Fleurs en épis de la Salicaire commune
Lythrum salicaria (Salicaire commune) appartient à la famille Lythraceae, dont certains membres sont des plantes aquatiques, comme la célèbre Châtaigne d'eau (Trapa natans). C'est sur terre que pousse la Salicaire, même si va falloir se rapprocher dangereusement du bord de la rivière pour l'observer.
- Ah non messire, j’ai déjà pris un bain y a deux mois dans la rivière!
(Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Son nom, elle le signe à la pointe de la fleur, d'un L qui signifie Lythrum! (Salicaire commune, Poitiers bords de Boivre)
La Salicaire commune est une vivace robuste qui s’installe au bord des lacs, des rivières, dans les marécages et sur les sols riches et gorgés d'eau des forêts humides. C'est à ses feuilles lancéolées que la Sauvage doit son nom, car celles ci ressemblent à celles du Saule (Salix).Feuilles de la de la Salicaire commune: opposées (les supérieurs alternes), sessiles, lancéolées et cordées à leur base.
Ses fleurs mellifères pourpres (Lythrum est tiré du grec lythron, «sang», pour la couleur), regroupées en épis, se dressent jusqu'à un bon mètre de hauteur entre juin et septembre. Le biologiste Charles Darwin mit en avant (dans Forms of Flowers, 1877) la particularité des fleurs de la Salicaire commune. A vos loupes... Prêts? Observez!
- Je suppose que vous n’avez pas la moindre compétence dans le domaine scientifique!
- J’ai disséqué une grenouille, une fois...
(Avatar, James Cameron)
Les colonies de la Sauvage présentent trois type de pieds (répartis dans des proportions équilibrées): certains présentent au centre de leurs fleurs un style (partie allongée de l'organe reproducteur femelle) long, d'autres un style moyen et les derniers un style court. Les étamines (organes reproducteurs mâles) suivent un schéma opposé: un style long est entouré d'étamines courtes (6) et moyennes (6), un style moyen est entouré d'étamines courtes (6) et longues (6), et enfin, un style court est entouré d'étamines moyennes (6) et longues (6)...
Accrochez vous, la mécanique est ingénieuse: une fleur peut difficilement s'autoféconder, les organes reproducteurs mâles et femelles étant placés à des hauteurs différentes. Mieux encore: Charles Darwin observa qu'un style long n'est réceptif que pour les grains de pollens issus d'une étamine de même longueur que lui. De même, un style moyen n'est réceptif que pour les grains de pollens issus d'une étamine moyenne, etc. La pollinisation s'opère donc à partir d'individus distincts et le brassage génétique (et donc la capacité d'adaptation sur le terrain) de la Salicaire commune est garanti.
Cette arrangement complexe ne freine pas sa propagation: La Salicaire commune peut produire jusqu'à deux millions de graines par pied. Ce sont les oiseaux aquatiques et le fil du courant qui dispersent les semences le long des berges, les graines collantes adhèrant aux pattes et aux plumes des volatiles (zoochorie).
Fleurs de la Salicaire commune: calice en tube à 12 dents inégales, 4 à 6 pétales chiffonnés, 10 à 12 étamines inégales autour du pistil.
La Salicaire commune est comestible: ses jeunes pousses et ses feuilles peuvent se consommer crues ou cuites, alors que ses fleurs peuvent servir à décorer les plats. Jadis, celles ci ont été utilisées comme colorant rouge dans la confection de confiseries.
En médecine populaire, on lui reconnait des qualités astringentes, antidiarrhéiques (elle est tannique); on prescrivait autrefois la décoction de ses sommités fleuries contre la colique des nourrissons, d'où son surnom d'«Herbe aux coliques». Ses fleurs et ses feuilles ont été consommées comme substitut au thé; c'est pourquoi en poitevin-saintongeais, on la connait surtout sous le nom de Thé des marais.
Calices persistants qui renferment les fruits de la Salicaire commune
Aux États-Unis, on estime que sa propagation effrénée représente un coût de 45 millions de dollars par an pour le contribuable! Pour comparaison, c'est plus que le coût (38 millions d'euros par an) estimé pour la lutte et la réparation des dommages causés par l'ensemble des espèces invasives dans notre pays (Renouée du Japon, Moustique tigre, Écrevisse de Californie…); mais nous ne vivons pas sur les même échelles territoriales. Au delà des considérations pécuniaires, la Salicaire commune concurrence fortement les espèces locales, comme Lythrum alatum (la Salicaire ailée), jugée moins appétissante par les butineurs Yankee, et battue dans le petit jeu des hybridations et des brassages génétiques.
Salicaire commune, Coulombiers (86)
Le scénario est bien connu: après sa traversée forcée outre-Atlantique, la Salicaire commune s'est retrouvée loin de ses ennemis biologiques (essentiellement des Chrysomèles, des Charançons et diverses chenilles de papillons de nuit), restés sur le vieux continent. Malheureusement, la réaction naturelle d'un milieu face à l'arrivée d'une nouvelle espèce peut parfois se faire attendre. En attendant le retour à l'équilibre, les cartes sont forcément redistribuées pour les espèces autochtones. Pour l'heure, un programme d'introduction de quelques prédateurs naturels de la Salicaire commune sur le continent américain semble commencer à porter ses fruits...
- Combien t’a-t-il payé pour m’abattre?
- Pas loin de mille dollars...
- Tiens, en voilà deux mille pour toi.
- Deux mille dollars... La moitié en or! Plutôt intéressant. Mais... L’ennui, c’est que j’finis toujours l’travail pour l’quel on m’paie...
(Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone)
Pour aller plus loin:
- Lythrum salicaira: identification assistée par ordinateur
- Lythrum salicaria sur Tela-botanica
Salicaire à feuilles d'hyssope (Lythrum hyssopifolia), une autre Salicaire annuelle et discrète (10 à 40 cm) qui colonise les sols et les fossés humides.
Renoncule rampante, Poitiers bords de Boivre
Ranunculus repens (Renoncule rampante ou Pied-coulin en poitevin saintongeais) appartient à la famille Ranunculaceae, qui regroupe environ 1500 espèces, le plus souvent toxiques pour l'homme. Pour différencier les membres de ce vaste groupe, il faut regarder au delà de la simple fleur jaune, le «bouton d'or» familier...
Fleur de la Renoncule rampante: 5 pétales et 30 à 50 étamines libres bien habités! (Byturus sp.)
Les signes distinctifs qui nous permettent de reconnaître Ranunculus repens sont ses feuilles composées en trois lobes, dont le principal semblant avoir un mini pétiole (un pétiolule); et surtout, ses longs stolons (tiges rampantes) qui lui permette de se dupliquer et de s'étendre sur de grands territoires, comme le ferait un fraisier.
Feuilles de Renoncule rampante: découpées en 3 segments eux mêmes trilobés, incisés et dentés.
- Apprend à marcher avant de ramper.
- Ouais, ou l’inverse.(Ocean's Eleven, Steven Soderbergh)
Les habitations naturelles de Ranunculus repens
sont les bords de rivière, les marécages, les vallées alluviales... En d'autres lieux, ses
colonies importantes indiquent souvent un sol engorgé en eau, tassé par temps humide ou mal drainé. Le penchant pour l'humidité des Ranunculus s'affiche d'ailleurs dans leur nom, qui trouverait ses origines dans les mots latin rena, «grenouille» et colere «habiter»; les grenouillent y trouveront certainement un abri agréable.
Ranunculus repens adapte sa prestance au paysage environnant: courte dans les zones souvent fauchées, haute (jusqu’à 50cm) dans les milieux sauvages. Elle fleurit de mai jusqu'à la fin de l'été, mais mise avant tout sur la multiplication végétative, via ses stolons labyrinthiques. Ses racines assurent sa survie d'une année à l'autre (c'est une vivace): les parties souterraines peuvent endurer sans sourciller des températures basses (jusqu'à -40 degrés!), et de longues périodes en complète immersion (berges inondées en hiver).
En plus de cette formidable résistance, Ranunculus repens possède la faculté d’inhiber la croissance des plantes voisines, et plus particulièrement de celles de la famille Fabaceae (les Légumineuses, comme les trèfles, luzernes, vesces...). Elle n'a généralement pas bonne presse dans les pâturages, où elle peut proliférer (le piétinement favorise l'enracinement de ses stolons) au dépend de plantes appréciées par le bétail qui, par instinct ou par goût, ne la mange pas.
La Renoncule rampante ne convient pas au bétail, mais elle nourrit les larves de certaines petites mouches dites «mineuses», dont on aperçoit ici les galeries blanches (probablement Phytomyza ranunculi, alias la «Mineuse du bouton d'or»).
Ranunculus repens est toxique lorsqu'elle est fraîche, mais perd de sa dangerosité une fois coupée et séchée. Elle peut être incorporée, après fauchage, dans les foins donnés aux animaux de ferme. Elle fut parfois consommée cuite par l'homme lors de périodes de famines... On lui reconnaît des qualités analgésiques (diminution de la sensation de la douleur), mais sa toxicité réserve définitivement son usage au corps médical. Toutes les Ranunculus sont d'ailleurs inscrites à la liste B de la pharmacopée française qui recense les plantes médicinales dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu!
Renoncule rampante, à son aise les pieds dans l'eau.
La Renoncule rampante est l’un des célèbres «boutons d’or» de nos prairies, mais elle est loin d’être la seule. De nombreuses Renonculacées peuvent revendiquer ce titre ambigu, sur lequel il ne vaut mieux pas compter si on ne veut pas s’emmêler les pinceaux! En guise d'exemple, on peut aussi croiser d'autres espèces assez communes en Poitou:
Renoncule bulbeuse, Poitiers bords de Boivre
La Renoncule bulbeuse (Ranunculus bulbosus) est une vivace à souche bulbeuse, au port dressé et ramifié et aux feuilles profondément découpées. La foliole médiane est pétiolulée (comme chez la Renoncule rampante). Sous le «bouton d'or», les sépales sont retournés vers le bas. La Renoncule bulbeuse colonise les prairies bien drainées et les pelouses calcaires.
La Renoncule âcre (Ranunculus acris) est une vivace au port dressé et ramifié, aux feuilles palmatifides, mais sans pétiolule. Elle illumine les prairies fraiches, les lisières et les fossés au printemps.
La Renoncule à tête d’or (Ranunculus auricomus) est une vivace qui pousse dans les bois frais au printemps. Ses feuilles caulinaires sont sessiles, découpées en 3 à 7 lanières très étroites. Il n’est pas rare que ses fleurs soient asymétriques ou atrophiées: c’est une artiste, un «Picasso» chez les boutons d’or!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou évoque les «Boutons d'or» au micro de France Bleu Poitou
- Ranunculus repens sur Tela-botanica
- Ranunculus repens: identification assistée par ordinateur
- Ranunculus bulbosus sur Tela-botanica
- Ranunculus bulbosus: identification assistée par ordinateur
- Ranunculus acris sur Tela-botanica
- Ranunculus acris: identification assistée par ordinateur
- Ranunculis auricomus sur Tela-botanica
- Ranunculis auricomus: identification assistée par ordinateur
Fruits de la Renoncule rampante (40 à 80 akènes), Saint Benoît (86)
Grappes de fleurs de la Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre
Cardamine pratensis (Cardamine des prés) appartient à la famille Brassicacea (dites Crucifères), au même titre que sa petite sœur Cardamline hirsuta dont nous avons déjà parlé sur Sauvages du Poitou. Comme cette dernière, Cardamine pratensis produit de longs fruits (siliques) explosifs pour disperser ses graines; mais contrairement à Cardamine hirsuta, Cardamine pratensis est vivace (elle repousse chaque année depuis son court rhizome).
Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre
De plus, Cardamine pratensis possède l'étrange faculté de pouvoir se multiplier à partir d'une de des feuilles de sa rosette (à sa base): une feuille en contact avec un sol humide développe un réseau racinaire tout le long de son pourtour, donnant naissance à un clone de la plante (reproduction végétative).
Feuilles inférieures de la Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Cardamine pratensis s'installe près des marais, des lacs, des rivières, dans les prairies humides; elle est le signe d'un sol gorgé d'eau et riche de matière organique. Ses grandes fleurs blanches, roses ou violettes (jusqu'à 2cm pour les pétales) se montrent très brièvement entre avril et mai.
Cardamine des prés, la petite baigneuse!
Autrefois, on demandait aux enfants de ne jamais la cueillir, sous peine de se faire mordre par un reptile dans l'année à venir... C'était surtout le moyen d'inviter les plus jeunes à s'éloigner des zones humides où la belle prolifère. Derrière chaque légende se cache une bonne part de sagesse: j'ai pour ma part faillit perdre une basket dans la vase en voulant approcher la Sauvage pour la photographier!
A table avec le Grand Bombyle ! (Bombylius major sur Cardamine des prés, Poitiers bords de Boivre)
Cardamine pratensis est en réalité une comestible prisée (les cardamines étant parfois vendues sous le nom de Cressonnette sur les marchés poitevins), riche en vitamine C et en lipides; utilisée en condiment, elle apporte une délicieuse saveur piquante aux salades de printemps (les jeunes rosettes de feuilles à la base, cueillies juste avant floraison, sont les plus tendres).
Fleurs de la Cardamine des prés: 4 pétales, 6 étamines libres autour d'un pistil surmonté d'un style unique au centre.
C'est un bel après-midi d’avril, non loin de la grotte de Passelourdain à Saint Benoît (86). La nature peine à se réveiller mais déjà, les bords du Clain se parent ici et là de taches blanches ou parme. Blanches, pour les fleurs d’Alliaire; parme, pour la Cardamine des prés. Avril est le mois de notre Sauvage délicate! C’est donc aussi, par conséquent, le mois de la Cardamine en tant que plante-hôte d’un papillon qui exagère jusqu’à porter son nom: Anthocharis cardamines! Dit en français (et en plus poétique) : l’Aurore…
Perdu dans ces considérations, je repère une belle station de Cardamines des prés, au milieu des Orties. Là, sans trop de surprise, un mâle d’Aurore flâne et butine notre Sauvage. J'avance pour lui tirer le portrait. Je déclenche, m’approche trop près, il s’envole. J’inspecte alors chaque tige de la belle Sauvage et trouve un œuf, sorte de micro-pâtisserie en forme de cannelé orange… Appétissant!
Approchez le nez de l'écran: avez-vous trouvé l'oeuf de Madame Aurore?
Mais question goût, notre papillon laisse à désirer. Que les Mésanges et autres Rouge-gorges m’écoutent bien: l’Aurore, aussi appétissante soit-elle, se gave de diverses Crucifères (pas seulement les Cardamines) à l’état larvaire. Autrement dit, elle aurait un goût amer... de moutarde!
Monsieur Aurore sur Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Madame Aurore en train de pondre sur Cardamine des prés, Saint Benoît (86)
Pour aller plus loin :
- Identification assistée par ordinateur
- Cardamine pratensis sur Tela-botanica