Benoîte des villes, Poitiers bords de Boivre
Geum urbanum (Benoîte des villes) apparient aux Rosaceae, une famille qui joue un rôle central dans l'alimentation (et donc l'économie) humaine; il s'agit du clan des fraisiers, mûriers, framboisiers, mais aussi de célèbres géants comme les cerisiers, pommiers, pêchers, pruniers...
Son nom savant Geum vient du latin Geuô qui signifie «j'assaisonne», à cause de la saveur de clou de girofle dégagée par son rhizome; quant à l'appellation urbanum, «l'urbaine», elle le doit peut être à son affection pour les friches et les décombres... A vrai dire, c'est surtout le moyen de la démarquer de ses deux sœurs de sève, la Benoîte des ruisseaux (Geum rivale) et la Benoîte des montagnes (Geum montanum)!
Si vous n’aimez pas la mer... Si vous n’aimez pas la montagne... Si vous n’aimez pas la ville: allez vous faire foutre !
(À bout de souffle, Jean-Luc Godard)
Fleur de la Benoîte des villes: 5 pétales arrondis, 5 sépales pointus et tournés vers le bas autour de 30 à 60 étamines.
Geum urbanum est une vivace qui s'installe généralement sur des terres riches en humus, à l'ombre des forêts, des lisières ou des haies. Son rhizome traverse la saison hivernale caché sous terre; ses fleurs à cinq pétales (c'est toujours le cas chez les Rosaceae) apparaissent entre juin et août.
Ses fruits crochus s'accrochent aux poils des animaux et aux bas de pantalon des promeneurs... Un excellent moyen de propager ses semences loin de leur point de départ! La botanique réserve un nom à ce mode particulier de dissémination, via les plumes, les poils ou les vêtements des animaux (que nous sommes): épizoochorie.
Les fruits crochus de la Benoîte des villes: des dizaines d'akènes prêts à agripper vos bas de pantalon.
J’ai vu l’Exorciste 2747 fois! À chaque fois je me marre comme un bossu, qu’est ce qu’il est chouette ce film nom de Dieu!
(Beetlejuice, Tim Burton)
Son nom courant Benoîte est un hommage à Saint Benoît, fondateur de l'ordre bénédictin. Il faut dire que la plante a longtemps été considérée comme une bénédiction végétale: les moines allaient jusqu'à utiliser la plante dans les rituels d'exorcismes pour chasser le diable et son gang! La consommation de Geum urbanum était réputée pour calmer les ardeurs... Jusque dans les monastères où la tisane permettait d'apaiser les fantasmes mal venus des religieux.
Feuilles basales divisées et dentée de la Benoite des villes, Poitiers bords de Boivre
Toujours
est-il qu'on lui reconnait certaines vertus médicinales, à tel
point qu'ici et là, on continue de la désigner par des noms tels que
Herbe de sang, Herbe de cœur ou Herbe de fièvre. La tisane des partie souterraines de Geum urbanum est calmante, légèrement sédative, digestive et astringente (asséchante et anti-diarrhéique). Selon la coryance populaire, mâchouiller un bout de rhizome (nettoyé et séché) - comme on mâchouillerait un clou de girofle - soulagerait les maux de dents; j'imagine que son parfum évoque à certains une séance chez le dentiste? Quoi qu'il en soit, l'odeur du clou de girofle, comme le son de la fraise dentaire, suffira peut-être à mettre en fuite le diable s'il venait à passer!
Benoîte des villes, Poitiers quartier gare
Geum urbanum aurait également un effet bénéfique sur la lactation des ruminants. Jadis, les paysans du Poitou la fauchaient sur les bords des routes pour la donner aux vaches et booster leur production. Les jeunes feuilles de Geum urbanum sont comestibles, crues en salade. Leur parfum reste subtil. En revanche, les rhizomes charnus de la Sauvage, nettoyés, découpés et mis à sécher à l'ombre, dégagent un léger parfum: ceux-ci peuvent remplacer les clous de girofle dans les recettes (il faut cependant compter d'avantage de parties souterraines de Geum urbanum qu'il faudrait de clous de girofles). Autrefois, on laissait macérer pendant une bonne semaine des rhizomes de Geum urbanum (50 grammes) et quelques zestes d'oranges dans du vin rouge (1 litre) pour produire une boisson aromatisée, sorte de version sauvage du célèbre vin chaud de nos marchés de Noël... Happy and wild Christmas!
Benoîte des villes: sur les tiges, notez les deux stipules foliacées presque aussi grandes que les feuilles elles mêmes!
Pour aller plus loin:
- Geum urbanum sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Chez les Benoites, la ponte d’un acarien spécifique (Cecidophyes nudus) peut provoquer des boursouflures sur les feuilles (une «galle»).
Fleur du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium (Cyclamen à feuille de lierre ou Cyclamen napolitain) appartient à la famille Primulaceae, au côtés de fleurs précoces et printanières comme le Primevère acaule, ou le Coucou (Primus en latin signifiant premier)... Mais la précocité ne fait pas règle dans ce clan, puisque Cyclamen hederifolium choisit le début de l'automne pour pointer le bout de ses fleurs roses ou blanches.
La Sauvage doit son nom à la racine grecque kyklos, «cycle». Cyclamen hederifolium affiche une géométrie circulaire remarquable, que ce soit au niveau de sa partie souterraine (tubercule) en forme de disque, de ses jeunes pousses qui se déroulent avant de déployer leur fleur, puis finalement s'enroulent en spirale pour déposer la graine au sol.
Le grand livre de la nature était écrit dans la langue des droites, des cercles, la langue de la géométrie et des mathématiques.
(Galiléo Galilée)
Jeune pousse du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium est une Sauvage méditerranéenne; elle est très commune en Corse, où les anciens portaient les tubercules déterrés en ceinture pour tenir à l'écart les mauvais sorciers (Cap Corse). La grande rusticité de la vagabonde (elle ne craint ni le froid, ni la sécheresse) lui a permis de remonter vers le Nord; elle s'est aujourd'hui naturalisée dans le centre, l'ouest de la France et même au-delà, jusqu'en Grande Bretagne (d'une île à l'autre), où elle pousse à l'ombre des haies ou des forêts, de préférence sur des sols humifères et frais.
Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Bellejouanne
Cyclamen hederifolium est une vivace à tubercule. Cet organe circulaire et charnu assure les réserves de la plante pendant la période de repos végétatif — c'est à dire pendant la belle saison.
Tubercule du Cyclamen à feuille de lierre sur le point d'être replanté au jardin...
Les fleurs odorantes de Cyclamen hederifolium paraissent bien avant les feuilles marbrées de blanc; ces dernières ressemblent vaguement aux feuilles du Lierre grimpant (Hedera helix), à l'ombre duquel la Sauvage aime se cacher.
- Cartapus est une professionnelle, c'est la reine du camouflage.
- Quand je regarde comme ça, on me voit. Si je regarde comme ça, on me voit plus. On me voit, on me voit plus. On me voit, on me voit plus.
- Superbe.
(Astérix et Cléopâtre, Alain Chabat)
Cyclamen à feuille de lierre et Lierre grimpant mélangés,
Saurez-vous les reconnaître?
Bien sûr, reconnaitre les feuilles du Cyclamen « à feuille de lierre » au milieu d'un tapis de Lierre grimpant n'est pas chose difficile... Certains observateurs reconnaissent même, au centre des feuilles de notre Sauvage, un motif caractéristique en forme de sapin de Noël!
Si l'hiver est clément, les feuilles de Cyclamen hederifolium forment un couvert hivernal élégant, avant de disparaitre au printemps suivant (contrairement à d'autres espèces de Cyclamen, comme Cyclamen purpureum, dont les feuilles en forme de cœur persistent une grande partie de l'année).
Feuilles du Cyclamen à feuille de lierre: limbe irrégulier, anguleux, marqué de blanc.
Cyclamen hederifolium est toxique pour l'homme; son usage médicinal ancien (en tant que purgatif) est resté marginal et périlleux. La Sauvage contient de la cyclamine, une substance aux propriétés proches du curare, surtout concentrée au niveau de son tubercule; le suc de la plante a même été utilisé jadis pour empoisonner des flèches (la cyclamine, en injection sous cutanée, peut provoquer une paralysie musculaire)!
Fruit (capsule ronde) du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Chilvert
Pour aller plus loin:
- Cyclamen hederifolium sur Tela-botanica
Cyclamen à feuille de lierre : au bal de l'automne...
Fleurs en épis de la Salicaire commune
Lythrum salicaria (Salicaire commune) appartient à la famille Lythraceae, dont certains membres sont des plantes aquatiques, comme la célèbre Châtaigne d'eau (Trapa natans). C'est sur terre que pousse la Salicaire, même si va falloir se rapprocher dangereusement du bord de la rivière pour l'observer.
- Ah non messire, j’ai déjà pris un bain y a deux mois dans la rivière!
(Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Son nom, elle le signe à la pointe de la fleur, d'un L qui signifie Lythrum! (Salicaire commune, Poitiers bords de Boivre)
La Salicaire commune est une vivace robuste qui s’installe au bord des lacs, des rivières, dans les marécages et sur les sols riches et gorgés d'eau des forêts humides. C'est à ses feuilles lancéolées que la Sauvage doit son nom, car celles ci ressemblent à celles du Saule (Salix).Feuilles de la de la Salicaire commune: opposées (les supérieurs alternes), sessiles, lancéolées et cordées à leur base.
Ses fleurs mellifères pourpres (Lythrum est tiré du grec lythron, «sang», pour la couleur), regroupées en épis, se dressent jusqu'à un bon mètre de hauteur entre juin et septembre. Le biologiste Charles Darwin mit en avant (dans Forms of Flowers, 1877) la particularité des fleurs de la Salicaire commune. A vos loupes... Prêts? Observez!
- Je suppose que vous n’avez pas la moindre compétence dans le domaine scientifique!
- J’ai disséqué une grenouille, une fois...
(Avatar, James Cameron)
Les colonies de la Sauvage présentent trois type de pieds (répartis dans des proportions équilibrées): certains présentent au centre de leurs fleurs un style (partie allongée de l'organe reproducteur femelle) long, d'autres un style moyen et les derniers un style court. Les étamines (organes reproducteurs mâles) suivent un schéma opposé: un style long est entouré d'étamines courtes (6) et moyennes (6), un style moyen est entouré d'étamines courtes (6) et longues (6), et enfin, un style court est entouré d'étamines moyennes (6) et longues (6)...
Accrochez vous, la mécanique est ingénieuse: une fleur peut difficilement s'autoféconder, les organes reproducteurs mâles et femelles étant placés à des hauteurs différentes. Mieux encore: Charles Darwin observa qu'un style long n'est réceptif que pour les grains de pollens issus d'une étamine de même longueur que lui. De même, un style moyen n'est réceptif que pour les grains de pollens issus d'une étamine moyenne, etc. La pollinisation s'opère donc à partir d'individus distincts et le brassage génétique (et donc la capacité d'adaptation sur le terrain) de la Salicaire commune est garanti.
Cette arrangement complexe ne freine pas sa propagation: La Salicaire commune peut produire jusqu'à deux millions de graines par pied. Ce sont les oiseaux aquatiques et le fil du courant qui dispersent les semences le long des berges, les graines collantes adhèrant aux pattes et aux plumes des volatiles (zoochorie).
Fleurs de la Salicaire commune: calice en tube à 12 dents inégales, 4 à 6 pétales chiffonnés, 10 à 12 étamines inégales autour du pistil.
La Salicaire commune est comestible: ses jeunes pousses et ses feuilles peuvent se consommer crues ou cuites, alors que ses fleurs peuvent servir à décorer les plats. Jadis, celles ci ont été utilisées comme colorant rouge dans la confection de confiseries.
En médecine populaire, on lui reconnait des qualités astringentes, antidiarrhéiques (elle est tannique); on prescrivait autrefois la décoction de ses sommités fleuries contre la colique des nourrissons, d'où son surnom d'«Herbe aux coliques». Ses fleurs et ses feuilles ont été consommées comme substitut au thé; c'est pourquoi en poitevin-saintongeais, on la connait surtout sous le nom de Thé des marais.
Calices persistants qui renferment les fruits de la Salicaire commune
Aux États-Unis, on estime que sa propagation effrénée représente un coût de 45 millions de dollars par an pour le contribuable! Pour comparaison, c'est plus que le coût (38 millions d'euros par an) estimé pour la lutte et la réparation des dommages causés par l'ensemble des espèces invasives dans notre pays (Renouée du Japon, Moustique tigre, Écrevisse de Californie…); mais nous ne vivons pas sur les même échelles territoriales. Au delà des considérations pécuniaires, la Salicaire commune concurrence fortement les espèces locales, comme Lythrum alatum (la Salicaire ailée), jugée moins appétissante par les butineurs Yankee, et battue dans le petit jeu des hybridations et des brassages génétiques.
Salicaire commune, Coulombiers (86)
Le scénario est bien connu: après sa traversée forcée outre-Atlantique, la Salicaire commune s'est retrouvée loin de ses ennemis biologiques (essentiellement des Chrysomèles, des Charançons et diverses chenilles de papillons de nuit), restés sur le vieux continent. Malheureusement, la réaction naturelle d'un milieu face à l'arrivée d'une nouvelle espèce peut parfois se faire attendre. En attendant le retour à l'équilibre, les cartes sont forcément redistribuées pour les espèces autochtones. Pour l'heure, un programme d'introduction de quelques prédateurs naturels de la Salicaire commune sur le continent américain semble commencer à porter ses fruits...
- Combien t’a-t-il payé pour m’abattre?
- Pas loin de mille dollars...
- Tiens, en voilà deux mille pour toi.
- Deux mille dollars... La moitié en or! Plutôt intéressant. Mais... L’ennui, c’est que j’finis toujours l’travail pour l’quel on m’paie...
(Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone)
Pour aller plus loin:
- Lythrum salicaira: identification assistée par ordinateur
- Lythrum salicaria sur Tela-botanica
Salicaire à feuilles d'hyssope (Lythrum hyssopifolia), une autre Salicaire annuelle et discrète (10 à 40 cm) qui colonise les sols et les fossés humides.