Hellébore fétide, Vouneuil-sous-Biard (86)
Helleborus foetidus (Hellébore fétide, Pied-de-griffon ou Herbe-à-pointes en poitevin saintongeais) appartient au vaste clan Ranunculaceae, dont les membres sont souvent réputés pour leur toxicité. Le Sauvageon fait honore au clan jusque dans son nom, puisque Helleborus vient du grec helein, «faire périr» et bora, «pâture» ou «nourriture»: il est potentiellement mortel pour l'homme. D'un autre côté, le «fétide» ne risque guère de tromper les gourmands, ses feuilles froissées dégageant une odeur peu amène.
Hellébore fétide, Poitiers quartier Bellejouanne
Helleborus foetidus est une vivace qui s'affiche en hiver, dans les forêts clairsemées, les lisières forestières, les haies... Bref, les sols riches en matière organique, plutôt secs, où percent un minimum de lumière. Au cœur des paysages dégarnis de la basse saison, le Sauvageon attire inévitablement les regards; il faut dire que son allure excentrique et ses fleurs pendues comme des clochettes détonnent (ses fleurs en cloches sont un moyen de prémunir ses organes sexuels des dégâts que pourraient causer les chutes de neige).
L'hiver s'installe doucement dans la nuit,
La neige est reine à son tour.
Un royaume de solitude,
Ma place est là pour toujours...
(La Reine des neiges, Disney)
Feuille composée pédalée et dentée de l'Hellébore fétide, Poitiers quartier Bellejouanne
Ah? Parce que vous comptez organiser un grand festin ici?
(Le grand chef, Henri Verneuil)
Hellébore fétide: pas besoin de moon boots!
Les fruits qui pointent au cœur des sépales sont équipés d'une excroissance (élaïosome) dont raffolent les fourmis. Ces dernières emportent les graines jusque dans leur fourmilière (ou abandonnent leur fardeau en cours de route) pour en extraire la manne; le Sauvageon profite du voyage pour propager ses rejetons sur le territoire.
Fruits (follicules) de l'Hellébore fétide, Poitiers bords de Boivre
En un temps où l'homme n'était guère à un empoisonnement près, Helleborus foetidus aurait été utilisé pour traiter les cas de démence (ainsi que dans certains rituels d'exorcisme)... Peut-être que certains d'entre vous se souviennent avoir récité un jour ces quelques vers:
Rien ne sert de courir; il faut partir à point:
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
«Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt? Êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger:
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.
- Sage ou non, je parie encore.»
(Le Lièvre et la tortue, Jean de La Fontaine)
Le Lièvre utilise sans doute une expression en vogue à l'époque, «il vous faut purger avec quatre grains d'ellébore», invitant la tortue à soigner ses folles ambitions via une thérapie végétale lourde (avec quatre grains — ou quatre mesures — d'une telle potion, la tortue risque surtout de reposer d'un sommeil raisonnable et définitif!).
Même le génial Peyo y va de sa référence dans Les Schtroumpfs noirs, où le Grand Schtroumpf tente de guérir, à l'aide de la Sauvage, un mal mystérieux et contagieux qui rend fou les habitants de son village!
Les Schtroumpfs noirs (Peyo, 1963)
A vrai dire, il est difficile de savoir à quoi faisait référence nos ancêtres (et le Grand Schtroumpf) lorsqu'ils parlaient d'«Ellebore»: Helleborus foetidus (Hellébore fétide), Helleborus viridis (Hellébore vert), Helleborus niger (Hellébore noir, la célèbre Rose de Noël) ou même Veratrum album (Varaire, parfois surnommé Hellébore blanc)? Et quelle que soit la plante qu'ils récoltaient, il est encore plus difficile de comprendre en quoi la médication pouvait soulager la folie. Le voyageur et botaniste français Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) proposait une hypothèse malicieuse: les documents les plus anciens racontent que c'est autour de la ville d'Anticyre que les grecs récoltaient l’Hellébore pour soigner les mélancoliques (on dit aussi qu'un habitant de cette cité soigna Hercule de la démence grâce à la plante). Pour Tournefort, la guérison ne venait peut être pas du végétal: la beauté enchanteresse d'Anticyre et la magnificence du paysage alentour suffisaient sans doute à influencer positivement les esprits qui s'y promenaient!
Si vous avez de la peine, si la vie est méchante avec vous, réfugiez-vous au cœur de la forêt, elle ne vous décevra jamais.
(Sissi, Ernst Marischka)
Si son usage médical périlleux est vite tombé aux oubliettes, Helleborus foetidus a longtemps conservé une aura de magie. Avec sa dégaine abracadabrante, le Sauvageon a alimenté nombre de superstitions croustillantes: on le pendait dans les porcheries, les étables ou les bergeries pour éloigner les maladies, les serpents, les rats ou les crapauds (accusés de téter les chèvres!); on disait de la poudre confectionnée à partir de ses racines qu'elle pouvait rendre invisible le sorcier qui la piétinait... Mais gare aux apprentis mages: c'est dans les racines que se concentre la plus grande dangerosité (70g de racine sèche suffisent à tuer un bœuf... Et je vous laisse consulter les commentaires sous cet article quant aux risques de contact avec sa sève).
Hellébore fétide, un forestier qui apprécie la lumière.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Hellébore fétide au micro de France Bleu Poitou
- Helleborus foetidus sur Tela-botanica
Lierre grimpant, Poitiers bords de Clain
Hedera helix (Lierre grimpant ou Herre en poitevin-saintongeais) appartient au clan Araliaceae. Si cette famille exotique compte 1300 espèces à travers le monde (essentiellement des arbres, des buissons et des lianes, dont le célèbre Ginseng), elle ne disposait jusqu’ici que d’une unique espèce indigène sur le sol français, mais pas des moindres : le Lierre grimpant. La classification récente lui accorde la compagnie de quelques Hydrocotyles, des plantes aquatiques ou semi-aquatiques.
Hedera vient du latin hedea, la «corde»; helix est la «spirale». Hedera helix évoque le lasso tournoyant des jeunes rameaux à la recherche d'un support à cramponner. Car il n'aura échappé à personne qu'Hedera helix est une liane grimpante. Pour certains, c'est une liane arbustive, pour d'autres, une liane arborescente. Alors, le Lierre grimpant: arbuste ou arbre? Le suspens repose sur les caractéristiques étonnantes du sauvageon... Difficile, à première vue, de le considérer comme un arbre: il est incapable de tenir debout tout seul. Et pourtant, Hedera helix peut atteindre une hauteur de 30 mètres de haut. La durée de vie d'un seul pied peut dépasser le siècle! Dans les bois, notre regard admiratif se pose généralement sur les grands arbres centenaires, plutôt que sur le Lierre grimpant, omniprésent... Mais derrière un pied de Lierre se cache peut être un des grands doyens de la forêt.
Ses tiges ligneuses peuvent épaissir jusqu'à 20cm de diamètre... C'est beaucoup et c'est peu, si on considère la longueur potentielle du végétal (jusqu'à 30 mètres). Son bois blanc, dur et léger, fournit une ressource honorable en ébénisterie ou en vannerie.
Pied ligneux et épais du Lierre grimpant, Migné-Auxance (86)
Lierre grimpant, une explosion de vie au cœur des villes (Rochefort, 17)
Hedera helix est une Sauvage coriace, qui se contente de trois fois rien (elle a toutefois besoin de soleil et d'un sol riche pour fleurir). Son développement aisé sur terre ou en l'air, en tout lieu, crée des couloirs de circulation et d'échange pour la faune urbaine entre les diverses zones de nature (parcs, jardins, friches, etc.).
Enfin, le Lierre grimpant est une plante dépolluante, capable d’absorber dans l'air des éléments dangereux pour l'homme (comme le benzène des gaz d'échappement).
C’est comme si je ne pouvais pas respirer sans toi.
(Grey’s Anatom, Shonda Rhimes)
Parmi les nombreux butineurs qui comptent sur les fleurs tardives du Lierre grimpant, la Collète du lierre (Colletes hederae), une abeille solitaire qui porte le nom de sa plante favorite, en récolte le pollen pour garnir les loges souterraines qui accueilleront ses larves.
S'il est une caractéristique qui illustre la formidable capacité d'adaptation d'Hedera helix, c'est son feuillage aux mille visages. Le Lierre grimpant est une inépuisable source de divertissement pour celui qui cherche des formes inattendues. Souvenez-vous de notre série d'articles sur la reconnaissance des formes foliaires en botanique: plantez-vous devant un vieux pied de Lierre grimpant et vous aurez toute la matière nécessaire pour commencer un entrainement intensif!
Échantillon de la palette infiniment variée des feuilles du Lierre grimpant, Poitiers
On considère deux grands types de feuilles du Lierre grimpant (toutes les nuances intermédiaires sont possibles): les feuilles juvéniles, palmées (3 ou 5 lobes plus ou moins prononcés), et les feuilles des rameaux florifères, ovales et aiguës, voir lancéolées.
Les feuilles palmées optimisent la captation de lumière en zone ombragée: pour rappel, le Lierre grimpant a besoin pour fleurir d'une terre riche en matière organique (un sol de type forestier) et surtout d'un bonne dose de soleil (sans expositions aux photons, le pied reste stérile). Au sommet de son escalade, les feuilles lancéolées offrent une moindre prise au vent, et laissent passer la lumière vers les étages inférieures.
Laissons entrer le soleil, la terre vous dit : hello!
(Charlie et la Chocolaterie, Tim Burton)
Les fruits charnus (des drupes), d'abord verts, murissent en hiver et deviennent noirs; les oiseaux, en attendant le retour du printemps, s'en régalent. Les graines germeront au cour de l'été suivant, une fois tombée au sol.
Fruits charnus (drupes) du Lierre grimpant à la fin de l'automne: les décorations de Noël sont déjà de sortie?
Chez Hedera helix, les fruits et les feuilles (dans une moindre mesure) sont toxiques. Ce n'est pas une des Sauvage les plus virulentes de la forêt; ses feuilles ont même été utilisées autrefois en tant que remède purgatif. À mois d'être un spécialiste en la matière, on s'abstiendra de consommer la Sauvage, sous quelle que forme que ce soit.
Toxique pour l'homme, le Lierre grimpant n'en reste pas moins une aubaine pour la chenille du Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus) au cœur de l'hiver !
Pour rendre un hommage en fanfare au merveilleux Lierre grimpant, et avant de lever le rideau sur une bien curieuse scène de théâtre, je vous propose une toute autre utilisation, garantie 100% inoffensive (à moins que le ridicule tue, mais au dernière nouvelle, ce n'était pas le cas)!
Le sifflet du Shérif (ou nunu en poitevin saintongeais)!
Réunir le matériel suivant:
- Un morceau de branche de Noisetier (15 cm de long sur 1,5 cm de diamètre)
- 3 belles feuilles de Lierre grimpant
- Une étoile de shérif (ingrédient optionnel)
Fendre la branche de noisetier sur 4 cm dans le sens de la longueur. Insérer dans la fente 3 belles feuilles de Lierre grimpant superposées. A l'aide d'une lame tranchante, couper très proprement la partie des feuilles qui dépasse de la branche. Souffler de toutes ses forces! Si le sifflet ne produit aucun son, c'est que nos trois «anches» de Lierre grimpant ont été mal taillées; recommencer, et s'appliquer à une découpe nette et précise. Prêts pour une démonstration?
Personnages:
Lierre grimpant centenaire (rôle tenu par Hedera helix).
Azuré des nerpruns femelle (rôle tenu par Celastrina argiolus).
La scène se déroule dans une haie, l'été, quelque part dans le Poitou.
SCÈNE UNIQUE
LIERRE GRIMPANT
Madame, vous revoilà! Sommes-nous déjà en septembre?
AZURÉ DES NERPRUNS
Eh oui, comme toutes les fins d’été, au moment où vous allez fleurir, je viens vous rendre visite!
LIERRE GRIMPANT
Vous ne me manquiez pas!
AZURÉ DES NERPRUNS, ironique
Vous, si. Savez-vous que vous êtes à croquer, même si pour beaucoup, vous n'êtes qu'un infect poison?
LIERRE GRIMPANT
Ce sont vos flatteries qui sont infectes! Il se dit d'ailleurs que vous pondez sur des dizaines de plantes réparties sur quinze familles!
AZURÉ DES NERPRUNS
Dont vous...
LIERRE GRIMPANT
Trop souvent!
AZURÉ DES NERPRUNS
Mais je vous aime!
LIERRE GRIMPANT
Aimez les autres, faites tourner la liste, dispersez-vous, fichez-moi la paix!
AZURÉ DES NERPRUNS
Allons, raisonnons: vos fleurs et votre feuillage sont si luxuriants et mes larves si modestes que mes affaires à votre égard ressemblent davantage à des chatouilles qu'à de cruelles morsures.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Lierre grimpant au micro de France Bleu Poitou
- Hedera helix sur tela-botanica
- Hedera helix: identification assistée par ordinateur
Lecture recommandée:
- La Hulotte numéro 106 et 107, entièrement consacré au Lierre grimpant
Le Lierre grimpant, ou comment transformer un piquet de clôture en hôtel-restaurant 5 étoiles pour insectes et oiseaux!
Centranthe rouge, Poitiers quartier Chilvert
Centranthus ruber (Valériane rouge ou Centranthe rouge) appartient à la famille Caprifoliaceae, aux côtés des Chèvrefeuilles ou des Symphorines. La Sauvage tire son nom des termes grecs kentron «aiguillon» et anthos «fleur»: ses fleurs rouges ou blanches regroupées en corymbes denses sont toutes prolongées d'un «éperon». En botanique, ce terme renvoie à une extension tubulaire à la base d'une fleur dont la forme rappelle celle des éperons à pointe émoussée que les cavaliers portent à leurs bottes.
Centranthus ruber est une vivace d'origine méditerranéenne (certains la surnomme Lilas d’Espagne). Invitée dans les jardins à des fins ornementales, la belle du midi est aujourd'hui bien présente à l'état sauvage dans tout l'ouest de la France, le réchauffement climatique lui permettant de remonter progressivement vers le nord du pays.
Jeune pousse de Centranthe rouge sur un mur perchée, Poitiers quartier Chilvert
Centranthus ruber aime les sols secs, même les plus pauvres, du moment qu'ils sont bien ensoleillés. On l'observe souvent à même les vieilles pierres des châteaux en ruine et les rocailles exposées plein sud. En ville, elle tient compagnie à la Pariétaire de Judée (Parietaria judaica) sur les murs, et il n'est pas rare d'en trouver jusque dans les graviers au bord des routes.
Feuilles de la Centranthe rouge: opposées, ovales ou elliptiques, lancéolées, entières (ou à peine dentelées), les inférieures pétiolées, les supérieures sessiles.
Je vieillis, docteur. Maintenant, j'ai besoin de chaleur, de soleil... De ciel bleu aussi.
(Le Viager, Pierre Tchernia)
Centranthus ruber pousse en de hautes touffes ramifiées (jusqu'à 1,30 mètre de haut). Ses longues tiges presque lignifiée à la base peuvent courir au sol pour trouver la chaleur et le soleil, qui semblent être ses seules exigences. Insensible aux insolations, elle n’hésite pas à coloniser les murs élevés ou les toits ensauvagés qui lui assurent un accès privilégié vers l'astre solaire. Ses fruits volants, de petits akènes que le vent disperse, lui permettent d'atteindre de nouveaux spots de bronzette sur les hauteurs de la ville.
Dès l'été, le vent disperse les fruits (des petits akènes plumeux) de la Centranthe rouge.
Au printemps, les fleurs rouges, rosés ou blanches de Centranthus ruber sont très mellifères, mais tous n'en profitent pas. Au jardin, la Sauvage est surtout un aimant à papillons: ces derniers sont les plus à même de profiter du nectar caché au fond des éperons de la Sauvage grâce à leur longue trompe (voir notre article consacré aux rôle des papillons dans la pollinisation).
Centranthus ruber est une des fleurs préférées du Moro sphinx - Macroglossum stellatarum -, un papillon qui pratique le vol stationnaire à la manière d'un oiseau-mouche. Quelques espèces d'abeilles solitaires et de bourdons munies de longues langues profitent de la Sauvage à l'occasion. Les bourdons à langue courte peuvent tenter le casse en mordant dans l'éperon pour en dérober le contenu; c'est là un hold-up végétal puisque la fleur fracturée n'est pas pollinisée.
Moro sphinx (Macroglossum stellatarum) et Centranthe rouge.
L'usage médical populaire rapproche Centranthus ruber de sa sœur de sève, la Valériane officinale (Valériana officinalis): les deux Sauvages sont connues pour leur propriétés sédatives et, accessoirement, anxiolytiques (probablement dans une moindre mesure pour Centranthus ruber). Ce sont leurs parties souterraines qui sont utilisées, généralement en tisane ou en lotion relaxante pour le bain.
Si l'intérêt pharmaceutique des deux plantes reste discuté par le corps scientifique, le parfum caractéristique des racines de Centranthus ruber — parfois surnommée Herbe aux chats — se révèle euphorisant et très attractif pour nos félins préférés! Si vous avez la chance d'avoir un bout de jardin bien exposé au soleil, un matou qui s'y promène et que les papillons vous enchantent, la Sauvage vous séduira probablement...
Pour aller plus loin:
- Centranthus ruber sur Tela-botanica
- Centranthus ruber, l'histoire d'une intégration réussie sur le site de Zoom Nature
Corymbes de la Centranthe rouge, tantôt rouges, tantôt blancs!