Bractées caractéristiques de la Carotte Sauvage, Poitiers bords de Boivre
Daucus carota (Carotte sauvage ou Pascanade en poitevin-saintongeais) appartient aux Apiaceae (ex Ombellifères), le clan des Sauvages aux fleurs à cinq pétales disposées en «ombelles». Une famille mi ange mi démon, dans laquelle on croise de nombreuses autres espèces domestiquées par l'homme comme le Céleri (Apium graveolens), le Panais (Pastinaca sativa), le Persil (Petroselinum crispum) ou la divine Angélique officinale (Angelica archangelica)... Mais aussi quelques terreurs comme la titanesque et brûlante Berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum) ou la Grande Ciguë (Conium maculatum), une célèbre empoisonneuse.
Feuille alternes et généralement bipennatiséquées de la Carotte sauvage qui dégagent une odeur typique de carotte au froissement.
La Carotte sauvage affectionne les sols riches, chauds (elle est nettement thermophile), baignés de soleil. Elle brandit ses fleurs en parasol en été, jusqu'à un bon mètre de hauteur, puis compte sur les animaux de passage pour disséminer ses fruits crochus (des diakènes) qui s'accrochent aux fourrures ou vêtements des animaux de passage (epizoochorie). Chétive à flanc de mur ou de falaise, basse en terrain régulièrement fauché: la Sauvage est très polymorphe et possède une surprenante capacité d'adaptation à son environnement.
Il resterait pas dans cette ville un genre d’hôtel trois étoiles avec des draps propres, de bons oreillers et un room service?
(Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg)
Au jardin, Daucus carota est le centre de toutes les attentions: elle abrite ou nourrit guêpes, abeilles solitaires, syrphes, coléoptères (leptures, œdémères, téléphores), araignées en embuscade... Ses fleurs offrent un nectar et un pollen abondants et faciles d'accès.
L'inflorescence de la Carotte Sauvage se replie à maturité pour former un panier miniature. Un nid douillet dans lequel se cache (entre autres) la Punaise arlequin (Graphosoma italicum), rayée de rouge et noir, qui se régale de la sève de l'Ombellifère. De leur côté, les oiseaux apprécient les graines de la Sauvage et boulottent au passage quelques locataires à six pattes sur les tables dressées en ombelles. Les volatiles délaissent cependant les Punaises arlequin à cause de leur tenue de groom, le rouge évoquant une certaine toxicité et les rayures un danger potentiel (guêpes, frelons...).
Une tenue rouge et noir pour la Punaise arlequin sur son luxueux lit de Carotte sauvage!
Palace, la vie en première classe,
Palace, moins de stress, plus de strass, (...)
Eh oui, ça c'est Palace!
(Palace, Jean-Michel Ribes)
Carotte sauvage sur un mur perchée, Poitiers quartier gare.
Tu vois, la liberté c’est de pouvoir manger des carottes râpées dans l’emballage.
(Camping, Fabien Onteniente)
La racine de Daucus carota est comestible (bien qu'un peu plus fibreuse et amère que la carotte cultivée). Elle n'a d'intérêt gustatif que si elle est récoltée avant floraison. Malheureusement, sans ses fleurs caractéristiques, il est difficile de distinguer les Carottes sauvages de ses consœurs ombellifères mortelles (Ciguë...). L'odeur agréable et les poils hirsutes (recouvrant la tige et les feuilles) sont des indices pour identifier le bon légume, mais d'une manière générale, la cueillette des ombellifères est un sport extrême (et donc dangereux) qui exige une certaine expertise botanique.
Les ombelles d'ombellules de la Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre
Daucus carota, la Sauvage, a été introduites dans les jardins bien avant l'«invention» (conjointe de l'homme et de la nature) des célèbres légumes oranges. A l'époque, il n'était pas tant question d'en faire son menu, mais plutôt de profiter de ses vertus médicinales: une infusion de graines de carotte serait diurétique, faciliterait la digestion et régulerait les fonction intestinales.
Tout le monde connait la réputation des carottes: elles donneraient un teint hâlé à la peau et rendraient aimable. Il est vrai que la racine est riche en carotène (qui stimule la mélanine qui protège la peau de l'exposition au soleil), mais il faudrait un régime sévère sur plusieurs mois pour voir apparaître un début de bronzage; quant à sa faculté à rendre aimable, elle vient sans doute de cette vieille tradition qui consiste à montrer une carotte à un âne bougon pour le faire avancer, tout sourire!
Finalement, un palace ne mérite cette appellation que si la population qui le fréquente est à la hauteur du décorum. Confions le mot de la fin à Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou vêtu pour l'occasion de son costume de majordome, pour nous présenter un des clients les plus prestigieux des établissements Daucus Carota...
Il vous est déjà peut-être arrivé de trouver une splendide chenille verte à rayures noire et orange boulottant vos pieds de carottes. Si c’est le cas, il s’agit de celle du Machaon (Papilio machaon), un papillon tout aussi spectaculaire de par sa taille et ses motifs. Le Machaon appartient au genre Papilio, un gang de Sauvages constamment sur son 31. Son crédo? La classe sinon rien!
Chenille de Machaon avant la nymphose.
A le voir voler, le Machaon me fait penser à la réunion d’un insecte et d’un oiseau. Il déambule d’un vol plutôt tranquille, toujours élégant, avec des battements d’ailes amples et, me semble-t-il, sans ces courts planés typiques du Flambé (Iphiclides podalirius), son cousin classieux avec qui on le confond souvent.
Le Machaon: quelque part entre l’insecte et l’oiseau.
Pour pondre, la femelle Machaon inspecte les Carottes, mais aussi le Fenouil, le Persil, l’Aneth… Plantes les plus souvent choisies dans nos régions parmi plus de 40 espèces d’Apiacées recensées en Europe. La chenille qui s’en nourrira, outre sa tenue de spectacle toujours impeccable, se fait aussi prestidigitatrice: si on la dérange, elle déploie un appendice orange exhalant une odeur fétide situé à l’arrière de sa tête… Ce curieux organe s’appelle osmétérium. Notre magicienne peut même aller jusqu’à baver un liquide noir pour repousser les casse-pieds environnants. Vous me direz que, pour une fois, le Machaon ne verse pas dans le standing de l’entomologie chic.
Œuf de Machaon: aux racines de l'élégance...
En Poitou, le Machaon papillonne en deux générations d’avril à septembre. Cet endimanché permanent n’est pas très exigeant dans le choix de ses lieux de vol mais semble préférer les biotopes chauds et secs, les milieux ouverts, les allées forestières, les jardins. Alors si vous criez haro sur une chenille de machaon mâchouillant une feuille de vos chères carottes, n’oubliez pas cet aphorisme que les machaons aiment à se rappeler de génération en génération: «jardinier, dans ton code de bonne conduite, ne nous fait pas croire que les carottes sont cuites!»
Parmi les nombreuses fleurs butinées, le Machaon préfère celles de couleur pourpre, rose ou bleue. Ici, on dirait qu'il tente de séduire un Trèfle des prés !
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Daucus carota sur Tela-botanica
La tendresse chez les Carottes sauvages...
Fleur de l'Aigremoine eupatoire, Marçay (86)
Agrimonia eupatoria (Aigremoine eupatoire ou Grimoine en poitevin saintongeais) appartient à prestigieuse famille des Rosaceae, celle des Roses bien sûr (on en compte plus de 40.000 variétés!), mais aussi celle des Framboisiers, des Mûriers, des Pommiers et autres géants producteurs de fruits: les Rosacées fournissent l'essentiel des fruits consommés par l'homme en zone tempérée. Leurs fleurs affichent souvent (ce n'est pas une règle absolue) cinq pétales et cinq sépales. Leurs feuilles alternes et généralement stipulées sont souvent composées et dentées. L'Aigremoine, faute de réjouir les amateurs de confitures, affiche fièrement ses armoiries familiales avec ses fleurs jaunes à cinq pétales, presque sessiles (en réalité très courtement pétiolées), réunies en grappes allongées et ses feuilles imparipennées profondément dentées.
Feuilles imparipennées de l'Aigremoine eupatoire, à 5-9 folioles ovales-lancéolés, profondément dentés, entremêlés de segments plus petits.
L'Aigremoine eupatoire est une vivace qui dresse ses grappes (30 à 60cm de hauteur) dans les prairies sèches, les taillis, les bords de route et de chemins en été (commune sur le territoire français, la belle se fait plus rare sur le pourtour méditerranéen).
Pour fuir la fournaise au ras du sol en été, rien de tel que de grimper sur un brin d'Aigremoine eupatoire!
L'Aigremoine doit peut-être son nom à son affection pour les friches, agrios étant le «sauvage» en grec et monias le «solitaire». Si l'Aigremoine est assurément un(e) Robinson(ne) des terrains vagues, l’étymologie de son nom mérite bien quelques paragraphes supplémentaires, tant la belle a déjà fait couler d'encre au cours de l'histoire...
Aigremoine eupatoire et Carotte sauvage (Daucus Carotta) méli-mélo: quand la nature fait de l'Ikebana.
Selon certains auteurs, c'est au souverain Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.) que l'Aigremoine emprunterait son nom d’espèce: eupatoria. On raconte que Mithridate consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à l'égard tentatives d'empoisonnement sur sa royale personne. Bien sûr, Mithridate s'intéressait aussi aux antidotes: plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Aigremoine eupatoire ou de l'Eupatoire à feuilles de chanvre (Eupatorium cannabinum), déjà croisée dans les pages de Sauvages du Poitou. Autant de plantes à qui l'on prêtait autrefois des vertus anti venin plutôt fantaisistes.
Au-delà de la légende du «Roi des poisons», eupatoria n'est peut être qu'une variation autour du grec hêpar désignant le foie, la Sauvage étant jadis prescrite pour remédier aux troubles hépatiques... Quant à son nom de genre, Agrimonia, il pourrait aussi évoquer une «taie de l’œil» en grec (une taie est une tâche qui se forme sur la cornée), l'Aigremoine ayant été citée dans des médications visant à soigner certaines affections oculaires.
Difficile de démêler le vrai du malentendu (je vous recommande sur ce sujet l'enquête du site Books of dante, voir lien en bas de page), mais l'Aigremoine eupatoire reste une médicinale indétrônable des manuels de médecine populaire et de phytothérapie. On lui prête plus sérieusement des qualités astringentes, cicatrisantes, antidiarrhéiques, antidiabétiques... Aujourd'hui encore, les sommités fleuries de l'Aigremoine eupatoire sont inscrites à très officielle «liste A de la pharmacopée française». Attention toutefois: une espèce jumelle moins commune, l'Aigremoine odorante (Agrimonia procera), ne présente nulle vertus médicinales connues, les deux espèces pouvant s'hybrider à l'occasion.
Fruits crochus de l'Aigremoine eupatoire (des akènes enveloppés dans les restes du calice) qui agrippent les poils et les vêtements des animaux de passage pour dissémination (zoochorie); ceux de l'Aigremoine odorante présentent des crochets extérieurs réfléchis vers la tige à maturité.
Elle est rugueuse votre tisane...
(Le Gendarme et les Extra-terrestres, Jean Girault)
Moins connue, l'utilisation de l'Aigremoine eupatoire à des fins tinctoriales permet de donner aux laines ou au coton une couleur d'or dite «nankin», quelque part entre l'abricot et le chamois: un doré tout à fait royal, disons... Eupatorien!
Aigremoine eupatoire: une ligne élégante tracée à l'encre d'or!
Pour aller plus loin :
- Agrimonia eupatoria sur Tela-botanica
- Agrimonia eupatoria : identifications assistée par ordinateur
- Agrimonia eupatoria à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
Aigremoine eupatoire, Poitiers bords de Boivre
Mélampyre des champs, Buxerolles (86)
Melampyrum arvense (Mélampyre des champs) appartient à la famille des Orobanchaceae, un clan qui regroupe nombre de Sauvages aux allures excentriques, plus ou moins parasitaires. Tel est le cas du Mélampyre des champs, qui conserve des fonctions chlorophylliennes tout en tirant sa subsistance des racines d'autres plantes autour de lui (essentiellement des Poacées ou Graminées). On dit qu'il est hémiparasite: comprenez à moitié pickpocket.
Mélampyre des champs : un compagnon que les Poacées préfèrent avoir en photo qu'en pension!
Ils font un pain dégueulasse... On se pète les dents dessus!
(Kaamelott, Alexandre Astier)
Le Mélampyre des champs est une annuelle qu'on croisera à l'occasion autour des champs et des prairies calcaires. L'affection que porte la Sauvage au clan Poaceae l'incite à fréquenter les céréales: elle vampirise parfois les champs de blés, où sa présence est modérément appréciée malgré sa belle allure. Non pas tant pour pour ses talents de suceuse de sève, mais parce que ses graines sombres se confondent et se mélangent avec celles du blé à l'heure des moissons. Lorsque c'est le cas, les semences du Mélampyre des champs donnent au pain des taches peu appétissantes, violacées-rougeâtres; une mie bigarrée un brin toxique pour certains auteurs, inoffensive pour d'autres... Difficile de trancher quant à la dangerosité de la baguette à pois rouges. Reste que la Sauvage doit à cette réputation son nom de baptême: Mélampyre vient du grec mélas, noir, et pyros, le blé, littéralement le «Blé noir».
Moue boudeuse de la fleur du Mélampyre des champs... Le dessin lui a déplu?
Si gâcher le pain est un méfait difficile à pardonner pour un esprit français, parcourons tout de même les travaux de Gerard Ducerf: le botaniste nous apprend (Encyclopédie des plantes bio-indicatrices volume 3) que c'est précisément la carence en azote du sol qui lève la dormance du Mélampyre des champs. En parasitant et en freinant les ardeurs des Poacée — de grandes consommatrices d'azote — notre vampire végétal enraye la dégradation des sols dans lesquels on aurait trop puisé... Ainsi, le Mélampyre des prés assure un contrepouvoir salutaire face aux graminées et aux céréales lorsque celles-ci risquent d’appauvrir le milieu à l'excès; encore une fois, la nature est bien faite, et rien n'est jamais strictement mauvais ou nuisible à l'échelle de l'interdépendance.
Feuilles rudes du Mélampyre des champs: opposées, sessiles, lancéolées, linéaires.
Plutôt que de finir dans une boulangerie, Le Mélampyre des champs préfère l'assistance du peuple fourmi pour disperser ses graines sur le territoire (myrmécochorie). Les semences, équipées d'une substance nourricière (élaïosome) pour appâter les insectes, sont embarquées jusque dans les fourmilières ou abandonnée en cours de route.
Fruits (capsules) du Melampyre des champs: le «Blé noir», ou le côté obscur de la baguette.
Et pour susciter au plus tôt la compagnie des fourmis autour de ses fleurs, le Melampyre des champs affiche un autre festin très généreux à leur destination: des petites glandes noires (nectaires) chargées d'un précieux nectar sont parsemées sur ses bractées flamboyantes.
Nectaires sur les bractées du Melampyre des champs: un restaurant trois étoiles pour le peuple fourmi.
Le genre Mélampyre est riche d'une petite dizaine d’espèces, tous hémiparasites. On reteindra pour les plus courants sur le sol français:
Le Mélampyre à crête (Melapyrum cristatum), une annuelle aux bractées dentées comme des crêtes qui fréquente les lisière et les clairières forestières. Commun dans l'est du pays, il se fait de plus en plus rare au fur et à mesure qu'on se rapproche de la côte ouest.
Le Mélampyre des prés (Melampyrum pratense), une annuelle au longues fleurs jaunes pâles (blanches en fin de floraison) disposées par paires, qu'on rencontre dans tout le pays à l'ombre des sous bois. Le Mélampyre des prés a aussi pour habitude de côtoyer les fourmis (qui dispersent ses graines); mais un autre spectacle attend l'observateur chanceux près de ses colonies, comme pourrait le raconter Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou :
Quand la belle saison s’installe en Poitou, les prairies et lisières forestières s’égaient des papillons aux ailes orangées quadrillées de noir. Ils appartiennent au genre Melitaea (plus connu sous le nom de «Mélitées») dont l’étymologie vient de «miel», une référence non pas tant à leur couleur qu’à leur goût prononcé pour le nectar. Au sein de leur monde, l’une de ces Mélitées va nous occuper en particulier. Il s’agit de Melitaea athalia, appelée Damier Athalie ou justement, la Mélitée du mélampyre.
Mélitée du mélampyre (Melitaea athalia), Forêt de Moulière (86)
S’il arrive de la trouver sur coteau calcaire, la Mélitée du mélampyre est avant tout familière des allées forestières où elle butine ronces, marguerites, renoncules, bruyères… En Poitou, c’est une bête de juin-juillet dont les émergences peuvent être par endroits assez spectaculaires. Le 29 juin 2016, une randonnée en forêt de Moulière m’amena à en rencontrer une, puis deux, puis des dizaines! Je compris la cause de leur concentration: elle correspondait à la présence de belles stations de Mélampyre des prés, notre Sauvage servant de plante-hôte aux chenilles. Dans les faits, sur le revers des feuilles basses des Mélampyres, les Mélitées femelles vont déposer jusqu’à 400 œufs en plusieurs pontes. Les chenilles, assez grégaires, passeront l’hiver dans une feuille sèche à même la litière pour se nymphoser au printemps suivant, jamais loin de leurs Mélampyres chéries. Les Mélitées forment un genre complexe qui fait s’arracher les cheveux aux lépidoptéristes. Aussi, n’hésitez pas à nous envoyer vos clichés de ces papillons (si possible poitevins), l’équipe de Sauvage du Poitou se fera un plaisir tout capillaire de (tenter de) les identifier!
Colonie de Mélampyre des prés, Forêt de Moulière (86)
Pour aller plus loin :
- Melampyrum arvense sur Tela-botanica
- Melampyrum arvense : identification assistée par ordinateur
- Melampyrum cristatum sur Tela-botanica
- Melampyrum cristatum : identification assistée par ordinateur
- Melapyrum pratense sur Tela-botanica
- Melampyrum pratense : identification assistée par ordinateur