Grappes de fleurs de la Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre
Cardamine pratensis (Cardamine des prés) appartient à la famille Brassicacea (dites Crucifères), au même titre que sa petite sœur Cardamline hirsuta dont nous avons déjà parlé sur Sauvages du Poitou. Comme cette dernière, Cardamine pratensis produit de longs fruits (siliques) explosifs pour disperser ses graines; mais contrairement à Cardamine hirsuta, Cardamine pratensis est vivace (elle repousse chaque année depuis son court rhizome).
Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre
De plus, Cardamine pratensis possède l'étrange faculté de pouvoir se multiplier à partir d'une de des feuilles de sa rosette (à sa base): une feuille en contact avec un sol humide développe un réseau racinaire tout le long de son pourtour, donnant naissance à un clone de la plante (reproduction végétative).
Feuilles inférieures de la Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Cardamine pratensis s'installe près des marais, des lacs, des rivières, dans les prairies humides; elle est le signe d'un sol gorgé d'eau et riche de matière organique. Ses grandes fleurs blanches, roses ou violettes (jusqu'à 2cm pour les pétales) se montrent très brièvement entre avril et mai.
Cardamine des prés, la petite baigneuse!
Autrefois, on demandait aux enfants de ne jamais la cueillir, sous peine de se faire mordre par un reptile dans l'année à venir... C'était surtout le moyen d'inviter les plus jeunes à s'éloigner des zones humides où la belle prolifère. Derrière chaque légende se cache une bonne part de sagesse: j'ai pour ma part faillit perdre une basket dans la vase en voulant approcher la Sauvage pour la photographier!
A table avec le Grand Bombyle ! (Bombylius major sur Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre)
Cardamine pratensis est en réalité une comestible prisée (les cardamines étant parfois vendues sous le nom de Cressonnette sur les marchés poitevins), riche en vitamine C et en lipides; utilisée en condiment, elle apporte une délicieuse saveur piquante aux salades de printemps (les jeunes rosettes de feuilles à la base, cueillies juste avant floraison, sont les plus tendres).
Fleurs de la Cardamine des prés: 4 pétales, 6 étamines libres autour d'un pistil surmonté d'un style unique au centre.
C'est un bel après-midi d’avril, non loin de la grotte de Passelourdain à Saint Benoît (86). La nature peine à se réveiller mais déjà, les bords du Clain se parent ici et là de taches blanches ou parme. Blanches, pour les fleurs d’Alliaire; parme, pour la Cardamine des prés. Avril est le mois de notre Sauvage délicate! C’est donc aussi, par conséquent, le mois de la Cardamine en tant que plante-hôte d’un papillon qui exagère jusqu’à porter son nom: Anthocharis cardamines! Dit en français (et en plus poétique) : l’Aurore…
Perdu dans ces considérations, je repère une belle station de Cardamines des prés, au milieu des Orties. Là, sans trop de surprise, un mâle d’Aurore flâne et butine notre Sauvage. J'avance pour lui tirer le portrait. Je déclenche, m’approche trop près, il s’envole. J’inspecte alors chaque tige de la belle Sauvage et trouve un œuf, sorte de micro-pâtisserie en forme de cannelé orange… Appétissant!
Approchez le nez de l'écran: avez-vous trouvé l'oeuf de Madame Aurore?
Mais question goût, notre papillon laisse à désirer. Que les Mésanges et autres Rouge-gorges m’écoutent bien: l’Aurore, aussi appétissante soit-elle, se gave de diverses Crucifères (pas seulement les Cardamines) à l’état larvaire. Autrement dit, elle aurait un goût amer... de moutarde!
Monsieur Aurore sur Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Madame Aurore en train de pondre sur Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Pour aller plus loin :
- Identification assistée par ordinateur
- Cardamine pratensis sur Tela-botanica
Primevère acaule : un calice en tube à 5 dents, une corolle en tube à 5 lobes dans laquelle se cachent les 5 étamines et le pistil.
Primula vulgaris (Primevère acaule ou Printanière en poitevin-saintongeais) appartient à la famille Primulaceae dont les membres montrent souvent les couleurs dès le début du printemps (primus signifiant « premier » en latin).
Primevère acaule, Montreuil-Bonnin (86)
Il n'aura échappé à aucun jardinier que la véritable Primula vulgaris est vivace: elle pousse chaque année là où on l'a installée, depuis son court rhizome... Pour peu qu'elle ait retrouvé ses conditions forestières: un sol humide mais bien drainé, frais et riche en nature organique; elle est, à l'état sauvage, la plante de sous-bois par excellence.
Feuilles du Primevère acaule: disposées en rosette, obovales, inégalement dentées, à nervures réticulées.
Primula vulgaris assure sa multiplication par semis, grâce aux fruits issus de la fécondation de ses fleurs jaune souffre, tachées à la base et inodores. La Sauvage est une excellente comestible: les jeunes feuilles apportent une note légèrement piquantes aux salades de printemps et servait autrefois d'ingrédient dans la préparation d'un hydromel.
Primula vulgaris est une fleur de culture
domestique ancienne: elle est courante dans les jardins particuliers, parfois même
en pots sur les balcons (bien qu'il s'agisse souvent de cultivars moins
robustes — voir annuels — que la plante
originelle, des variétés orientées et sélectionnées par l'homme)...
Comme si tout le monde avait cherché à ramener un bout de forêt à la maison!
Si vous avez de la peine, si la vie est méchante avec vous, réfugiez-vous au cœur de la forêt, elle ne vous décevra jamais.
(Sissi, Ernst Marischka)
Si Primula, le nom latin des primevères, signifie «premier» en raison de leur floraison printanière, celui d'un petit papillon, Hamearis lucina (la Lucine), signifie «printemps». Autant dire que cette saison est celle de leur rencontre! Un tête-à-tête hélas contrarié, puisque la Primevère acaule, ainsi que ses cousines Coucou et Primevère élevée, vont servir de festin aux chenilles de la Lucine.
La Lucine fait partie d'une grande famille de papillons, les Riodinidae, qui compte plus d'un millier d'espèces dans le monde, principalement en Amérique tropicale. Bonheur pour l'entomologiste mais coup du sort pour les primevères: la Lucine est le seul représentant des Riodinidae en Europe! Volant entre avril et juin (avec un pic d'abondance en mai), la Lucine choisit avant tout des milieux arbustifs: les lisières et les clairières, plutôt sur sol calcaire, constituent ses lieux de vol.
Lucine (Hamearis lucina), un papillon rare et printanier.
Une fois les bouquets de primevères repérés, la femelle se pose sur une feuille, la piétine à reculons jusque sur son bord puis y dépose sur son envers une cinquantaine d’œufs (question de discrétion vis-à-vis d'éventuels prédateurs), soit isolément, soit en petits tas. La chenille à peine née (que l'on nomme néonate à ce stade) va d'abord boulotter le chorion puis les feuilles de son support. Comme elle entend vivre en paix sur sa plante préférée, elle s'est trouvée une parade pour divertir les fourmis trop agressives: elle leur fabrique des sucreries. Du miellat, me direz-vous, comme celui que produisent certaines chenilles pour enivrer les fourmis? Non: ses propres boulettes de caca... Après tout, c'est bio, c'est artisanal et c'est local!
La Lucine est absente ou en fort déclin dans l'Ouest de la France. En Vienne, elle est seulement présente localement dans la moitié Nord du département. Comme pour nombre de papillons, le réchauffement climatique n'est pas synonyme pour elle de dolce vita...
Pour aller plus loin:
- Primula vulgaris : identification assistée par ordinateur
- Primula vulgaris sur Tela-botanica
- Primula veris : identification assistée par ordinateur
- Primula veris sur Tela-botanica
Les fleurs jaune vif du Primevère officinale (Primula veris), une autre Primulacée printanière qui préfère la pleine lumière (lisière, bords de route).
Lamier pourpre, Poitiers bords de Boivre
Lamium purpureum (Lamier pourpre ou Ortige de grange en poitevin-saintongeais) appartient à la vaste famille des Lamiaceae, les plantes à tige carrée et à fleur en bouche. Un œil peu intéressé par les choses de la vie pourrait confondre le Sauvageon avec les piquantes Orties (Urtica), mais le Lamier pourpre n'a jamais piqué personne. Il dégage tout au plus une odeur légèrement poivrée s'il nous prend à froisser sa robe entre les doigts.
Grande Ortie (à gauche) et Lamier pourpre (à droite).
- Qu’est-ce que tu as fait pendant toutes ces années ?
- Je me suis levé tôt.
(Il était une fois en Amérique, Sergio Leone)
Le Lamier pourpre est une des premières fleurs sauvages de l'année. Il offre ses lèvres et son nectar dès le début du mois de mars aux insectes. Les feuilles apicales rougissantes appâtent la clientèle de loin, puis les motifs plaqués sur la lèvre inférieur des fleurs guident les butineurs vers ce qui sera peut-être leur premier bar à nectar de l’année. Les insectes disposant de peu de ressources en début de printemps, il est de bon ton de laisser les colonies de Lamiers pourpres, à l’enracinement peu profond, couvrir les terres en attente de culture.
Avis aux voisins et aux agents municipaux au sortir de l'hiver! (Lamier pourpre)
Ses petits fruits grisâtres (tétrakènes) contiennent huiles et substances appréciées des fourmis pour nourrir leur couvain; c'est d'ailleurs ces dernières qui assurent la dispersion des graines pour les saisons suivantes (c'est une annuelle). Le Lamier pourpre aime les excès d’azote; c’est pourquoi il affectionne aussi les bords de route arrosés par les pots d’échappements.
Couvert rougissant du Lamier pourpre au début du printemps: des feuilles opposées décussées, ovales, cordée et crénelées.
La tige traçante et souterraine du Lamier pourpre se plait dans les terres laissées à nue des potagers en attente de culture. Ses feuilles velues offrent une couverture d'hiver nécessaire au sol. Son enracinement peu profond en fait un invité discret qui sait s'effacer rapidement au moment voulu (à l'heure des plantations).
Fleurs du Lamier pourpre: une corolle formée par une lèvre supérieure entière et concave, une lèvre inférieure trilobée (les deux lobes latéraux ne forment guère plus que deux petites dents; le lobe médian, plus large, sert de piste d’atterrissage pour le butineurs).
Toutefois, lorsqu'il est cueilli, le Lamier pourpre peut se déguster en salade, en condiment ou sautée à la poêle; peu importe les modes et les recettes, il est toujours généreux en fer et en sels minéraux. On peut donc considérer qu'en plus d'être précoce, fécond et serviable, Le Lamier pourpre n'est guère rancunier... Vous l'aurez compris, il est difficile de lui trouver des défauts! Outremanche, les Lamiers répondent d'ailleurs au surnom d’«Archanges» (en fait à cause de leurs feuilles opposées qui évoquent une paire d’ailes): en anglais, il est l'Archange pourpre, Purple Archangel!
Le Lamier maculé (Lamium maculatum,), un proche membre du clan Lamiacées, bien plus grand que le Lamier pourpre, vivace, malheureusement rare au nord ouest de la France.
Un autre Lamier printanier, le Lamier hybride (Lamium hybridum), dont les feuilles profondément et irrégulièrement dentées affichent une base en pointe.
Le Lamier amplexicaule (Lamium amplexicaule), une annuelle des friches chaudes et sèches. Ses feuilles supérieures sont presque «soudées» deux par deux. Certaines de ses fleurs sont cléistogames: elles ne s’ouvrent pas, s'autofécondant sans l'aide des butineurs. D’autres sont épanouies, munies d’un long tube, mais généralement stériles... Allez comprendre!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Lamier pourpre au micro de France Bleu Poitou
- Lamium purpureum: identification assistée par ordinateur
- Lamium purpureum sur Tela-botanica
- Lamium maculatum: identification assistée par ordinateur
- Lamium maculatum sur Tela-botanica
- Lamium hybridum sur Tela-botanica
- Lamium amplexicaule sur Tela-botanica
- Lamium amplexicaule: identification assistée par ordinateur
Un des premiers butineurs au sortir de l'hiver: le Citron (Gonepteryx rhamni), un adepte du Lamier pourpre, forcément!
Les Lamiers n’intéressent pas seulement les butineurs : les larves de la Punaise noire à quatre taches blanches (Tritomegas bicolor), surnommée « Punaise pie » à cause de son costard impeccable, s’alimentent sur diverses Lamiacées comme les Lamiers (Lamium spp.), les Épiaires (Stachys spp.) ou les Ballotes (Ballota spp.).