Giroflée des murailles, Poitiers sous Blossac
Erysimum cheiri (Giroflée des murailles ou Giroflée ravenelle) appartient à la famille Brassicacea dont les membres présentent généralement des fleurs à quatre pétales. On raconte que ce sont les croisés qui rapportèrent la Giroflée de Méditerranée orientale pour décorer leurs châteaux, la croix dessinée par ses quatre pétales faisant écho à leur quête sacrée. La sauvage brandit ses siliques allongées à la fin de l’été comme une armée d’épées: elle est la croix, mais aussi le glaive.
Siliques en épée (de croisés) de la Giroflée des murailles, Poitiers quartier Chilvert
La Sauvage doit son nom, Giroflée, à l'odeur de ses fleurs qui rappelle celle du clou de Girofle. Elle fut une plante très utilisée en parfumerie, au même titre que la célèbre Violette odorante (Viola odorata).
Fleur en grappes de la Giroflée des murailles: 4 sépales étroits enserrent le tube de la corolle à 4 pétales, 6 étamines inégales (abeille solitaire, Anthophora sp).
Erysimum cheiri est vivace, bien que sa durée de
vie soit brève (les jardiniers la considère comme bisanuelle, car elle perd de son intérêt floral dès la troisième année). Elle se ressème spontanément
à la fin de l'été, se multipliant
d'autant plus facilement qu'elle s'installe là où peu d'autres plantes
seraient capables de pousser. Les limaces et les escargots qui sont friands des jeunes pousses se chargeront toutefois d'en limiter la prolifération (en ce qui nous concerne, elle est toxique).
Comment avez-vous fait pour grimper la haut? Oh mon dieu!
(La princesse et la grenouille, Walt Disney)
Erysimum cheiri est capable de planter sa tige ligneuse et ses maigres racines sur les sols les plus secs et les plus ingrats; on la rencontre parfois dans des situations étonnantes, accrochée à mi-falaise, ou dressée entre les tuiles d'un vieux toit. Perchée, elle abandonne ses graines dans le moindre interstice de mur alentour. Elle fleurit très tôt (de mars à avril), annonçant le printemps et faisant le bonheur des premiers butineurs (essentiellement de petits diptères) au sortir de l'hiver.
Giroflée des murailles, Saint Benoît (86)
«Voici que s'élancent vers le visiteur d'incohérentes figures blêmes de poussière (…). Et la rude main présente un bouquet de fleurs crayeuses, augustes de misères et flamboyantes de volonté. Ah! Ces frêles tiges desséchées! La Vendée les verra, car j'ai promis qu'elles iraient dormir avec moi.» George Clémenceau, discours du 1er octobre 1921 lors de l'inauguration du monument de Sainte-Hermine.
Les croisés en avaient fait leur égérie, mais c’est une toute autre guerre qui planta la Giroflée sur le devant de la scène. George Clémenceau est considéré comme un des leaders qui menèrent la France à la victoire en 1918. Surnommé «le Tigre» pour sa férocité politique (puis finalement «Père la Victoire» à l’issue de la grande guerre), Clémenceau était aussi réputé pour son amour des fleurs qu’il cultivait autour de sa maison vendéenne. Lorsque ce chef de guerre rend visite aux troupes sur les tranchées en juillet 1918, les poilus lui offrent un petit bouquet poussiéreux cueilli à la hâte sur le champ de bataille. Ce bouquet deviendra célèbre, et Clémenceau l’emportera jusque dans sa tombe selon ses volontés (ainsi qu’une douille d’obus en guise de vase!). Les historiens comme les botanistes ne s’entendent pas sur la nature des fleurs qui furent offertes au Tigre ce jour-là, mais la légende populaire raconte qu’il s’agissait d’un bouquet de Giroflée des murailles; une sauvage capable de vaincre l’hiver et de refleurir à même la misère, toute une promesse!
Feuilles lancéolées et entières de la Giroflée des murailles
Pour aller plus loin:
- Erysimum cheiri sur Tela-botanica
Les «Crucifères» sont régulièrement foulées par les armées croisées de la Punaise ornée (Eurydema ornata). Cette punaise aux colorations variables – elle peut être confondue avec d’autres espèces proches – choisit pour plante hôte larvaire de nombreuses Brassicacées sauvages ou cultivées, pouvant causer d’importants dommages aux cultures.
Trèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
Trifolium pratense (Trèfle des prés ou Trifa en poitevin-saintongeais) appartient à la famille Fabaceae (c'est une Légumineuse). Cette Sauvage vivace est à l'origine de variétés appréciées et cultivées par l'homme; Trifolium pratense se démaque par ses capacités à capter l'azote de l'air pour le stocker dans le sol (engrais vert), à offrir un couvert tout en améliorant la capacité de drainage du sol, et surtout par la haute teneur en protéine de ses célèbres feuilles trifoliées (fourrage pour le bétail).
Inflorescence du Trèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
Les fleurs de la Sauvage affichent naturellement une couleur rouge-violet très vive et un port bas ou rampant; les échappées des variétés cultivées sont généralement plus proches du rose pâle, avec un port haut et vigoureux (c'est un de leurs critères de sélection).
Feuilles trifoliées du Trèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
On est les fils de pute les plus chanceux du monde !
(Titanic, James Cameron)
Les botanistes estiment qu'il existe un Trèfle à quatre feuilles, pour 10.000 Trèfles à trois feuilles (en fait des folioles). On peut même en trouver à cinq ou six feuilles, mais les études scientifiques ne nous disent pas si ces monstres rares ont également le pouvoir de porter chance à celui qui les déniche...
Jour de chance! Trèfle rampant (Trifolium repens) à cinq feuilles, Rilleux-la-Pape (69)
Si l'homme a trouvé avantage à domestiquer Trifolium pratense, la nature sait depuis longtemps les bienfaits de la Sauvage: ses massifs offrent un refuge de premier choix à une vingtaine de chenilles et autant de papillons. Ses fleurs mellifères sont butinées par les papillons et les bourdons; eux seuls — grâce à leur longue trompe — peuvent atteindre son nectar.
Mélitée du Plantain (Melitaea cinxia) surTrèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
Dans son ouvrage L'origine des espèces, Charles Darwin propose une hypothèse étonnante pour expliquer la présence marquée de Trifolium pratense près des zones d'habitations: la Sauvage est pollinisée (et donc favorisée) par les bourdons. Or, les principaux prédateurs des bourdons sont les mulots qui en mangent les nids. Les mulots quant à eux sont chassés par les chats... Trifolium pratense est donc surtout présente là où patrouillent les chats domestiques, car qui dit chat dit pas de mulots, qui dit pas de mulots dit bourdons et au final qui dit bourdons dit Trèfle des prés!
A l'heure des histoires et du thé, les naturalistes anglais aiment poursuivre la démonstration en racontant qu'une abondance de trèfles permet de bien nourrir les vaches. La production de corned beef s’en trouve stimulée, cette manne servant de réserves dans les cales des bateaux et permettant les voyages au long court. Les hommes partis longtemps en mer laissent de nombreuses filles célibataires au pays... C'est bien connu, les vieilles filles aiment la compagnie des chats: plus de félins entrainent encore plus de fleurs et une marine anglaise toujours plus puissante et conquérante! Derrière l’humour so british, cette fable met en avant l’interdépendance et la complexité des relations au sein du vivant.
Trèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
D'un point de vue médical, Trifolium pratense s'est rendu célèbre en tant que traitement d'accompagnement de la ménopause. Ses fleurs (fraîches ou séchées, en infusion) en soulagerait certains symptômes, à commencer par les bouffées de chaleur, la nervosité ou l'ostéoporose. Quoi qu'il en soit, les feuilles de Trifolium pratense sont comestibles et riches en protéines. Ses fleurs purpurines contiennent un nectar délicieusement sucré, ce qui en fait un excellent bonbon sauvage.
Les Orchidés sont des championnes de l'imitation: l'Orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis) reproduit précisément les couleurs du Trèfle des prés qui fleurit en même temps qu'elle pour attirer les butineurs vers ses fleurs pourtant pauvres (voir dénuées) en nectar!
Aux trois feuilles (folioles) typiques du trèfle, nous pouvons associer trois espèces d’azurés, ces petits papillons dont les mâles sont, comme leur nom l’indique, de couleur bleue. En effet, l’Azuré du trèfle (Cupido argiades), l’Azuré commun (Polyommatus icarus) et le Demi-argus (Cyaniris semiargus) sont des habitués des prairies tempérées (mésophiles) riches en Trèfles, et nos trois petits bleus s’en servent autant pour butiner que pour pondre. Notons qu’en mangeant du Trèfle (et d’autres plantes voisines, de la famille des Fabacées), les chenilles d’azurés ingèrent des flavonoïdes, des pigments responsables de la colorations des fleurs et des fruits. Ces substances vont ainsi se retrouver sur les écailles des ailes du papillon adulte, en densité plus importante chez les femelles. Ce sont d'ailleurs les femelles les plus fournies en flavonoïdes qui attireront d'avantage les mâles!
De gauche à droite: femelles d'Azuré commun, d'Azuré du trèfle et de Demi-argus pondant sur trèfles.
Gare, les mulots ne sont pas les seuls dangers qui guettent les bourdons et les papillons autour du Trèfle des prés! (Misumena vatia)
Pour aller plus loin:
- Trifolium pratense sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
La France recense plus de 50 espèces de Trèfles; c’est un genre énorme, dans lequel il n’est pas évident de faire le tri! Le Trèfle rampant (Trifolium repens) est l'autre célébrité du genre, aux fleurs blanches à rosées.
Herbe à Robert, Poitiers bords de Boivre
Geranium robertianum (Herbe à Robert) appartient aux Geraniaceae, la famille des véritables géraniums «sauvages» (les célèbres fleurs de nos balcons étant en réalité des Pelargonium). Le terme Geranium dériverait du terme grec Geranos, la «grue», les fruits du Geranium présentant des petites pointes ressemblant au bec (ou à la tête) du volatile.
Geranium robertianum doit peut être son surnom à St Robert, évêque de Salzbourg, qui en découvrit les nombreuses vertus médicinales au 8ème siècle (selon d'autres sources, Robert serait simplement une déformation du mot latin ruber qui signifie «rouge»).
Duo de fleurs de l'Herbe à Robert: 5 sépales, 5 pétales roses ou rouges, 10 étamines pourpres (rangées selon deux cercles imbriqués de 5 étamines) autour d'un pistil composé de 5 carpelles soudés.
L'Herbe à Robert est annuelle; elle peut en certaines circonstances être bisannuelle, voire vivace, et se perpétuer depuis ses rhizomes stolonifères. Mais c'est généralement grâce à ses graines, disséminées depuis des capsules explosives, qu'elle assure sa multiplication. Elle fleurit entre avril et octobre; ses petites fleurs — qui s'épanouissent et flétrissent dans un laps de temps très court pour laisser place à des capsules poilues — apparaissent toujours deux par deux sur chaque pédoncule.
Duo de fruits (capsules) de l'Herbe à Robert: quand les Sauvages font leur Hellfest!
Il existe une espèce très proche souvent confondue, bien que moins commune, le Géranium pourpre, Geranium purpureum, dont la répartition en France se concentre au sud d'une diagonale allant de Normandie jusqu’en Savoie. Dans le Poitou, les deux espèces peuvent se côtoyer. Les fleurs du Géranium pourpre sont plus petites que celles de l'Herbe à Robert, rose-pourpre vif et leurs anthères sont jaunes, alors qu'elles sont rouge/orangé chez l'Herbe à Robert. Mais gare au piège: chez les deux espèces, les anthères une fois ouvertes sont couvertes d'un pollen jaune!
Le délicat Géranium pourpre, aux anthères jaunes d'or.
Géranium pourpre à gauche, Herbe à Robert à droite: une histoire de taille et d'étamines!
- Qui c’est lui?
- Lui? C’est la main du Diable.
- Lui aussi?
- Oui... mais lui c’est la gauche.
(On l’appelle Trinita, Enzo Barboni)
L'Herbe à Robert tolère tout type de sols et d'expositions (elle prolifère sur les sols forestiers riches en matière organique). Elle est à ce point capable d'adaptation que dans une situation de sécheresse (ou à l'approche de l'hiver), ses feuilles découpées se couvrent d'une pigmentation rouge-vermillon qui la protège de la déshydratation.
Dans le Poitou, l'Herbe à Robert est parfois surnommée Fourchette du diable, à cause des longues pointes qui terminent ses duo de fruits. Il faut reconnaitre que la Sauvage est rusée comme un diable : en séchant, par un effet ressort lié à l’enroulement de leurs parois, ses fruits explosent et projettent les semences à plusieurs dizaines de centimètres autour de la plante! On raconte que les sorcières plantaient jadis l'Herbe à Robert devant leur maison pour être averties de l'arrivée d'un visiteur, les fleurs se tournant en direction de l'intrus. Aujourd'hui, on plante parfois la Sauvage devant les fenêtres: son odeur repousserait les moustiques. On peut obtenir le même effet en frottant ses feuilles sur sa peau... Mais rien ne vaut la bonne vieille citronnelle!
Feuilles de l'Herbe à Robert: opposées, palmatiséquées en des segments petiolulés (comme munis d'un petit pétiole), eux mêmes pennatifides.
Il n'est pas une partie de l'Herbe à Robert qui n'est été utilisée par l'homme (elle a sans doute été introduite en Europe en tant qu'herbe médicinale): la plante est très tannique et donc astringente. En infusion, elle permet de lutter contre diarrhée, dysenterie et soulage les inflammations de l'estomac, des intestins ou des reins (néphrites); en gargarisme, elle permet de traiter les angines et les inflammations des amygdales; en usage externe, elle est cicatrisante, soulage les maux de dents... Autrefois, sa racine était utilisée pour tanner les cuirs.
- Vous me prenez pour le diable ?
- Vous en avez la beauté.
(Arsène Lupin, Jean-Paul Salomé)
Herbe à Robert, diaboliquement belle! Même un ange comme la Piéride du navet (Pieris napi) s'y laisse prendre...
Pour aller plus loin:
- D'autres espèces citadines de Géraniums sur Sauvages du Poitou
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Herbe à Robert au micro de France Bleu Poitou
- Geranium robertianum: identification assistée par ordinateur
- Geranium robertianum sur Tela-botanica
- l'Herbe-à-Robert sur le site de Zoom Nature
- Geranium purpureum sur Tela-botanica
La naissance de Robert (Herbe à Robert et ses cotylédons caractéristiques en forme de rein)