Orchis bouc, Biard (86)
Himantoglossum hircinum (Orchis bouc) appartient à la prestigieuse famille des Orchidaceae, dont les membres fascinent les amoureux de nature. Peut être parce que parmi les 20.000 espèces connues sur le globe (on en découvre chaque année de nouvelles parait-il), seules 120 foulent le territoire français. Ou plus simplement, à cause de l'originalité de leurs fleurs (voir l'article complet sur le sujet) et de la sexualité complexe qui les accompagne. Ce qui est moins connu en revanche, c'est l'origine du mot Orchidée: celles ci doivent leur patronyme a leurs tubercules souterrains... Orchis étant le «testicule» en latin!
J’me laverai pas pour garder ton odeur!
(La vie est un long fleuve tranquille, Étienne Chatiliez)
Himantoglossum hircinum, notre Orchis bouc, enfonce en peu plus avant le clou de la poésie: il doit son nom à l'odeur peut sympathique qu'il dégage à son pic de floraison, qui pourrait séduire une chèvre en manque d'affection (Hircus est le «bouc» en latin... Les autochtones parlent plutôt d'une odeur de chabichou!). En réalité, l'odeur est surtout chargée d'attirer les insectes qui assurent sa fécondation, une stratégie plus économique pour la Sauvage que de se lancer dans la production de nectar (des populations d'Himantoglossum hircinum produisant un peu de nectar ont déjà été observée en Europe centrale, comme si la Sauvage était finalement devenue capable de récompenser les butineurs avant qu'ils ne se lassent de la supercherie).
Rosette de feuilles glabres et charnues de l'Orchis bouc en automne
Himantoglossum hircinum est donc vivace de par son tubercule. La Sauvage affectionne les prairies calcaires pauvres et sèches, baignées de lumière. Comme ses consœurs, la belle nait dans des conditions peu habituelles: les graines d'Orchidées sont produites en quantité (jusqu'à un millier par fruit pour l’Orchis bouc, et jusqu’à 50 fruits par pied), mais elles sont minuscules (0,05 millionième de gramme pour l’Orchis bouc, de la poussière en somme) et en quelque sorte incomplètes. Pour germer, celles ci nécessitent l'aide d'un champignon «compagnon» (mycorhize) qui assurera leur alimentation dans les premiers stades de développement. Autant dire que le renouvellement des colonies d'Orchidées repose sur un équilibre naturel précis et précaire (en France, une espèce sur six est menacée de disparition). Leur floraison signe toujours le succès d'une recette magique dont l'issue était pourtant très incertaine!
Le monde est plein de magie, il suffit d’y croire. Alors faîtes un vœu... C’est bon? Bien. Maintenant croyez-y de tout votre cœur.
(Les frères Scott, Mark Schwahn)
Un milieu adéquat ne garantie pas pour autant la floraison d'Himantoglossum hircinum d'une année à l'autre: une fois installée, la Sauvage possède son rythme propre, où alternent floraisons spectaculaires et périodes discrètes de reproduction végétative (la probabilité de fleurir augmente avec le nombre de feuilles de la rosette).
Orchis bouc, Poitiers bords de Boivre
Paradoxalement, certaines Orchidées – à l’image de notre Orchis bouc - ont trouvé une terre d’accueil toute à leur convenance dans les nouveaux no man’s land que sont les bords d’autoroute, les aéroports ou les jachères. C’est pourquoi entre mai et juillet, il n'est pas rare de croiser Himantoglossum hircinum sur les pelouses des jardins municipaux ou au bord des routes, même les plus fréquentées. N'allez pas croire pour autant que la belle est une pioche banale parmi les trésors du clan Orchidaceae: faites fi de son allure élancée (jusqu'à un mètre de hauteur), de ses couleurs un poil ternes et de son parfum douteux pour vous rapprocher d'elle...
La danse de l'Orchis bouc, Chezeau (86)
Tous les trésors ne sont pas d'argent et d'or!
(Pirates des Caraïbes, la malédiction du Black Pearl, Gore Verbinski)
Himantoglossum hircinum fait honneur à la réputation de son clan: sa floraison offre un spectacle édifiant, digne de l'explosion d'une piñata mexicaine! Himas est la «lanière» et glossa la «langue» (bien pendue) en grec: les trois lobes du labelle de ses fleurs se déroulent comme des serpentins. Un éperon court (généralement dépourvu de nectar) prolonge le labelle interminable, sépales et pétales convergent au dessus des organes reproducteurs pour former un «casque» protecteur.
Orchis bouc, Buxerolles (86)
- Ça va trancher chérie!
- Mais non, qu’est ce que tu fais, il faut dire «ça va couper chérie»! Pas «ça va trancher»!
- Ah bon?
(La Cité de la peur, les Nuls)
Si les fleurs d'Himantoglossum hircinum sont ornées d'un «casque», celui ne peut pas grand chose face aux lames acérées d'une tondeuse à gazon... La Sauvage colonise pourtant les pelouses rases, et ne se plait guère dans les zones de friche laissées à l'abandon. Reste donc à trouver un terrain d'entente pour que tous profitent du spectacle de sa floraison; le mieux étant que les jardiniers (ou techniciens de espaces verts) apprennent à repérer ses rosettes au printemps pour les contourner et les laisser s'épanouir!
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Orchis bouc au micro de France Bleu Poitou
- Himantoglossum hircinum sur Tela botanica
- Himantoglossum hircinum, identification assistée par ordinateur
- Le coté obscure de l'Orchis bouc sur le site de Zoom Nature
- Orchis bouc, les caprices d'une Orchidée sur le site de Zoom Nature
Orchis bouc: un paysage pour le moins fantastique!
Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Saxifraga tridactylites (Saxifrage à trois doigts) appartient à la famille qui porte son nom, Saxifragaceae. Les Saxifrages sont légions, regroupant plus de 400 espèces connues; la plupart d'entre elles sont taillées pour l'escalade et la vie à flanc de falaise. Leur nom vient d'ailleurs du latin saxum, «rocher» et frangere, «briser»: elles sont les mineuses, les «perce-pierres», à cause de leur faculté à s'insérer dans le moindre recoin ou la moindre fissure...
Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Si les Saxifrages, de par leur nombre et leur similitudes, sont souvent délicates à différencier, Saxifraga tridactylites se laisse facilement identifier en milieu citadin. Elle doit son nom à ses feuilles charnues caractéristiques «à trois doigts», parfois rougeâtres, couvertes de poils glanduleux.
Feuilles de Saxifraga tridactylites: alternes sur la tige, sessiles, à 3 lobes (parfois 5).
Tuant une mouche
J'ai blessé
Une fleur
(Kobayashi Issa)
Saxifraga tridactylites est à la botanique ce que le haïku est à la poésie: un bijou saisonnier (elle est annuelle), subtil, qu'on risque fort de piétiner faute d'attention (au sommet de sa forme, elle dépasse guère les 10cm). Elle fleurit au début du printemps sur les murs, les rochers ou les sols sablonneux. Difficile pour elle de perdurer au delà du mois de mai: lorsque les chaleurs estivales pointent, la vie à flanc de falaise devient vite un enfer!
Saxifrage à trois doigts, Poitiers gare
En poussant là où la vie se résume à l'état minéral, Saxifraga tridactylites rejoue inlassablement la grande histoire des plantes, sorties des océans il y a 400 millions d'années pour conquérir la terre ferme (en réalité, c'est l'eau qui s'est retirée progressivement, et non pas les algues qui se seraient lassées de la baignade!).
La vie trouve toujours son chemin...
(Jurassic park, Steven Spielberg)
Les pionnières comme Saxifraga tridactylites induisent un micro-climat par leur (modeste) couvert et favorisent l'accumulation d'humus et de substrat en mourant. Elles permettent ainsi à d'autres espèces plus exigeantes de s'installer derrière elles, initiant le mouvement naturel qui tend à transformer les déserts en forêts fertiles... En somme, si Saxifraga tridactylites casse la pierre, ce n'est pas à coup de pioche, mais en semant les conditions qui autorisent le déploiement du vivant!
Fleur de la Saxifrage à trois doigts: un calice en tube terminé par 5 lobes, 5 pétales arrondis, et pour les heureux possesseur d'une loupe, 10 étamines libres autour d'un pistil à deux styles!
Autrefois, selon la théorie des signatures qui voulait que l'aspect d'un végétal exprime ses vertus thérapeutiques, on reconnaissait aux Saxifrages la capacité de dissoudre les calcul rénaux... Après tout, les Perce-pierres avaient déjà de solides réputations de mineuses et de casseuses de cailloux! À vrai dire, c'est sans doute à cause des grappes de bulbilles de certaines Saxifrages (comme Saxifraga granulata) que l'homme avait tissé un lien entre les mineuses et les petites «pierres au reins» qui le faisait souffrir.
De son côté, Saxifraga tridactylites ne présente pas ce genre de bulbilles, mais une racine grêle et fragile. Jadis, elle était utilisée plus spécifiquement en traitement de la jaunisse... Infusée dans de la bière!
- Moi, mon truc, c’est de rajouter une petite goutte de bière quand j’ai battu les œufs...
(Le dîner de cons, Francis Veber)
Pour aller plus loin:
- Saxifraga tridactylites sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Saxifrage à trois doigts, Poitiers quartier gare
Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Silene latifolia (Compagnon blanc ou Chipôza-bourru en poitevin saintongeais!) appartient à la famille Caryophyllaceae, au côté de la Stellaire holostée ou de la Saponaire officinale par exemple, déjà croisées dans les pages du blog. A l'inverse de sa fausse jumelle aux fleurs rouges ou roses qui s'active en journée, le Compagnon rouge (Silene dioica), le Compagnon blanc préfère la vie nocturne: ce sont essentiellement les papillons de nuit qui assurent sa pollinisation, attirés par le parfum et le nectar que la Sauvage produit en plus grande quantité la nuit tombée.
La vie est tout de même une chose bien curieuse... Pour qui sait observer entre minuit et trois heures du matin.
(Le quai des brumes, Marcel Carné)
Jeune pousse de Compagnon blanc, Biard (86)
Les Silènes doivent leur nom à leur à leur calice renflé qui rend hommage au dieu grec Seilênos — père adoptif du truculent Dionysos — qu'on représente généralement avec un gros ventre. Une famille divine qui savait surement bien boire et bien manger, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit!
Calice velu du Compagnon blanc (Poitiers bords de Clain)
Notez que dans la famille des Silènes, c'est de loin le Silène enflé qui présente le plus grand tour de ceinture (Silène vulgaris, qu'on rencontrera essentiellement en terrain sec, et que les enfants transforment en pétard en éclatant le calice contre le dos de leur main)!
Un autre Silène: le Silène enflé au ventre gonflé comme un ballon de baudruche et aux jeunes feuilles glabres au goût de petit pois!
Moi, j’ai la vie dans mon ventre, alors que toi, t’as que des tacos pourris dans le bide.
(Juno, Jason Reitman)
Compagnon blanc — la sauvage noctambule aux fleurs blanches — et Compagnon rouge — la diurne aux fleurs rouges ou roses — sont deux vivaces peu regardantes quant à la nature du sol; leurs colonies sont toutefois plus éclatantes sur les terres riches en matière organique végétale.
Compagnon rouge (Silene dioica), un couche tôt qui préfère les rayons du soleil à ceux de la lune!
Si le Compagnon blanc préfère les sols calcaires, le Compagnon rouge se plaît d'avantage sur les sols siliceux, ce qui n'empêche pas les deux espèces de se rencontrer. Lorsque le soleil a rendez vous avec la lune, les hybridations ne sont pas rares: il peut en résulter une sorte de Compagnon à fleurs... Roses pâles!
Compagnon rouge (en haut à gauche), Compagnon blanc (en haut à droite) et hybride (en bas).
Silene Latifolia est une plante dioïque, c'est à dire qu'elle présente des pieds strictement mâles ou strictement femelles. A partir de mai, ce sont les étamines proéminentes qui nous permettent de distinguer les messieurs.
A gauche, fleur femelle du Compagnon blanc: 5 pétales échancrés entourant 5 styles recourbés. A droite, fleur mâle: 5 pétales échancrés entourant 10 étamines dressées.
Les dames quant à elles affichent en leur centre cinq styles recourbés et un calice nettement plus renflé. Leur «ventre dodu» renferme les graines et les générations futures en fin de floraison; la capsule dentée peut, lorsqu'elle est sèche, servir à confectionner un sifflet pour les enfants... A moins que les chenille des Noctuelles (Hadena sp.), qui aiment s'y cacher, ne l'aient croqué entre temps!
Capsule à 10 dents du Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Les voies de la nuit (et surtout celles de la génétique) étant impénétrables, il existe également des pieds de Silene latifolia hermaphrodites qui mêlent pistil et étamines dans leur ventre. Ces spécimens sont capables d'enfanter avec n'importe quel pied autour d'eux, mâle ou femelle, mais restent de piètres reproducteurs, ce qui explique sans doute leur rareté.
Feuilles du Compagnon blanc: opposées, sessiles, poilues, lancéolées et ondulées.
Le taux de saponines (des substances qui permettent aux végétaux qui les produisent de se protéger contre les insectes et les maladies) de Silene latifolia augmente progressivement au fur et à mesure de la croissance: si les jeunes pousses peuvent éventuellement être considérées comme comestibles, les pieds les plus avancés deviennent potentiellement toxiques. A cause de leur teneur en saponines, les parties souterraines de Silene latifolia ont parfois été utilisées pour confectionner savon ou lessive, même si c'est généralement sa consœur Saponaire officinale (Saponaria officinalis) qu'on préférait pour cet usage. Prêts pour une virée nocturne? A vos lampes de poche!
Pour aller plus loin:
- Silene latifolia : identification assistée par ordinateur
- Silene latifolia sur Tela-botanica
- Silene dioica : identification assistée par ordinateur
- Silene dioica sur Tela-botanica
- Silene vulgaris : identification assistée par ordinateur
- Silene vulgaris sur Tela-botanica
Un autre Silène, habitué des talus herbeux et rocailleux, nommé le Silène penché (Silene nutans) à cause de ses fleurs inclinées en panicule unilatérale.
Carte postale de vacances : Silène à une fleur ou Silène maritime (Silene uniflora), un Silène au port prostré des rivages ouverts et sablonneux de la côte Atlantique.