
Les botanistes sont souvent passés maîtres dans l'art de ranger. Non pas qu'il soient devenus des champions de Tetris à force de remplir des herbiers, mais plutôt parce que l'approche naturaliste repose beaucoup sur la reconnaissance de ce qui ressemble (on range dans le même tiroir) et de ce qui diffère (c'est le moment d'ouvrir un nouveau tiroir!).
Jusqu'en 1998, la classification dite «classique» des végétaux se basait sur les particularités morphologiques évidentes des plantes (ce qui reste une approche très pertinente sur le terrain). Après cette date, c'est une classification dite «phylogénétique» qui prend le relais (APG): l'approche génétique permet de prendre en compte les liens de parenté entre les végétaux au delà de leur apparence, et de mieux comprendre leur histoire. Cette classification moderne fut révisée, ou plutôt affinée, en 2003 (APG II), en 2009 (APG III) puis en 2016 (APG IV)... Nul doute qu'elle le sera encore à l'avenir!
Mille pardons, messer. Je devais effectuer un léger changement à mon blason afin qu’on ne me confonde pas avec mon méprisable cousin.
(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Bref, classer les plantes revient en quelque sorte à tracer des arbres généalogiques, à déterminer qui ressemble à qui, qui est parent avec qui, à étudier les traits propres (les «armoiries») de chaque lignée de Sauvages.
A chaque Sauvage correspond une espèce. Les membres d'une même espèce se ressemblent comme deux gouttes d'eau et sont interféconds entre eux. Les espèces sont regroupées en genres. Les membres d'un même genre affichent aussi des traits communs évidents, quoique plus lointains. Leurs similitudes rend toutefois les hybridations possibles. Les genres sont regroupés en familles, puis les familles en ordres, etc.
Lamier maculé (Lamium maculatum) et Lamier pourpre (Lamium purpureum): une même famille, un même genre, deux espèces.Ci dessus, le
Lamier maculé (à gauche) et le
Lamier pourpre (à droite) sont deux espèces distinctes, appartenant à un même genre, celui des
Lamiers. Leur famille commune, les
Lamiacées, appartient à l'ordre des
Lamiales, qui rassemble plusieurs autres familles comme celle des
Boraginacées (famille de la
Bourrache officinale) ou celle des
Verbénacées (famille de la
Verveine officinale).
- Avez-vous jamais vu les armoiries de la maison Toland de Spectremont?
- Un dragon dévorant sa propre queue?
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Ces classifications ne sont pas faites pour nous dévorer les méninges:
elles s'avèrent grandement utiles sur le terrain! La connaissance des qualités propres à chaque famille peut aider le botaniste à cerner un spécimen nouveau croisé au détour d'un chemin. Apprendre à reconnaître les «armoiries» d'une famille est la meilleure porte d'entrée qui soit dans la pratique de l'herborisation. C'est de plus un bon moyen pour réussir à s'orienter dans les flores et les guides botaniques les plus touffus et les plus pointus!
Je me souviens de votre père racontant autour d’un feu de camp comment sa maison avait obtenu son blason...
(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Impossible de citer l'ensemble des nombreuses familles qui composent la flore de notre pays. Mais certaines lignées se détachent, de par leur importance ou leur réputation (Astéracées, Poacées, Fabacées et Rosacées représentent à elles seules un bon tiers de la population végétale française). On se concentrera donc plus particulièrement sur les blasons et les devises (imaginaires, cela va de soi, la tournure de cet article se veut avant tout amusante et pédagogique) des familles botaniques incontournables, à commencer par les cinq plus importantes pour ce premier épisode:

Les
Asteracées (ou
Composées), représentent la première famille de France avec près de 800 espèces recensées.
Leur inflorescence caractéristique, le capitule (
voir notre article complet sur le sujet) est la principale marque de leur lignée. Nul doute que l'invention de cette «super fleur» (en fait une fleur faite d'une myriade de fleurs) les aura aidés à assoir leur suprématie. Retenez que lorsque vous êtes en plein safari, la photographie des
bractées d'une Astéracée vous sera souvent plus utile que celle des fleurs (capitules) pour effectuer vos recherches.
C'est le clan du roi
Pissenlit dent-de-lion (
Taraxacum officinale), de la reine
Pâquerette (
Bellis perennis), des
Marguerites (
Leucanthemum spp), des
Bleuets (
Centaurea spp) ou encore de leur garde rapprochée, les piquants
Chardons (
Carduus spp et
Cirsium spp)...
Le capitule du roi Pissenlit et sa cour (Syrphes bâton)!Je veux de nouveau sentir le vent dans mes cheveux!
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Les membres de cette famille royale produisent souvent
des semences à soies (des akènes équipés pour le vol, comme le célèbre «pompon» du Pissenlit)
que le vent emporte à la conquête de nouveaux territoires.
Les rejetons du Chardon des champs attendent le vent qui les emportera...Étaient-ils vingt, étaient-ils vingt mille?... Sous les arbres se massaient tous les sauvageons du monde.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Si les
Poacées (ou
Graminées) ne sont que la deuxième famille de France au regard du nombre d’espèces (470 espèces), elles représentent la lignée la plus importante du point de vue des surfaces couvertes. Il faut dire que ce clan regroupe
les «herbes» sous toutes leurs formes, celles des friches, des pelouses, des gazons... Mais également les céréales domptées par l'homme (
blé,
orge,
seigle,
maïs..), ou encore les
Bambous, leurs rejetons titanesques originaires d'Asie! Bref, les Poacées sont partout, de l’Antarctique jusqu'au fin fond du Poitou, même si l'apprenti botaniste, à force de chercher l'Orchidée rare, finit par ne plus les voir et les considérer comme un simple tapis de sol.
Notez que tout ce qui ressemble à de l'«herbe» n'est pas forcément Poacée. Il existe deux autres familles qui affichent des silhouettes similaires: les
Cyperacées (le clan des
Laîches), et les
Joncacées (le clan des
Joncs). On observera la section des tiges (entre les «nœuds») pour faire le tri: section ronde et creuse chez les
Poacées, section pleine et triangulaire chez les
Cyperacées, section ronde et pleine chez les
Joncacées.
Un article complet est consacré à ces légions chlorophylliennes sur
Sauvages du Poitou...
Les
Fabacées (autrefois
Légumineuses, 360 espèces en France) qui poussent naturellement sur le sol français affichent généralement des
feuilles composées et des
fleurs irrégulières caractéristiques qu'on dit «
Papilionacées» (
voir notre article complet sur le sujet). Leur
étendard, leurs deux
ailes (tel un papillon) et leur
carène devraient suffire à nous mettre la puce à l'oreille.
90% des membres de ce clan ont sur leurs racines de petites boules blanches (
nodosités) qui logent des bactéries très utiles: ces dernières sont capables d'utiliser l'azote atmosphérique pour fabriquer des ressources qu'elles partagent volontiers avec la plante hôte. Ce partenariat assure un apport d'azote aux Fabacées en toute circonstances, quand bien même les ressources du sol feraient défaut... Bref,
les Fabacées sont assises sur coffre à trésor bien rempli, au point qu'elles semblent à jamais à l'abri de la misère!
A quoi servent les amis riches s’ils ne mettent leurs richesses à votre disposition?
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
C'est pourquoi on retrouve dans leurs rangs de nombreux «engrais verts»:
Trèfles (
Trifolium spp),
Luzernes (
Medicago spp),
Vesces (
Vicia spp),
Gesses (
Lathyrus spp), mais aussi des stars du potager comme les
Fèves, les
Haricots ou les
Pois... Autant de Sauvages ou de plantes domestiquées qui renferment leurs fruits dans des
gousses (un fruit sec qui s'ouvre par deux fentes).

Les
Rosacées (250 espèces en France) sont une vaste famille, comptant dans leurs rangs des membres très éclectiques, des petites herbacées (comme les
Potentilles,
Potentilla sp), en passant par les arbrisseaux (comme les
Framboisiers, les
Mûriers...), jusqu'au grands arbres (
Pruniers,
Pommiers,
Poiriers,
Cerisiers...). Malgré leurs différences, les Rosacées arborent certains airs de famille: leurs fleurs sont bardées de
nombreuses étamines et affichent souvent (ce n'est pas une règle absolue)
cinq pétales et
cinq sépales. Leurs feuilles, toujours
alternes et
stipulées, sont souvent
composées et
dentées.Et puis il y a les roses. Quel parfum délicat, les roses, n’est-ce pas? Surtout lorsqu’il y en a tant. Cinquante, soixante, soixante-dix mille roses... Je ne saurais vraiment dire combien il en reste, mais trop pour que je me soucie de les dénombrer, de toute façon.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Le clan Rosacée fait preuve d'une indéfectible loyauté envers l'homme:
cette famille fournit l'essentiel des fruits consommés en zone tempérée. La
pomme est peut-être sa plus grande réussite (c'est le troisième fruit le plus consommé au monde après les agrumes et la banane), et puisque l'amour est à l'origine de tout fruit, la
Rose reste son indétrônable ambassadrice dans les parcs et les jardins (on en compte plus de 40.000 variétés)!

Les gardes postés aux portes du château portaient des justaucorps de cuir et avaient pour emblème deux masses de guerre croisées sur une croix blanche en forme de X.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Les
Brassicacées (250 espèces en France) sont tellement fières de leur patronyme qu'elles affichent toutes son emblème:
une fleur à quatre pétales en croix (d'où leur ancien nom de
Crucifères), quatre
sépales et six
étamines. Leurs feuilles sont généralement
simples et
alternes. Elles produisent des
siliques, des
fruits secs qui s'ouvrent à maturité via quatre fentes pour libérer leur contenu. Celles-ci peuvent arborer des formes géométriques diverses: en forme de pièces chez la
Monnaie du pape (
Lunaria annua), de triangles chez la
Capselle bourse-à-pasteur (
Capsella bursa pastoris) ou d'épées chez la
Giroflée des murailles (
Erysimum cheiri)...
Fleurs en croix et siliques: une poignée de pièces pour la Monnaie du pape (en haut) et une armée d'épées pour la Giroflée des murailles (en bas)!
On retrouve chez ce clan de nombreuses plantes cultivées dans les potagers:
Choux,
Colzas,
Radis,
Navets,
Roquettes,
Moutardes... Mais aussi d'autres Sauvages très serviables, comme la petite
Arabette des dames (
Arabidopsis thaliana), célèbre «souris verte» de laboratoire pour les chercheurs en biologie; ou
le Pastel des teinturiers (
Isatis tinctora), dont on peut tirer une teinture bleu et qui connait aujourd'hui un nouvel essor dans l'industrie textile.
Fleurs en croix du Pastel des teinturiers, Poitiers quartier gareJe vous donne rendez vous lors du
prochain épisode de notre feuilleton qui nous emmènera à la rencontre de six autres maisons prestigieuses:
Apiaceae, Caryophyllaceae, Lamiaceae, Liliaceae, Ranunculaceae et Orchidaceae...
Botany is coming!
Lectures recommandées:
Et pour le plaisir, le grand fil rouge littéraire (et télévisé) de notre article...
- Le cycle fantasy Le Trône de fer par George R. R. Martin!
La validation des commentaires se fait manuellement par l'administrateur du blog. La publication de votre commentaire se fera donc une fois
que l'administrateur du blog l'aura accepté. Toutefois, si votre commentaire ne respecte pas les conditions d'utilisation
ou s'il est considéré comme spam, il sera supprimé sans être publié.