Cet article fait suite à «décrire les feuilles (1)» et «décrire les feuilles (2)», où nous avions respectivement appris à décrire les feuilles simples, puis les feuilles composées. Pour rappel, une feuille se présente ainsi à nos yeux:
La forme du limbe de la feuille, ainsi que le dessin des nervures, n'ont plus beaucoup de secrets pour vous (bien sûr, il reste toujours des secrets quelque part!). Reste à regarder de près la répartition des feuilles sur la plante...
Mais avant tout chose, rapprochons nous de la base du limbe et pointons nos loupes en direction du pétiole... Si pétiole il y a!
Mais... Vous n’avez plus de pieds Lieutenant Dan!
(Forrest Gump, Robert Zemeckis)
Le plus souvent, il y a un pétiole, et il n'y a pas grand chose de plus à dire de plus que la feuille est pétiolée. Certains cas particuliers méritent d'être gribouillés:
Peltée: le pétiole est fixé au centre du limbe.
Perfoliée: la tige semble transpercer le limbe.
Sessile: absence de pétiole.
Embrassante (ou Amplexicaule): la base de la feuille entoure la tige qui la porte.
Engainante: la base de la feuille est enroulée autour de la tige, formant une gaine plus ou moins cylindrique et/ou fendue.
Décurrente: la feuille se prolonge le long de la tige, vers le bas.
Rangeons nos loupes pour regarder l'allure générale de la plante. Son architecture doit beaucoup à la répartition des feuilles sur sa tige...
Les feuilles qui semblent directement issues des racines de la plante (au niveau du sol) sont appelées «radicales», celles rattachées à la tige (en l'air) «caulinaires». Jusque là, rien de très sophistiqué...
La disposition des feuilles est pourtant un sujet d'étude aussi profond que sérieux; d'ailleurs, les botanistes ne parlent pas de «disposition», mais de «phyllotaxie». À matière honorable, mot honorable! Les première études passionnées de l'implantation des organes sur le végétal remontent à l’Égypte ancienne... Je vous propose donc de rentrer dans le vif du sujet en examinant quelques papyrus séculaires:
Prenez le temps qu'il faut pour retenir cette première ligne, qui recouvre tous les possibles:
Alternes: feuilles disposées une par une (une seule feuille par nœud).
Opposées: feuilles disposées deux par deux, face à face (deux feuilles par nœud).
Verticillées: feuilles disposées en couronne (au delà de deux feuilles par nœud).
La ligne suivante illustre quelques cas particuliers qui en découlent (la liste des cas particuliers, vous vous en doutez, n'est pas exhaustive):
Hélicoïdales: feuilles alternes disposées en spirale le long de la tige (disposition la plus courante).
Décussées: feuilles opposées, chaque paire est disposée à 90 degrés par rapport à celle qui la précède.
En rosette: feuilles regroupées et étalées à la base (au «collet») de la plante.
En dehors de la disposition verticillée (plus de deux feuilles disposées en couronne autour d'un nœud), l'ordonnance des feuilles dessine généralement une spirale le long de la tige. Peut être parce que les feuilles ainsi placées sont assurées d'un ensoleillement maximum... Quoi qu'il en soit, la nature semble avoir inventé les mathématiques: chaque espèce répond à une règle stricte, inscrite jusque dans ses gènes. Chaque feuille (ou chaque paire) pousse selon un angle précis par rapport à la feuille (ou à la paire) qui la précède.
Grand Plantain (Plantago major): feuilles ovales et entières, aux nervures parallèles, disposées en rosette, longuement pétiolées (on dit aussi que les pétioles sont «ailés», car ils sont bordés par deux parties minces de limbe)
Autre exemple de discipline géométrique : les feuilles de la Menthe à feuilles rondes sont opposées. La rotation entre chaque paire de feuilles marque un angle régulier de 90°. Cet agencement est suffisamment courant pour porter un nom spécifique: on dit que les feuilles sont décussées.
Menthe à feuilles rondes (Mentha suaveolens): feuilles ovales (parfois presque orbiculaires), crénelées, reticulées, sessiles, opposées décussées.
Avec tout ça, impossible de dire que la mauvaise herbe fait désordre! Et vous l'avez sans doute remarqué, cette rigueur géométrique ne s'applique pas seulement aux feuilles; c'est elle qui sublime les fleurs (à travers la disposition de leurs pétales), les fruits, les cônes, etc. Songez à l'incroyable «mandala» dessiné par les écailles d'une pomme de pin.
Léonard de Vinci s'est intéressé en son temps à cette spectaculaire ordonnance du monde végétal. Il avait mesuré que dans la plupart des cas, l'angle («de divergence») entre deux feuilles ou deux pétales avoisinait les 137,5°. Dans le cas des feuilles, cet angle permet une occupation de l'espace et une exposition à la lumière optimales.
Certains d'entre vous auront peut-être reconnu un nombre célèbre: l'«angle d'or». Au même titre que le nombre d'or (1,618), à partir duquel il se calcule (angle d'or=360/nombre d'or²), l'angle d'or a permis aux architectes et aux artistes de s'appuyer sur les mathématiques pour insuffler la beauté harmonieuse du monde naturel dans leurs créations; et ce depuis l’Égypte ancienne (encore), les pyramides en étant la première application connue.
Nous voilà presque arrivés au terme de cette trilogie consacrée aux feuilles et au vocabulaire associé en botanique. Notez qu'au même titre que des adjectifs communs comme «court», «long», «vert», tous les mots que nous avons vus peuvent s'appliquer dans d'autres champs que celui de la feuille. Par exemple, le vocable étudié nous sera utile lorsque nous pointerons nos loupes du côté des fleurs: on observera des pétales lancéolés, d'autres obovales ou encore acuminés... Et après tout, libre à vous, au détour d'un périple en Égypte, de briller en disant des pyramides qu'elles sont parfaitement deltoïdes!
Les feuilles charnues de l’Orpin blanc (Sedum album) ressemblent un peu à des saucisses... En botanique, il faut aussi savoir improviser ! Elles sont aussi sessiles et disposées un peu n'importe comment. On peut utiliser le mot éparse pour décrire ce genre de répartition anarchique.
D'autres leçons de botanique consacrées aux feuilles sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (1): feuilles simples
- Le vocabulaire de la botanique (2): nervures et feuilles composées
Pour aller plus loin:
Cet article fait suite au premier billet consacré aux mots de la botanique, «décrire les feuilles (1)». Nous avions, en première exploration, découvert le vocabulaire rocambolesque relatif aux feuilles simples. Pour rappel, une feuille se présente ainsi à nos yeux:
Regardons maintenant le dessin des nervures qui parcourent le limbe: on appelle nervure principale la nervure qui prolonge le pétiole (c'est généralement la plus épaisse). Les nervures qui s'y rattachent sont les nervures secondaires, celles qui se rattachent à ces dernières les nervures tertiaires, etc. Un peu comme un grand fleuve, ses rivières et leurs petits affluents! La comparaison est intéressante, car chez une plante, la sève élaborée (issue de la photosynthèse) prend sa source au niveau des feuilles avant de s'écouler vers le reste de la plante (à l'inverse de la sève brute qui prend sa source dans les racines pour monter vers la plante et les feuilles).
La géographie, c'est quand même plus simple avec une carte épinglée au mur!
Pennées: nervures secondaires opposées deux par deux, de chaque côté d'un axe (comme des arrêtes de poisson).
Palmées: nervures primaires bifurquant depuis un seul point, comme les doigts autour de la paume de la main.
Pédalées: deux nervures principales divergent depuis le bout du pétiole.
Parallèles: nervures orientées dans l'axe de la feuille, sans intersection.
Arquées: nervures secondaires arquées vers le sommet de la feuille.
Réticulées: nervures formant un réseau complexe.
Apprenez-moi des gros mots justement, c'est important les gros mots quand on découvre une langue!(Bienvenue chez les Ch'tis, Dany Boon)
Penna...: nervures pennées.La fin du mot décrit la nature et/ou l'amplitude du découpage de la feuille:
Palma...: nervures palmées.
Péda...: nervures pédalées.
...lobée: feuille doucement lobée.On pourrait imaginer par exemple lors d’une partie de Scrabble :
...fide: feuille découpée (environ jusqu'à la moitié du limbe).
...partite: feuille fortement découpée (au-delà de la moitié du limbe).
...sequée: feuille découpée jusqu'à la nervure principale (ou quasiment).
Composée imparipennée : pennée et composée d'un nombre de folioles impair (présence d'une foliole au sommet).
Composée paripennée : pennée et composée d'un nombre de folioles pair (absence de foliole au sommet).
Composée pectinée : composée de fines lamelles disposées de part et d'autre de l'axe (comme un peigne).
Composée palmée : composée de plusieurs folioles partant en éventail depuis le sommet du pétiole.
Composée trifoliée : composée de trois folioles (comme le célèbre Trèfle).
Composée pédalée : chaque foliole semble rattachée au petit pétiole (le pétiolule) de la foliole précédente.
Ce n'est pas tout: une feuille composée pennée, dont chaque partie (ou foliole) est elle même composée de plusieurs petites parties (les foliolules), est dite bipennée (elle est pennée deux fois)... Et si les foliolules sont eux même composées? La feuille est tripennée!
Comment savoir s'il l'on observe plusieurs feuilles simples ou une seule feuille composée? C'est la présence ou non d'un bourgeon axillaire au point de jonction entre le pétiole et la tige qui peut nous renseigner (munissez vous d'une loupe). Si on trouve un bourgeon à la base de chaque feuille, il s'agit de plusieurs feuilles simples. Si pour plusieurs limbes distincts, on ne trouve qu'un seul bourgeon, c'est une seule et unique feuille composée.
Pourquoi certaines Sauvages arborent-elles des feuilles ainsi découpées ? Les plantes aux feuilles fortement divisées laissent passer un maximum de lumière vers les étages inférieurs de leur feuillage. Une stratégie d’autant plus pertinente que rien n’est laissé au hasard, la disposition des feuilles sur la tige étant savamment orchestrée, comme nous le verrons dans l'article consacré à la phyllotaxie.
A ce point, vous méritez bien une récompense pour vos efforts studieux! Fermez les yeux (pas trop) et imaginez une feuille dont les nervures sont pennées, et dont les échancrures atteignent (ou presque) la nervure centrale. On pourrait donc dire qu'elle est pennatiséquée. Mais voilà, chaque partie dessinée par les échancrures est aussi découpée en de plus petites parties... Elles mêmes découpées en de minuscules parties... Holà, je crois qu'on tient un joli mot: tripennatiséquée!
Ne vous découragez pas si votre cerveau fume un peu: lorsqu'on compare les descriptions proposées dans les guides et les flores, on découvre qu'il n'existe pas une seule et unique bonne manière de décrire un végétal: tous les moyens sont bons! On fait comme on peut, avec le vocabulaire dont on dispose, l'objectif étant de rapprocher son discours au plus près de ce qui se présente à nous et surtout de réussir à se faire comprendre. Sur ce, je vous souhaite d'agréables promenades botaniques... Entre deux victoires écrasantes au Scrabble!
De gauche à droite et de haut en bas: feuilles palmatifides de la Renoncule à petites fleurs (Ranunculus parviflorus), composées pédalées de l'Hellébore fétide (Helleborus foetidus), composées paripennées (ou imparipennées si on considère que les vrilles comptent pour des folioles!) de la Vesce des haies (Vicia sepium) et tripennatiséquées du Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris).
D'autres leçons de botanique consacrées aux feuilles sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (1): feuilles simples
- Le vocabulaire de la botanique (3): pétiole et phyllotaxie
Pour aller plus loin:
- Les formes foliaires sur Wikipédia
- Description générale de la feuille sur le site des Jardins du Gué
Renouée du Japon, Poitiers quartier Chilvert
Reynoutria japonica (Renouée du japon) appartient à la famille Polygonaceae, aux côtés des Sarrasin, Rhubarbes et autres Rumex. La Sauvage se dresse sur une tige solide parcourue de plusieurs «nœuds», signe distinctif des Renouées, qu'elles soient minuscules (Polygonum aviculare, la petite Renouée des oiseaux) ou géantes, comme la Renoué du Japon.
Pour le grand public, la désignation Renouée du Japon recouvre généralement trois plantes proches, assez difficiles à différencier: Renoutrya japonica (la Renouée du Japon à proprement parler, aux feuilles brusquement tronquées à la base et glabres à la face inférieure), Reynoutria sachalinensis (la Renouée de Sakhaline, plus rare, dont les feuilles, plus grandes, sont cordées à la base et possèdent quelques poils épars sur les nervures à la face inférieure) et Reynoutria x-bohemica (la Renouée de Bohême, une hybride des deux précédentes, très vigoureuse et compétitive). Les trois fausses jumelles ont des comportements semblables.
Les grandes renouées sont d'excellentes comestibles. C'est d'ailleurs à ce titre qu'elles furent introduites en Europe, dès le moyen âge, depuis l'Asie (Chine, Corée, Japon et Sibérie). Capables de produire une biomasse importante en un temps record, elles ont tout le potentiel de bonnes fourragères (en pratique malheureusement, le bétail n'en raffole pas). L'homme préfère consommer les jeunes pousses ou l'extrémité des grandes tiges, cuites dans l'eau comme des asperges.
Jeune pousse d'une renouée géante, Poitiers quartier Chilvert
Les grandes renouées profitèrent d'une seconde vague d'importation vers l'Europe au 18ème siècle, sans doute pour leurs qualités ornementales: elles poussent haut et vite, avant d’agrémenter, à la fin de l'été, leurs massifs de fleurs blanches très mellifères (précieuses pour les insectes à l'approche de l'automne). L’espèce Reynoutria japonica ne dispose a priori pas de pieds mâles fertiles en France (des hybridations avec les autres renouées géantes, pour peu qu'elles se croisent sur un même territoire, restent possibles, pouvant aboutir à des spécimens fertiles).
Fleurs de la Renouée du Japon en automne: un festin pour les diptères!
A ce point de l'article, on est en droit de se demander comment la Renouée du Japon a réussit à devenir l'archétype même de la plante invasive, et pourquoi la simple évocation de son nom cause des sueurs froides à ceux qui la côtoient de près... Car il se trouve que la Sauvage est aujourd'hui épinglée comme une véritable peste végétale, une terreur surveillée de très près par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature!
Reynoutria japonica est vivace, avec des rhizomes démesurés capables de s'enfoncer à 2m de profondeur et de s'étendre jusqu'à 7m autour d'un seul pied. Ses racines libèrent une toxine dans le sol, pénalisant toute vie végétale alentour, histoire de saper la concurrence. Si l'on tente de s'en débarrasser, il faut savoir que le moindre centimètre de rhizome oublié en terre donnera naissance à un nouveau plant... De plus, en milieu humide (bords de rivières), une tige emportée par le courant et laissée à même le sol suffit pour démarrer une bouture.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les colonies géantes de Reynoutria japonica imposent le respect. Fauchées aux pieds, elles sont capables de repartir de plus belles et ce en un temps record (les jeunes pousses peuvent atteindre 3m de hauteur en une seule saison), occupant un espace ahurissant et laissant tous les autres végétaux sur le carreau. Autant de paysages où la biodiversité est mise à mal.
Feu d'artifice automnal de la Renouée du Japon
Les plus perspicaces se demanderont peut être: comment se fait-il qu'une plante présente sur le territoire depuis le Moyen-âge devienne brusquement, au 20ème siècle, une hors-la-loi incontrôlable? Qui a fâché Reynoutria japonica?
Répondre à cette question reste une affaire de spécialistes, mais on peut entendre aujourd'hui quelques pistes de réflexions intéressantes:
Revenons aux origines asiatiques de Reynoutria japonica: au Japon, la Sauvage habitait le plus souvent les flancs des volcans; autant dire des sols naturellement hostiles et perturbés. Reynoutria japonica est donc dès son berceau une plante coriace, élevée à la dure, qui se sent comme un pied dans une pantoufle sur les sols métallifères. Les pollutions industrielles qu’elle tolère ont favorisé l'expansion de la sauvage en milieu urbain (et au-delà depuis) en pénalisant ses concurrentes. Mais surtout, les travaux de terrassement autour des villes ont boosté sa propagation : rien de tel que quelques coups de pelleteuses dans ses rhizomes pour la disperser. Aujourd'hui, Reynoutria japonica est devenue, à force de voyages et surtout à force de côtoyer l'homme, une invasive avec laquelle il convient de faire preuve d'humilité et de la plus grande vigilance.
Addenda (février 2016): les scientifiques anglais terminent cette année un programme de recherche démarré en 2004, qui vise à tester l'introduction de prédateurs naturels de la Renouée du Japon en Europe (sur son aire d'origine, l'expansion de la Sauvage est naturellement contrôlée par la faune autochtone). Un psylle (sorte de petite cigale), Aphalara itadori, présente des résultats très prometteurs; tout laisse à penser que son introduction sera validée puis généralisée sous peu. (source: La Garance voyageuse, N°112)
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Reynoutria japonica sur Tela-botanica
- Une recette de cuisine originale pour (essayer de) se réconcilier avec la Sauvage!