Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre (86)
Anthriscus sylvestris (Cerfeuil des bois) appartient à la famille Apiaceae, appelée aussi Ombellifères, à cause de leurs inflorescences rayonnantes en forme d'ombrelle (on parle plutôt d'«ombelle» en botanique) des membres de ce groupe. Les Ombellifères offrent un défi de taille pour l'apprenti botaniste: un coup d’œil trop superficiel ne permet pas de les différencier; l'erreur n'est pourtant pas permise, car leur fratrie compte quelques Sauvages mortelles, dont la célèbre Conium maculatum, alias Grande ciguë.
- Comment vont les jumelles?
- Triplées.
- Triplées? Comme le temps passe vite!
(Brazil, Terry Gilliam)
Ombelle d'ombellules du Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre
Commençons donc par identifier quelques éléments qui distinguent Anthriscus sylvestris de ses consœurs: les feuilles — légèrement odorantes au froissement — sont très divisées. La tige est coriace, creuse et présente une section anguleuse. Tige et feuilles sont poilues à la base de la plante, mais glabres en hauteur.
Feuilles inodores du Cerfeuil des bois: alternes, tripennatiséquées, avec une base engainante.
Les fruits (des diakènes) sont aussi caractéristiques: allongés, cylindriques et lisses.
Diakènes du Cerfeuil des bois,
Poitiers bords de Boivre
Anthriscus sylvestris est vivace (annuelle ou bisannuelle dans des conditions moins favorables) et pousse (parfois à plus de 1m de hauteur) sur les sols de type forestiers, riches en matière organique végétale. Son feuillage apparait dès l'hiver sur les bords des chemins, puis ses fleurs à partir d'avril (c'est aussi un bon indice pour la reconnaitre: c'est bien souvent la première Ombellifère qu'on croise dans l'année). Les colonies peuvent être importantes, son couvert haut et précoce freinant considérablement la concurrence reléguée à l'ombre; ses nombreuses semences assurent sa large expansion.
Sortie botanique et cuisine avec Sauvages du Poitou et Amandine Geers au milieu des allées de Cerfeuil des bois: à la rencontre des Sauvages comestibles et toxiques! (Béceleuf, printemps 2017)
Voilà qui risque d'en étonner quelques uns: les jeunes feuilles d'Anthriscus sylvestris sont comestibles, consommées au Japon en soupe (attention, la racine en revanche est toxique, autrefois utilisée comme un abortif). Anthriscus sylvestris n'est que le proche parent sauvage d'une Ombellifère cultivée par l'homme: le Cerfeuil commun (Anthriscus cerefolium).
Le Cerfeuil commun et ses petites feuilles bipennatisequées très parfumées
Anthriscus sylvestris est pourtant souvent présenté comme étant toxique, mais c'est là un bon principe de précaution: faute d'expertise, il convient d'adopter l'abstinence alimentaire avec les Ombellifères sauvages qui cachent dans leurs rangs quelques membres peu dissemblables des autres, mais pourtant mortels.
Racine (toxique) du Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre
C'est peut être avec Chaerophyllum temulum (Chérophylle penché ou Cerfeuil penché) que le risque de confusion est le plus grand. Ce dernier est toxique; il présente une allure et des feuilles quasi similaires, mais des ombelles penchées avant floraison et une tige pleine a section ronde, poilue de bas en haut.
Feuille du Cerfeuil des bois (dessus à gauche) et feuille du Cerfeuil penché (dessous à droite)
Pour aller plus loin:
- Anthriscus sylvestris sur Tela-botanica
- Antrhiscus sylvetris : identification assistée par ordinateur
- Chaerophyllum temulum sur Tela-botanica
- Anthriscus cerefolium sur Tela-botanica
Fleurs du Cerfeuil des bois: 5 pétales (une constante chez les Apiaceae), légèrement inégaux à la périphérie des ombelles.
Le Charançon couronné (Liparus coronatus), grand amateur d'Ombellifères, grignote les réserves bien fournies de Cerfeuil des bois au printemps.
Giroflée des murailles, Poitiers sous Blossac
Erysimum cheiri (Giroflée des murailles ou Giroflée ravenelle) appartient à la famille Brassicacea dont les membres présentent généralement des fleurs à quatre pétales. On raconte que ce sont les croisés qui rapportèrent la Giroflée de Méditerranée orientale pour décorer leurs châteaux, la croix dessinée par ses quatre pétales faisant écho à leur quête sacrée. La sauvage brandit ses siliques allongées à la fin de l’été comme une armée d’épées: elle est la croix, mais aussi le glaive.
Siliques en épée (de croisés) de la Giroflée des murailles, Poitiers quartier Chilvert
La Sauvage doit son nom, Giroflée, à l'odeur de ses fleurs qui rappelle celle du clou de Girofle. Elle fut une plante très utilisée en parfumerie, au même titre que la célèbre Violette odorante (Viola odorata).
Fleur en grappes de la Giroflée des murailles: 4 sépales étroits enserrent le tube de la corolle à 4 pétales, 6 étamines inégales (abeille solitaire, Anthophora sp).
Erysimum cheiri est vivace, bien que sa durée de
vie soit brève (les jardiniers la considère comme bisanuelle, car elle perd de son intérêt floral dès la troisième année). Elle se ressème spontanément
à la fin de l'été, se multipliant
d'autant plus facilement qu'elle s'installe là où peu d'autres plantes
seraient capables de pousser. Les limaces et les escargots qui sont friands des jeunes pousses se chargeront toutefois d'en limiter la prolifération (en ce qui nous concerne, elle est toxique).
Comment avez-vous fait pour grimper la haut? Oh mon dieu!
(La princesse et la grenouille, Walt Disney)
Erysimum cheiri est capable de planter sa tige ligneuse et ses maigres racines sur les sols les plus secs et les plus ingrats; on la rencontre parfois dans des situations étonnantes, accrochée à mi-falaise, ou dressée entre les tuiles d'un vieux toit. Perchée, elle abandonne ses graines dans le moindre interstice de mur alentour. Elle fleurit très tôt (de mars à avril), annonçant le printemps et faisant le bonheur des premiers butineurs (essentiellement de petits diptères) au sortir de l'hiver.
Giroflée des murailles, Saint Benoît (86)
«Voici que s'élancent vers le visiteur d'incohérentes figures blêmes de poussière (…). Et la rude main présente un bouquet de fleurs crayeuses, augustes de misères et flamboyantes de volonté. Ah! Ces frêles tiges desséchées! La Vendée les verra, car j'ai promis qu'elles iraient dormir avec moi.» George Clémenceau, discours du 1er octobre 1921 lors de l'inauguration du monument de Sainte-Hermine.
Les croisés en avaient fait leur égérie, mais c’est une toute autre guerre qui planta la Giroflée sur le devant de la scène. George Clémenceau est considéré comme un des leaders qui menèrent la France à la victoire en 1918. Surnommé «le Tigre» pour sa férocité politique (puis finalement «Père la Victoire» à l’issue de la grande guerre), Clémenceau était aussi réputé pour son amour des fleurs qu’il cultivait autour de sa maison vendéenne. Lorsque ce chef de guerre rend visite aux troupes sur les tranchées en juillet 1918, les poilus lui offrent un petit bouquet poussiéreux cueilli à la hâte sur le champ de bataille. Ce bouquet deviendra célèbre, et Clémenceau l’emportera jusque dans sa tombe selon ses volontés (ainsi qu’une douille d’obus en guise de vase!). Les historiens comme les botanistes ne s’entendent pas sur la nature des fleurs qui furent offertes au Tigre ce jour-là, mais la légende populaire raconte qu’il s’agissait d’un bouquet de Giroflée des murailles; une sauvage capable de vaincre l’hiver et de refleurir à même la misère, toute une promesse!
Feuilles lancéolées et entières de la Giroflée des murailles
Pour aller plus loin:
- Erysimum cheiri sur Tela-botanica
Les «Crucifères» sont régulièrement foulées par les armées croisées de la Punaise ornée (Eurydema ornata). Cette punaise aux colorations variables – elle peut être confondue avec d’autres espèces proches – choisit pour plante hôte larvaire de nombreuses Brassicacées sauvages ou cultivées, pouvant causer d’importants dommages aux cultures.
Renoncule rampante, Poitiers bords de Boivre
Ranunculus repens (Renoncule rampante ou Pied-coulin en poitevin saintongeais) appartient à la famille Ranunculaceae, qui regroupe environ 1500 espèces, le plus souvent toxiques pour l'homme. Pour différencier les membres de ce vaste groupe, il faut regarder au delà de la simple fleur jaune, le «bouton d'or» familier...
Fleur de la Renoncule rampante: 5 pétales et 30 à 50 étamines libres bien habités! (Byturus sp.)
Les signes distinctifs qui nous permettent de reconnaître Ranunculus repens sont ses feuilles composées en trois lobes, dont le principal semblant avoir un mini pétiole (un pétiolule); et surtout, ses longs stolons (tiges rampantes) qui lui permette de se dupliquer et de s'étendre sur de grands territoires, comme le ferait un fraisier.
Feuilles de Renoncule rampante: découpées en 3 segments eux mêmes trilobés, incisés et dentés.
- Apprend à marcher avant de ramper.
- Ouais, ou l’inverse.(Ocean's Eleven, Steven Soderbergh)
Les habitations naturelles de Ranunculus repens
sont les bords de rivière, les marécages, les vallées alluviales... En d'autres lieux, ses
colonies importantes indiquent souvent un sol engorgé en eau, tassé par temps humide ou mal drainé. Le penchant pour l'humidité des Ranunculus s'affiche d'ailleurs dans leur nom, qui trouverait ses origines dans les mots latin rena, «grenouille» et colere «habiter»; les grenouillent y trouveront certainement un abri agréable.
Ranunculus repens adapte sa prestance au paysage environnant: courte dans les zones souvent fauchées, haute (jusqu’à 50cm) dans les milieux sauvages. Elle fleurit de mai jusqu'à la fin de l'été, mais mise avant tout sur la multiplication végétative, via ses stolons labyrinthiques. Ses racines assurent sa survie d'une année à l'autre (c'est une vivace): les parties souterraines peuvent endurer sans sourciller des températures basses (jusqu'à -40 degrés!), et de longues périodes en complète immersion (berges inondées en hiver).
En plus de cette formidable résistance, Ranunculus repens possède la faculté d’inhiber la croissance des plantes voisines, et plus particulièrement de celles de la famille Fabaceae (les Légumineuses, comme les trèfles, luzernes, vesces...). Elle n'a généralement pas bonne presse dans les pâturages, où elle peut proliférer (le piétinement favorise l'enracinement de ses stolons) au dépend de plantes appréciées par le bétail qui, par instinct ou par goût, ne la mange pas.
La Renoncule rampante ne convient pas au bétail, mais elle nourrit les larves de certaines petites mouches dites «mineuses», dont on aperçoit ici les galeries blanches (probablement Phytomyza ranunculi, alias la «Mineuse du bouton d'or»).
Ranunculus repens est toxique lorsqu'elle est fraîche, mais perd de sa dangerosité une fois coupée et séchée. Elle peut être incorporée, après fauchage, dans les foins donnés aux animaux de ferme. Elle fut parfois consommée cuite par l'homme lors de périodes de famines... On lui reconnaît des qualités analgésiques (diminution de la sensation de la douleur), mais sa toxicité réserve définitivement son usage au corps médical. Toutes les Ranunculus sont d'ailleurs inscrites à la liste B de la pharmacopée française qui recense les plantes médicinales dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu!
Renoncule rampante, à son aise les pieds dans l'eau.
La Renoncule rampante est l’un des célèbres «boutons d’or» de nos prairies, mais elle est loin d’être la seule. De nombreuses Renonculacées peuvent revendiquer ce titre ambigu, sur lequel il ne vaut mieux pas compter si on ne veut pas s’emmêler les pinceaux! En guise d'exemple, on peut aussi croiser d'autres espèces assez communes en Poitou:
Renoncule bulbeuse, Poitiers bords de Boivre
La Renoncule bulbeuse (Ranunculus bulbosus) est une vivace à souche bulbeuse, au port dressé et ramifié et aux feuilles profondément découpées. La foliole médiane est pétiolulée (comme chez la Renoncule rampante). Sous le «bouton d'or», les sépales sont retournés vers le bas. La Renoncule bulbeuse colonise les prairies bien drainées et les pelouses calcaires.
La Renoncule âcre (Ranunculus acris) est une vivace au port dressé et ramifié, aux feuilles palmatifides, mais sans pétiolule. Elle illumine les prairies fraiches, les lisières et les fossés au printemps.
La Renoncule à tête d’or (Ranunculus auricomus) est une vivace qui pousse dans les bois frais au printemps. Ses feuilles caulinaires sont sessiles, découpées en 3 à 7 lanières très étroites. Il n’est pas rare que ses fleurs soient asymétriques ou atrophiées: c’est une artiste, un «Picasso» chez les boutons d’or!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou évoque les «Boutons d'or» au micro de France Bleu Poitou
- Ranunculus repens sur Tela-botanica
- Ranunculus repens: identification assistée par ordinateur
- Ranunculus bulbosus sur Tela-botanica
- Ranunculus bulbosus: identification assistée par ordinateur
- Ranunculus acris sur Tela-botanica
- Ranunculus acris: identification assistée par ordinateur
- Ranunculis auricomus sur Tela-botanica
- Ranunculis auricomus: identification assistée par ordinateur
Fruits de la Renoncule rampante (40 à 80 akènes), Saint Benoît (86)