Cétérach, qui signifie littéralement «fougère» en arabe
Les Asplenium (famille des Aspleniaceae) affichent plusieurs centaines d'espèces, de variétés et d'hybrides de fougères. Bon nombre d'Asplenium se sont taillés une réputation dans le traitement des affections du foie et de la rate; ainsi le clan Asplenium tirerait son nom du grec Splenon qui désigne la rate.
On s'intéressera ici plus particulièrement à quatre habitantes des murs de nos cités: Asplenium trichomanes (Capillaire des murailles), Asplenium scolopendrium (Scolopendre), Asplenium ruta-muraria (Doradille des murailles ou Rue des murailles) et Asplenium ceterach (Cétérach). Mais avant de faire place à ces quatre vénérables anciennes, revenons sur les particularités du peuple Filicophyta — alias peuple fougères —, fier de ses quelques 13.000 espèces recensées à ce jour, terrestres ou aquatiques, discrètes ou géantes (jusqu'à 20m de haut pour certaines espèces arborescentes)!
Les fougères représentent un embranchement dans la grande histoire végétale. Leur règne commence entre celui des algues, des mousses (qui n'ont pas encore de système vasculaire, donc pas de racines, de tiges ou de feuilles) et celui des plantes à graines, puis des plantes à fleurs. Les fougères possèdent donc déjà des racines, des tiges et des feuilles parcourues de vaisseaux (on parle de frondes plutôt que de feuilles), mais précèdent l'«invention» de la graine.
Capillaire noire (Asplenium adiantum-nigrum), Puits d'Enfer (Exireuil, 79)
La vie trouve toujours son chemin.
(Jurassic park, Steven Spielberg)
Leur perpétuation est assurée par l'intermédiaire de semences primitives, les spores, produites par les sporanges. Les spores sont des cellules simples et microscopiques; contrairement aux graines, produites par les fleurs, qui sont des structures complexes (capables même d'intégrer un stock de nutriments pour la plante à naître) et suffisamment grosses pour être observables à l’œil nu.
La vie déteste les cases trop bien rangées: il y a plus de 300 millions d'années, apparurent des fougère à graines... complètement disparues aujourd'hui!
Sous les frondes (feuilles) de la Scolopendre, ses sporanges, c'est à dire «sacs à spores» (et non sac de sport!)
De même, dans la nature, les choses les plus simples cachent souvent des processus élaborés: les spores, en germant, ne deviennent pas directement des bébés fougères... Ils donnent naissance à un organisme intermédiaire, le prothalle, qui se présente un peu comme une mousse. C'est sur ce prothalle qu'apparaissent des organes mâles et femelles, et que la fécondation, en présence d'eau, puis l'apparition d'une jeune fougère, peut avoir lieu.
Ainsi, grâce à ce long processus et avec l'aide de la météo, nos quatre Asplenium ont traversé l'histoire, jusqu'aux murs de nos villes contemporaines.
Jeunes frondes de Scolopendre: les «Langues de cerf!»
De nos quatre Sauvages, Asplenium scolopendrium (Scolopendre) est celle qui affiche de manière la plus évidente son appartenance au clan fougère. Là où la scolopendre dresse ses frondes en forme de longues langues ondulées (son autre nom local est Langue de cerf), l'eau n'est pas loin. La Sauvage s'installe dans les zones humides et fraîches, les abords des fontaines, les parois des vieux puits, les entrées des grottes et des sous-terrains, les murs exposés au nord... La Scolopendre doit son nom courant à ses grands sporanges linéaires, dont la disposition évoque les pattes du célèbre mille-pattes venimeux (Scolopendra).
Ses parties aériennes fraiches ou séchées ont été utilisés en médecine populaire pour leur qualité relaxante (hypotensive) et astringente (la Scolopendre est tannique, donc asséchante et cicatrisante en usage externe).
Frondes du Capillaire des murailles: linéaires lancéolées, composées pennées.
Asplenium trichomanes (Capillaire des murailles, la fougère doit son nom à l'axe central de ses frondes, fin comme un long cheveux noir) est sans doute la plus répandue parmi nos quatre Asplenium (ce n'est là que ma propre observation). Il faut dire que la Sauvage fait preuve d'une grande polyvalence: on rencontre ses touffes délicates dans les milieux calcaires (murs ou sols riches en calcium et chauds) comme dans les milieux siliceux (acides et frais). Elle s'installera sur les murs humides qu'elle affectionne bien sûr, mais également sur des spots plus secs et plus exposés.
Enfin, le Capillaire des murailles dispose d'un atout de taille pour faire face à la sécheresse: il est capable, en l'absence d'humidité, de recroqueviller ses frondes et de faire le morte.... Jusqu'au retour de la pluie!
- Et tu es mort ?
- Hélas oui... Mais j’ai survécu.
(L’âge de glace 3, Le temps des dinosaures, Carlos Saldanha)
Frondes bi ou tripennées de la Rue des murailles
Asplenium ruta-muraria (Rue des murailles) colonise les fissures des murs calcaires et des monuments, en situation ensoleillée ou ombragée. Elle doit probablement son nom à sa ressemblance avec une autre Sauvage herbacée, la Rue odorante (Ruta graveolens). Mais si au premier abord les petites feuilles de la Rue des murailles ne font pas penser à une fougère (plutôt à une minuscule salade frisée), la présence de sporanges sous les lobes empêche tout malentendu.
La Rue des murailles est défavorisée par la pollution atmosphérique, aussi, elle est un bon indicateur de la qualité de l'air dans les villes... Lorsque ses populations disparaissent, c'est qu'il ne fait plus bon respirer!
- Mais comment il fait pour respirer, là-dessous?
- Jacques ? Il respire pas...
(Le grand bleu, Luc Besson)
Frondes pennatiséquées du Ceterach, Biard (86)
De nos quatre fougères, Asplenium ceterach (Cétérach) est la mieux taillée pour affronter la sécheresse: à l'extrême opposé de la Scolopendre, le Cétérach habite les murs (calcaire ou ciment) secs et ensoleillés. Son nom viendrait d'ailleurs de lointaines contrées arides: Seterak étant le mot arabe pour désigner les fougères.
La même colonie de Cétérach quelques jours plus tôt, avant la pluie!
Lorsque l'eau vient à manquer, le Cétérach se desséche et se recroqueville de manière à orienter les «écailles» protectrices cachées sous ses frondes vers le soleil. Au retour de la pluie, la Sauvage reverdit et reprend forme de manière rapide (une résurrection encore plus spectaculaire que celle de la Capillaire des murailles): un phénomène que l'on appelle la reviviscence. En médecine populaire, le Cétérach est utilisé (en une décoction amère) dans le traitement des affections respiratoires (toux, bronchite) et en prévention contre les calculs rénaux.
Capillaire des murailles: la naissance d'une pieuvre au jardin!
Les feuillages persistants de ces quatre vagabondes (elles sont vivaces) en font d'excellentes candidates pour l'élection de Miss Sauvage dans les jardins d'ornement. En Grande-Bretagne, à l'époque victorienne, les fougères firent même l'objet d'un brusque phénomène de mode: la ptéridomanie. Des gens de tous milieux sociaux se mirent en quête de fougères rares, pour les ramener dans leurs jardins ou leurs terrariums et épater le voisinage!
Les risques du métier de la Rue des murailles: dommages collatéraux lors d'un graffiti!
Et comme la nature aime l'équilibre, et qu'un phénomène exubérant finit toujours par engendrer son contraire, c'est sans doute à partir de la même période qu'apparut une curieuse pathologie: la ptéridophobie, ou phobie des fougères! Le plus célèbre ptéridophobique de l'histoire fut Sigmund Freud. A l'image d'un cordonnier mal chaussé, le psychanalyste ne parvint jamais à surmonter sa frayeur face à une touffe délicate de Capillaire des murailles!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou présente quelques Asplenium de Poitiers au micro de France Bleu Poitou
- Asplenium trichomanes sur Tela-botanica
- Asplenium scolopendrium sur Tela-botanica
- Asplenium ruta-muraria sur Tela-botanica
- Asplenium ceterach sur Tela-botanica
Oxalis corniculé, Poitiers quartier Chilvert
Oxalis corniculata (Oxalis corniculé) appartient au clan éponyme, celui des Oxalidaceae. Les Oxalis doivent eux-mêmes leur nom aux termes grecs Oxus et Als, respectivement «acide» et «sel». Toutes les parties des Oxalis sont acidulées du fait de l'acide oxalique qu'elles contiennent. On peut d'ailleurs les rajouter crues aux salades sauvages, où elles remplaceront quelque peu le vinaigre (ou le citron). Attention toutefois à ne pas en abuser: l'acide oxalique peut à forte dose troubler les systèmes digestif, gastrique (irritations), urinaire (calculs rénaux), ou aggraver les états rhumatismaux
Le miel n’est pas vraiment le miel sans le vinaigre.
(Vanilla sky, Cameron Crowe)
Fleur de l'Oxalis corniculé, Poitiers quartier Chilvert
La caractéristique la plus évidente des Oxalis est la forme de leurs feuilles, divisées en 3 folioles (comme le trèfle), en forme de cœur.
Feuille de l'Oxalis corniculé: alternes, trifoliées, folioles obcordées.
Les feuilles de l'Oxalis corniculé peuvent aborder une palette de couleurs variables, allant du vert clair au violet foncé. Il se distingue des autres Oxalis grâce à ses fleurs jaunes en ombelles, son port rampant, ses tiges aériennes qui bouturent allégrement et un détail qu'il nous faut dénicher à la loupe: on peut observer des stipules très marqués à la base des pétioles.
Oxalis corniculé: des stipules soudées au pétiole, très marquées, anguleuses.
A titre de comparaison, ces stipules ne sont pas visibles chez l'Oxalis droit (Oxalis fontana), une espèce proche au port érigé. Chez l'Oxalis dressé (Oxalis dillenii), une autre espèce moins répandue, les stipules moins marquées, régulièrement arquées (non anguleuses) et il n'y a jamais de boutures aériennes.
Le port dressé de l'Oxalis droit, le bien nommé.
Oxalis droit: contrairement à l'Oxalis corniculé, la base du pétiole n'est pas élargie en stipules.
L'Oxalis corniculé est une annuelle, voir une pérennante (vivace à la vie courte), dont les fruits explosifs (des capsules) dispersent les graines alentour. Au contact du sol, les tiges rampantes peuvent s'enraciner en plusieurs points d'ancrage autour du plant principal (le seul à avoir une racine pivotante vigoureuse), permettant à la Sauvage de couvrir rapidement les territoires dégagés qui s'offrent à elle.
Oxalis corniculé, Poitiers quartier Chilvert
C'est pourquoi la belle n'a pas forcément la côte auprès des jardiniers. Les conseils et les méthodes pour se débarrasser d'elle abondent sur la toile; de même que les retours déçus de ceux qui ne parviennent jamais vraiment à l'éradiquer. Il est pourtant intéressant de noter que l'Oxalis corniculé affectionne les sols où la terre est laissée nue (en attente d'un semis par exemple, ou dans les rangs intermédiaires d'un potager), lessivés par les intempéries en hiver ou brûlés par le soleil en été.
L'Oxalis corniculé est présente sur toute la planète. Le cœur dessiné par ses feuilles et la ténacité de la Sauvage, ont marqué les esprits des amoureux de la nature des cinq continents... De l'autre côté du globe, au Japon, elle («Katabami») a fait partie des Kamon les plus repris par les clans guerriers (les Kamon sont des blasons stylisés qui représentaient les grandes familles). L'image est belle: l'Oxalis, petit samouraï végétal, prêt à tous les sacrifices pour protéger son seigneur, le sol!
Oxalis corniculé et le Kamon japonais «Katabami»
Pour aller plus loin:
- Oxalis corniculata: identification assistée par ordinateur
- Oxalis corniculata sur Tela-botanica
- Oxalis fontana: identifications assistée par ordinateur
- Oxalis fontana sur Tela-botanica
Fruits (capsules allongées) de l'Oxalis corniculé.
Feuilles lancéolées et généralement opposées du Buddleja du père David
Buddleja davidii (Buddleja du père David, Arbre aux papillons) est un arbuste originaire de Chine de la famille Loganiaceae dans la classification ancienne ou Scrophulariaceae dans la classification récente.
C'est l'occasion de parler de ces fameuses classifications, au combien nécessaires dans l'étude du vivant: on considère en botanique une classification dite «classique» qui se base sur les particularités morphologiques et chimiques des plantes. Celle ci fut utilisée jusqu'en 1998, année où fut proposé une nouvelle classification dite «phylogénétique». Dans cette dernière, les progrès scientifiques permettaient aussi de prendre en compte les liens de parenté (génétiques) qui existent entre les végétaux, leur histoire sur terre, au delà de leur apparence présente. Cette classification moderne fut révisée, ou plutôt affinée, en 2003, puis en 2009...
À quel famille appartient cet écu?
(Les visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Mais peu importe: comprenons simplement que Buddleja davidii, qui appartenait au vaste gang Loganiaceae, aux côté des Digitales ou autres Véroniques, fut récemment expatrié — suite à un test ADN en bonne et due forme — chez les Scrophulariaceae, aux côtés des Molènes, ses sœurs de sèves et de gènes.
Le Buddleja du père David entre en gare de Poitiers,
éloignez vous de la bordure du quai s'il vous plaît!
Quittons les rangs de l'université pour revenir sur le terrain, près de la voie ferrée... Car c'est à cet endroit, et le long des routes, que vous croiserez probablement Buddleja davidii. Importé sous nos latitudes à des fins ornementales, l'arbuste s'est rapidement échappé des jardins. Dans les milieux perturbés par l'homme, il est un pionnier efficace, voire franchement invasif dans certaines régions; il affectionne les terres misérables, ensoleillées, ne craint pas les pollutions citadines et ne connait pas de prédateurs sérieux. La SNCF et Réseau Ferré de France sont des gros consommateurs d'herbicides en France, nécessaires pour l'entretien des voies; pas de quoi faire trembler notre Sauvageon qui a fait des lignes de trains un de ses territoires de prédilection, aux côté des Renouées du Japon, des Ailanthes, des Robiniers faux-accacia et autres hors-la-loi increvables!
Buddleja davidii pousse rapidement (entre 2m et 5m de hauteur à maturité). Ses fleurs violettes disposées en large grappes (panicules) parfument les bosquets entre juin et octobre. Véritable usine à graines, un pied peut produire 3 millions de semences par an que le vent, l'eau (dans les ripisylves qu'il affectionne), les voitures et bien sûr les trains dispersent.
Fructification généreuse du Buddleja du père David, Poitiers gare
Le végétal doit son nom Buddleja davidii à deux hommes d'église: celui du pasteur et botaniste anglais Adam Buddle (en guise d'hommage) et celui du Père Armand David, botaniste français et missionnaire; c'est au au 19ème siècle, en Chine, que ce dernier rencontra l'arbuste.
Mais le surnom le plus courant de l'arbuste est Arbre aux papillons. Buddleja davidii est en effet une manne en matière de nectar pour les papillons qu'il attire irrémédiablement.
L’évidence du parfum possède une conviction irrésistible, elle pénètre en nous comme dans nos poumons l’air que nous respirons, elle nous emplit, nous remplit complètement, il n’y a pas moyen de se défendre contre elle.
(Le parfum - Histoire d’un meurtrier, Patrick Süskind)
Vulcain (Vanessa atalanta) au festin de l'Arbre à papillon!
Ses feuilles sont en revanche boudées par les chenilles; malgré son pseudonyme tout en poésie, l'Arbre aux papillons seul ne serait suffire aux bonheurs des papillons.
En milieu urbain, les vastes haies de Buddleja davidi peuvent représenter un déséquilibre écologique: attirant les populations de papillons, l'arbuste ne leur permet pas d'assurer leur reproduction. Si l'arbuste fait preuve d'une générosité bienvenue au cœur d'un paysage végétal riche et varié, il devient un hôte suspect lorsqu'il colonise seul de vastes friches.
Buddleja du père David, Poitiers bords de Boivre
Les racines de Buddleja davidi sont utilisées dans la fabrication de pharmacopées traditionnelles en Chine. La relative toxicité de l'arbuste (sa consommation ne présente à priori pas de danger pour l'homme, ce qui n'en fait pas un arbuste comestible pour autant) devrait cependant nous décourager d'en faire recette, à l'image des chenilles bien avisées.
Un tel afflux de papillons arrange forcément les parties de chasse de la Thomise variable (Misumena vatia)!
Dans son pays d'origine, on nomme l'arbuste Daye Zuiyucao, littéralement «grandes feuilles qui enivrent les poissons»: les fleurs jetées dans un bassin seraient capables d'y enivrer les poissons. En réalité, c'est là le meilleur moyen de les empoisonner! Vous l'aurez compris, Buddleja davidi est un Sauvageon séduisant... Qu'il convient d'apprivoiser avec discernement et surtout parcimonie.
Pour aller plus loin:
- Buddleja davidii sur Tela-botanica
- L'Arbre aux papillons: sympa au jardin mais envahissant dans la nature par Vincent Albouy
Buddleja du père David, Romagne (86)