Gouet d'Italie, Béceleuf (79)
Arum italicum (Gouet d'Italie, Arum d'Italie ou Birette en poitevin-saintongeais) appartient à la famille Araceae, dont les membres (souvent tropicaux) sont plus réputés pour leurs qualités ornementales que pour leur qualités gustatives.
Chez Arum italicum, feuilles et fleurs sont très toxiques et irritantes. Ses gros tubercules ont été consommés, épluchés et bouillis, en période de famine (révolution française), mais en notre ère d'abondance, on retiendra surtout que la Sauvage fait partie de la liste noire des centres anti-poisons. On ne peut pas dire qu'elle soit d'une apparence très appétissante (tout est affaire de goût!), mais elle abonde et ses baies rouges à maturité (entre juillet et aout) peuvent malheureusement tenter la gourmandise des plus jeunes. Le naturaliste anglais Gilbert White note dans son «Histoire naturelle de Selborne» que les grives sont friandes des racines et qu’elles grattent le sol pour les grignoter.
Baies du Gouet d'Italie, Poitiers bords de Boivre
On croise le plus souvent deux Arums très proches dans nos forêt picto-charentaise: Arum italicum (Gouet d'Italie) et Arum maculatum (Gouet tacheté).
Inflorescence du Gouet tacheté, Poitiers bords de Boivre
Plusieurs détails peuvent nous aider à distinguer notre Sauvage «italienne»: chez Arum italicum, les feuilles matures sont triangulaires, le plus souvent hastées (en forme de fer de hallebarde). Elles apparaissent dès l'automne — elles sont bien visibles en hiver — avec des veines blanches plus ou moins marquées. Arum maculatum, le «tacheté», présente des feuilles parfois tâchées de noir (hastées ou sagittées), visibles à partir du printemps. Si les fleurs sont visibles, la tige (spadice) au centre de l'inflorescence est jaune chez Arum italicum, violette (parfois jaune par hypochromie) chez Arum maculatum... Bref, il convient de croiser un maximum de critères pour parvenir à ses fins!
Feuille hastée du Gouet d'Italie...
...Versus feuille sagittée du Gouet tacheté. Attention, les feuilles des deux espèces ne sont pas toujours aussi caricaturales, de nombreux intermédiaires sont possibles!
Arum italicum est une vivace qui se multiplie par son gros tubercule, tout en ressemant spontanément chaque année de nouvelles générations. Elle peut se montrer expansive en terrain forestier, riche en matière organique végétale. Difficile de l'évincer une fois qu'elle s'est installée: elle est capable de repartir depuis le moindre morceau de tubercule laissé en terre.
Inflorescence du Gouet d'Italie, Béceleuf (79)
La curieuse floraison en forme de massue (spadice) a lieu entre avril et mai. La reproduction sexuée d'Arum italicum est forcément croisée (deux plantes sont nécessaires, une plante ne peut se féconder toute seule). Et pour parvenir à ses fins, la Sauvage a mis au point un stratagème digne d'une plante carnivore.
Les vivants puent encore plus que les morts...
(Tremors, Ron Underwood)
Stimulée par les rayons du soleil, Arum italicum laisse échapper une odeur d'excréments et d'urine. Les effluves nauséabonds s'avèrent plaisantes pour les petites mouches qui viennent s'engouffrer jusque dans sa base. Une fois dans la base de l'inflorescence, les mouches se retrouvent piégées: des filaments situés à l'étranglement du «cornet» empêchent les insectes d'en ressortir.
Les mouches capturées s'agitent dans leur prison: ainsi, celles qui sont déjà porteuses du pollen d'un autre Arum fécondent les organes femelles de la plante (1). 24 heures plus tard, les fleurs mâles arrivent à maturité et les insectes captifs se couvrent de pollen (2). Finalement, les filaments flétrissent, libérant les otages qui se jetteront surement dans une autre embuscade végétale, un peu plus loin (3)... Ainsi, d'un kidnapping à un autre, les mouches assurent la fécondation des Arums qu'elles squattent bien malgré elles!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Gouet d'Italie au micro de France Bleu Poitou
- Arum italicum: identification assistée par ordinateur
- Arum italicum sur Tela-botanica
- Le pollinisation des Aracées sur le site de l'INRA
- La fécondation de l'Arum à la loupe sur le blog botanique Sureaux
Pavot de Californie, Poitiers L'îlot Tison
Eschscholzia californica (Pavot de Californie) appartient à la famille Papaveraceae (Pavots, Coquelicots...). C'est une Sauvage particulière: elle n'est pas native des prairies et des forêts du Poitou. C'est une étrangère introduite volontairement — et récemment — par l'homme, à des fins purement ornementales. Mais sa faculté à se resemer spontanément (c'est une annuelle) et sa rusticité font qu'elle a vite franchi les limites décoratives où elle était cantonnée pour retrouver la rue et la liberté.
Jeunes feuilles du Pavot de Californie: pennées, profondément découpées en segments linéaires.
Son nom à coucher dehors, elle le doit à Adelbert von Chamisso, poète allemand, qui voulait rendre hommage à son ami scientifique Johann Friedrich von Eschscholtz. Les compères partagèrent quelques aventures botaniques autour du monde au début du 19ème siècle.
Fleur du Pavot de Californie: 2 sépales (ceux ci tombent lors de la floraison), 4 pétales soyeux, une armée d'étamines!
- Mimisiku c’est pas un nom ça !
- Et Roch Voisine tu crois que c’est un nom ?!
(Un indien dans la ville, Hervé Palud)
Sur son continent nord américain d'origine Eschscholzia californica est une véritable Sauvage, une autochtone, une Indienne! Elle se montre parfois envahissante sur les plaines canadiennes et californiennes — où elle est emblème d'état —, dans les déserts chiliens, ou plus proche de nous, dans le sud-ouest de la France.
Pavot Californien: un petit bout de Californie sur les déserts des parkings français.
Il faut dire qu'Eschscholzia californica se contente de trois fois rien... Non gélive (ses graines seules craignent le gel), elle se satisfait d'une terre pauvre en eau, pourvue qu'elle soit légère et ensoleillée; sa grosse racine pivotante lui permet d'aller chercher en profondeur les ressources dont elle a besoin. Sur les terres du Poitou riches en eau, Eschscholzia californica trouve plus que le nécessaire pour subsister; elle se gave, grossit et s'alourdit parfois exagérément, au point de ne plus parvenir à tenir debout. Ne plus tenir debout: quoi de plus normal pour une Sauvage aux talents d'hypnotiseuse...
Les Amérindiens utilisaient traditionnellement Eschscholzia californica pour traiter maux de tête, maux de dents ou pour aider leurs enfants à s'endormir. On sait aujourd’hui que les parties aériennes fleuries de la plante en infusion (mieux vaut éviter les racines qui contiennent une dose non négligeable de Sanguinarine, toxique) ont des vertus anxiolytiques et sédatives. Eschscholzia californica peut aider ceux qui rencontre des problèmes d'endormissement ou d'insomnies (voir liens ci-dessous pour précautions et détails complets).
Tisane «bonne nuit» du shérif:
- Laisser infuser pendant une dizaine de minutes une grosse cuillère à soupe de parties aériennes d'Eschscholzia californica séchées dans 1/4 d'eau bouillante. Tilleul, mélisse, camomille ou verveine peuvent être associés pour parfumer le goût qui n'est pas désagréable, mais pas extraordinaire non plus!
Pour aller plus loin:
- Eschscholzia californica sur Tela-botanica
- Étude chimique pour une utilisation de la plante sur Phytomania
Pissenlit, Poitiers quartier Chilvert
Taraxacum sect. Ruderalia (Pissenlit, Pissenlit dent de lion ou Cochet en poitevin-saintongeais) appartient aux Asteraceae; tous les membres de ce clan possèdent une multitude de fleurs minuscules regroupées en capitule (ici, le capitule est ce qu'on considère habituellement comme la fleur jaune du Pissenlit, alors qu'il s'agit de 200 à 300 fleurs accolées les unes aux autres). Les «dents de lion» sont celles de ses feuilles, découpées comme les mâchoires du roi de la jungle.
Pissenlit, le roi de la pop au jardin : Can you feel it?
Les botanistes envisagent généralement les Pissenlits comme des groupes plutôt que des espèces, car plusieurs « micro » espèces distinctes (certaines ne comptent qu’une unique station connue), difficilement différenciables sur le terrain, se cachent derrière les taxons les plus connus. Pour faire simple, et parce qu'il y a déjà tellement à dire, nous considérerons ici les espèces rangées dans le tiroir Taraxacum sect. Ruderalia comme une seule et même sauvage… Et quelle sauvage !
Pissenlit: ce n'est pas la nature qui pousse sur la ville, mais la ville qui a poussé sur la nature! Notez les bractées (petites feuilles sous le capitule) caractéristiques, réfléchies après floraison.
Je suis un des rares mythes vivants du 21ème siècle.
(Alain Delon)
Le Pissenlit est assurément la star de nos jardins, prairies, chemins et terrains vagues... Présente sur les cinq continents, elle est sans doute la fleur la plus populaire de la planète. En France, elle est en tête du top 10 des Sauvages les plus observées dans nos cités (source: Sauvages de ma rue).
Avis aux voisins, agents municipaux et jardiniers! (Pissenlit)
Pour montrer ses premières fleurs de l'année, le Pissenlit prend en compte une multitude de facteurs: précipitations, ensoleillement, température, humidité atmosphérique... La Sauvage se révèle être un véritable ingénieur météo; les jardiniers peuvent se fier à sa floraison pour savoir que le printemps est de retour, quelle que soit la date affichée sur le calendrier.
Un des premiers visiteurs des établissements Pissenlit au sortir de l'hiver: le Citron (Gonepteryx rhamni)
A partir de là, la floraison se poursuit d'une manière continue, jusqu'à l'automne. Une étude en Allemagne a dénombré le nombre d’espèces visitant le capitule mellifère : 93 espèces d'insectes! C’est sans compter les oiseaux ou les petits mammifères qui picorent ses graines. Plus que sur la quantité ou la qualité de nectar, le succès des établissements «Pissenlit» repose surtout sur la longueur de la floraison au fil des saisons: il ouvre sa table à des périodes de l’année où les autres Sauvages gardent la porte close.
En guise d'île pour ce Robinson du Macadam (Pissenlit): des feuilles sessiles (rétrécies à la base), toutes radicales (en «rosette»), pennatifides ou pennatipartites en segments triangulaires.
Indéniablement, le Pissenlit se démarque parmi les herbes folles ; ne serait-ce qu'à cause des modes de reproduction variés de ses «micro» espèces sous-jacentes. Vivace, il peut se multiplier par bouturage de ses racines pivotantes (qui s'enfoncent jusqu'à 50cm — exceptionnellement 1m — dans les sols, d'où sa surprenante résistance face à la sécheresse et aux grands froids). Certains Pissenlits se reproduisent aussi par voix sexuée, grâce à la fécondation de leurs fleurons. Enfin, d’autres peuvent féconder leurs organes femelles sans avoir recours à des semences mâles. Ce phénomène rare (nommé parthénogenèse) revient à faire des bébés tout seul ! Il n'y a alors pas de brassage génétique, contrairement à la reproduction sexuée.
C'était dans ces années un peu folles
Où les papas n'étaient plus à la mode
Elle a fait un bébé toute seule(Jean-Jacques Goldman, Elle a fait un bébé toute seule)
Ce phénomène rare (nommé parthénogenèse) revient à un clonage (il n'y a pas de brassage génétique, contrairement à la reproduction sexuée). Ses fruits (des akènes), profilés pour assurer une bonne dispersion par le vent, peuvent voler jusqu'à 10km depuis leur tige de décollage. Avec un tel arsenal, le Pissenlit s'assure une belle descendance, quelles que soient les conditions rencontrées.
Cueillir un pissenlit en fruit pour souffler sur la boule floconneuse est un jeu aussi ancien qu'universel, dont l'objectif est de disperser les graines d'un seul souffle, tel les bougies d'un gâteau d'anniversaire. Les jeunes filles racontaient jadis que le nombre d'expirations nécessaires pour détacher l'ensemble des plumets correspondait au nombre d'années qu'elles devraient attendre pour se marier... Dans le Poitou, on pensait que les flocons s'envolaient dans la direction du futur bien-aimé!
Ah ! Ces jeunes tardent à se séparer du domicile familial... (Akène du Pissenlit, Poitiers quartier Chilvert)
Inutile de revenir sur les qualités gastronomiques du Pissenlit, elles sont connues de tous et surtout des amateurs des régimes de printemps «détox» et revitalisants. Le sauvageon est réputé diurétique: il est le «pisse au lit», inutile de vous faire un dessin ! Il semblerait pourtant qu'il n'ait jamais été domestiquée et cultivée avant le 19ème siècle; il était sans doute autrefois répandue et récoltée à l'état sauvage.
L'utilisation de ses épaisses racines est en revanche moins courante... Celles ci sont pourtant goûteuses et nutritives: découpées et grillées à la poêle, elles se révèlent être un excellent succédané de café. Cuites, elles peuvent compléter harmonieusement une purée de pommes de terre ou de topinambours. Ne cherchez pas, chez le Pissenlit il n'y a rien à jeter.
Pissenlit, la rock-star des herbes folles!
Taraxacum section Erythrosperma, une des autres sections (dont les membres se distinguent de par la petite protubérance accrochée à la pointe des bractées) de ce genre très fourni: la liste des espèces de Pissenlits (Taraxacum spp.) à travers le monde est longue et incertaine: 60 à 2000 selon les auteurs!
Pissenlit des marais (Taraxacum palustre), un Pissenlit des zones humides, aux feuilles étroites, peu dentées et aux bractées appliquées contre le capitule.