Lycope d'Europe, Poitiers bords de Boivre
Lycopus europaeus (Lycope d'Europe ou parfois Chanvre d'eau) appartient aux Lamiaceae, le clan des Sauvages à tige carrée et à fleurs en forme de bouche ouverte (voir notre article complet sur ce sujet), qui semblent avaler les butineurs qui les visitent. Pourtant, difficile de traiter le Lycope d'Europe de «grande gueule», tant ses fleurs se font discrètes (les abeilles ne la boudent pas pour autant). Ceux qui souhaitent profiter de son spectacle entre juillet et septembre n'oublieront pas de se munir d'une loupe!
Réunies à l’aisselle des feuilles, les minuscules corolles blanches ponctuées de rouge du Lycope d'Europe.
A toutes les unités, le loup est dans la bergerie. Le loup est dans la bergerie. Terminé.
(Taxi, Gérard Pirès)
Faute d'avoir une gueule de loup, il faut croire que le Lycope en a les pieds. Son nom vient du grec lycos, le loup, et podos, le pied, une référence à la forme de ses feuilles (Pied-de-loup est son nom en poitevin-saintongeais). La comparaison reste tirée par les poils... Les botanistes qui baptisèrent la Sauvage n'avaient probablement pas croisé un loup, ni relu le Petit Chaperon Rouge, depuis fort longtemps.
Feuilles lancéolées et profondément dentées du Lycope d'Europe: Loup y es-tu?
Le Lycope d'Europe est une plante vivace qui colonise les zones humides, les bords des rivières les marécages... Peu exigeante quant à son exposition (même si elle semble préférer la lumière), la Sauvage s'attache avant tout à avoir les pieds dans ou près de l'eau. Ses souches rampantes assurent un développement efficace: ses colonies sont généralement bien fournies dans tout le pays, au cœur des aulnaies, des saulaies, des peupleraies ou des roselières.
Depuis le début du 20ème siècle, Le Lycope d'Europe a traversé l'océan (peut-être via cargo, voir notre article sur l'anthropocorie) pour s'installer, sans invitation et sans visa, en Amérique du Nord. Elle côtoie aujourd'hui les Lycopes «locaux» dans la région des Grands Lacs (Sud Canada et États-Unis). Cette expansion — somme toute modeste car récente — est surveillée de près. Ainsi, le Lycope d'Europe a rejoint outre-Atlantique le catalogue des plantes invasives au côté de la Salicaire (Lythrum salicaria) et du Populage des marais (Caltha palustris). Ainsi va la vie des grandes voyageuses: fleurs innocentes ici, terreurs là-bas... Et vice versa!
Jeunes pousses de Lycope d'Europe, Poitiers bords de Clain
Contrairement à la plupart des Lamiacées, le Lycope d'Europe ne présente aucune qualité aromatique. Malgré son absence de parfum, la Sauvage montre de fortes qualités médicinales: elle est fortement tannique et serait fébrifuge. Le Lycope d'Europe permet de traiter les problèmes d’hyperthyroïdie et les nodules thyroïdiens, mais son usage (et son dosage) requiert des mains savantes. Dès lors, on évitera de la consommer en salade, même si la Sauvage n'est pas dangereuse à proprement parler.
Lycope d'Europe, Poitiers bords de Boivre
Quand on parle du loup, on en voit le masque.
(The Dark Knight Rises, Christopher Nolan)
C'est surtout en tant que plante tinctoriale que le Lycope d'Europe s'est taillé une «sombre» réputation: la Sauvage est une des rares sauvages capable de fournir un colorant noir. L'infusion de ses parties aériennes permettait autrefois de teindre les laines, voir la peau ou les cheveux. Outre manche, le Lycope d'Europe est d'ailleurs nommé Gypsywort (littéralement «l'herbe aux gitans»), peut-être à cause de l'usage qu'en faisaient les gitans, qui s'assombrissaient la peau pour feindre des origines mystérieuses et exotiques! Colorant pour les textile, maquillage, le Lycope d'Europe serait-il aussi capable de fournir de l'encre pour mes feutres?
Les procédés d'extraction de colorants naturels sont précis et complexes (il faudrait prendre en compte la période de récolte, la qualité de l'eau, rajouter d'autres ingrédients pour assurer le mordant et donner de la consistance, etc.). Malgré mon ignorance en la matière, difficile de résister à l'expérience, toute hasardeuse qu'elle soit... Une infusion de feuilles hachées de Pied-de-loup portée longuement à ébullition, une plume taillée à même un bambou, voilà qui devrait suffire à lancer un courant artistique prometteur. Après le classicisme, le romantisme, le surréalisme, entrons dans l'âge du Sauvagisme?
Loup calligraphié à l'encre pâlichonne de Pied-de-loup!
Pour aller plus loin:
- Lycopus europaeus sur Tela-botanica
- Lycopus europaeus: identification assistée par ordinateur
- Pour les anglophones, une étude intéressante sur l'expansion des plantes invasives au sud du Québec.
Les petites fleurs produisant rarement des pastèques, c'est à l'intérieur des calices persistants que l'on dénichera les petits fruits du Lycope d'Europe, rangés par quatre (tétrakènes): une constante chez les Lamiaceae.
Cet article fait suite au premier billet consacré aux mots de la botanique, «décrire les feuilles (1)». Nous avions, en première exploration, découvert le vocabulaire rocambolesque relatif aux feuilles simples. Pour rappel, une feuille se présente ainsi à nos yeux:
Regardons maintenant le dessin des nervures qui parcourent le limbe: on appelle nervure principale la nervure qui prolonge le pétiole (c'est généralement la plus épaisse). Les nervures qui s'y rattachent sont les nervures secondaires, celles qui se rattachent à ces dernières les nervures tertiaires, etc. Un peu comme un grand fleuve, ses rivières et leurs petits affluents! La comparaison est intéressante, car chez une plante, la sève élaborée (issue de la photosynthèse) prend sa source au niveau des feuilles avant de s'écouler vers le reste de la plante (à l'inverse de la sève brute qui prend sa source dans les racines pour monter vers la plante et les feuilles).
La géographie, c'est quand même plus simple avec une carte épinglée au mur!
Pennées: nervures secondaires opposées deux par deux, de chaque côté d'un axe (comme des arrêtes de poisson).
Palmées: nervures primaires bifurquant depuis un seul point, comme les doigts autour de la paume de la main.
Pédalées: deux nervures principales divergent depuis le bout du pétiole.
Parallèles: nervures orientées dans l'axe de la feuille, sans intersection.
Arquées: nervures secondaires arquées vers le sommet de la feuille.
Réticulées: nervures formant un réseau complexe.
Apprenez-moi des gros mots justement, c'est important les gros mots quand on découvre une langue!(Bienvenue chez les Ch'tis, Dany Boon)
Penna...: nervures pennées.La fin du mot décrit la nature et/ou l'amplitude du découpage de la feuille:
Palma...: nervures palmées.
Péda...: nervures pédalées.
...lobée: feuille doucement lobée.On pourrait imaginer par exemple lors d’une partie de Scrabble :
...fide: feuille découpée (environ jusqu'à la moitié du limbe).
...partite: feuille fortement découpée (au-delà de la moitié du limbe).
...sequée: feuille découpée jusqu'à la nervure principale (ou quasiment).
Composée imparipennée : pennée et composée d'un nombre de folioles impair (présence d'une foliole au sommet).
Composée paripennée : pennée et composée d'un nombre de folioles pair (absence de foliole au sommet).
Composée pectinée : composée de fines lamelles disposées de part et d'autre de l'axe (comme un peigne).
Composée palmée : composée de plusieurs folioles partant en éventail depuis le sommet du pétiole.
Composée trifoliée : composée de trois folioles (comme le célèbre Trèfle).
Composée pédalée : chaque foliole semble rattachée au petit pétiole (le pétiolule) de la foliole précédente.
Ce n'est pas tout: une feuille composée pennée, dont chaque partie (ou foliole) est elle même composée de plusieurs petites parties (les foliolules), est dite bipennée (elle est pennée deux fois)... Et si les foliolules sont eux même composées? La feuille est tripennée!
Comment savoir s'il l'on observe plusieurs feuilles simples ou une seule feuille composée? C'est la présence ou non d'un bourgeon axillaire au point de jonction entre le pétiole et la tige qui peut nous renseigner (munissez vous d'une loupe). Si on trouve un bourgeon à la base de chaque feuille, il s'agit de plusieurs feuilles simples. Si pour plusieurs limbes distincts, on ne trouve qu'un seul bourgeon, c'est une seule et unique feuille composée.
Pourquoi certaines Sauvages arborent-elles des feuilles ainsi découpées ? Les plantes aux feuilles fortement divisées laissent passer un maximum de lumière vers les étages inférieurs de leur feuillage. Une stratégie d’autant plus pertinente que rien n’est laissé au hasard, la disposition des feuilles sur la tige étant savamment orchestrée, comme nous le verrons dans l'article consacré à la phyllotaxie.
A ce point, vous méritez bien une récompense pour vos efforts studieux! Fermez les yeux (pas trop) et imaginez une feuille dont les nervures sont pennées, et dont les échancrures atteignent (ou presque) la nervure centrale. On pourrait donc dire qu'elle est pennatiséquée. Mais voilà, chaque partie dessinée par les échancrures est aussi découpée en de plus petites parties... Elles mêmes découpées en de minuscules parties... Holà, je crois qu'on tient un joli mot: tripennatiséquée!
Ne vous découragez pas si votre cerveau fume un peu: lorsqu'on compare les descriptions proposées dans les guides et les flores, on découvre qu'il n'existe pas une seule et unique bonne manière de décrire un végétal: tous les moyens sont bons! On fait comme on peut, avec le vocabulaire dont on dispose, l'objectif étant de rapprocher son discours au plus près de ce qui se présente à nous et surtout de réussir à se faire comprendre. Sur ce, je vous souhaite d'agréables promenades botaniques... Entre deux victoires écrasantes au Scrabble!
De gauche à droite et de haut en bas: feuilles palmatifides de la Renoncule à petites fleurs (Ranunculus parviflorus), composées pédalées de l'Hellébore fétide (Helleborus foetidus), composées paripennées (ou imparipennées si on considère que les vrilles comptent pour des folioles!) de la Vesce des haies (Vicia sepium) et tripennatiséquées du Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris).
D'autres leçons de botanique consacrées aux feuilles sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (1): feuilles simples
- Le vocabulaire de la botanique (3): pétiole et phyllotaxie
Pour aller plus loin:
- Les formes foliaires sur Wikipédia
- Description générale de la feuille sur le site des Jardins du Gué
Dactyle aggloméré, Poitiers bords de Boivre
Holmes, vous ne résoudrez jamais cette enquête...Il est vrai que l'examen attentif d'un brin d'herbe revient un peu à tenter de couper un cheveux en quatre: les Poacées sont passées Maîtres dans l'art de la miniaturisation. Chez elles, le vent fait office de butineur et la danse des minuscules pièces florales tient lieu de parade nuptiale. C'est un chef d’œuvre de mécanique de précision qui attend l’observateur persévérant! Je vous recommande de (re)visiter notre article consacré à leurs inflorescences et au vocabulaire associé avant de vous lancer à la rencontre de notre Sauvage du jour.
(Sherlock Holmes, Guy Ritchie)
S’il était allergique aux graminées, ça le rendrait plus attachant je trouve.Dactylis glomerata est une plante riche en protéines. Si ses touffes grossières sont considérées comme de vulgaires herbes folles au jardin, la Sauvage est une fourragère appréciée dans les prairies de fauche ou les pâturages. Sa résistance à la sécheresse rend sa culture aisée (elle ne craint guère que l'humidité et quelques maladies cryptogamiques, dont le célèbre Ergot du seigle), pour le plus grand bonheur des éleveurs, mais aussi pour celui des vendeurs de mouchoirs: le pollen de Dactylis glomerata, hautement volatile, est en partie responsable des concerts d'éternuements et des rivières de larmes de ceux qui souffrent du rhume des foins à la belle saison!
(L’âge de glace, Chris Wedge et Carlos Saldanha)