Centranthe rouge, Poitiers quartier Chilvert
Centranthus ruber (Valériane rouge ou Centranthe rouge) appartient à la famille Caprifoliaceae, aux côtés des Chèvrefeuilles ou des Symphorines. La Sauvage tire son nom des termes grecs kentron «aiguillon» et anthos «fleur»: ses fleurs rouges ou blanches regroupées en corymbes denses sont toutes prolongées d'un «éperon». En botanique, ce terme renvoie à une extension tubulaire à la base d'une fleur dont la forme rappelle celle des éperons à pointe émoussée que les cavaliers portent à leurs bottes.
Centranthus ruber est une vivace d'origine méditerranéenne (certains la surnomme Lilas d’Espagne). Invitée dans les jardins à des fins ornementales, la belle du midi est aujourd'hui bien présente à l'état sauvage dans tout l'ouest de la France, le réchauffement climatique lui permettant de remonter progressivement vers le nord du pays.
Jeune pousse de Centranthe rouge sur un mur perchée, Poitiers quartier Chilvert
Centranthus ruber aime les sols secs, même les plus pauvres, du moment qu'ils sont bien ensoleillés. On l'observe souvent à même les vieilles pierres des châteaux en ruine et les rocailles exposées plein sud. En ville, elle tient compagnie à la Pariétaire de Judée (Parietaria judaica) sur les murs, et il n'est pas rare d'en trouver jusque dans les graviers au bord des routes.
Feuilles de la Centranthe rouge: opposées, ovales ou elliptiques, lancéolées, entières (ou à peine dentelées), les inférieures pétiolées, les supérieures sessiles.
Je vieillis, docteur. Maintenant, j'ai besoin de chaleur, de soleil... De ciel bleu aussi.
(Le Viager, Pierre Tchernia)
Centranthus ruber pousse en de hautes touffes ramifiées (jusqu'à 1,30 mètre de haut). Ses longues tiges presque lignifiée à la base peuvent courir au sol pour trouver la chaleur et le soleil, qui semblent être ses seules exigences. Insensible aux insolations, elle n’hésite pas à coloniser les murs élevés ou les toits ensauvagés qui lui assurent un accès privilégié vers l'astre solaire. Ses fruits volants, de petits akènes que le vent disperse, lui permettent d'atteindre de nouveaux spots de bronzette sur les hauteurs de la ville.
Dès l'été, le vent disperse les fruits (des petits akènes plumeux) de la Centranthe rouge.
Au printemps, les fleurs rouges, rosés ou blanches de Centranthus ruber sont très mellifères, mais tous n'en profitent pas. Au jardin, la Sauvage est surtout un aimant à papillons: ces derniers sont les plus à même de profiter du nectar caché au fond des éperons de la Sauvage grâce à leur longue trompe (voir notre article consacré aux rôle des papillons dans la pollinisation).
Centranthus ruber est une des fleurs préférées du Moro sphinx - Macroglossum stellatarum -, un papillon qui pratique le vol stationnaire à la manière d'un oiseau-mouche. Quelques espèces d'abeilles solitaires et de bourdons munies de longues langues profitent de la Sauvage à l'occasion. Les bourdons à langue courte peuvent tenter le casse en mordant dans l'éperon pour en dérober le contenu; c'est là un hold-up végétal puisque la fleur fracturée n'est pas pollinisée.
Moro sphinx (Macroglossum stellatarum) et Centranthe rouge.
L'usage médical populaire rapproche Centranthus ruber de sa sœur de sève, la Valériane officinale (Valériana officinalis): les deux Sauvages sont connues pour leur propriétés sédatives et, accessoirement, anxiolytiques (probablement dans une moindre mesure pour Centranthus ruber). Ce sont leurs parties souterraines qui sont utilisées, généralement en tisane ou en lotion relaxante pour le bain.
Si l'intérêt pharmaceutique des deux plantes reste discuté par le corps scientifique, le parfum caractéristique des racines de Centranthus ruber — parfois surnommée Herbe aux chats — se révèle euphorisant et très attractif pour nos félins préférés! Si vous avez la chance d'avoir un bout de jardin bien exposé au soleil, un matou qui s'y promène et que les papillons vous enchantent, la Sauvage vous séduira probablement...
Pour aller plus loin:
- Centranthus ruber sur Tela-botanica
- Centranthus ruber, l'histoire d'une intégration réussie sur le site de Zoom Nature
Corymbes de la Centranthe rouge, tantôt rouges, tantôt blancs!
Benoîte des villes, Poitiers bords de Boivre
Geum urbanum (Benoîte des villes) apparient aux Rosaceae, une famille qui joue un rôle central dans l'alimentation (et donc l'économie) humaine; il s'agit du clan des fraisiers, mûriers, framboisiers, mais aussi de célèbres géants comme les cerisiers, pommiers, pêchers, pruniers...
Son nom savant Geum vient du latin Geuô qui signifie «j'assaisonne», à cause de la saveur de clou de girofle dégagée par son rhizome; quant à l'appellation urbanum, «l'urbaine», elle le doit peut être à son affection pour les friches et les décombres... A vrai dire, c'est surtout le moyen de la démarquer de ses deux sœurs de sève, la Benoîte des ruisseaux (Geum rivale) et la Benoîte des montagnes (Geum montanum)!
Si vous n’aimez pas la mer... Si vous n’aimez pas la montagne... Si vous n’aimez pas la ville: allez vous faire foutre !
(À bout de souffle, Jean-Luc Godard)
Fleur de la Benoîte des villes: 5 pétales arrondis, 5 sépales pointus et tournés vers le bas autour de 30 à 60 étamines.
Geum urbanum est une vivace qui s'installe généralement sur des terres riches en humus, à l'ombre des forêts, des lisières ou des haies. Son rhizome traverse la saison hivernale caché sous terre; ses fleurs à cinq pétales (c'est toujours le cas chez les Rosaceae) apparaissent entre juin et août.
Ses fruits crochus s'accrochent aux poils des animaux et aux bas de pantalon des promeneurs... Un excellent moyen de propager ses semences loin de leur point de départ! La botanique réserve un nom à ce mode particulier de dissémination, via les plumes, les poils ou les vêtements des animaux (que nous sommes): épizoochorie.
Les fruits crochus de la Benoîte des villes: des dizaines d'akènes prêts à agripper vos bas de pantalon.
J’ai vu l’Exorciste 2747 fois! À chaque fois je me marre comme un bossu, qu’est ce qu’il est chouette ce film nom de Dieu!
(Beetlejuice, Tim Burton)
Son nom courant Benoîte est un hommage à Saint Benoît, fondateur de l'ordre bénédictin. Il faut dire que la plante a longtemps été considérée comme une bénédiction végétale: les moines allaient jusqu'à utiliser la plante dans les rituels d'exorcismes pour chasser le diable et son gang! La consommation de Geum urbanum était réputée pour calmer les ardeurs... Jusque dans les monastères où la tisane permettait d'apaiser les fantasmes mal venus des religieux.
Feuilles basales divisées et dentée de la Benoite des villes, Poitiers bords de Boivre
Toujours
est-il qu'on lui reconnait certaines vertus médicinales, à tel
point qu'ici et là, on continue de la désigner par des noms tels que
Herbe de sang, Herbe de cœur ou Herbe de fièvre. La tisane des partie souterraines de Geum urbanum est calmante, légèrement sédative, digestive et astringente (asséchante et anti-diarrhéique). Selon la coryance populaire, mâchouiller un bout de rhizome (nettoyé et séché) - comme on mâchouillerait un clou de girofle - soulagerait les maux de dents; j'imagine que son parfum évoque à certains une séance chez le dentiste? Quoi qu'il en soit, l'odeur du clou de girofle, comme le son de la fraise dentaire, suffira peut-être à mettre en fuite le diable s'il venait à passer!
Benoîte des villes, Poitiers quartier gare
Geum urbanum aurait également un effet bénéfique sur la lactation des ruminants. Jadis, les paysans du Poitou la fauchaient sur les bords des routes pour la donner aux vaches et booster leur production. Les jeunes feuilles de Geum urbanum sont comestibles, crues en salade. Leur parfum reste subtil. En revanche, les rhizomes charnus de la Sauvage, nettoyés, découpés et mis à sécher à l'ombre, dégagent un léger parfum: ceux-ci peuvent remplacer les clous de girofle dans les recettes (il faut cependant compter d'avantage de parties souterraines de Geum urbanum qu'il faudrait de clous de girofles). Autrefois, on laissait macérer pendant une bonne semaine des rhizomes de Geum urbanum (50 grammes) et quelques zestes d'oranges dans du vin rouge (1 litre) pour produire une boisson aromatisée, sorte de version sauvage du célèbre vin chaud de nos marchés de Noël... Happy and wild Christmas!
Benoîte des villes: sur les tiges, notez les deux stipules foliacées presque aussi grandes que les feuilles elles mêmes!
Pour aller plus loin:
- Geum urbanum sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Chez les Benoites, la ponte d’un acarien spécifique (Cecidophyes nudus) peut provoquer des boursouflures sur les feuilles (une «galle»).
Amarante couchée: introduite en France au début du 20ème siècle, l'Amarante couchée tend à devenir commune au cœur des villes.
Les Amaranthus (Amarantes ou Argon en poitevin saintongeais) appartiennent au clan qui porte leur nom, Amaranthaceae. Leurs fleurs minuscules sont généralement verdâtres ou rougeâtres, avec un périanthe herbacé, sec ou membraneux. Amarantos en grec signifie «qui ne flétrit pas»: même cueillies, leurs fleurs ne risquent guère de faner.
Amarante couchée, Poitiers quartier gare
L'Amarante couchée (A.deflexus) et l'Amarante livide (A.blitum) présentent des ports étalés sur le sol. Les feuilles nous permettent de les différencier, ovales (ou rhomboïdales) chez l'Amarante couchée, échancrées (émarginées) à leur bout pour l'Amarante livide.
Feuilles émarginées de l'Amarante livide, Poitiers centre
L'Amarante réfléchie (A.retroflexus) et l'Amarante hybride (A.hybridus) se distinguent par des ports dressés avec presque un mètre de hauteur à pleine maturité. Chez l'Amarante réfléchie, la tige et les pétioles sont fortement pubescents. Les feuilles ont souvent un bord de limbe ondulé. Chez l'Amarante hybride, tige et pétioles sont glabres ou légèrement velus.
Amarante réfléchie, Nouaillé-Maupertuis (86)
Vous l'aurez compris, ces quelques conseils d'identification sont loin d'être suffisants ou exhaustifs! D'autant plus que les différences s'amenuisent lorsqu'on observe des Amarantes sur un bout de trottoir misérable, ou la plante pousse et se développe comme elle peut, à partir du peu qu'elle trouve... L'examen minutieux de leurs fleurs minuscules, assisté d'une flore experte, sont souvent nécessaires pour aller jusqu'à l’espèce.
Amarante hybride, Buxerolles (86)
Les Amarantes réfléchie (A.retroflexus), hybride (A.hybridus) et livide (A.blitum) sont des annuelles, principalement pollinisée par le vent. Elles se resèment abondamment, produisant plusieurs milliers de graines par pied.
L'Amarante couchée (A.deflexus) est une vivace solidement enracinée. Au jardin, cette dernière peut se montrer envahissante... Il faut dire qu'elle ne craint guère que les limaces et les escargots, ces derniers n'étant pas légions à l'heure estivale où la Sauvage pointe le bout de ses feuilles.
J’ai un ami coincé dans l’œsophage d’une limace.
(Epic la bataille du royaume secret, Chris Wedge)
Pourtant, d'autres variétés d'Amarantes spécialement sélectionnées pour la culture ou l'ornement peuvent se révéler intéressantes à côtoyer.
Amarante couchée: une usine à graines.
Car les Amarantes étaient cultivées par les amérindiens (Arizona), les Incas, les Mayas ou encore les Aztèques pour leurs graines avec lesquelles ils confectionnaient une farine (sans gluten) et des galettes. Les civilisations précolombiennes considéraient d'ailleurs la Sauvage (alors domestiquée) comme une plante sacrée et lui réservait une place de choix jusque dans leurs rituels.
C’est en tant que légumes (ainsi que pour leurs qualités ornementales) que nombre d’Amarantes furent introduites en Europe. Leurs grains et leurs jeunes feuilles riches en protéines, en vitamines A, C et en sels minéraux, sont consommées crues ou cuites comme des épinards.
Les Amarantes ont finalement quitté les jardins pour trouver la liberté au cœur des villes et des champs cultivés où elles apprécient les excès d’azote. Les espèces les plus rudérales, comme l’Amarante couchée (A.deflexus), furent probablement importées accidentellement, leurs graines s’étant introduites clandestinement via les transports de marchandises.
Amarante couchée: aux sombres héros du caniveau.
Et je voudrais remercier ma grand-mère pour avoir toujours été aussi gentille avec moi, et de m’avoir aidé à sauver le monde et puis tout ça.
(Mars Attacks, Tim Burton)
La culture de l'Amarante reste d'actualité dans des pays comme le Kenya, l'Ouganda, la Zambie ou le Zimbabwe. Sont généralement retenues des variétés annuelles à grandes feuilles, comme l'Amarante fournaise (A.tricolor), ou à graines, comme l'Amarante élégante (A.hypochondriacus), l'Amarante hybride (A.hybridus), l'Amarante à queue de renard (A.caudatus) ou encore l'Amarante rouge (A.cruentus).
La spectaculaire Amarante à queue de renard
Une O.N.G. kényane - Strategic Poverty Alleviation Systems - invite à considérer la culture de l'Amarante comme une solution face aux problèmes de malnutrition du continent africain: plus nutritive que le soja, plus facile à cultiver, elle tolère les sols pauvres, secs, se montre résistante face aux prédateurs et aux maladies et requiert peu d'eau...
Alors la prochaine fois que vous croisez un membre du clan Amaranthus, regardez de plus près: il se pourrait que derrière un masque de mauvaise herbe citadine, incognito sur un bout de trottoir, se cache le membre d'une famille de super Sauvages. Même si certaines d'entre elles (A.deflexus, A.retroflexus, A.hybridus) sont surveillées dans certaines régions françaises: il ne faudrait pas que, basculant du côté obscure de la force, leurs supers pouvoirs transforment ces globe-trotteuses en de nouvelles invasives sur notre sol!
Pour aller plus loin:
- Amaranthus deflexus sur Tela-botanica
- Amaranthus retroflexus sur Tela-botanica