Populage des marais, Poitiers bords de Boivre
Caltha palustris (Populage des marais) appartient aux Ranunculaceae; une grande famille de Sauvages toxiques dont le nom viendrait du latin Rena, «grenouille», à cause de l'attrait pour l'eau de certains de ses membres. C'est le cas pour Caltha palustris: si vous voyez ses fleurs jaunes d'or, c'est que l'eau, courante ou stagnante, n'est pas très loin!
Populage des marais les pieds dans l'eau, Poitiers bords de Boivre
Caltha palustris est une vivace rustique qui aime les sols riches des marécages ou des bords de rivière. La Sauvage supporte même le bain, et peut survivre à des immersions (de courte durée). Ses rhizomes rampants peuvent former de belles colonies, dont les boutons dorés ne manquent pas de se faire remarquer au milieu d'une végétation encore bien timide au sortir de l'hiver.
Les anciens lecteurs du blog ne manqueront pas de penser à une autre pirate, la Ficaire (Ranunculus ficaria), qui choisit comme Caltha palustris la basse saison pour montrer ses atouts! Il se trouve que les deux sœurs Ranunculacées se ressemblent, fréquentent les mêmes zones humides et les mêmes grenouilles!
Ainsi, tu as une sœur jumelle...
(Star Wars le retour du Jedi, Richard Marquand)
Si le risque de confusion est possible lors d'une première rencontre, il ne subsiste guère une fois les présentations effectuées. Caltha palustris montre souvent un port plus «royal» (jusqu'à 40cm, elle est d'ailleurs un peu plus regardante quant à la richesse du sol), et ses feuilles présentent par endroit un crénelage caractéristique.
Feuille inférieures du Populage des marais: cordées à la base, légèrement crénelées, pétiolées, à nervures réticulées.
- Il s’appelle Juste Leblanc.
- Ah bon, il n’a pas de prénom?
- Je viens de vous le dire: Juste Leblanc... Votre prénom, c’est François, c’est juste? Eh bien lui c’est pareil, c’est Juste.
(Le dîner de cons, Francis Veber)
Comme sa fausse jumelle Ficaire, Caltha palustris bat des records en matière de noms populaires... La botaniste Aline Raynal-Roques (dans La botanique redécouverte) comptabilise pas moins de 90 noms anglais (Marsh marigold, Kingcup, mais aussi de véritables morceaux de «poetry» anglaise comme Horse blob ou Water bubbles!), 140 noms allemands (Sumpfdotterblume!)... Et 60 noms français.
Rien que sur le Poitou, on peine à s’accorder sur son appellation en poitevin-saintongeais: Clair-bassin de rivière pour les uns, Gros-bouton-d'or ou Souci-d'Eve pour les autres... En France, elle est le plus souvent le Populage des marais, la Caltha des marais, le Souci d'eau ou la Sarbouillote... On comprend l'importance d'utiliser une langue unique (le latin, accompagné d'une nomenclature) pour les botanistes de toutes régions et de toutes nations.
Mon nom est Bond. James Bond.
(James Bond 007 contre Dr No, Terence Young)
C'est pourquoi il convient surtout de retenir Caltha palustris. Caltha pour le grec «Calathos», la corbeille, une allusion à la forme de ses fleurs; et palustris, traduction de «marais» en latin. Elle est la jolie corbeille des marais!
Fleurs du Populage des marais: cinq ou six tépales et une armée d'étamines; notez les feuilles supérieures sessiles.
Caltha palustris présente une spécificité qui peut passer inaperçue au premier coup d’œil: ses fleurs sont dépourvues de pétales... Vous n'êtes sans doute guère convaincus, aussi nous faut-il revoir ce que les ouvrages de botanique nous racontent à propos de la fleur. Pour rappel (voir aussi l'article complet sur le sujet):
Une fleur complète est composée de deux couronnes de «feuilles» particulières: les sépales à l’extérieur, qui jouent un rôle de protection (les sépales forment le calice), et les pétales à l'intérieur (et oui, les pétales sont aussi des feuilles!), qui jouent principalement un rôle d'attraction des butineurs (les pétales forment la corolle). Méditons un peu sur cette dernière phrase...
Lorsque la fleur n'a qu'une seule couronne (dans tous ses stades de développement), on considère que c'est un calice constitué de sépales (source Gaston Bonnier, Flore complète de France, de Suisse et de Belgique).
Nous y voilà: chez Caltha palustris, l'unique couronne est composée de cinq sépales jaunes d'or, qui ressemblent en tout point à des pétales (on dit que ses sépales sont «pétaloïdes»). Lorsque l’ambiguïté entre pétales et sépales est à son comble, les botanistes coupent la poire en deux en parlant plutôt... De tépales. Abracadabra!
Fruits (follicules) du Populage des marais, Poitiers bords de Boivre
Pour aller plus loin:
- Caltha palustris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Grande Mauve, bord de champs à Biard (86)
Malva sylvestris (Grande Mauve ou Fouacé en poitevin saintongeais), fait office de reine du bal dans le clan qui porte son nom, Malvaceae. Mauve est la couleur de ses fleurs; mais difficile de dire qui de la couleur ou de la fleur donna son nom à l'autre, tant la Sauvage est emblématique et choyée par l'homme depuis toujours...
Fleur à 5 lobes échancrés de la Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
Malva sylvestris est une vivace (qui se comporte souvent en bisanuelle sous nos latitudes), dont les fleurs s'ouvrent entre mai et la fin de l'été. La belle passe difficilement inaperçue: sa tige et ses rameaux poilus peuvent dépasser le mètre de hauteur sur un sol propice.
Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
L'ancien nom latin de Malva sylvestris était Omnimorbia, c'est à dire «toutes les maladies»: ses propriétés adoucissantes étaient connus de tous. Ses fleurs et ses feuilles (fraîches ou séchées), en infusion ou en gargarisme, apaiseraient les inflammations comme les toux sèches, les gorges enrouées ou les aphtes. Appliquées en compresse, elles soulageraient panaris, furoncles ou hémorroïdes...
Princesse, t’es tellement douce que même le sel à le gout du sucre avec toi.
(Boulevard de la mort, Quentin Tarentino)
Bref, Malva sylvestris est une caresse rafraîchissante pour le corps qui souffre, mais pas seulement: Pythagore recommandait la tisane bleue à ses élèves pour adoucir les passions et pacifier l'esprit! Pour certains historiens, Malva viendrait d'ailleurs du grec malasso qui signifie «ramollir» ou «adoucir». Les grecs, puis les romains, la considéraient comme une plante sacrée apte à élever les âmes vers la lumière, sans doute inspirés par la faculté de la Sauvage à tourner ses fleurs vers le soleil.
Dire que Malva Syvestris est une plante comestible est une litote... Il serait plus juste de la considérer comme un véritable légume tant elle a été cultivée et consommée depuis les temps préhistoriques! Arabes, chinois, européens l'ont mangée crue en salade, cuite en soupe, en farce ou en ragoût. Elle est riche en sels minéraux, vitamines A, B1, B2 et C, en protéines complètes, en fer et en calcium.
On préfère généralement les fleurs et les jeunes feuilles, car ces dernières en vieillissant feront d'avantage sentir la qualité mucilagineuse (visqueuse et humidifiante) de la Sauvage... Tout le monde n’apprécie pas, mais c'est une particularité utile en cuisine: les parties aériennes de Malva sylvestris (ou une décoction des parties souterraines) peuvent épaissir un velouté ou une crème maison (en lieu et place de produits industriels de type Maïzena).
Les jeunes fruits circulaires (surnommés les «fromages» à cause de leur forme, pas de leur goût) sont tendres et se grignotent en salade (après les avoir débarrassés de leurs calices).
«Fromage» (fruit, un schizocarpe) de la Grande Mauve,
Poitiers quartier Chilvert
Sa culture aisée devrait nous inciter à la réintégrer dans les potagers, à l'image des romains qui préféraient garder la belle à portée de ciseau au fond de leurs jardins plutôt que de lui courir après à travers la campagne.
«Con un huerto y un malva hay medicina para un hogar» (Un jardin potager et de la Mauve constituent des remèdes suffisants pour un foyer)
(Maxime populaire espagnole)
Dans un cornet constitué d'un double calice, des pétales enroulés comme une glace à l'italienne: une signature de la famille des Malvacées (Grande Mauve, Poitiers)
Si les Anciens estimaient la Grande mauve comme apte à élever les âmes vers la lumière, deux papillons de nos régions ont bien compris que la Sauvage pouvait aussi aider leurs chenilles à s’envoler vers le ciel une fois leur métamorphose réalisée! Car la Grande mauve est aussi le garde-manger larvaire de l’Hespérie de l’alcée (ou Grisette, Carcharodus alceae) et de la Belle dame (Vanessa cardui).
Hespérie de l’alcée, Migné-Auxances (86)
A vrai dire, nos deux papillons n'ont pas que la Sauvage comme casse-croûte. En effet, l’Hespérie de l’alcée s’intéresse également à d’autres membre du clan Malvaceae (telle la Mauve musquée, Malva moschata) tandis que la Belle dame disperse ses œufs sur pas moins de... 70 espèces de plantes appartenant à 8 familles végétales!
Belle Dame, forêt de Vouillé (86)
Pour aller plus loin:
- Malva sylvestris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
- La Grande Mauve à travers l'histoire, un article du blog Books of dante
Et soudain surgit face au vent, la vraie héroïne de tout l'étang! (Fritillaire pintade)
Fritillaria meleagris (Fritillaire pintade ou Coquelourde en poitevin saintongeais) appartient à la famille Liliaceae, dont les membres sont souvent des plantes à bulbes et à fleurs spectaculaires: Lys, Muguets, Jacinthes, Tulipes, Muscaris, Jonquilles (dans la classification classique)... Les Fritillaires tirent leur nom du latin fritillus, qui renvoie au petit gobelet dans lequel les joueurs secouaient les dés avant de les lancer sur la table; la robe de ses clochettes évoque le plumage tacheté de la Pintade (Fritillaria meleagris est parfois nommée Pintade ou Pintadine).
Fritillaire pintade sur tapis de Ficaire pour ouvrir la saison dès début mars!
Fritillaria meleagris est une vivace à bulbe qui s'installe sur les sols riches, sains et détrempés des prairies et des forêts alluviales: elle est une Sauvage spécifique des zones inondables. La Sauvage trouve ses origines en Europe, où elle est endémique (on ne la croise nul part ailleurs sur le globe). Mais Fritillaria meleagris est aujourd'hui en péril, car son habitat disparait peu à peu...
Les zones humides, considérées à tort comme des lieux insalubres et improductifs (ce sont en réalité des lieux où la biodiversité est particulièrement riche et variée), reculent sous l'effet de l'urbanisation (assèchements, remblaiements...), quant elles ne sont pas transformées en champs de cultures industrielles (maïs le plus souvent). Fritillaria meleagris, à l'image d'autres locataires des zones alluviales, a aujourd'hui disparue de plusieurs pays et régions de France. Là où elle subsiste, elle est souvent enregistrée comme espèce protégée, ou au minimum, surveillée de près par les associations et les autorités.
Fritillaire pintade, Saint Benoît (86)
Dans le Poitou, nous avons la chance de pouvoir croiser la belle Pintade au printemps sans trop de peine. Les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres restent épargnés par le déclin national; néanmoins, le mouvement de recul de son habitat et de ses colonies n'épargnent pas la région. Il convient d'évaluer année par année ses populations, et de sensibiliser le plus grand nombre pour éviter que Fritillaria meleagris, devenue malgré elle un symbole de la nature poitevine, ne disparaisse.
Je suis là pour te sauver. Force d’intervention, matricule 38416, chargé de ta protection. Tu es la cible du Terminator.
(Terminator, James Cameron)
Il va sans dire qu'il faut éviter les cueillettes pour laisser la Sauvage se reproduire autant que possible. Mais surtout, il faut travailler d'arrache-pied à la sauvegarde des zones humides et encourager les modes de culture propres — Fritillaria meleagris est particulièrement sensible aux pollutions causées par les produits phytosanitaires — autour de celles ci: réduction des engrais, rétablissement de zones tampons autour des cultures... En attendant, notez, si vous avez un coin de jardin humide, qu'il est toujours possible de tenter de domestiquer Fritillaria meleagris en se procurant des bulbes chez un horticulteur.
Sous les jupes de la Fritillaire pintade: des fleurs tournée vers le sol, généralement solitaire (on peut exceptionnellement croiser des spécimens à 2 ou 3 fleurs), 6 tépales en damier pourpres et blancs, 6 étamines autour d'un pistil surmonté de 3 stigmates.
La reproduction végétative de Fritillaria meleagris (via son bulbe) est un processus lent et laborieux... Côté reproduction sexuée, la Pintade se montre tout aussi nonchalante: sa floraison printanière s'étale sur un court mois, avant d'offrir des fruits (de grosses capsules) qui se ressème spontanément. Les jeunes pousses qui pointent au printemps suivant ne montreront pas de fleurs... Avant la troisième ou quatrième année!
Feuilles de la Fritillaire pintade: alternes, minces, embrassantes, souvent arquées vers le sol.
Toute la plante (plus particulièrement le bulbe) renferme un alcaloïde, l'impérialine, qui peut s'avérer mortel pour l'homme en cas d'ingestion (risque d'hypotension et d'arrêt cardiaque). C'est toujours ça de gagné: Fritillaria meleagris ne risque pas de finir dans un panier fleuri, au milieu d'une récolte printanière de Sauvages comestibles! Et ce n'est pas une raison pour ne pas prendre soin d'elle, car, et c'est Jean Giono qui le dit (Un roi sans divertissement):
«On ne peut pas vivre dans un monde où l’on croit que l’élégance exquise du plumage de la pintade est inutile.»
Des trous dans la Pintade... Assassin!
Le coupable se révèle en fin de saison : Le Criocère du lis (Crioceris lilii), mangeur de Fritillaire, fait moins le malin lorsque ne restent que les fruits!
Pour aller plus loin:
- Fritillaria meleagris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
L'hommage à la Dame du Poitou par une autre Dame du Poitou, Marie Corneille, artiste et botaniste des Deux-Sèvres de la fin du 19ème siècle; Une planche dénichée parmi les trésors du Fonds ancien de la bibliothèque universitaire de Poitiers.