Lierre terrestre, Poitiers quartier Chilvert
Glechoma hederacea (Lierre terrestre ou Herbe de la Saint Jean dans le Poitou) fait partie de la grande famille Lamiaceae, les plantes à tige carrée et à fleurs en bouche (lamia signifiant «ogresse» en latin), dont la lèvre inférieure sert de drap d'atterrissage aux insectes pollinisateurs.
Fleur du Lierre terrestre: une corolle en «tube» droit, formée par une lèvre supérieure plane et échancrée et une lèvre inférieure trilobée.
Glechoma hederacea affectionne la terre fraiche et ombragée des bords de haies et des sous bois. Ses fleurs violettes sont visibles dans le Poitou entre mars et mai. C'est une plante vivace qui s'installe durablement et dont les racines rampantes assurent une colonisation efficace (il lui aura suffit de trois années pour envahir mon jardin à partir d'un pied chétif importé de la forêt). Ses feuilles molles et crénelées sont assez polymorphes, tantôt réniformes, tantôt cordées.
Phyllotaxie du Lierre terrestre: les feuilles sont décussées, une autre caractéristique du clan Lamiaceae.
Glechoma hederacea est considéré comme étant comestible pour l'homme, bien que contenant du pinocamphone en faible quantité (molécule toxique). Il convient de ne pas en consommer des pleins saladiers, mais son goût prononcé n’encourage pas à en faire un plat principal et il est plutôt utilisé comme condiment. Son nom de genre vient du latin glechon qui désignait autrefois une menthe: il est littéralement «la menthe qui rampe comme le lierre». Son goût et son odeur sont pourtant uniques, assez éloignés de la menthe, nous permettant de l’identifier les yeux fermés et les narines grande ouvertes. Les Vikings et les Celtes l’utilisaient pour aromatiser, préserver et clarifier la bière avant l'usage généralisé du houblon. On profitera de sa saveur inimitable à travers des recettes frugales, par exemple avec une assiette de chips sauvages à partager entre amis à l'heure de l'apéro...
Chips du shérif au Lierre terrestre: récolter les plus grosses feuilles, couvrir chaque feuille de quelques gouttes d'huile d'olive et d'une pincée de sel, passer quelques minutes au four, à chaleur douce, jusqu'à ce que les feuilles durcissent... Laisser refroidir et croquer!
- Je cherche un remède.
- Quel mal veux tu soigner ?
- Un cœur brisé.
(Once upon a time, Adam Horowitz & Edward Kitsis)
Glechoma hederacea est la plante médicinale par excellence à travers l’histoire. Tout y passe: inflammations oculaires, tintements d’oreille, hémorroïdes, folie (dans l’ordre de votre choix)… Il est au cœur de la magie blanche au moyen-âge. On s’en tresse des couronnes protectrices contre les sorcières et les ennemis, ou pour soulager une migraine avant l’invention de l’aspirine! Plus sérieusement, ses sommités fleuries utilisées contre les affections respiratoires (en usage interne) sont connues depuis la Grèce antique et encore inscrites à la pharmacopée française de nos jours.
La médication populaire contre les affections des voies respiratoires (toux, asthme, grippe, bronchite..) : laisser infuser entre 25 et 50 grammes de sommités fleuries de Glechoma hederacea dans un litre d'eau bouillante. Boire trois à quatre tasses par jour, entre les repas.
« La pomme du Lierre terrestre » (Galle, Liposthenes glechomae)
Pour terminer, voilà ce qui fut sans doute l'usage le plus étonnant du Lierre terrestre... Les Galles (rien à voir avec la maladie de peau) sont des excroissances qui peuvent apparaitre sur les végétaux provoquées par des insectes, des acariens, des nématodes, des champignons, des bactéries, des virus ou plus rarement d’autres végétaux. Chez le Lierre terrestre, les galles sont provoquées par la ponte d’une petite guêpe (Liposthenes glechomae), chaque sphère poilue servant de nursery et de garde-manger à une de ses larves. Cette galle a autrefois été consommée comme un fruit, surnommé « la pomme du Lierre terrestre » !
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Glechoma hederacea sur Tela-botanica
L’Anthophore aux pattes poilues (Anthophora plumipes), une des abeilles sauvages qui profitent de la floraison printanière du Lierre terrestre.
Ail des ours, Beceleuf (79)
Allium ursinum (Ail des ours) appartient aux Amaryllidaceae, un clan dont les membres sont généralement bien armés pour faire face aux attaques des prédateurs, insectes et animaux. Chez Allium ursinum, la technique de self défense est une odeur et un goût d'ail, rebutants pour les herbivores.
- J’ai été obligé d’me défendre il m’a flairé l’cul !
(Papy fait de la résistance, Jean-Marie Poiré)
Malheureusement pour cette plante, c'est justement ce qui fait son intérêt pour nous! Allium ursinum a toutes les qualités de l'ail cultivé. Et elle n'intéresse pas que l'homme: les ours en seraient friands au sortir de l'hibernation, d'où son nom vernaculaire d'Ail des ours.
Feuilles de l'Ail des ours: molles, ovales lancéolées, à nervures parallèles et à base engainante.
L'Ail des ours est une vivace des sous-bois frais et ombragés. Ses fleurs réunies en ombelles apparaissent entre avril et mai. La Sauvage fait partie des fleurs vernales (telles la Petite Pervenche ou l'Anémone Sylvie) qui profitent de la lumière printanière, avant le retour du feuillage des grands arbres. Ses parties aériennes disparaissent avant le début de l'été.
Son bulbe supporte les grands froids; elle se ressème chaque année efficacement, malgré un très faible pouvoir de dispersion. Ses colonies s'élargissent surement, mais surtout lentement. Autant dire que les impressionnants parterres que l'en rencontre parfois (on les renifle bien avant de les voir) attestent de l'ancienneté de la forêt.
Dans la pénombre des sous bois, Ail des ours à perte de vue!
L'Ail des ours est, parmi les Sauvages, un chouchou! Jadis, on lui a attribué des pouvoirs magiques: les femmes enceintes en gardaient dans leurs poches pour protéger l'enfant à naître, on le jetait dans les rivières pour en purifier l'eau. Au néolithique, puis chez les Celtes, on l'utilisait comme élixir, comme épice, comme aliment (Allium ursinum est riche en vitamine C, on peut consommer ses parties aériennes comme ses bulbes). Il serait vermifuge et hypotenseur (comme l'ail cultivée), mais aussi bon pour la mémoire, amincissant...
- J’ai rien d’exceptionnel. J’suis juste moi quoi.
- Moi j’trouve ça déjà exceptionnel d’être soi.
(Tout pour plaire, Cécile Telerman)
Ombelle de fleurs de l'Ail des ours, Montreuil bonin (86)
Bref, difficile de démêler le vrai de la légende, mais ce qui est sûr, c'est que l'Ail des ours a la cote. C'est une valeur ancestrale, un ami qu'il est bon d'inviter dans son jardin, même s'il vous faudra probablement patienter quelques décennies avant de disposer d'une colonie bien fournie.
Chez vous, tenez la à l'écart des colonies de Muguet (Convallaria majalis), de même attention lors des cueillettes sauvages avec le Colchique d’automne (Colchicum autumnale), car les feuilles ovales lancéolées de ces plantes se ressemblent comme deux gouttes de pluie... Dans l'assiette, l'une est délicieuse, les deux autres (à l'aspect plus coriace) sont mortelles! Un autre piège attend les apprentis cueilleurs: sur la photo suivante, un intrus s'est glissé parmi les feuilles de l'Ail des ours... Vu?
La feuille en haut à droite (un peu tronquée à la base, et à la nervation non parallèle) est une jeune pousse toxique de Gouet (Arum italicum ou Arum maculatum). Ceux-ci ont tendance à pointer en même temps que celles de notre délicieuse Sauvage. Restez attentif et dans le doute, abstenez vous!
La recette du shérif : Beurre à l'Ail des ours
Malaxez 25 grammes de feuilles hachées avec 100 grammes de beurre ramolli, une pincée de sel et un filet de citron. Découpez en portions et laissez durcir au frais!
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Allium ursinium sur Tela-botanica
Fruits (capsules trigones) de l'Ail des ours, Béceleuf (79)
Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Alliaria petiolata (Alliaire) appartient à la famille Brassicaceae, dont les membres, souvent cultivés par l'homme, se démarquent par leurs saveurs remarquables et recherchées (choux, navet, moutarde, raifort, roquette, cresson...).
Rien ne vaut le chou pour accompagner le chou.
(Charlie et la chocolaterie, Tim burton)
Alliaire, Poitiers le Porteau
Les feuilles dentées et cordées à son sommet (mais réniformes et crénelées à la base de la plante) pourraient, faute d'attention, faire penser à la piquante Ortie... Ses petites fleurs blanches à quatre pétales empêchent toute confusion, de même que l'odeur d'ail dégagée par ses feuilles lorsqu'elles sont froissées entre les doigts. En effet, Allium en latin, c'est l'ail. Dans le Poitou, on fait preuve de simplicité quand il s'agit de nommer la belle: Alliaria petiolata est l'«Herbe à l'ail».
Grappes de fleurs de l'Alliaire: 4 sépales, 4 pétales, 6 étamines autour du pistil.
L'Alliaire est une bisannuelle qui colonise les terres fraîches, ombragées, riches en matière organique végétale. Elle laisse ses feuilles seules apparaître la première année. La seconde année, elle montre ses fleurs puis ses longs fruits (siliques) porteurs des générations à venir; à la suite de quoi elle entame une dernière phase de reproduction via un bourgeonnement sous-terrain. La méthode s'avère efficace, lui permettant de s'installer durablement sur de vastes territoires. A tel point qu'aux États-Unis, à la suite de son introduction par l'homme, et en l'absence de ses prédateurs naturels européens (insectes, herbivores...), l'Alliaire est devenue une invasive redoutée.
Toi tu commences à me baver sur les rouleaux...
(Invasion U.S.A., Joseph Zito)
Colonie d'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
A l'image de l'Ail, on lui reconnait des vertus antiseptiques (désinfectantes) lorsqu'elle est appliquée en cataplasme, sur des plaies mineures ou des piqures d'insectes. Mais c'est surtout en bouche que la Sauvage se démarque.
J’aime bien votre haleine, mais vous aurez la même demain?
(RRRrrrr, Alain Chabat)
Jeune feuille (réniforme et cordée) d'Alliaire la première année,
à ne pas confondre avec le Lierre terrestre! (Poitiers bords de Boivre)
Les graines contenues dans ses longs fruits (siliques), une fois écrasées, peuvent également remplacer les graines de moutarde dans la préparation de sauces. La recette est connue de longue date, puisqu'on a retrouvé des semences d'Alliaire, sous forme de micro-fossiles de cellules végétales, dans des poteries préhistoriques qui servaient à stocker la nourriture il y a environ 6000 ans!
La recette du shérif : Beurre d'Alliaire
- Mixer 100 grammes de feuilles crues (sans le pétiole) avec 200 grammes de beurre. Rajouter huile d'olive, jus de citron et sel à votre convenance... Tartinez et dégustez!
Dans la famille des Piérides (papillons diurnes de taille moyenne, souvent blancs tachetés de noir), certaines espèces se nourrissent de divers «choux», autrement dit, de crucifères, parmi lesquelles se trouve notre Alliaire...
Personnages:
Madame Piéride du navet (Pieris napi), Madame Piéride de la rave (Pieris rapae), Madame Aurore (Anthocharis cardamines).
La scène se déroule dans un fossé humide au mois d'avril.
Madame Piéride du navet en tenue estivale (les nervures des ailes postérieures sont moins soulignées de gris que pour les individus de printemps)
SCÈNE UNIQUE
Madame Piéride du navet, rencontrant Madame Aurore
Tiens! Comment va?
Madame Aurore
Mission réussie! Pas moins de trois messieurs pour me courtiser! J'ai finalement accepté les avances de celui dont le parfum m'a le plus grisé. Ah, ces phéromones! Les deux autres m'ont poursuivi mais j'ai utilisé ma technique habituelle pour les dissuader de m'approcher: je lève l'abdomen pour leur signifier «halte-là!»
Madame Piéride du navet
Vous avez bien de la chance. Pour ma part, je viens juste d'émerger et j'attends que des messieurs viennent me tourner autour mais... (un vol vif la surprend)
Madame Piéride de la rave
Hello les filles! Je suis un peu essoufflée car je viens d'échapper à deux mâles harcelants. Entre nous, l'un d'eux a été plus gentil que l'autre, hi hi!
Madame Aurore
Je vois... Cela dit, je suis comme toi, fécondée! Ça te dit de suivre le fossé? J'irais bien pondre sur l'Alliaire, son goût d'ail ravit les chenilles.
Madame Piéride de la rave
Bonne idée! (S'adressant à Madame Piéride du navet) Tu viens? Tu trouveras peut-être ton adonis dans le coin?
Madame Piéride du navet
D’accord, allons chercher l'Alliaire, c'est la saison! Vous savez ce que chantent les piérides de mon espèce?
«Nous, Piérides,
Qui aimons les crucifères
Par dessus tout,
Nous sommes vraiment
Trop chou!»
À gauche, Madame Aurore en train de se refuser à un mâle; à droite, Monsieur Piéride de la rave, faute d'avoir réussi à photographier Madame! (ce papillon, bien que commun, ne se pose presque jamais et est extrêmement farouche)
Chenille d'Aurore boulottant une silique d'Alliaire: tout le génie de la nature dans ce mimétisme.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Alliaire au micro de Sauvages du Poitou
- Identification assistée par ordinateur
- Alliaria petiolata sur Tela-botanica
Siliques de l'Alliaire, Poitiers bords de Boivre