Colonie de Grande Consoude, Poitiers bords de Clain
Symphytum officinale (Grande Consoude) appartient à la famille Boraginaceae, aux côtés de la Bourrache officinale (Borrago officinalis), de la Vipérine commune (Echium vulgare) ou des Myosotis. Les membres de ce clan présentent souvent des inflorescences caractéristiques en «queue de scorpion» (cyme scorpioïde) et sont souvent couverts de poils raides: les Boraginacées doivent leur nom au latin burra, la «burre», une étoffe en laine rêche et grossière qui habillait autrefois les moines. Ainsi, les feuilles et les tiges anguleuses de la Grande Consoude sont vêtues d'une moumoute de poils hérissés non piquants.
Inflorescence en «queue de scorpion» de la Grande Consoude: des fleurs à 5 sépales et 5 pétales soudés en un tube.
La Grande Consoude est une vivace imposante (jusqu'à 120 centimètres de hauteur) qui s'installe de préférence dans les prés ou les boisements humides, à proximité de l'eau (rivières, étangs, marais...). Ses fleurs affichent des couleurs variées suivant les colonies (blanches, jaunes, roses, purpurines...). De plus, comme souvent chez les Boraginacées (voir notre article sur les Myosotis), la coloration des fleurs peut varier en fonction de leur maturité, indiquant aux insectes quelle corolle il convient de visiter en priorité.
Yo-ho, quel bonheur d’être un voleur! On vide les coffres et les pichets!
(Peter Pan, Walt Disney)
Les fleurs de la Grande Consoude présentent une caractéristique peu banale: les organes sexuels (pistil et étamines) bénéficient d'une double protection, celle du tube formé par les pétales, mais aussi celle de cinq écailles qui les recouvrent à l'intérieur de la corolle. Autant dire que cette forteresse met à mal certains butineurs invités par les couleurs et le parfum de la Sauvage (imperceptible pour l'homme). Les insectes munis d'une longue trompe tirent leur épingle du jeu, mais ce sont le plus souvent les bourdons qui profitent du trésor mellifère: ceux-ci peuvent forcer le passage, ou mieux, percer directement la base de la corolle grâce à leurs mandibules pour atteindre le précieux nectar.
A l'intérieur du coffre-fort des fleurs de la Grande Consoude, 5 écailles forment un cône protecteur autour des organes sexuels.
Une fois la corolle fracturée depuis l’extérieur par les bourdons, d'autres insectes profitent de l'ouverture. C'est là un véritable braquage végétal, puisque la Grande Consoude est délestée de son butin sans que les insectes ne viennent se frotter à ses organes sexuels. La Grande Consoude n'est donc pas une bonne reproductrice sexuée, la faute au blindage interne de ses fleurs! Heureusement, elle compense par une capacité de reproduction végétative très efficace qui lui permet de coloniser rapidement les espaces propices (sol profond, riche et humide). Championne du bouturage, elle peut aisément repartir depuis le moindre fragment de racine.
Bourdon fracturant une corolle de Consoude par l’extérieur: au voleur!
De par sa biomasse imposante et sa vigueur, la Grande Consoude a été considérée comme une fourragère généreuse, apte à nourrir veau, vache, cochon, couvée... Autrefois, l'homme consommait parfois ses racines (pelées et cuites à l'eau) et surtout ses feuilles au goût légèrement iodé qui peuvent faire office de «filet de poisson végétal» (pané, testé et approuvé). Aujourd'hui, on considère qu'une consommation exagérée ou régulière de la Sauvage serait dangereuse pour l'homme, à cause de la présence d’alcaloïdes hépatotoxiques, particulièrement dans ses racines. La Grande Consoude rejoint donc la liste des aliments sympathiques-mais-dont-il-ne-faut-pas-abuser (quelque part entre les chips Springles et les fraises Tagada?).
Si la Grande Ortie manque rarement dans les jardins particuliers, la présence de la Grande Consoude est plus anecdotique. Il convient donc de l'importer si on veut la garder à portée de ciseaux. Il suffit pour l'inviter de prélever un morceau de tige et un bout de racine, puis de la replanter sur un sol profond. Mais en terrain propice, la belle peut se montrer envahissante et difficile à déloger une fois en place. C'est pourquoi on préfère généralement à la Grande Consoude des spécimens sélectionnés pour leur générosité, leur robustesse et leur stérilité (ils ne se ressèment pas). La variété la plus célèbre dans les potagers se nomme Bocking 14, un cultivar stérile de l'hybride fertile Symphytum x uplandicum, croisement entre Symphytum officinale, la Grande Consoude, et Symphytum asperum, la Consoude Hérissée... Dans la nature comme en horticulture, les métissages font lois!
Symphytum x uplandicum, un hybride qui se naturalise ici et là. Polymorphe, il mélange les caractéristiques de ses deux parents: feuilles peu décurrentes (feuilles longuement décurrentes chez l'Officinale / non décurrentes chez l'Hérissée), poils un peu piquants (non piquants chez l'Officinale / très piquants chez l'Hérissée).
Pour aller plus loin:
- Symphytum officinale sur Tela-botanica
- Symphytum officinale: identification assistée par ordinateur
- La Consoude est-elle toxique? sur le site passeportsante.net
Lecture recommandée:
- La Consoude, trésor du jardin de Bernard Bertrand (éditions de Terran)
Consoude tubéreuse (Symphytum tuberosum): une autre espèce indigène discrète (20 à 60 centimètres de hauteur) à la tige ronde et aux fleurs toujours jaunes claires. Sa répartition se limite à la moitié sud de la France.
Chicorée amère en été, Poitiers bords de Boivre
Cichorium intybus (Chicorée amère) appartient au vaste clan Asteraceae (la première famille en France en nombre d’espèces), celui des Sauvages à capitules réunies sous la bannière du Pissenlit dent-de-lion et de sa reine Pâquerette. C'est en été que la Chicorée amère dresse des capitules aux fleurons bleus, tous ligulés, comme un écho céleste aux célèbres pompons d'or du roi des herbes folles. Outre-manche, on la surnomme parfois Blue Dandelion: entendez le «Pissenlit bleu».
J’ai été fiancé une fois... Une semaine!(Le Grand Bleu, Luc Besson)
Vivace et pionnière, la Chicorée amère dresse ses tiges ramifiées (jusqu'à un mètre de hauteur) dans les friches sèches, les prés et au bord des routes où elle apprécie les excès d'azote et le tassement du sol. Elle aime la lumière et boude ostensiblement en son absence: ses capitules restent clos la nuit comme les jours couverts. Surnommée la «Fiancée du soleil», la belle incarne selon les légendes une jeune fille changée en fleur malgré elle, condamnée à fixer son amant éconduit et revanchard, l'astre solaire: nul ne divorce impunément du soleil.
Le soleil aurait-il versé une larme sur son ex-fiancée, la Chicorée amère? Plus probablement une oothèque (blattes?), à moins que ce ne soit les restes d'un chewing-gum!
Un conte «fleur bleue» bien qu'un peu amer, quoi de plus normal pour notre Chicorée. Pour enfoncer le clou de sa fidélité quelque peu forcée, la Chicorée amère a renoncé à s'envoler: ses fruits (akènes) sont hérissés d'écailles, en lieu et place des soies chères aux membres de sa famille Astéracée. Ce qui ne l'empêche pas de profiter de l'agréable compagnie des routards et des routiers: les bords d'asphalte sont ses bastions favoris. En Allemagne, on la nomme Wegwarte, qu'on pourrait traduire par «celle qui attend au bord du chemin».
Chicorée amère: quand les salades font de l'auto-stop?
Malgré son triste sort, d'autres prétendants courtisent les capitules matinaux et éphémères de la Chicorée amère, à commencer par les abeilles et les syrphes, ses principaux pollinisateurs. La Sauvage ouvre chaque jour de nouveaux capitules qui se fanent ou se ferment dans la journée, avant midi lors des fortes chaleurs.
Chaque jour, la Sauvage déroule le même rituel: tôt le matin, chaque fleuron ligulé pointe un stigmate bifide fermé. Cinq étamines chargées de pollen sont accolées autour; la Sauvage n'exprime que son potentiel masculin afin de favoriser la reproduction croisée avec d'autres spécimens (1). Au fur et à mesure de la matinée, les stigmates s'ouvrent, comme fendus. La Sauvage révèle sa part féminine, acceptant d'être fécondée par le pollen transporté par les butineurs (2). Finalement, les deux parties du stigmate s'enroulent, léchant le pollen des étamines en dessous: en dernier recours et faute de visiteurs, la Sauvage tente de faire un bébé toute seule (3)!
La Chicorée amère est une plante comestible, consommée depuis des temps immémoriaux. Son nom trouverait ses origines en Égypte: elle est mentionnée sur des papyrus datant de quelques 4000 ans. A partir de ses sous espèces sélectionnées par l'homme, on produit des salades plutôt amères, telle la chicorée pain de sucre. Cultivée dans des caves obscures, l'ex «Fiancée du soleil» perd de sa rancune et donc de son amertume, nous offrant la délicieuse barbe-de-capucin ou les célèbres endives ou chicons (c'est en revanche une autre espèce proche qui est à l'origine des chicorées scaroles ou frisées, Cichorium endivia).
Grandes feuilles basales découpées et petites feuilles caulinaires entières de la Chicorée amère.
D'autres variétés sélectionnées pour la générosité de leur racine pivotante permettent de confectionner un succédané de café, après torréfaction des parties souterraines. Cette boisson s'est implanté au fil de l'histoire de France, sous la Révolution car le café devient une denrée rare et onéreuse, lors du blocus continental décrété par Napoléon au début du 19ème siècle, puis lors des deux guerres au 20ème siècle.
En tant que plante médicinale, les vertus digestives et apéritives de la Chicorée amère sont connues depuis les pharaons d'hier jusqu'à ceux d'aujourd'hui (feuilles et racines de la Chicorée amère sont inscrites à la liste A des plantes médicinales de la pharmacopée française). Entre temps, elle a offert d'autres services plus fantasques: remède contre les coups de chaleur, la jaunisse (on en attendait pas moins de la part de l'ex fiancée du soleil), la mélancolie, potion pour «briller» en société, philtre d'amour (mais d'amour chaste alors, car la Sauvage était considérée comme une plante anaphrodisiaque au Moyen-âge)... Bref, la Chicorée amère est bonne à tout faire, peut-être parce qu'elle est apéritive: c'est bien connu, quand l’appétit va, tout va!
Pour aller plus loin:
- Cichorium intybus sur Tela-botanica
- Cichorium intybus: identification assistée par ordinateur
- A travers la longue histoire médicale de la Chicorée par Alain Leroux
- La Chicorée sauvage à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
- Le chic insoupçonné de la Chicorée sur le site Planet vie
Avis à tous les aventuriers: on raconte que celui qui cueille à midi, le jour de la Saint Jacques, une fleur (capitule) blanche de Chicorée amère pourra ouvrir la serrure de tous les trésors... A bon entendeur!
Identifier la Chicorée amère ne cause généralement pas de difficultés... Reste à ne pas la confondre avec la superbe et trop rare Laitue vivace (Lactuca perennis), aux feuilles profondément pennatipartites, une espèce déterminante pour tout le Poitou!
Morelle Noire, Villeurbanne (69)
Solanum nigrum (Morelle noire) appartient au clan Solanaceae, aux côtés des pommes de terre, des tomates, des aubergines, mais aussi des fantastiques Mandragore (Mandragora officinarum), Datura officinal (Datura stramonium) et Belladone (Atropa belladonna); des plantes connues pour leur toxicité ou leur pouvoirs psychotropes, due aux alcaloïdes qu'elles synthétisent pour se protéger des assauts des herbivores.
- Comment vous trouvez le poulet?
- Mort.
(Après vous, Pierre Salvadori)
La Morelle noire n'est pas en reste: les baies noires qu'elle produit sont toxiques avant maturité. La solanine contenue dans ses fruits - substance que l'on retrouve aussi dans les parties vertes des pommes de terre ou les feuilles des pieds de tomates - est dangereuse pour l'homme comme pour les animaux domestiques. Ce qui vaut à la Morelle noire des surnoms poétiques, tels que Tue-chien ou Crève-poule en poitevin-saintongeais!
Baies mûres de la Morelle noire, Louhossoa (64)
Depuis tout petit, je suis coupable: j'ai toujours été coupable.(Rien à déclarer, Dany Boon)
En Europe, la famille Solanaceae est intimement liée à l'histoire de la sorcellerie. Mandragore, Belladone, Datura, Jusquiane: autant de plantes dangereuses, voir mortelles pour celui qui les utilise à mauvais escient, mais qui peuvent devenir de puissants psychotropes entre des mains initiées. On raconte que les sorcières fabriquaient un onguent avec la Morelle noire, dont elles se recouvraient le corps pour aller au sabbat en songe (assemblée nocturne de magiciennes)! Pour certains auteurs, Solanum viendrait d'ailleurs du latin solari, «je console», à cause de ses propriétés narcotiques et calmante (ses parties aériennes et ses fruits sont inscrits à la liste A des plantes médicinales de la pharmacopée française). La Morelle noire aurait également servi à confectionner une encre qui permettait de communiquer avec les défunts, ou des encens (aux fumées toxiques) pour faire offrande aux divinités crépusculaires... Brrrr!
Bref, la Morelle noire s'est taillé à travers l’histoire une aura sulfureuse et peu catholique. Pas étonnant qu'elle reste aujourd'hui cantonnée au rayon des «mauvaises herbes» sous nos latitudes et que ses potentialités soient le plus souvent ignorées. Au village, sans prétentions, la Morelle a-t-elle mauvaise réputation?
Larve de Doryphore: aux couleurs d'Halloween!
Peut-être que sa rédemption viendra des potagers où elle est parfois vue d'un bon œil par les jardiniers: les Doryphores (Leptinotarsa decemlineata, des grands amateurs de Solanacées) bouloteraient à l'occasion notre ex-magicienne plutôt que les rangs de patates (ou plus rarement de tomates ou d'aubergines). Après l'arrachage et la récolte des pommes de terre, attention à ne pas tolérer plus longtemps la (les) Morelle(s) autour des potagers: la Sauvage pourrait devenir un refuge de premier choix pour ces ravageurs croque-sorcières!
En guise de conclusion, deux incontournables du genre au potager: Solanum tuberosum, alias la Pomme de terre...
... Et Solanum lycopersicum, alias la Tomate cultivée. De la sorcellerie à la ratatouille, il n'y a qu'un tout petit chaudron!
Pour aller plus loin:
- Solanum nigrum sur Tela-botanica
- Solanum nigrum : identification assistée par ordinateur
- Solanum nigrum, un article de fond sur le blog de J.F.Dumas
Lecture recommandée: