Morelle Noire, Villeurbanne (69)
Solanum nigrum (Morelle noire) appartient au clan Solanaceae, aux côtés des pommes de terre, des tomates, des aubergines, mais aussi des fantastiques Mandragore (Mandragora officinarum), Datura officinal (Datura stramonium) et Belladone (Atropa belladonna); des plantes connues pour leur toxicité ou leur pouvoirs psychotropes, due aux alcaloïdes qu'elles synthétisent pour se protéger des assauts des herbivores.
- Comment vous trouvez le poulet?
- Mort.
(Après vous, Pierre Salvadori)
La Morelle noire n'est pas en reste: les baies noires qu'elle produit sont toxiques avant maturité. La solanine contenue dans ses fruits - substance que l'on retrouve aussi dans les parties vertes des pommes de terre ou les feuilles des pieds de tomates - est dangereuse pour l'homme comme pour les animaux domestiques. Ce qui vaut à la Morelle noire des surnoms poétiques, tels que Tue-chien ou Crève-poule en poitevin-saintongeais!
Baies mûres de la Morelle noire, Louhossoa (64)
Depuis tout petit, je suis coupable: j'ai toujours été coupable.(Rien à déclarer, Dany Boon)
En Europe, la famille Solanaceae est intimement liée à l'histoire de la sorcellerie. Mandragore, Belladone, Datura, Jusquiane: autant de plantes dangereuses, voir mortelles pour celui qui les utilise à mauvais escient, mais qui peuvent devenir de puissants psychotropes entre des mains initiées. On raconte que les sorcières fabriquaient un onguent avec la Morelle noire, dont elles se recouvraient le corps pour aller au sabbat en songe (assemblée nocturne de magiciennes)! Pour certains auteurs, Solanum viendrait d'ailleurs du latin solari, «je console», à cause de ses propriétés narcotiques et calmante (ses parties aériennes et ses fruits sont inscrits à la liste A des plantes médicinales de la pharmacopée française). La Morelle noire aurait également servi à confectionner une encre qui permettait de communiquer avec les défunts, ou des encens (aux fumées toxiques) pour faire offrande aux divinités crépusculaires... Brrrr!
Bref, la Morelle noire s'est taillé à travers l’histoire une aura sulfureuse et peu catholique. Pas étonnant qu'elle reste aujourd'hui cantonnée au rayon des «mauvaises herbes» sous nos latitudes et que ses potentialités soient le plus souvent ignorées. Au village, sans prétentions, la Morelle a-t-elle mauvaise réputation?
Larve de Doryphore: aux couleurs d'Halloween!
Peut-être que sa rédemption viendra des potagers où elle est parfois vue d'un bon œil par les jardiniers: les Doryphores (Leptinotarsa decemlineata, des grands amateurs de Solanacées) bouloteraient à l'occasion notre ex-magicienne plutôt que les rangs de patates (ou plus rarement de tomates ou d'aubergines). Après l'arrachage et la récolte des pommes de terre, attention à ne pas tolérer plus longtemps la (les) Morelle(s) autour des potagers: la Sauvage pourrait devenir un refuge de premier choix pour ces ravageurs croque-sorcières!
En guise de conclusion, deux incontournables du genre au potager: Solanum tuberosum, alias la Pomme de terre...
... Et Solanum lycopersicum, alias la Tomate cultivée. De la sorcellerie à la ratatouille, il n'y a qu'un tout petit chaudron!
Pour aller plus loin:
- Solanum nigrum sur Tela-botanica
- Solanum nigrum : identification assistée par ordinateur
- Solanum nigrum, un article de fond sur le blog de J.F.Dumas
Lecture recommandée:
Grand Plantain, Poitiers quartier gare
Plantago major (Grand Plantain) fait office de chef de clan chez les Plantaginaceae, une famille bigarrée qui regroupe des Sauvages aussi diverses que les Véroniques (Veronica spp), les Digitales (Digitalis spp), les Linaires (Linaria spp) ou la délicate Cymbalaire des murs (Cymbalaria muralis)... A moins d'être généticien (ou papillon), difficile de trouver un fil conducteur dans ce grand bazar.
La célèbre rosette de feuilles ovales et entières, aux nervures parallèles, du Grand Plantain: en réalité, des feuilles alternes disposées en spirale, chaque feuille s'écartant de la précédente selon un angle immuable de 144°.
- A-t-elle l’air pâle ou verte?
- Elle a l’air écrabouillée!
(La fée Clochette, Bradley Raymond)
Le Grand Plantain est une vivace très commune (c'est généralement une des première plantes qu'on apprend à identifier) qui s'installe sur les sols fortement piétinés et baignés de soleil. Un poil masochiste, le Sauvageon s'implante jusque sur les parkings, ou devant une sortie de garage, ses parties aériennes pouvant résister jusqu'au passage d'une roue de voiture.
Si le Grand Plantain préfère les sols tassés, c'est parce que la concurrence s'y fait rare. Mais tous les terrains lui conviennent, jusqu'à 2000 mètres d'altitude. Sa capacité d'adaptation lui a permis de s'exporter jusque dans les colonies européennes au 16ème siècle; les amérindiens l'avaient surnommé White man's footprint, «l'empreinte de l'homme blanc», car sa présence marquait les terres foulées par les européens. Chose amusante, les européens avaient eux-mêmes choisi le nom Plantago pour désigner la Sauvage, planta étant la plante du pied en latin, une référence à la forme de ses feuilles. Des histoires de pied, quoi de plus normal pour un végétal qui se laisse volontiers piétiner?
Grand sur un sol riche (jusqu'à 50 cm), chétif sur un terrain misérable, tolérant face aux herbicides comme aux pollutions urbaines, le Grand Plantain fait partie de ces Sauvages dont la plasticité et la capacité d'adaptation forcent le respect.
Un des secrets de la résistance du Grand Plantain repose sur ses feuilles épaisses. En déchirant une feuille transversalement, on voit apparaitre des fils (correspondants aux nervures) capables de s’allonger tels des élastiques. Les enfants peuvent s'amuser à étirer ces «cordes» végétales, la plus longue remportant le concours, à condition qu'elle ne casse pas. Des feuilles en forme de banjo, un jeu de cordes élastiques: le Grand Plantain a un peu l'allure d'un instrument fantastique. Il est parfois surnommé outre manche Angel's Harp («La harpe des anges»), ou plus récemment Beatles'Guitar («La guitare des Beatles»)!
Un terrain abandonné par l’agriculture, une friche, un lieu où la nature reprend ses droits... Voilà un décor idéal pour notre Plantain qui vient jouer les colons. Et avec lui, un papillon que l’on qualifie également d’espèce pionnière: la Mélitée du plantain (Melitaea cinxia). C'est un papillon assez commun sous nos latitudes, que l’on croise d’avril à août en Poitou.
Imago de Mélitée du plantain fraîchement émergé... Tremblez, Plantains!
Vous l’aurez donc compris, avec un nom pareil, notre bestiole compte sur les Plantains pour élever sa progéniture. Au printemps, sitôt qu’elle a repéré un site avec une bonne densité de Plantains, la femelle Mélitée dépose ses œufs en tas de 50 à 300 sous les feuilles. Une fois écloses, les petites chenilles se mettent à tisser une sorte de chapiteau de fortune en toile de soie où elles commencent à se faire les dents. Et si, à force de se bâfrer de feuilles, notre Sauvage est mise à nue, aucun souci: les mini-larves partent à la recherche d’un autre pied de Plantain en filant des corridors de soie.
Chenilles de Mélitée du Plantain ayant tissé leur chapiteau.
Les mois se succèdent. Avec l'arrivée des mauvais jours, les chenilles nées durant l’été (la Mélitée du Plantain produisant deux générations par an, une au printemps et une l’été) se ménagent un nid de feuilles reliées par des fils de soie. Elles y passent l’hiver par groupes de 10 à 60. Puis, au mois de mars de l’année suivante, elles pointent de nouveau le bout de leur nez, même par quelques degrés seulement. Il n’est alors pas rare de les observer en train de se dorer la pilule au soleil, aidées par leur livrée sombre… Si toutefois vous parvenez à les trouver car elles ressemblent alors étrangement aux épis des Plantains en boutons.
Parvenus à leur ultime mue, les chenilles de la Mélitée du plantain se dispersent pour aller se nymphoser. A ce moment, il n’est pas rare de les trouver galopant sur les chemins. Celles-ci, trouvées sur une piste cyclable étaient en cours de sauvetage!
- Pâtisseries empoisonnées, beignets mortels, macaron foudroyants...- Pas mal!(Astérix et Cléopâtre, René Goscinny et Albert Uderzo)
Notons que deux autres espèces de Mélitées poitevines pondent sur les Plantains (on compte en France une cinquantaine d’espèces de papillons susceptibles de profiter de leurs feuilles): la Mélitée orangée (Melitaea didyma) et la Mélitée des scabieuses (Melitaea parthenoides), toutes deux moins communes que la Mélitée du plantain.
Imago et chenille de Mélitée orangée
Imago et chenille de Mélitée des scabieuses
- Plantago major sur Tela-botanica
- Plantago lanceolata sur Tela-botanica
- Plantago coronopus sur Tela-botanica
- Plantago media sur Tela-botanica
- L'usage médicinal des Plantains à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
- La relation toxique d’une Mélitée avec un Plantain sur le site de Zoom Nature
Reine-des-prés, Nouaillé-Maupertuis (86)
Filipendula ulmaria (Reine-des-prés) appartient au clan Rosaceae, celui des Roses et des Ronces bien sûr, mais aussi celui des célèbres Cerisiers, Pommiers, Poiriers et autres géants producteurs de fruits. Une famille incontournable pour l'alimentation humaine, à qui la Reine-des-prés fait honneur, même si sa consommation est aujourd'hui tombé en désuétude: comestible, elle a servi a aromatiser desserts, glaces, boissons, confitures, dentifrices même! Plus simplement, l'infusion de ses fleurs (récoltés avant leur épanouissement puis séchées) présente un parfum proche de l'amande. La tisane de ses parties aériennes (feuilles surtout) vendue dans le commerce, bien qu'agréable, présente moins de saveur.
Des petites fleurs à cinq pétales (réunies en corymbes), des feuilles composées (imparipennées et doublement dentées), des stipules exubérants (demi-circulaires et dentées) sont autant de caractéristiques qui marquent l’appartenance au clan Rosacée.
Filipendula ulmaria: uImaria serait tiré de «Ulmus», l'Orme, ses folioles ressemblant aux feuilles de l'arbre.
Je te laisse en train de barboter et vingt ans après, je te retrouve encore dans l'eau.
(Le Grand Bleu, Luc Besson)
La Reine-des-prés est une vivace qui colonise les prairies humides, les mégaphorbiaies baignées de soleil, les lisières d'aulnaies où elle côtoie d'autres géantes (jusqu'à 1m50 de hauteur pour la Reine-des-prés) comme l'Eupatoire à feuilles de chanvre (Eupatorium cannabinum), l'Angélique sylvestre (Angelica sylvestris) ou la Cardère sauvage (Dipsacus fullonum). Elle signe les sols engorgés en eau et en matière organique végétale: si vous voulez en faire la culture, il vous faudra lui trouver une parcelle fraiche, riche où elle ne connaitra jamais la soif.
Sous terre, les tubercules de la Reine-des-prés (également comestibles, bien qu'amers) semblent pendus à un réseau de fibres: la Sauvage leur doit son nom scientifique Filipendula, littéralement «suspendu à un fil» en latin.
Très mellifère, la Reine-des-prés est aussi surnommée «Plante aux abeilles».
A milieu du 19ème siècle, l'Abbé Obriat (Haute Marne) s'intéresse à l'usage médical de la Reine-des-prés, propulsant la Sauvage au panthéon des grandes médicinales. Le religieux utilise largement la plante — alors connue sous le nom de Spirée (à cause de ses fruits spiralés) — pour ses vertus diurétiques et anti-rhumatismales. D'autres hommes de science poursuivent l'investigation, mettant en évidence l'acide spirique concentré dans la plante, à partir duquel sera synthétisé un des principes actifs les plus célèbres au monde, et de loin le plus consommé: l'acide acétylsalicylique. C'est ce dernier que la firme Bayer dépose (1899) sous le nom d'«Aspirine», en hommage à la «Spirée». Ainsi, à l'aube du 20ème siècle, la Reine-des-prés devient aussi la reine des pharmacies!
Fruits (akènes) en spirale de la Reine-des-prés: La Spirée qui inspira l'Aspirine!
C'est l'heure des médicaments, l'heure des médicaments!
(Vol au-dessus d'un nid de coucou, Miloš Forman)
Même si la Reine-des-prés n'est pas un cachet d'Aspirine, sa consommation est à proscrire pour toute personne qui serait allergique au médicament. Cette précaution étant prise, la Sauvage reste une incontournable des herboristeries (ses sommités fleuries sont inscrites à la liste A de la Pharmacopée française), généralement utilisée dans le traitement des douleurs articulaires mineures, voir des maux de tête, des courbatures ou des états grippaux...
Ses vertus diurétiques on font également la reine des «tisanes régimes». Rafraichissante dans les cas d'acidité gastrique ou d'ulcères (causés par un excès d'Aspirine?!), on pourrait penser qu'il n'y a guère que les chagrins d'amour qu'elle ne peut soulager (pour soigner ces derniers, songez plutôt à un bouquet de Sauge!).
Et puisqu'on évoque les liens familiaux, approchons nous d'Olivier Pouvreau, lépidoptériste de Sauvages du Poitou, qui semble avoir repéré quelques paires d'ailes virevoltant autour de notre Reine-des-prés...
Parmi les nombreux insectes gravitant autour de Filipendula ulmaria, il est un papillon dont le nom est un peu trompeur : le Nacré de la sanguisorbe (Brenthis ino) aurait dû s’appeler Nacré de la reine-des-prés puisque celle-ci correspond à la plante-hôte larvaire préférée de sa chenille.
Nacré de la sanguisorbe : une allure générale élancée et une bordure marginale noire continue au dessus des ailes.
Nacré de la sanguisorbe : une cellule entièrement jaune au dessous des ailes.
Ce papillon, très rare en Poitou (seulement deux stations connues dans la Vienne), plus commun en altitude (en Auvergne par exemple) est inféodé aux prairies humides où croît sa reine préférée. Le Nacré de la sanguisorbe passe facilement inaperçu car de nombreux voisins lui ressemblent comme deux gouttes d’eau. Le Nacré de la ronce (Brenthis daphne) notamment, assez commun en Poitou, joue son frère jumeau et fait tourner en bourrique les lépidoptéristes en herbe quand il s’agit de les différencier… Aussi, l’équipe de Sauvages du Poitou vous livre quelques clés utiles au cas où vous auriez affaire à ce terrible cas de conscience!
Nacré de la ronce : une allure générale ronde et des taches noires marginales distinctes au dessus des ailes.
Nacré de la ronce : une cellule envahie de brun au dessous des ailes.
Pour aller plus loin:
- Filipendula ulmaria sur Tela-botanica
- Filipendula ulmaria : identification assistée par ordinateur
- Filipendula vulgaris sur Tela-botanica
- Filipendula vulgaris : identification assistée par ordinateur
- La Reine-des-prés à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
Le port forcément royal de la Reine-des-prés, Poitiers bords de Boivre