Lunaire annuelle ou Monnaie-du-Pape, Poitiers
Lunaria annua (Lunaire annuelle ou Clefs-de-montre en poitevin saintongeais) appartient à la grande famille Brassicaceae (ex Crucifères, pour leurs fleurs en croix), aux côtés des célèbres choux, colzas, radis, navets, roquettes ou moutardes... La Sauvage doit son nom à ses fruits circulaires (un botaniste dirait «orbiculaires»), ronds comme la lune. Lorsqu'ils s'ouvrent en automne, subsiste la cloison centrale seule, quasi translucide. Outre manche, on nomme la Sauvage Honesty («honnêteté»), pour ses sachets de graines transparents qui ne mentent pas quant à leur contenu!
Siliques de la Lunaire annuelle: on parle plutôt de silicules lorsque ceux-ci sont aussi large que haut, ce qui est la cas ici.
Tous les trésors ne sont pas d'argent et d'or...
(Pirates des Caraibes - la malédiction du Black Pearl, Gore Verbinski)
Mais peut-être vous a-t-on présenté la Sauvage sous un autre nom: si elle est la Lunaire annuelle pour les poètes et les loups garous, elle est plus connue auprès des banquiers et des curés comme étant la Monnaie-du-Pape! Peut-être pour plaisanter sur le côté factice de ce trésor, à l'image des pièces frappées par l’État pontifical qui avaient peu de valeur en dehors de leur juridiction... D'autres auraient dit Chinese coins («pièce de monnaie chinoise», c'est à dire pas grand chose), un des noms de la Sauvage aux États-Unis. L'expression des richesses de Dame Nature étant généralement regardée d'un œil suspicieux — quand bien même celles ci prennent l'apparence d'argent sonnant et trébuchant — Lunaria annua est également surnommée Médaille de Judas: une référence aux pièces d'argent que Judas reçu pour trahir Jésus. Mauvaise herbe, mauvaise monnaie?
Lunaire annuelle, Poitiers bords de Boivre
Mais revenons à notre latin: Lunaria annua, comme son nom ne l'indique pas, est une bisanuelle (c'est pourquoi certains préfèrent la nommer Lunaria biennis). Elle produit de larges feuilles la première année (un peu à l'image de l'Alliaire officinale, une autre brassicacée), puis dresse ses tiges fleuries (jusqu'à 1 mètre de hauteur) au printemps la deuxième année.
Feuilles de la Lunaire annuelle la première année: longuement pétiolées, ovales, cordiformes, inégalement (plus ou moins) et grossièrement dentées.
Lunaria annua apprécie les sols riches et bien drainés. Si la Sauvage est originaire du bassin méditerranéen, elle s'est naturalisé de partout sur la planète en climat tempéré (son expansion doit beaucoup à son importation dans les jardins d'ornement). Notons toutefois que Lunaria annua n'est pas une espèce problématique ou envahissante, malgré ses semis spontanés efficaces qui assurent la pérennité de ses colonies d'une année à l'autre.
Lunaire vivace (Lunaria rediviva), l'autre sélénite!
Il existe une autre Lunaire vivace, Lunaria rediviva aux feuilles finement dentées, toujours pétiolées (les feuilles supérieures de Lunaria annua sont sessiles), aux fleurs odorantes et aux fruits lancéolés. Mais la répartition de Lunaria rediviva reste très limitée: on peut la dénicher, avec beaucoup de chance, à l'ombre des forêts pyrénéennes, alpines, du Massif central ou de l'extrême est de la France (elle est placée sous un statut de protection dans bon nombre de régions françaises, et n'a jamais été recensée à l'état sauvage en Poitou).
Fleurs pourpres et inodores de la Lunaire annuelle: 4 grands pétales en croix et 4 sépales dressés.
Moi je veux des clairs de lune, des fleurs, des douceurs et des mecs qui me serrent dans leurs bras!
(Grey’s Anatomy, Shonda Rhimes)
Lunaria annua intéresse les papillons, et plus particulièrement certains Piéridés qui ont pour habitude d'abandonner leur progéniture aux bons soins des Brassicacées. Ainsi, il n'est pas rare de voir l'Aurore (Anthocharis cardamines) marcher sur la Lune; un papillon de jour dont on a déjà conté quelques amours, us et coutumes dans les articles consacrés à la Cardamine des prés (Cardamine pratensis) et à l'Alliaire officinale (Alliaria petiolata).
Une cartographie de la Lune dessinée à même la Lunaire annuelle par une «Mineuse», la larve d'une petite mouche (peut-être Liriomyza brassicae qui se régale des feuilles de certaines Brassicacées).
Lunaria annua est comestible, bien que très amère, riche en vitamine C. Mais la Sauvage doit surtout sa réputation à sa beauté plastique: ses cultivars monstrueux (dans le sens botanique, je n'ai rien contre eux) aux fleurs blanches ou aux feuilles veinées de blanc sont aujourd'hui «monnaie courante» dans les parcs et les jardins. Ses fruits circulaires, lorsqu'ils ne sont pas picorés par les oiseaux, sont récoltés pour dresser de jolis bouquet secs, évoquant une guirlande de lunes aux uns ou une bourse bien remplie aux autres!
Pour aller plus loin:
- Lunaria annua sur Tela-botanica
Monnaie-du-Pape: je suis riche!
Les botanistes sont souvent passés maîtres dans l'art de ranger. Non pas qu'il soient devenus des champions de Tetris à force de remplir des herbiers, mais plutôt parce que l'approche naturaliste repose beaucoup sur la reconnaissance de ce qui ressemble (on range dans le même tiroir) et de ce qui diffère (c'est le moment d'ouvrir un nouveau tiroir!).
Jusqu'en 1998, la classification dite «classique» des végétaux se basait sur les particularités morphologiques évidentes des plantes (ce qui reste une approche très pertinente sur le terrain). Après cette date, c'est une classification dite «phylogénétique» qui prend le relais (APG): l'approche génétique permet de prendre en compte les liens de parenté entre les végétaux au delà de leur apparence, et de mieux comprendre leur histoire. Cette classification moderne fut révisée, ou plutôt affinée, en 2003 (APG II), en 2009 (APG III) puis en 2016 (APG IV)... Nul doute qu'elle le sera encore à l'avenir!
Mille pardons, messer. Je devais effectuer un léger changement à mon blason afin qu’on ne me confonde pas avec mon méprisable cousin.
(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Bref, classer les plantes revient en quelque sorte à tracer des arbres généalogiques, à déterminer qui ressemble à qui, qui est parent avec qui, à étudier les traits propres (les «armoiries») de chaque lignée de Sauvages.
A chaque Sauvage correspond une espèce. Les membres d'une même espèce se ressemblent comme deux gouttes d'eau et sont interféconds entre eux. Les espèces sont regroupées en genres. Les membres d'un même genre affichent aussi des traits communs évidents, quoique plus lointains. Leurs similitudes rend toutefois les hybridations possibles. Les genres sont regroupés en familles, puis les familles en ordres, etc.
Je me souviens de votre père racontant autour d’un feu de camp comment sa maison avait obtenu son blason...(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Je veux de nouveau sentir le vent dans mes cheveux!Les membres de cette famille royale produisent souvent des semences à soies (des akènes équipés pour le vol, comme le célèbre «pompon» du Pissenlit) que le vent emporte à la conquête de nouveaux territoires.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Étaient-ils vingt, étaient-ils vingt mille?... Sous les arbres se massaient tous les sauvageons du monde.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
A quoi servent les amis riches s’ils ne mettent leurs richesses à votre disposition?C'est pourquoi on retrouve dans leurs rangs de nombreux «engrais verts»: Trèfles (Trifolium spp), Luzernes (Medicago spp), Vesces (Vicia spp), Gesses (Lathyrus spp), mais aussi des stars du potager comme les Fèves, les Haricots ou les Pois... Autant de Sauvages ou de plantes domestiquées qui renferment leurs fruits dans des gousses (un fruit sec qui s'ouvre par deux fentes).
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Et puis il y a les roses. Quel parfum délicat, les roses, n’est-ce pas? Surtout lorsqu’il y en a tant. Cinquante, soixante, soixante-dix mille roses... Je ne saurais vraiment dire combien il en reste, mais trop pour que je me soucie de les dénombrer, de toute façon.Le clan Rosacée fait preuve d'une indéfectible loyauté envers l'homme: cette famille fournit l'essentiel des fruits consommés en zone tempérée. La pomme est peut-être sa plus grande réussite (c'est le fruit le plus consommé au monde après les agrumes et la banane). Et puisque l’amour et les lois de l’attraction sont à l'origine de tout fruit, n’oublions pas la Rose, son indétrônable ambassadrice des parcs et des jardins, qui compte plus de 40.000 variétés!
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Les gardes postés aux portes du château portaient des justaucorps de cuir et avaient pour emblème deux masses de guerre croisées sur une croix blanche en forme de X.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Laiteron potager, Poitiers bords de Boivre
Sonchus oleraceus (Laiteron potager ou Laitrin en poitevin-saintongeais) appartient à la famille Asteraceae, les plantes aux très nombreuses fleurs réunies en de gros «capitules» (un observateur non averti risque de considérer le capitule comme une fleur unique, mais c'est un trompe l’œil), telles que les Pâquerettes, Marguerites, Pissenlits... C'est d'ailleurs aux grosses fleurs jaunes de ces derniers qu'on risque de penser en croisant le Laiteron: comme chez le Pissenlit, chacune des nombreuses fleurs constituant le capitule est une simple languette (on dit qu'elles sont toutes «ligulées»).
Laiteron potager: des bractées appliquées parsemées de poils mous (parfois glabres).
Te caille pas le lait mon Patrick, je boirai du Nesquik!
(Camping, Fabien Onteniente)
Si l'on casse les tiges lisses et épaisses de la Sauvage, un suc blanc, laiteux et collant s'en écoule. Il n'en fallait pas moins à l'homme pour offrir à la Sauvage son nom: Laiteron. Les botanistes préféreront peut-être la désigner par son nom latin, Sonchus, qui évoque une autre plante, un Chardon, dans une langue ancienne et oubliée (l'elfique?... Plus probablement une vieille langue méditerranéenne). S'il est vrai que certains Laiterons ressemblent un peu aux chardons, ils n'en ont pas le piquant.
Le latex de Sonchus oleraceus ne semble pas avoir de propriétés unanimement reconnues (des dermites de contact sont possible chez certaines personnes sensibles, prudence). Certains l'auraient utilisé autrefois en application pour traiter les verrues... Une médication sans doute un poil fantaisiste, mais qui a le mérite de soulever une question à laquelle la crème de l’ethnobotanique devra répondre un jour: pourquoi diantre, dès qu'une Sauvage transpire un latex quel qu'il soit, l'homme cherche-t-il à s'en badigeonner les verrues?!
Laiteron potager, Poitiers quartier gare: le lait de la rue.
Sonchus oleraceus est une annuelle des jardins familiaux, des cultures, des vergers et des terrains vagues. Elle affectionne l'humidité, ainsi que les excès d'azote inhérents aux amendements et à la pollution automobile: elle fait partie du top 10 des Sauvages les plus observées dans nos cités selon les données fournies par le programme Sauvages de ma rue.
Des coulures de lait sur le Laiteron potager? Que nenni, ces lignes sinueuses et blanchâtres sont des galeries creusées par la larve d'une petite mouche dite «mineuse», de la famille des Agromyzidae, qui se régale des feuilles de la Sauvage. Il existe de nombreuses espèces de «mineuses», la plupart étant très spécifiques dans le choix de leur plante hôte.
Au-delà de ses fleurs, aucun risque de confondre le Laiteron avec un pied de Pissenlit: il dépasse largement le mètre de hauteur à maturité. Mais dans la famille, d'autres membres à la stature imposante et aux fleurs jaunes de type «Pissenlit» peuvent égarer l'apprenti botaniste. On remarquera chez Sonchus oleraceus les feuilles supérieures glabres, molles, découpées en lobes aigus (les lobes se chevauchent parfois), qui embrassent la tige par deux oreillettes droites.
Jeune rosette de Laiteron potager, Poitiers bords de Boivre
Un autre Laiteron commun, à l'allure proche, fréquente les mêmes bords de trottoirs: Sonchus asper ou le Laiteron épineux. Ce dernier se différencie du Laiteron potager par ses feuilles (aux découpes assez variables) robustes et brillantes comme du plastique, presque épineuses sur les bords, qui embrassent la tige via deux oreillettes enroulées sur elles-mêmes.
Laiteron épineux: des oreillettes enroulées sur elles-mêmes et des bractées recouvertes de courtes épines molles.
Si le Laiteron est «potager», c'est parce qu'il fut cultivé (ainsi que le Laiteron épineux) par l'homme dès l'antiquité, consommé en salade ou cuit comme les épinards. Plus récemment, les Laiterons furent surtout considérés comme d’excellentes plantes fourragères, de l'«herbe à lapin» (un des ses surnoms) ou un met de premier choix pour le bétail: ses feuilles sont riches en vitamine C, en glucides et en protéines. Le Laiteron serait donc un légume oublié avant que d'être de la mauvaise graine, encore un me direz-vous, qui peut rejoindre les rangs des oubliés des assiettes aux côtés des Pissenlits, de la Grande Ortie ou de la Grande Mauve...
Si les Laiterons sont aujourd'hui passés de mode au potager, le sol conserve un véritable stock de graines constitué au fil des siècles; des semences qui ne demande qu'à exploser dès que la terre est retournée par l'homme (labours ou chantiers). Il faut dire que la Sauvage affiche une efficacité industrielle, propre au clan Asteraceae, quand il s'agit de reproduction: un seul pied peut produire plusieurs dizaines de millier de graines à la belle saison (de petits akènes que le vent disperse).
Akène ovale et écrasé, aux soies lisses, du Laiteron potager pris au piège d'une toile d'araignée.
Les Laiterons ont un goût nettement moins amer que celui des Pissenlit (s'ils sont parfois amers, c'est qu'ils ont poussé dans des conditions difficiles). En salade, on préférera les jeunes pousses, et surtout les feuilles souples du Laiteron potager; celles du Laiteron épineux deviennent rapidement coriaces avec l'âge, voir franchement épineuses. Les petits capitules, en bouton ou en fleur, peuvent rejoindre les feuilles dans les salades, pour le plaisir des papilles comme celui des yeux. Quant à vos recettes maisons, elles sont les bienvenues, n'hésitez pas à les partager via le fil des commentaires!
Il y a les Laiterons des ville, et le Laiteron des champs (Sonchus arvensis)! Ce dernier est une vivace qui affectionne les sols engorgés d'eau. Il se distingue par les nombreux poils glanduleux jaunes qui recouvre ses bractées.
Pour aller plus loin:
- Sonchus oleraceus sur Tela-botanica
- Sonchus oleraceus : identification assistée par ordinateur
- Sonchus asper sur Tela-botanica
- Sonchus asper : identification assistée par ordinateur
- Sonchus arvensis sur Tela-botanica
- Sonchus arvensis : identification assistée par ordinateur