Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Saxifraga tridactylites (Saxifrage à trois doigts) appartient à la famille qui porte son nom, Saxifragaceae. Les Saxifrages sont légions, regroupant plus de 400 espèces connues; la plupart d'entre elles sont taillées pour l'escalade et la vie à flanc de falaise. Leur nom vient d'ailleurs du latin saxum, «rocher» et frangere, «briser»: elles sont les mineuses, les «perce-pierres», à cause de leur faculté à s'insérer dans le moindre recoin ou la moindre fissure...
Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Si les Saxifrages, de par leur nombre et leur similitudes, sont souvent délicates à différencier, Saxifraga tridactylites se laisse facilement identifier en milieu citadin. Elle doit son nom à ses feuilles charnues caractéristiques «à trois doigts», parfois rougeâtres, couvertes de poils glanduleux.
Feuilles de Saxifraga tridactylites: alternes sur la tige, sessiles, à 3 lobes (parfois 5).
Tuant une mouche
J'ai blessé
Une fleur
(Kobayashi Issa)
Saxifraga tridactylites est à la botanique ce que le haïku est à la poésie: un bijou saisonnier (elle est annuelle), subtil, qu'on risque fort de piétiner faute d'attention (au sommet de sa forme, elle dépasse guère les 10cm). Elle fleurit au début du printemps sur les murs, les rochers ou les sols sablonneux. Difficile pour elle de perdurer au delà du mois de mai: lorsque les chaleurs estivales pointent, la vie à flanc de falaise devient vite un enfer!
Saxifrage à trois doigts, Poitiers gare
En poussant là où la vie se résume à l'état minéral, Saxifraga tridactylites rejoue inlassablement la grande histoire des plantes, sorties des océans il y a 400 millions d'années pour conquérir la terre ferme (en réalité, c'est l'eau qui s'est retirée progressivement, et non pas les algues qui se seraient lassées de la baignade!).
La vie trouve toujours son chemin...
(Jurassic park, Steven Spielberg)
Les pionnières comme Saxifraga tridactylites induisent un micro-climat par leur (modeste) couvert et favorisent l'accumulation d'humus et de substrat en mourant. Elles permettent ainsi à d'autres espèces plus exigeantes de s'installer derrière elles, initiant le mouvement naturel qui tend à transformer les déserts en forêts fertiles... En somme, si Saxifraga tridactylites casse la pierre, ce n'est pas à coup de pioche, mais en semant les conditions qui autorisent le déploiement du vivant!
Fleur de la Saxifrage à trois doigts: un calice en tube terminé par 5 lobes, 5 pétales arrondis, et pour les heureux possesseur d'une loupe, 10 étamines libres autour d'un pistil à deux styles!
Autrefois, selon la théorie des signatures qui voulait que l'aspect d'un végétal exprime ses vertus thérapeutiques, on reconnaissait aux Saxifrages la capacité de dissoudre les calcul rénaux... Après tout, les Perce-pierres avaient déjà de solides réputations de mineuses et de casseuses de cailloux! À vrai dire, c'est sans doute à cause des grappes de bulbilles de certaines Saxifrages (comme Saxifraga granulata) que l'homme avait tissé un lien entre les mineuses et les petites «pierres au reins» qui le faisait souffrir.
De son côté, Saxifraga tridactylites ne présente pas ce genre de bulbilles, mais une racine grêle et fragile. Jadis, elle était utilisée plus spécifiquement en traitement de la jaunisse... Infusée dans de la bière!
- Moi, mon truc, c’est de rajouter une petite goutte de bière quand j’ai battu les œufs...
(Le dîner de cons, Francis Veber)
Pour aller plus loin:
- Saxifraga tridactylites sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Populage des marais, Poitiers bords de Boivre
Caltha palustris (Populage des marais) appartient aux Ranunculaceae; une grande famille de Sauvages toxiques dont le nom viendrait du latin Rena, «grenouille», à cause de l'attrait pour l'eau de certains de ses membres. C'est le cas pour Caltha palustris: si vous voyez ses fleurs jaunes d'or, c'est que l'eau, courante ou stagnante, n'est pas très loin!
Populage des marais les pieds dans l'eau, Poitiers bords de Boivre
Caltha palustris est une vivace rustique qui aime les sols riches des marécages ou des bords de rivière. La Sauvage supporte même le bain, et peut survivre à des immersions (de courte durée). Ses rhizomes rampants peuvent former de belles colonies, dont les boutons dorés ne manquent pas de se faire remarquer au milieu d'une végétation encore bien timide au sortir de l'hiver.
Les anciens lecteurs du blog ne manqueront pas de penser à une autre pirate, la Ficaire (Ranunculus ficaria), qui choisit comme Caltha palustris la basse saison pour montrer ses atouts! Il se trouve que les deux sœurs Ranunculacées se ressemblent, fréquentent les mêmes zones humides et les mêmes grenouilles!
Ainsi, tu as une sœur jumelle...
(Star Wars le retour du Jedi, Richard Marquand)
Si le risque de confusion est possible lors d'une première rencontre, il ne subsiste guère une fois les présentations effectuées. Caltha palustris montre souvent un port plus «royal» (jusqu'à 40cm, elle est d'ailleurs un peu plus regardante quant à la richesse du sol), et ses feuilles présentent par endroit un crénelage caractéristique.
Feuille inférieures du Populage des marais: cordées à la base, légèrement crénelées, pétiolées, à nervures réticulées.
- Il s’appelle Juste Leblanc.
- Ah bon, il n’a pas de prénom?
- Je viens de vous le dire: Juste Leblanc... Votre prénom, c’est François, c’est juste? Eh bien lui c’est pareil, c’est Juste.
(Le dîner de cons, Francis Veber)
Comme sa fausse jumelle Ficaire, Caltha palustris bat des records en matière de noms populaires... La botaniste Aline Raynal-Roques (dans La botanique redécouverte) comptabilise pas moins de 90 noms anglais (Marsh marigold, Kingcup, mais aussi de véritables morceaux de «poetry» anglaise comme Horse blob ou Water bubbles!), 140 noms allemands (Sumpfdotterblume!)... Et 60 noms français.
Rien que sur le Poitou, on peine à s’accorder sur son appellation en poitevin-saintongeais: Clair-bassin de rivière pour les uns, Gros-bouton-d'or ou Souci-d'Eve pour les autres... En France, elle est le plus souvent le Populage des marais, la Caltha des marais, le Souci d'eau ou la Sarbouillote... On comprend l'importance d'utiliser une langue unique (le latin, accompagné d'une nomenclature) pour les botanistes de toutes régions et de toutes nations.
Mon nom est Bond. James Bond.
(James Bond 007 contre Dr No, Terence Young)
C'est pourquoi il convient surtout de retenir Caltha palustris. Caltha pour le grec «Calathos», la corbeille, une allusion à la forme de ses fleurs; et palustris, traduction de «marais» en latin. Elle est la jolie corbeille des marais!
Fleurs du Populage des marais: cinq ou six tépales et une armée d'étamines; notez les feuilles supérieures sessiles.
Caltha palustris présente une spécificité qui peut passer inaperçue au premier coup d’œil: ses fleurs sont dépourvues de pétales... Vous n'êtes sans doute guère convaincus, aussi nous faut-il revoir ce que les ouvrages de botanique nous racontent à propos de la fleur. Pour rappel (voir aussi l'article complet sur le sujet):
Une fleur complète est composée de deux couronnes de «feuilles» particulières: les sépales à l’extérieur, qui jouent un rôle de protection (les sépales forment le calice), et les pétales à l'intérieur (et oui, les pétales sont aussi des feuilles!), qui jouent principalement un rôle d'attraction des butineurs (les pétales forment la corolle). Méditons un peu sur cette dernière phrase...
Lorsque la fleur n'a qu'une seule couronne (dans tous ses stades de développement), on considère que c'est un calice constitué de sépales (source Gaston Bonnier, Flore complète de France, de Suisse et de Belgique).
Nous y voilà: chez Caltha palustris, l'unique couronne est composée de cinq sépales jaunes d'or, qui ressemblent en tout point à des pétales (on dit que ses sépales sont «pétaloïdes»). Lorsque l’ambiguïté entre pétales et sépales est à son comble, les botanistes coupent la poire en deux en parlant plutôt... De tépales. Abracadabra!
Fruits (follicules) du Populage des marais, Poitiers bords de Boivre
Pour aller plus loin:
- Caltha palustris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Silene latifolia (Compagnon blanc ou Chipôza-bourru en poitevin saintongeais!) appartient à la famille Caryophyllaceae, au côté de la Stellaire holostée ou de la Saponaire officinale par exemple, déjà croisées dans les pages du blog. A l'inverse de sa fausse jumelle aux fleurs rouges ou roses qui s'active en journée, le Compagnon rouge (Silene dioica), le Compagnon blanc préfère la vie nocturne: ce sont essentiellement les papillons de nuit qui assurent sa pollinisation, attirés par le parfum et le nectar que la Sauvage produit en plus grande quantité la nuit tombée.
La vie est tout de même une chose bien curieuse... Pour qui sait observer entre minuit et trois heures du matin.
(Le quai des brumes, Marcel Carné)
Jeune pousse de Compagnon blanc, Biard (86)
Les Silènes doivent leur nom à leur à leur calice renflé qui rend hommage au dieu grec Seilênos — père adoptif du truculent Dionysos — qu'on représente généralement avec un gros ventre. Une famille divine qui savait surement bien boire et bien manger, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit!
Calice velu du Compagnon blanc (Poitiers bords de Clain)
Notez que dans la famille des Silènes, c'est de loin le Silène enflé qui présente le plus grand tour de ceinture (Silène vulgaris, qu'on rencontrera essentiellement en terrain sec, et que les enfants transforment en pétard en éclatant le calice contre le dos de leur main)!
Un autre Silène: le Silène enflé au ventre gonflé comme un ballon de baudruche et aux jeunes feuilles glabres au goût de petit pois!
Moi, j’ai la vie dans mon ventre, alors que toi, t’as que des tacos pourris dans le bide.
(Juno, Jason Reitman)
Compagnon blanc — la sauvage noctambule aux fleurs blanches — et Compagnon rouge — la diurne aux fleurs rouges ou roses — sont deux vivaces peu regardantes quant à la nature du sol; leurs colonies sont toutefois plus éclatantes sur les terres riches en matière organique végétale.
Compagnon rouge (Silene dioica), un couche tôt qui préfère les rayons du soleil à ceux de la lune!
Si le Compagnon blanc préfère les sols calcaires, le Compagnon rouge se plaît d'avantage sur les sols siliceux, ce qui n'empêche pas les deux espèces de se rencontrer. Lorsque le soleil a rendez vous avec la lune, les hybridations ne sont pas rares: il peut en résulter une sorte de Compagnon à fleurs... Roses pâles!
Compagnon rouge (en haut à gauche), Compagnon blanc (en haut à droite) et hybride (en bas).
Silene Latifolia est une plante dioïque, c'est à dire qu'elle présente des pieds strictement mâles ou strictement femelles. A partir de mai, ce sont les étamines proéminentes qui nous permettent de distinguer les messieurs.
A gauche, fleur femelle du Compagnon blanc: 5 pétales échancrés entourant 5 styles recourbés. A droite, fleur mâle: 5 pétales échancrés entourant 10 étamines dressées.
Les dames quant à elles affichent en leur centre cinq styles recourbés et un calice nettement plus renflé. Leur «ventre dodu» renferme les graines et les générations futures en fin de floraison; la capsule dentée peut, lorsqu'elle est sèche, servir à confectionner un sifflet pour les enfants... A moins que les chenille des Noctuelles (Hadena sp.), qui aiment s'y cacher, ne l'aient croqué entre temps!
Capsule à 10 dents du Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Les voies de la nuit (et surtout celles de la génétique) étant impénétrables, il existe également des pieds de Silene latifolia hermaphrodites qui mêlent pistil et étamines dans leur ventre. Ces spécimens sont capables d'enfanter avec n'importe quel pied autour d'eux, mâle ou femelle, mais restent de piètres reproducteurs, ce qui explique sans doute leur rareté.
Feuilles du Compagnon blanc: opposées, sessiles, poilues, lancéolées et ondulées.
Le taux de saponines (des substances qui permettent aux végétaux qui les produisent de se protéger contre les insectes et les maladies) de Silene latifolia augmente progressivement au fur et à mesure de la croissance: si les jeunes pousses peuvent éventuellement être considérées comme comestibles, les pieds les plus avancés deviennent potentiellement toxiques. A cause de leur teneur en saponines, les parties souterraines de Silene latifolia ont parfois été utilisées pour confectionner savon ou lessive, même si c'est généralement sa consœur Saponaire officinale (Saponaria officinalis) qu'on préférait pour cet usage. Prêts pour une virée nocturne? A vos lampes de poche!
Pour aller plus loin:
- Silene latifolia : identification assistée par ordinateur
- Silene latifolia sur Tela-botanica
- Silene dioica : identification assistée par ordinateur
- Silene dioica sur Tela-botanica
- Silene vulgaris : identification assistée par ordinateur
- Silene vulgaris sur Tela-botanica
Un autre Silène, habitué des talus herbeux et rocailleux, nommé le Silène penché (Silene nutans) à cause de ses fleurs inclinées en panicule unilatérale.
Carte postale de vacances : Silène à une fleur ou Silène maritime (Silene uniflora), un Silène au port prostré des rivages ouverts et sablonneux de la côte Atlantique.