Ail des ours, Beceleuf (79)
Allium ursinum (Ail des ours) appartient aux Amaryllidaceae, un clan dont les membres sont généralement bien armés pour faire face aux attaques des prédateurs, insectes et animaux. Chez Allium ursinum, la technique de self défense est une odeur et un goût d'ail, rebutants pour les herbivores.
- J’ai été obligé d’me défendre il m’a flairé l’cul !
(Papy fait de la résistance, Jean-Marie Poiré)
Malheureusement pour cette plante, c'est justement ce qui fait son intérêt pour nous! Allium ursinum a toutes les qualités de l'ail cultivé. Et elle n'intéresse pas que l'homme: les ours en seraient friands au sortir de l'hibernation, d'où son nom vernaculaire d'Ail des ours.
Feuilles de l'Ail des ours: molles, ovales lancéolées, à nervures parallèles et à base engainante.
L'Ail des ours est une vivace des sous-bois frais et ombragés. Ses fleurs réunies en ombelles apparaissent entre avril et mai. La Sauvage fait partie des fleurs vernales (telles la Petite Pervenche ou l'Anémone Sylvie) qui profitent de la lumière printanière, avant le retour du feuillage des grands arbres. Ses parties aériennes disparaissent avant le début de l'été.
Son bulbe supporte les grands froids; elle se ressème chaque année efficacement, malgré un très faible pouvoir de dispersion. Ses colonies s'élargissent surement, mais surtout lentement. Autant dire que les impressionnants parterres que l'en rencontre parfois (on les renifle bien avant de les voir) attestent de l'ancienneté de la forêt.
Dans la pénombre des sous bois, Ail des ours à perte de vue!
L'Ail des ours est, parmi les Sauvages, un chouchou! Jadis, on lui a attribué des pouvoirs magiques: les femmes enceintes en gardaient dans leurs poches pour protéger l'enfant à naître, on le jetait dans les rivières pour en purifier l'eau. Au néolithique, puis chez les Celtes, on l'utilisait comme élixir, comme épice, comme aliment (Allium ursinum est riche en vitamine C, on peut consommer ses parties aériennes comme ses bulbes). Il serait vermifuge et hypotenseur (comme l'ail cultivée), mais aussi bon pour la mémoire, amincissant...
- J’ai rien d’exceptionnel. J’suis juste moi quoi.
- Moi j’trouve ça déjà exceptionnel d’être soi.
(Tout pour plaire, Cécile Telerman)
Ombelle de fleurs de l'Ail des ours, Montreuil bonin (86)
Bref, difficile de démêler le vrai de la légende, mais ce qui est sûr, c'est que l'Ail des ours a la cote. C'est une valeur ancestrale, un ami qu'il est bon d'inviter dans son jardin, même s'il vous faudra probablement patienter quelques décennies avant de disposer d'une colonie bien fournie.
Chez vous, tenez la à l'écart des colonies de Muguet (Convallaria majalis), de même attention lors des cueillettes sauvages avec le Colchique d’automne (Colchicum autumnale), car les feuilles ovales lancéolées de ces plantes se ressemblent comme deux gouttes de pluie... Dans l'assiette, l'une est délicieuse, les deux autres (à l'aspect plus coriace) sont mortelles! Un autre piège attend les apprentis cueilleurs: sur la photo suivante, un intrus s'est glissé parmi les feuilles de l'Ail des ours... Vu?
La feuille en haut à droite (un peu tronquée à la base, et à la nervation non parallèle) est une jeune pousse toxique de Gouet (Arum italicum ou Arum maculatum). Ceux-ci ont tendance à pointer en même temps que celles de notre délicieuse Sauvage. Restez attentif et dans le doute, abstenez vous!
La recette du shérif : Beurre à l'Ail des ours
Malaxez 25 grammes de feuilles hachées avec 100 grammes de beurre ramolli, une pincée de sel et un filet de citron. Découpez en portions et laissez durcir au frais!
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Allium ursinium sur Tela-botanica
Fruits (capsules trigones) de l'Ail des ours, Béceleuf (79)
Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Alliaria petiolata (Alliaire) appartient à la famille Brassicaceae, dont les membres, souvent cultivés par l'homme, se démarquent par leurs saveurs remarquables et recherchées (choux, navet, moutarde, raifort, roquette, cresson...).
Rien ne vaut le chou pour accompagner le chou.
(Charlie et la chocolaterie, Tim burton)
Alliaire, Poitiers le Porteau
Les feuilles dentées et cordées à son sommet (mais réniformes et crénelées à la base de la plante) pourraient, faute d'attention, faire penser à la piquante Ortie... Ses petites fleurs blanches à quatre pétales empêchent toute confusion, de même que l'odeur d'ail dégagée par ses feuilles lorsqu'elles sont froissées entre les doigts. En effet, Allium en latin, c'est l'ail. Dans le Poitou, on fait preuve de simplicité quand il s'agit de nommer la belle: Alliaria petiolata est l'«Herbe à l'ail».
Grappes de fleurs de l'Alliaire: 4 sépales, 4 pétales, 6 étamines autour du pistil.
L'Alliaire est une bisannuelle qui colonise les terres fraîches, ombragées, riches en matière organique végétale. Elle laisse ses feuilles seules apparaître la première année. La seconde année, elle montre ses fleurs puis ses longs fruits (siliques) porteurs des générations à venir; à la suite de quoi elle entame une dernière phase de reproduction via un bourgeonnement sous-terrain. La méthode s'avère efficace, lui permettant de s'installer durablement sur de vastes territoires. A tel point qu'aux États-Unis, à la suite de son introduction par l'homme, et en l'absence de ses prédateurs naturels européens (insectes, herbivores...), l'Alliaire est devenue une invasive redoutée.
Toi tu commences à me baver sur les rouleaux...
(Invasion U.S.A., Joseph Zito)
Colonie d'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
A l'image de l'Ail, on lui reconnait des vertus antiseptiques (désinfectantes) lorsqu'elle est appliquée en cataplasme, sur des plaies mineures ou des piqures d'insectes. Mais c'est surtout en bouche que la Sauvage se démarque.
J’aime bien votre haleine, mais vous aurez la même demain?
(RRRrrrr, Alain Chabat)
Jeune feuille (réniforme et cordée) d'Alliaire la première année,
à ne pas confondre avec le Lierre terrestre! (Poitiers bords de Boivre)
Les graines contenues dans ses longs fruits (siliques), une fois écrasées, peuvent également remplacer les graines de moutarde dans la préparation de sauces. La recette est connue de longue date, puisqu'on a retrouvé des semences d'Alliaire, sous forme de micro-fossiles de cellules végétales, dans des poteries préhistoriques qui servaient à stocker la nourriture il y a environ 6000 ans!
La recette du shérif : Beurre d'Alliaire
- Mixer 100 grammes de feuilles crues (sans le pétiole) avec 200 grammes de beurre. Rajouter huile d'olive, jus de citron et sel à votre convenance... Tartinez et dégustez!
Dans la famille des Piérides (papillons diurnes de taille moyenne, souvent blancs tachetés de noir), certaines espèces se nourrissent de divers «choux», autrement dit, de crucifères, parmi lesquelles se trouve notre Alliaire...
Personnages:
Madame Piéride du navet (Pieris napi), Madame Piéride de la rave (Pieris rapae), Madame Aurore (Anthocharis cardamines).
La scène se déroule dans un fossé humide au mois d'avril.
Madame Piéride du navet en tenue estivale (les nervures des ailes postérieures sont moins soulignées de gris que pour les individus de printemps)
SCÈNE UNIQUE
Madame Piéride du navet, rencontrant Madame Aurore
Tiens! Comment va?
Madame Aurore
Mission réussie! Pas moins de trois messieurs pour me courtiser! J'ai finalement accepté les avances de celui dont le parfum m'a le plus grisé. Ah, ces phéromones! Les deux autres m'ont poursuivi mais j'ai utilisé ma technique habituelle pour les dissuader de m'approcher: je lève l'abdomen pour leur signifier «halte-là!»
Madame Piéride du navet
Vous avez bien de la chance. Pour ma part, je viens juste d'émerger et j'attends que des messieurs viennent me tourner autour mais... (un vol vif la surprend)
Madame Piéride de la rave
Hello les filles! Je suis un peu essoufflée car je viens d'échapper à deux mâles harcelants. Entre nous, l'un d'eux a été plus gentil que l'autre, hi hi!
Madame Aurore
Je vois... Cela dit, je suis comme toi, fécondée! Ça te dit de suivre le fossé? J'irais bien pondre sur l'Alliaire, son goût d'ail ravit les chenilles.
Madame Piéride de la rave
Bonne idée! (S'adressant à Madame Piéride du navet) Tu viens? Tu trouveras peut-être ton adonis dans le coin?
Madame Piéride du navet
D’accord, allons chercher l'Alliaire, c'est la saison! Vous savez ce que chantent les piérides de mon espèce?
«Nous, Piérides,
Qui aimons les crucifères
Par dessus tout,
Nous sommes vraiment
Trop chou!»
À gauche, Madame Aurore en train de se refuser à un mâle; à droite, Monsieur Piéride de la rave, faute d'avoir réussi à photographier Madame! (ce papillon, bien que commun, ne se pose presque jamais et est extrêmement farouche)
Chenille d'Aurore boulottant une silique d'Alliaire: tout le génie de la nature dans ce mimétisme.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Alliaire au micro de Sauvages du Poitou
- Identification assistée par ordinateur
- Alliaria petiolata sur Tela-botanica
Siliques de l'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Liseron des champs, David et Goliath? (Couhé, 86)
Convolvulus arvensis (Liseron des champs ou Veuriée en poitevin-saintongeais) appartient au clan Convolvulaceae, dont les membres sont principalement des plantes grimpantes, des rampantes ou des lianes. Convolvere en latin signifie «enrouler»; une discipline dans laquelle le Liseron est un champion!
Le Sauvageon s'enroule autour des végétaux alentours (ou tout autre support) pour s'élever vers la lumière. La tige du Liseron tournoie — cherchant quelque chose à agripper — à une vitesse ahurissante pour un végétal: à pleine croissance, le lasso décrit une rotation complète (dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) en 1h 30!
Je voudrais te serrer encore et encore, jusqu’à ne plus savoir si je suis toi ou moi.
(Wild Child, Nick Moore)
Feuilles du Liseron des champs: alternes, entières, sagittées ou hastées.
Sa réputation d'étrangleuse de végétaux est peut-être la raison pour laquelle le Liseron des champs a rejoint les limaces dans le hit-parade des mal-aimés au jardin. Ça et le fait que les jardiniers qui lui déclarent la guerre se sentent vite démunis face à sa ténacité... le Liseron des champs est une vivace infatigable, capable de ressusciter à partir du moindre fragment de son rhizome profondément enfoui: le travail du sol à la bêche ou au motoculteur dissémine ses parties souterraines, la multipliant.
Coucou végétal, le Liseron des champs adore planter ses fleurs dans des nids qui ne lui appartiennent pas ! (ici sur Daucus carota)
L'homme a dépensé beaucoup d'énergie dans l'invention d'herbicides anti-liserons. Il faut dire que le Sauvageon en a sous la feuille: ses semences, protégées par une épaisse enveloppe, peuvent patienter dans le sol terrestre une cinquantaine d'années avant de germer. Exposées à des doses d'UV plusieurs millions de fois supérieures à celles qui permettent de stériliser l'eau, ses graines sont les seules à conserver leur aptitude a germer! (voir Garance voyageuse n°119). A tel point que la situation commence à se retourner, certaines personnes avisées envisagent d'utiliser le Liseron des champs pour dépolluer des sols contaminés par les métaux lourds et les hydrocarbures (phytoremédiation).
Fleurs du Liseron des champs: corolle composée d'une unique pièce en «entonnoir» (qui semble esquisser cinq pétales), 5 étamines soudées à la corolle entourent 2 carpelles soudés.
Car il se trouve que le Liseron des champs est loin d'être une malédiction. A commencer par ses fleurs mellifères qui savent attendrir même le plus fâché des jardiniers, et dont raffolent les syrphes, gros prédateurs du puceron.
Un Ptérophore commun (Emmelina monodactyla) se pose sur ma feuille à dessin... Ses chenilles boulotent divers Liserons (Convolvulus sp, Calystegia sp, Ipomoea sp), je connais des jardiniers qui ne s'en plaindront pas!
Grâce à ses racines, le Liseron des champs préserve certains types de champignons (les mycorhizes, indispensables à la vie des sols) des terres labourées puis laissées à nue pendant l'hiver. Ses partie souterraines traversent les sols compactés, engorgés d'azote et de fumure (au point d'en devenir indigestes), jusqu'à la couche rocheuse d'où elles remontent les bons oligo-éléments en surface (lorsqu'on l'arrache, on peut utiliser les parties aériennes séchées de la plante pour nourrir le sol). Les jardiniers qui ne ratent jamais une occasion de dire du mal de la Hors-la-loi racontent d'ailleurs que sa racine descend jusqu'aux enfers!
Liseron des champs, Poitiers quartier Bellejouanne
Convolvulus arvensis est impropre à la consommation, car fortement laxative; les parties aériennes, en infusion, peuvent d'ailleurs être utilisées comme purgatif (pour activer un transit intestinal bloqué)... Comme quoi, le Liseron a l’art de décoincer les situations stagnantes et pathogènes, pour le sol comme pour l’homme !
Je crois que tu es constipé dans ton cerveau à la con... Ouais. À mon avis t’as un méchant caca bien épais qui t’obstrue l’âme, qui fait bouchon dans ta tête.
(Une arnaque presque parfaite, Rian Johnson)
Fleurs blanches et immaculées du Liseron des haies (Convolvulus sepium), un autre Liseron, qui préfère les sols frais et humides. On le distingue du Liseron des champs de par sa grande taille, et de par les deux bractées lancéolées qui recouvrent le calice à la base des fleurs (absentes chez le Liseron des champs).
Carte postale de vacances avec le Liseron des dunes (Convolvulus soldanella), une belle Sauvage aux feuilles réniformes et charnues, locataire des sables maritimes de la Manche, de l'Océan et de la Méditerranée.
Pour aller plus loin:
- Convolvulus arvensis sur Tela-botanica
- Convolvulus arvensis: identification assistée par ordinateur
- Convolvulus sepium sur Tela-botanica
- Convolvulus sepium: identification assistée par ordinateur
- Convolvulus soldanella sur Tela-botanica
Pour se débarrasser définitivement du Liseron au jardin, priver la Sauvage de lumière en recouvrant chaque pousse avec un cul de canette...