Origan commun, Poitiers chemin de la Cagouillère
Origanum vulgare (Origan commun ou Marjelène en poitevin-saintongeais) appartient à la grande famille Lamiaceae, dont les membres présentent des tiges à section carrée et des fleurs en forme de bouche (voir l'article complet sur le sujet pour la petite histoire).
Son nom vient des mots grecs Oros et Ganos, respectivement «montagne» et «éclat». Origanum vulgare est donc la «beauté des montagnes», et on se demande bien pourquoi, dans la mesure où le Sauvageon trouve probablement ses origines autour du bassin méditerranéen (il peut pousser jusqu'à 2000 mètres d'altitude).
- C’est marrant, j’aurais juré que les montagnes rocheuses étaient plus rocheuses que ça.
- Ouais, ils racontent vraiment n’importe quoi à la télé.
(Dumb & Dumber, Frères Farrelly)
Origan commun, Poitiers chemin de la Cagouillère
De ses origines méditerranéennes, Origanum vulgare a gardé le goût des sols rocheux, arides, des rocailles bien exposées au soleil. Un simple mur peut lui suffire. Il est vivace et coriace: il supporte des température jusqu'à -15°C l'hiver et ne connait quasiment ni maladies, ni prédateurs dans des conditions ordinaires (on peut tout de même citer les chenilles de l'Azuré du serpolet, voir plus bas).
Fleurs de l'Origan commun: quatre étamines saillantes (deux d'entre elles dépassent nettement au dessus des lèvres) se dressent depuis une corolle formée d'une lèvre supérieure plane et échancrée et d'une lèvre inférieure étalée et trilobée.
Feuilles de l'Origan commun: opposées, entières (ou vaguement denticulées), ovales ou elliptiques.
Origanum vulgare se récolte (et se consomme) comme le Thym: on fait sécher les parties aériennes de la plante (sans les racines) en bouquets, pendus la tête en bas, dans un local bien aéré. A vrai dire, en cuisine, Origanum vulgare a
d'avantage d'odeur qu'il n'a de goût... L'Origan préconisé dans les recettes est généralement issu d'une autre Sauvage méditerranéenne, l'Origan marjolaine (Origanum majorana), cultivée chez nous comme une aromatique annuelle: une sudiste qui ne survit pas à l'humidité et au froid des hivers picto-charentais (mais réchauffement climatique oblige, les temps peuvent changer).
Pour profiter pleinement de la saveur d'Origanum vulgare, notre Origan sauvage et local, le mieux reste d'emprunter la recette du «thé solaire» au botaniste François Couplan: placer la plante dans une gamelle pleine d'eau et laisser quelques heures en plein soleil; dans ce mode d'infusion délicat (et poétique), les substances les plus volatiles seules sont extraites...
Tasse de thé solaire à l'Origan commun: pas besoin de réchaud!
Origanum vulgare améliorerait le transit et soulagerait les troubles digestifs et intestinaux (ballonnements et flatulences). Jadis, il a été considéré comme un philtre d'amour: quelques feuilles jetées discrètement dans l'assiette de son (ou sa) bien-aimé(e) pouvant faire pencher son cœur du bon côté. Dans d’autres versions, il servait à assaisonner la nourriture des ouvriers agricoles au Moyen-âge, pour leur donner le sourire et de par là même du cœur à l’ouvrage; les nourrices allaitantes le consommaient pour mettre leur bébé de bonne humeur. Bref, l’Origan apporte à nos pizzas une note de soleil, mais peut-être aussi une touche d’amour et d’humour !
- Je suis quasiment sûr que nous avons affaire à un serial killer.A sa décharge, l’Azuré du serpolet est une espèce protégée qui se raréfie en France. Sa disparition est due à la nécessité pour le papillon de bénéficier dans son milieu tant de ses plantes hôtes (Origan commun ou Thym serpolet) que d’un nombre suffisant de fourmilières de Myrmica. En Poitou-Charentes, elle est considérée comme assez rare. Aussi, si vous la croisez, admirez la magie de son vol bleu, rapide et nerveux, et oubliez ses mœurs de hors-la-loi!
- Un quoi ?
- Un tueur en série.
- Ah! Un serial killer!
( La cité de la peur, les Nuls)
- Origanum vulgare sur Tela-botanica
Origan commun à la fin de l'été: les fleurs disparaissent peu à peu, reste le spectacle fascinant des bractées pourpres.
Euphorbe omblette, Poitiers Grand'Rue
Euphorbia peplus (Euphorbe omblette ou Euphorbe des jardins) appartient à la grande famille Euphorbiaceae, dont certains membres produisent un latex blanc (contenu dans leur tige et leurs feuilles). Les Euphorbes doivent d'ailleurs leur nom au médecin grec Euphorbus (40-19 av. J.-C.) qui aurait découvert certaines propriétés médicinales propres au latex de ces plantes (voir plus bas).
Euphorbia peplus est une annuelle opportuniste et fréquente. Elle pousse toute l'année sur les sols riches en azote (amendements ou pollution), laissés à nu ou fraichement perturbés. Au potager, elle profite souvent d'un entre deux cultures pour pointer ses tiges. En ville, il n'est pas rare de l'observer au bord des trottoirs ou des rues, dans les cimetières, ou jusque dans les jardinières des balcons!
Inflorescence de l'Euphorbe omblette (un cyathe): les fleurs mâles (étamines) se dressent au centre, entourées de glandes nectarifères en croissant. La fleur femelle pendouille en dessous, comme une boucle d'oreille.
Euphorbia peplus partage les mêmes territoires que quelques autres membres de son clan à l'allure similaire. On citera Euphorbia helioscopia (Euphorbe réveil matin), un poil moins courante, qui se distingue par ses feuilles denticulées (finement dentées) à leur extrémité.
Une autre Euphorbe locataire de nos jardins: l'Euphorbe réveil matin, Biard (86)
Les feuilles ovales d'Euphorbia peplus présentent des bords parfaitement lisses. Ses inflorescences verdâtres attirent de petits diptères pour assurer sa pollinisation, les glandes nectarifères des inflorescences faisant office d’appâts.
Feuilles entières de l'Euphorbe omblette (à gauche) versus feuilles denticulées de l'Euphorbe réveil matin (à droite)
Sous l'action de la chaleur, les fruits mûrs d'Euphorbia peplus explosent, projetant leurs graines alentour. Les fourmis raffolent d'une substance (élaïosome) que renferme une petite excroissance charnue sur les fruits de la Sauvage. Les insectes trainent les capsules jusque dans leur fourmilière pour en extraire la manne, abandonnant parfois leur fardeau en cours de route, et assurant ainsi la propagation de la Sauvage sur un large territoire.
Les plus rigoureux se reposeront sur les minuscules capsules et leurs trois paires d'ailes caractéristiques pour identifier l'Euphorbe omblette avec certitude.
Je vais te confier une mission importante: chaque soir, tu verseras un petit arrosoir sur chaque plante.
(Jean de Florette, Marcel Pagnol)
Malgré sa présence fréquente en milieu urbain et dans les jardins, Euphorbia peplus passe le plus souvent inaperçue... Tel est le sort réservé aux Sauvages peu spectaculaires, ni sympathiques (c'est à dire richement colorées ou comestibles), ni problématiques (c'est à dire invasives: l'enracinement fragile et superficiel d'Euphorbia peplus n'a jamais fait trembler un jardinier). C'est pourtant un grand tort que de négliger ce qui ne brille pas ou ne ne se mange pas... Chaque plante assure un rôle important (connu ou inconnu à ce jour) au sein du vivant. En ce qui concerne l'homme, n'oublions pas que chaque Sauvage cache peut être un potentiel encore inexploré, que celui ci soit médical, agricole ou autre.
Euphorbe omblette: sous ce drôle de palmier, un trésor caché?
Jadis, le latex blanc d'Euphorbia peplus a été utilisé en médecine populaire pour traiter les verrues (au même titre que celui produit par la Grande Chélidoine). On peut aujourd’hui douter de son efficacité à chaud, et surtout insister sur sa dangerosité: ce latex est toxique pour l'homme (comme pour les animaux et les chenilles, ce qui s'avère un excellent moyen de défense) et susceptible de provoquer des brûlures par simple contact cutané (attention aux yeux!).
Mais des recherches médicales plus récentes (2012) ont permis d'isoler depuis ce latex une substance, le mébutate d'ingenol, qui, entre des mains expertes, serait utile dans les traitements des cancers de la peau (chimiothérapies). L'important étant ici de comprendre, à travers l'exemple d'Euphorbia peplus, qu'il convient de préserver le patrimoine génétique le plus large qui soit, pour nous ou pour les générations à venir, en protégeant toutes les Sauvages quelles qu'elles soient... À commencer par celles qui s'arrêtent devant notre porte!
Pour aller plus loin:
- Euphorbia peplus sur Tela-botanica
- Euphorbia helioscopia sur Tela-botanica
Grande Mauve, bord de champs à Biard (86)
Malva sylvestris (Grande Mauve ou Fouacé en poitevin saintongeais), fait office de reine du bal dans le clan qui porte son nom, Malvaceae. Mauve est la couleur de ses fleurs; mais difficile de dire qui de la couleur ou de la fleur donna son nom à l'autre, tant la Sauvage est emblématique et choyée par l'homme depuis toujours...
Fleur à 5 lobes échancrés de la Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
Malva sylvestris est une vivace (qui se comporte souvent en bisanuelle sous nos latitudes), dont les fleurs s'ouvrent entre mai et la fin de l'été. La belle passe difficilement inaperçue: sa tige et ses rameaux poilus peuvent dépasser le mètre de hauteur sur un sol propice.
Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
L'ancien nom latin de Malva sylvestris était Omnimorbia, c'est à dire «toutes les maladies»: ses propriétés adoucissantes étaient connus de tous. Ses fleurs et ses feuilles (fraîches ou séchées), en infusion ou en gargarisme, apaiseraient les inflammations comme les toux sèches, les gorges enrouées ou les aphtes. Appliquées en compresse, elles soulageraient panaris, furoncles ou hémorroïdes...
Princesse, t’es tellement douce que même le sel à le gout du sucre avec toi.
(Boulevard de la mort, Quentin Tarentino)
Bref, Malva sylvestris est une caresse rafraîchissante pour le corps qui souffre, mais pas seulement: Pythagore recommandait la tisane bleue à ses élèves pour adoucir les passions et pacifier l'esprit! Pour certains historiens, Malva viendrait d'ailleurs du grec malasso qui signifie «ramollir» ou «adoucir». Les grecs, puis les romains, la considéraient comme une plante sacrée apte à élever les âmes vers la lumière, sans doute inspirés par la faculté de la Sauvage à tourner ses fleurs vers le soleil.
Dire que Malva Syvestris est une plante comestible est une litote... Il serait plus juste de la considérer comme un véritable légume tant elle a été cultivée et consommée depuis les temps préhistoriques! Arabes, chinois, européens l'ont mangée crue en salade, cuite en soupe, en farce ou en ragoût. Elle est riche en sels minéraux, vitamines A, B1, B2 et C, en protéines complètes, en fer et en calcium.
On préfère généralement les fleurs et les jeunes feuilles, car ces dernières en vieillissant feront d'avantage sentir la qualité mucilagineuse (visqueuse et humidifiante) de la Sauvage... Tout le monde n’apprécie pas, mais c'est une particularité utile en cuisine: les parties aériennes de Malva sylvestris (ou une décoction des parties souterraines) peuvent épaissir un velouté ou une crème maison (en lieu et place de produits industriels de type Maïzena).
Les jeunes fruits circulaires (surnommés les «fromages» à cause de leur forme, pas de leur goût) sont tendres et se grignotent en salade (après les avoir débarrassés de leurs calices).
«Fromage» (fruit, un schizocarpe) de la Grande Mauve,
Poitiers quartier Chilvert
Sa culture aisée devrait nous inciter à la réintégrer dans les potagers, à l'image des romains qui préféraient garder la belle à portée de ciseau au fond de leurs jardins plutôt que de lui courir après à travers la campagne.
«Con un huerto y un malva hay medicina para un hogar» (Un jardin potager et de la Mauve constituent des remèdes suffisants pour un foyer)
(Maxime populaire espagnole)
Dans un cornet constitué d'un double calice, des pétales enroulés comme une glace à l'italienne: une signature de la famille des Malvacées (Grande Mauve, Poitiers)
Si les Anciens estimaient la Grande mauve comme apte à élever les âmes vers la lumière, deux papillons de nos régions ont bien compris que la Sauvage pouvait aussi aider leurs chenilles à s’envoler vers le ciel une fois leur métamorphose réalisée! Car la Grande mauve est aussi le garde-manger larvaire de l’Hespérie de l’alcée (ou Grisette, Carcharodus alceae) et de la Belle dame (Vanessa cardui).
Hespérie de l’alcée, Migné-Auxances (86)
A vrai dire, nos deux papillons n'ont pas que la Sauvage comme casse-croûte. En effet, l’Hespérie de l’alcée s’intéresse également à d’autres membre du clan Malvaceae (telle la Mauve musquée, Malva moschata) tandis que la Belle dame disperse ses œufs sur pas moins de... 70 espèces de plantes appartenant à 8 familles végétales!
Belle Dame, forêt de Vouillé (86)
Pour aller plus loin:
- Malva sylvestris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
- La Grande Mauve à travers l'histoire, un article du blog Books of dante