sifflet du Shérif (ou nunu en poitevin saintongeais)!
Réunir le matériel suivant:
- Un morceau de branche de Noisetier (15 cm de long sur 1,5 cm de diamètre)
- 3 belles feuilles de Lierre grimpant
- Une étoile de shérif (ingrédient optionnel)
Fendre la branche de noisetier sur 4 cm dans le sens de la longueur. Insérer dans la fente 3 belles feuilles de Lierre grimpant superposées. A l'aide d'une lame tranchante, couper très proprement la partie des feuilles qui dépasse de la branche. Souffler de toutes ses forces! Si le sifflet ne produit aucun son, c'est que nos trois «anches» de Lierre grimpant ont été mal taillées; recommencer, et s'appliquer à une découpe nette et précise. Prêts pour une démonstration?
Personnages:
Lierre grimpant centenaire (rôle tenu par Hedera helix).
Azuré des nerpruns femelle (rôle tenu par Celastrina argiolus).
La scène se déroule dans une haie, l'été, quelque part dans le Poitou.
SCÈNE UNIQUE
LIERRE GRIMPANT
Madame, vous revoilà! Sommes-nous déjà en septembre?
AZURÉ DES NERPRUNS
Eh oui, comme toutes les fins d’été, au moment où vous allez fleurir, je viens vous rendre visite!
LIERRE GRIMPANT
Vous ne me manquiez pas!
AZURÉ DES NERPRUNS, ironique
Vous, si. Savez-vous que vous êtes à croquer, même si pour beaucoup, vous n'êtes qu'un infect poison?
LIERRE GRIMPANT
Ce sont vos flatteries qui sont infectes! Il se dit d'ailleurs que vous pondez sur des dizaines de plantes réparties sur quinze familles!
AZURÉ DES NERPRUNS
Dont vous...
LIERRE GRIMPANT
Trop souvent!
AZURÉ DES NERPRUNS
Mais je vous aime!
LIERRE GRIMPANT
Aimez les autres, faites tourner la liste, dispersez-vous, fichez-moi la paix!
AZURÉ DES NERPRUNS
Allons, raisonnons: vos fleurs et votre feuillage sont si luxuriants et mes larves si modestes que mes affaires à votre égard ressemblent davantage à des chatouilles qu'à de cruelles morsures.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Lierre grimpant au micro de France Bleu Poitou
- Hedera helix sur tela-botanica
- Hedera helix: identification assistée par ordinateur
Lecture recommandée:
- La Hulotte numéro 106 et 107, entièrement consacré au Lierre grimpant
Le Lierre grimpant, ou comment transformer un piquet de clôture en hôtel-restaurant 5 étoiles pour insectes et oiseaux!