On qualifie notre Sauvage d'annuelle pour la différencier de sa fausse jumelle, la Mercuriale vivace (Mercurialis perennis) qui préfère les sous bois ombragés et ne fleurit qu'au printemps (cette dernière se distingue par sa racine traçante et son port non ramifié).
Mercuriale vivace, Poitiers bords de Boivre
De son côté, la Mercuriale annuelle s'installe sur les sols riches en azote (pollution ou amendements agricoles), maltraités, les terres retournées ou laissées à nue et fleurit quasiment toute l'année... Si l'on observe les fleurs de la vivace que pendant une courte saison, l'annuelle fleurit quasiment toute l'année dans les milieux habités par l'homme!
Monsieur Mercuriale annuelle, Louhossoa (64)
Mercurialis annua est dioïque: on distingue des pieds mâles qui brandissent leurs petites fleurs vertes au bout de longs épis, et des pieds femelles, aux fleurs cachées sous l'aisselle des feuilles (quelques rares spécimens âgés peuvent présenter les deux sexes).
Madame Mercuriale annuelle, Poitiers bords de Boivre
Mercurialis annua peut compter sur le vent pour propager son pollen. Mais elle n'est guère aidée par les butineurs: il n'y a pas de nectar à récolter dans ses fleurs discrètes. De leur côté, les abeilles en quête de pollen se contentent de fréquenter les pieds mâles (de ce point de vue, les mâles sont de bonnes mellifères pour l'arrière saison).
La Sauvage possède un autre atout pour assurer sa reproduction: lorsque le pollen est mûr, les tissus du pied mâle se gorgent d'eau jusqu'à l'explosion, projetant le pollen sur les femelles alentours pour les féconder (la projection se déclenche généralement le matin, profitant de la rosée). En somme, chez la Mercuriale, l'homme jette un bouquet de fleurs à sa promise pour lui faire la cour.
Feuilles de la Mercuriale annuelle: opposées, dentées ou crénelées, elliptiques lancéolées.
Le fruit résultant de l'idylle entre Monsieur et Madame Mercuriale est muni de poils crochus. Il peut s'accrocher aux poils des animaux ou des randonneurs de passage pour se propager sur le territoire (epizoochorie). Les fourmis raffolent également d'une substance que renferme une petite excroissance charnue sur la graine (élaïosome). Elles emportent les fruits jusque dans leur fourmilière pour en extraire la manne, avant de les rejeter un peu plus loin (myrmécochorie)...
La Sauvage doit son nom à Mercure, Dieu protecteur des voyages chez les romains. J'aime raconter que son nom lui vient de sa faculté à voyager à travers le pays, à dos d'homme, de bête ou de fourmi... Mais cette interprétation est sans fondement. C'est en tout cas un bon moyen pour se souvenir de son nom, comme de certaines de ses spécificités botaniques!
- J'ai tout de même pas mal voyagé, ce qui me permet de vous dire, en connaissance de cause, que votre patelin est tarte comme il est pas permis, et qu'il y fait un temps de merde.
- Je suppose que Monsieur plaisante?
- Absolument pas.
(Un singe en hiver, Henri Verneuil)
Monsieur (au premier plan) et Madame (derrière)
Mercuriale annuelle, Poitiers bords de Clain
Les deux Mercuriales (l'annuelle et surtout la vivace) sont toxiques pour l'homme comme pour les animaux.
La Mercuriale annuelle a autrefois été utilisé comme remède purgatif, ou pour couper la montée de lait des nourrices. Des recettes fortement déconseillées; mieux vaut garder la Sauvage loin des assiettes... Et rester simple spectateur du sitcom qui raconte les amours de Monsieur et Madame Mercuriale au jardin tout au long de l'année!
Fleurs mâles (gauche) et femelle (droite) de la Mercuriale annuelle
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte la Mercuriale annuelle au micro de France Bleu Poitou
- Mercurialis annua sur Tela-botanica
- Mercurialis perrenis sur Tela-botanica
Mercuriale annuelle déformée par une rouille. Le cycle biologique de ce genre de maladie fongique se déroule généralement sur deux hôtes différents: ici, Melampsora pulcherrima qui a pour hôtes la Mercuriale annuelle et divers Peupliers (Melampsora rostrupii, une autre espèce, a pour hôtes la Mercuriale vivace et divers Peupliers).
Benoîte des villes, Poitiers bords de Boivre
Geum urbanum (Benoîte des villes) apparient aux Rosaceae, une famille qui joue un rôle central dans l'alimentation (et donc l'économie) humaine; il s'agit du clan des fraisiers, mûriers, framboisiers, mais aussi de célèbres géants comme les cerisiers, pommiers, pêchers, pruniers...
Son nom savant Geum vient du latin Geuô qui signifie «j'assaisonne», à cause de la saveur de clou de girofle dégagée par son rhizome; quant à l'appellation urbanum, «l'urbaine», elle le doit peut être à son affection pour les friches et les décombres... A vrai dire, c'est surtout le moyen de la démarquer de ses deux sœurs de sève, la Benoîte des ruisseaux (Geum rivale) et la Benoîte des montagnes (Geum montanum)!
Si vous n’aimez pas la mer... Si vous n’aimez pas la montagne... Si vous n’aimez pas la ville: allez vous faire foutre !
(À bout de souffle, Jean-Luc Godard)
Fleur de la Benoîte des villes: 5 pétales arrondis, 5 sépales pointus et tournés vers le bas autour de 30 à 60 étamines.
Geum urbanum est une vivace qui s'installe généralement sur des terres riches en humus, à l'ombre des forêts, des lisières ou des haies. Son rhizome traverse la saison hivernale caché sous terre; ses fleurs à cinq pétales (c'est toujours le cas chez les Rosaceae) apparaissent entre juin et août.
Ses fruits crochus s'accrochent aux poils des animaux et aux bas de pantalon des promeneurs... Un excellent moyen de propager ses semences loin de leur point de départ! La botanique réserve un nom à ce mode particulier de dissémination, via les plumes, les poils ou les vêtements des animaux (que nous sommes): épizoochorie.
Les fruits crochus de la Benoîte des villes: des dizaines d'akènes prêts à agripper vos bas de pantalon.
J’ai vu l’Exorciste 2747 fois! À chaque fois je me marre comme un bossu, qu’est ce qu’il est chouette ce film nom de Dieu!
(Beetlejuice, Tim Burton)
Son nom courant Benoîte est un hommage à Saint Benoît, fondateur de l'ordre bénédictin. Il faut dire que la plante a longtemps été considérée comme une bénédiction végétale: les moines allaient jusqu'à utiliser la plante dans les rituels d'exorcismes pour chasser le diable et son gang! La consommation de Geum urbanum était réputée pour calmer les ardeurs... Jusque dans les monastères où la tisane permettait d'apaiser les fantasmes mal venus des religieux.
Feuilles basales divisées et dentée de la Benoite des villes, Poitiers bords de Boivre
Toujours
est-il qu'on lui reconnait certaines vertus médicinales, à tel
point qu'ici et là, on continue de la désigner par des noms tels que
Herbe de sang, Herbe de cœur ou Herbe de fièvre. La tisane des partie souterraines de Geum urbanum est calmante, légèrement sédative, digestive et astringente (asséchante et anti-diarrhéique). Selon la coryance populaire, mâchouiller un bout de rhizome (nettoyé et séché) - comme on mâchouillerait un clou de girofle - soulagerait les maux de dents; j'imagine que son parfum évoque à certains une séance chez le dentiste? Quoi qu'il en soit, l'odeur du clou de girofle, comme le son de la fraise dentaire, suffira peut-être à mettre en fuite le diable s'il venait à passer!
Benoîte des villes, Poitiers quartier gare
Geum urbanum aurait également un effet bénéfique sur la lactation des ruminants. Jadis, les paysans du Poitou la fauchaient sur les bords des routes pour la donner aux vaches et booster leur production. Les jeunes feuilles de Geum urbanum sont comestibles, crues en salade. Leur parfum reste subtil. En revanche, les rhizomes charnus de la Sauvage, nettoyés, découpés et mis à sécher à l'ombre, dégagent un léger parfum: ceux-ci peuvent remplacer les clous de girofle dans les recettes (il faut cependant compter d'avantage de parties souterraines de Geum urbanum qu'il faudrait de clous de girofles). Autrefois, on laissait macérer pendant une bonne semaine des rhizomes de Geum urbanum (50 grammes) et quelques zestes d'oranges dans du vin rouge (1 litre) pour produire une boisson aromatisée, sorte de version sauvage du célèbre vin chaud de nos marchés de Noël... Happy and wild Christmas!
Benoîte des villes: sur les tiges, notez les deux stipules foliacées presque aussi grandes que les feuilles elles mêmes!
Pour aller plus loin:
- Geum urbanum sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Chez les Benoites, la ponte d’un acarien spécifique (Cecidophyes nudus) peut provoquer des boursouflures sur les feuilles (une «galle»).
Fleur du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium (Cyclamen à feuille de lierre ou Cyclamen napolitain) appartient à la famille Primulaceae, au côtés de fleurs précoces et printanières comme le Primevère acaule, ou le Coucou (Primus en latin signifiant premier)... Mais la précocité ne fait pas règle dans ce clan, puisque Cyclamen hederifolium choisit le début de l'automne pour pointer le bout de ses fleurs roses ou blanches.
La Sauvage doit son nom à la racine grecque kyklos, «cycle». Cyclamen hederifolium affiche une géométrie circulaire remarquable, que ce soit au niveau de sa partie souterraine (tubercule) en forme de disque, de ses jeunes pousses qui se déroulent avant de déployer leur fleur, puis finalement s'enroulent en spirale pour déposer la graine au sol.
Le grand livre de la nature était écrit dans la langue des droites, des cercles, la langue de la géométrie et des mathématiques.
(Galiléo Galilée)
Jeune pousse du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium est une Sauvage méditerranéenne; elle est très commune en Corse, où les anciens portaient les tubercules déterrés en ceinture pour tenir à l'écart les mauvais sorciers (Cap Corse). La grande rusticité de la vagabonde (elle ne craint ni le froid, ni la sécheresse) lui a permis de remonter vers le Nord; elle s'est aujourd'hui naturalisée dans le centre, l'ouest de la France et même au-delà, jusqu'en Grande Bretagne (d'une île à l'autre), où elle pousse à l'ombre des haies ou des forêts, de préférence sur des sols humifères et frais.
Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Bellejouanne
Cyclamen hederifolium est une vivace à tubercule. Cet organe circulaire et charnu assure les réserves de la plante pendant la période de repos végétatif — c'est à dire pendant la belle saison.
Tubercule du Cyclamen à feuille de lierre sur le point d'être replanté au jardin...
Les fleurs odorantes de Cyclamen hederifolium paraissent bien avant les feuilles marbrées de blanc; ces dernières ressemblent vaguement aux feuilles du Lierre grimpant (Hedera helix), à l'ombre duquel la Sauvage aime se cacher.
- Cartapus est une professionnelle, c'est la reine du camouflage.
- Quand je regarde comme ça, on me voit. Si je regarde comme ça, on me voit plus. On me voit, on me voit plus. On me voit, on me voit plus.
- Superbe.
(Astérix et Cléopâtre, Alain Chabat)
Cyclamen à feuille de lierre et Lierre grimpant mélangés,
Saurez-vous les reconnaître?
Bien sûr, reconnaitre les feuilles du Cyclamen « à feuille de lierre » au milieu d'un tapis de Lierre grimpant n'est pas chose difficile... Certains observateurs reconnaissent même, au centre des feuilles de notre Sauvage, un motif caractéristique en forme de sapin de Noël!
Si l'hiver est clément, les feuilles de Cyclamen hederifolium forment un couvert hivernal élégant, avant de disparaitre au printemps suivant (contrairement à d'autres espèces de Cyclamen, comme Cyclamen purpureum, dont les feuilles en forme de cœur persistent une grande partie de l'année).
Feuilles du Cyclamen à feuille de lierre: limbe irrégulier, anguleux, marqué de blanc.
Cyclamen hederifolium est toxique pour l'homme; son usage médicinal ancien (en tant que purgatif) est resté marginal et périlleux. La Sauvage contient de la cyclamine, une substance aux propriétés proches du curare, surtout concentrée au niveau de son tubercule; le suc de la plante a même été utilisé jadis pour empoisonner des flèches (la cyclamine, en injection sous cutanée, peut provoquer une paralysie musculaire)!
Fruit (capsule ronde) du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Chilvert
Pour aller plus loin:
- Cyclamen hederifolium sur Tela-botanica
Cyclamen à feuille de lierre : au bal de l'automne...