Fleur régulière (en tout point symétrique par rapport à son centre) du Nénuphar blanc (Nymphaea alba).
Après la trilogie consacrée à l'étude du vocabulaire relatif aux feuilles en botanique, je vous propose de ressortir nos dictionnaires pour nous intéresser à la partie la plus spectaculaire de nos Sauvages: la fleur.
Tout ce qui est vert ne présente forcément de véritables fleurs. Une fleur «vraie» est une fleur qui regroupe à la fois les organes de reproduction, mais aussi tous les accessoires — que nous allons énumérer dans cet article — qui les accompagnent (l'invention la plus importante étant celle du carpelle/fruit).
Bien avant l’apparition des plantes à fleurs vraies, les gymnospermes (aujourd’hui représentés par les pins, les sapins, les épicéas, les cèdres, les mélèzes…) initièrent une sexualité aérienne via des «ébauches» de fleurs, s’en remettant au vent plutôt qu’à l’eau pour accompagner leur reproduction. A travers cette révolution sexuelle, les plantes prenaient un peu plus leur distance vis-à-vis du milieu marin originel. Mais les fleurs des gymnospermes restaient assez rudimentaires, se résumant à des appareils sexuels nus strictement mâles ou femelles, dépourvus d’accessoires sophistiqués, portés par de simples écailles (formant les fameux cônes de nos conifères).
Les «fausses » fleurs d’un escroc de taille : le Cèdre du Liban (Cedrus libani). A gauche, les cônes mâles chargés de pollen. A droite, sur une autre branche, les cônes femelles qui murissent puis se désagrègent pour libérer leurs graines en trois années.
Ça, c'est de l'évolution !
(L'Âge de glace, Chris Wedge)
Les plantes à fleurs vraies, nommées les angiospermes, n'apparaissent que récemment dans la grande histoire de la vie, les premières remontant peut-être au Crétacé, il y a environ 140 millions d'années.
Si les cônes des gymnospermes choisissent forcément leur camp — fille ou garçon — les fleurs vraies des angiospermes présentent en grosse majorité des organes à la fois mâles et femelles (lorsque c'est le cas, la fleur est dite «hermaphrodite»). Aussi, pour commencer notre exploration, emportons un couple de mots dans notre besace : Madame pistil et Monsieur étamine.
Le pistil est l'appareil reproducteur femelle de la fleur, les étamines en sont les organes mâles. La langue française n'étant pas à un traquenard près, notez que le pistil (femelle) est un nom masculin, alors que l'étamine (mâle) est un nom féminin. A ce point, deux voies s'offrent à vous: soit le simple souvenir de ce piège vous aide à retenir qui est qui, soit vous vous perdez définitivement! Reste à espérer que cette astuce orientera votre esprit dans la bonne direction...
Chaque fleur présente ses particularités, mais nous pouvons déjà imaginer une fleur «théorique», simple, comme la dessinerait un enfant:
Pédoncule: petite tige ou «queue» qui porte la fleur ou l’inflorescence.
Réceptacle: sommet élargi du pédoncule sur lequel sont insérées les pièces florales.
Sépales: feuilles spécialisées qui supportent et protègent la fleur.
Pétales: pièces chargées de protéger la fleur et surtout de la rendre attrayante pour les butineurs.
Au centre de la fleur se trouvent un ou plusieurs carpelles. C'est l'ensemble des carpelles (libres ou soudés entre eux) qu'on appelle pistil (ou gynécée, littéralement gunè oikos, «la maison de la femme»). Un carpelle/pistil se compose d'un ovaire (qui deviendra le fruit) contenant les ovules (qui deviendront les graines), surmonté d'un tube, le style. Ce dernier se termine en une extrémité visqueuse, le stigmate, chargé de capturer les grains de pollen qui lui passent sous le nez.
Résumons en image:
Suite des leçons de botanique consacrées aux fleurs sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (5): les fleurs irrégulières
- Le vocabulaire de la botanique (6): inflorescences et capitules
- Le vocabulaire de la botanique (7): Poacées, herbes, céréales, pelouses et gazons
Articles consacrés à la pollinisation par les insectes sur Sauvages du Poitou:
- Insectes pollinisateurs (1): la Sauvage et le coléoptère
- Insectes pollinisateurs (2): la Sauvage et le diptère
Pour aller plus loin:
Panicaut champêtre, Biard (86)
Eryngium campestre (Panicaut champêtre) appartient aux Apiaceae (ex Ombellifères), les Sauvages à fleurs en ombelles. Si, par maladresse, on s'assoit sur les feuilles coriaces et épineuses de la Sauvage lors d'un pique-nique, on pensera peut-être qu'il s'agit d'un «chardon» (Cirsium, Carduus...), de la famille des Astéracées. Il n'en n'est rien: le Panicaut champêtre est bel et bien le frère des carottes, persils, cerfeuils, panais ou céleris... Un piège bien connu des apprentis botanistes qui retiendront à l'inverse que l'Achillée millefeuille (Achillea millefolium), avec ses airs de carotte, est en fait une Astéracée. Panicaut et Achillée ont-ils été échangés à la naissance, pour grandir chacun de leur côté dans un clan étranger?
À gauche, le Panicaut champêtre de la famille des Carottes. À droite, l'Achillé millefeuille de la famille des «chardons» (Cirsium, Carduus...)... Deux Sauvages qui poussent à contre courant de notre intuition!
Une investigation plus poussée nous apprendra que personne ne s'est trompé, et que tout le monde est à sa place: les fleurs à 5 pétales du Panicaut champêtre (qui apparaissent en été) sont regroupées en des ombelles arrondies (les rayons de ses ombelles sont nuls, d'où la confusion), et l'analyse de ses fruits (diakènes) lèvera nos derniers doutes. De son côté, l'Achillée millefeuille regroupe une multitude de capitules, et non des fleurs, dans ses corymbes (voir notre article consacré à la Sauvage), une des signatures du clan Astéracée.
Panicaut champêtre: sous la garde d'une collerette de bractées épineuses, les fleurs à 5 pétales recourbés vers l'intérieur, regroupées en ombelles. Dans la mesure où les rayons de ses ombelles sont nuls, on est aussi en droit de dire qu’il s’agit d’un capitule!
Allez basta, roule, on y va!
(La Carapate, Gérard Oury)
Reste que le Panicaut champêtre est parfois surnommé Chardon Roland, Chardon à cent têtes ou Chardon d'âne. Dans le Poitou, il est le Chardon roulant («Chardon Roland» vient probablement de cette même origine), à cause de ses inflorescences séchées qui se détachent en hiver et roulent au sol, poussées par les tempêtes. C'est une forme d'anémochorie atypique (voyage des semences avec le vent), car rien ne prédispose les graines à quitter le plancher des vaches, comme le feraient les fruits plumeux d'un véritable chardon. Mais bref, chardon ou non, la Sauvage pique celui qui s'y frotte: un excellent moyen de défense contre les ruminants.
Le Panicaut champêtre est une vivace, qui installe durablement ses longues racines (jusqu'à 5 mètres de long) sur les sols misérables et déstructurés. On le croisera partout où la vie est mise à rude épreuve: terrains vagues, chemins piétinés, sableux, prairies usées par le surpâturage... Et surtout sur les plateaux calcaires brûlés par le soleil, un milieu très apprécié des papillons comme des lépidoptéristes de tout poil.
Mercure (Arethusana arethusa) sur Panicaut champêtre: la Sauvage, très mellifère, intéresse de nombreux butineurs.
Si le Panicaut champêtre est comestible (Panicaut vient du latin médiéval pane cardus, le «pain de cardon»), ses piquants dissuaderont tous ceux qui n'ont pas une mâchoire de requin d'en faire leur pique-nique, à l’exception des très jeunes feuilles qui peuvent se déguster en salade. La plante adulte peut toutefois servir de «bouquet garni» pour parfumer les sauces et les bouillons. Certains lui trouve un goût d’artichaut, et faute d'en avoir le cœur, elle en a au moins la douceur (sa saveur est légèrement sucrée).
Faute de croquer le Panicaut champêtre, une Mante religieuse (Mantis religiosa) tente de croquer les papillons...
C'est surtout en tant que plante hôte d'un champignon que le Panicaut champêtre est connu: dans la partie sud de la France, pousse depuis la souche de ses racines la Pleurote du panicaut (Pleurotus eryngii). Cultivée dans le reste du pays (les kits de culture domestique sont assez faciles à dénicher), la Pleurote du panicaut présente une chaire tendre et savoureuse qui en fait un met de premier choix dans la cuisine méridionale.
Les racines bouillies du Panicaut champêtre ont autrefois été utilisés pour leurs vertus diurétique (calculs rénaux...) et apéritive. Mais c'est une toute autre coutume que retiendront les plus baroudeurs d'entre vous : jadis, celui qui partait à l'aventure loin de ses terres et loin des siens emportait avec lui une tête fleurie de Panicaut champêtre, cueillie dans son village; une manière de souhaiter bon voyage à celui qui roule vers de nouveaux horizons, comme une inflorescence de «Chardon roulant» poussée par les vents!
Pour aller plus loin:
- Eryngium campestre sur Tela-botanica
- Eryngium campestre: identification assistée par ordinateur
Cet article fait suite au premier billet consacré aux mots de la botanique, «décrire les feuilles (1)». Nous avions, en première exploration, découvert le vocabulaire rocambolesque relatif aux feuilles simples. Pour rappel, une feuille se présente ainsi à nos yeux:
Regardons maintenant le dessin des nervures qui parcourent le limbe: on appelle nervure principale la nervure qui prolonge le pétiole (c'est généralement la plus épaisse). Les nervures qui s'y rattachent sont les nervures secondaires, celles qui se rattachent à ces dernières les nervures tertiaires, etc. Un peu comme un grand fleuve, ses rivières et leurs petits affluents! La comparaison est intéressante, car chez une plante, la sève élaborée (issue de la photosynthèse) prend sa source au niveau des feuilles avant de s'écouler vers le reste de la plante (à l'inverse de la sève brute qui prend sa source dans les racines pour monter vers la plante et les feuilles).
La géographie, c'est quand même plus simple avec une carte épinglée au mur!
Pennées: nervures secondaires opposées deux par deux, de chaque côté d'un axe (comme des arrêtes de poisson).
Palmées: nervures primaires bifurquant depuis un seul point, comme les doigts autour de la paume de la main.
Pédalées: deux nervures principales divergent depuis le bout du pétiole.
Parallèles: nervures orientées dans l'axe de la feuille, sans intersection.
Arquées: nervures secondaires arquées vers le sommet de la feuille.
Réticulées: nervures formant un réseau complexe.
Apprenez-moi des gros mots justement, c'est important les gros mots quand on découvre une langue!(Bienvenue chez les Ch'tis, Dany Boon)
Penna...: nervures pennées.La fin du mot décrit la nature et/ou l'amplitude du découpage de la feuille:
Palma...: nervures palmées.
Péda...: nervures pédalées.
...lobée: feuille doucement lobée.On pourrait imaginer par exemple lors d’une partie de Scrabble :
...fide: feuille découpée (environ jusqu'à la moitié du limbe).
...partite: feuille fortement découpée (au-delà de la moitié du limbe).
...sequée: feuille découpée jusqu'à la nervure principale (ou quasiment).
Composée imparipennée : pennée et composée d'un nombre de folioles impair (présence d'une foliole au sommet).
Composée paripennée : pennée et composée d'un nombre de folioles pair (absence de foliole au sommet).
Composée pectinée : composée de fines lamelles disposées de part et d'autre de l'axe (comme un peigne).
Composée palmée : composée de plusieurs folioles partant en éventail depuis le sommet du pétiole.
Composée trifoliée : composée de trois folioles (comme le célèbre Trèfle).
Composée pédalée : chaque foliole semble rattachée au petit pétiole (le pétiolule) de la foliole précédente.
Ce n'est pas tout: une feuille composée pennée, dont chaque partie (ou foliole) est elle même composée de plusieurs petites parties (les foliolules), est dite bipennée (elle est pennée deux fois)... Et si les foliolules sont eux même composées? La feuille est tripennée!
Comment savoir s'il l'on observe plusieurs feuilles simples ou une seule feuille composée? C'est la présence ou non d'un bourgeon axillaire au point de jonction entre le pétiole et la tige qui peut nous renseigner (munissez vous d'une loupe). Si on trouve un bourgeon à la base de chaque feuille, il s'agit de plusieurs feuilles simples. Si pour plusieurs limbes distincts, on ne trouve qu'un seul bourgeon, c'est une seule et unique feuille composée.
Pourquoi certaines Sauvages arborent-elles des feuilles ainsi découpées ? Les plantes aux feuilles fortement divisées laissent passer un maximum de lumière vers les étages inférieurs de leur feuillage. Une stratégie d’autant plus pertinente que rien n’est laissé au hasard, la disposition des feuilles sur la tige étant savamment orchestrée, comme nous le verrons dans l'article consacré à la phyllotaxie.
A ce point, vous méritez bien une récompense pour vos efforts studieux! Fermez les yeux (pas trop) et imaginez une feuille dont les nervures sont pennées, et dont les échancrures atteignent (ou presque) la nervure centrale. On pourrait donc dire qu'elle est pennatiséquée. Mais voilà, chaque partie dessinée par les échancrures est aussi découpée en de plus petites parties... Elles mêmes découpées en de minuscules parties... Holà, je crois qu'on tient un joli mot: tripennatiséquée!
Ne vous découragez pas si votre cerveau fume un peu: lorsqu'on compare les descriptions proposées dans les guides et les flores, on découvre qu'il n'existe pas une seule et unique bonne manière de décrire un végétal: tous les moyens sont bons! On fait comme on peut, avec le vocabulaire dont on dispose, l'objectif étant de rapprocher son discours au plus près de ce qui se présente à nous et surtout de réussir à se faire comprendre. Sur ce, je vous souhaite d'agréables promenades botaniques... Entre deux victoires écrasantes au Scrabble!
De gauche à droite et de haut en bas: feuilles palmatifides de la Renoncule à petites fleurs (Ranunculus parviflorus), composées pédalées de l'Hellébore fétide (Helleborus foetidus), composées paripennées (ou imparipennées si on considère que les vrilles comptent pour des folioles!) de la Vesce des haies (Vicia sepium) et tripennatiséquées du Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris).
D'autres leçons de botanique consacrées aux feuilles sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (1): feuilles simples
- Le vocabulaire de la botanique (3): pétiole et phyllotaxie
Pour aller plus loin:
- Les formes foliaires sur Wikipédia
- Description générale de la feuille sur le site des Jardins du Gué