Grande Mauve, bord de champs à Biard (86)
Malva sylvestris (Grande Mauve ou Fouacé en poitevin saintongeais), fait office de reine du bal dans le clan qui porte son nom, Malvaceae. Mauve est la couleur de ses fleurs; mais difficile de dire qui de la couleur ou de la fleur donna son nom à l'autre, tant la Sauvage est emblématique et choyée par l'homme depuis toujours...
Fleur à 5 lobes échancrés de la Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
Malva sylvestris est une vivace (qui se comporte souvent en bisanuelle sous nos latitudes), dont les fleurs s'ouvrent entre mai et la fin de l'été. La belle passe difficilement inaperçue: sa tige et ses rameaux poilus peuvent dépasser le mètre de hauteur sur un sol propice.
Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
L'ancien nom latin de Malva sylvestris était Omnimorbia, c'est à dire «toutes les maladies»: ses propriétés adoucissantes étaient connus de tous. Ses fleurs et ses feuilles (fraîches ou séchées), en infusion ou en gargarisme, apaiseraient les inflammations comme les toux sèches, les gorges enrouées ou les aphtes. Appliquées en compresse, elles soulageraient panaris, furoncles ou hémorroïdes...
Princesse, t’es tellement douce que même le sel à le gout du sucre avec toi.
(Boulevard de la mort, Quentin Tarentino)
Bref, Malva sylvestris est une caresse rafraîchissante pour le corps qui souffre, mais pas seulement: Pythagore recommandait la tisane bleue à ses élèves pour adoucir les passions et pacifier l'esprit! Pour certains historiens, Malva viendrait d'ailleurs du grec malasso qui signifie «ramollir» ou «adoucir». Les grecs, puis les romains, la considéraient comme une plante sacrée apte à élever les âmes vers la lumière, sans doute inspirés par la faculté de la Sauvage à tourner ses fleurs vers le soleil.
Dire que Malva Syvestris est une plante comestible est une litote... Il serait plus juste de la considérer comme un véritable légume tant elle a été cultivée et consommée depuis les temps préhistoriques! Arabes, chinois, européens l'ont mangée crue en salade, cuite en soupe, en farce ou en ragoût. Elle est riche en sels minéraux, vitamines A, B1, B2 et C, en protéines complètes, en fer et en calcium.
On préfère généralement les fleurs et les jeunes feuilles, car ces dernières en vieillissant feront d'avantage sentir la qualité mucilagineuse (visqueuse et humidifiante) de la Sauvage... Tout le monde n’apprécie pas, mais c'est une particularité utile en cuisine: les parties aériennes de Malva sylvestris (ou une décoction des parties souterraines) peuvent épaissir un velouté ou une crème maison (en lieu et place de produits industriels de type Maïzena).
Les jeunes fruits circulaires (surnommés les «fromages» à cause de leur forme, pas de leur goût) sont tendres et se grignotent en salade (après les avoir débarrassés de leurs calices).
«Fromage» (fruit, un schizocarpe) de la Grande Mauve,
Poitiers quartier Chilvert
Sa culture aisée devrait nous inciter à la réintégrer dans les potagers, à l'image des romains qui préféraient garder la belle à portée de ciseau au fond de leurs jardins plutôt que de lui courir après à travers la campagne.
«Con un huerto y un malva hay medicina para un hogar» (Un jardin potager et de la Mauve constituent des remèdes suffisants pour un foyer)
(Maxime populaire espagnole)
Dans un cornet constitué d'un double calice, des pétales enroulés comme une glace à l'italienne: une signature de la famille des Malvacées (Grande Mauve, Poitiers)
Si les Anciens estimaient la Grande mauve comme apte à élever les âmes vers la lumière, deux papillons de nos régions ont bien compris que la Sauvage pouvait aussi aider leurs chenilles à s’envoler vers le ciel une fois leur métamorphose réalisée! Car la Grande mauve est aussi le garde-manger larvaire de l’Hespérie de l’alcée (ou Grisette, Carcharodus alceae) et de la Belle dame (Vanessa cardui).
Hespérie de l’alcée, Migné-Auxances (86)
A vrai dire, nos deux papillons n'ont pas que la Sauvage comme casse-croûte. En effet, l’Hespérie de l’alcée s’intéresse également à d’autres membre du clan Malvaceae (telle la Mauve musquée, Malva moschata) tandis que la Belle dame disperse ses œufs sur pas moins de... 70 espèces de plantes appartenant à 8 familles végétales!
Belle Dame, forêt de Vouillé (86)
Pour aller plus loin:
- Malva sylvestris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
- La Grande Mauve à travers l'histoire, un article du blog Books of dante
Et soudain surgit face au vent, la vraie héroïne de tout l'étang! (Fritillaire pintade)
Fritillaria meleagris (Fritillaire pintade ou Coquelourde en poitevin saintongeais) appartient à la famille Liliaceae, dont les membres sont souvent des plantes à bulbes et à fleurs spectaculaires: Lys, Muguets, Jacinthes, Tulipes, Muscaris, Jonquilles (dans la classification classique)... Les Fritillaires tirent leur nom du latin fritillus, qui renvoie au petit gobelet dans lequel les joueurs secouaient les dés avant de les lancer sur la table; la robe de ses clochettes évoque le plumage tacheté de la Pintade (Fritillaria meleagris est parfois nommée Pintade ou Pintadine).
Fritillaire pintade sur tapis de Ficaire pour ouvrir la saison dès début mars!
Fritillaria meleagris est une vivace à bulbe qui s'installe sur les sols riches, sains et détrempés des prairies et des forêts alluviales: elle est une Sauvage spécifique des zones inondables. La Sauvage trouve ses origines en Europe, où elle est endémique (on ne la croise nul part ailleurs sur le globe). Mais Fritillaria meleagris est aujourd'hui en péril, car son habitat disparait peu à peu...
Les zones humides, considérées à tort comme des lieux insalubres et improductifs (ce sont en réalité des lieux où la biodiversité est particulièrement riche et variée), reculent sous l'effet de l'urbanisation (assèchements, remblaiements...), quant elles ne sont pas transformées en champs de cultures industrielles (maïs le plus souvent). Fritillaria meleagris, à l'image d'autres locataires des zones alluviales, a aujourd'hui disparue de plusieurs pays et régions de France. Là où elle subsiste, elle est souvent enregistrée comme espèce protégée, ou au minimum, surveillée de près par les associations et les autorités.
Fritillaire pintade, Saint Benoît (86)
Dans le Poitou, nous avons la chance de pouvoir croiser la belle Pintade au printemps sans trop de peine. Les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres restent épargnés par le déclin national; néanmoins, le mouvement de recul de son habitat et de ses colonies n'épargnent pas la région. Il convient d'évaluer année par année ses populations, et de sensibiliser le plus grand nombre pour éviter que Fritillaria meleagris, devenue malgré elle un symbole de la nature poitevine, ne disparaisse.
Je suis là pour te sauver. Force d’intervention, matricule 38416, chargé de ta protection. Tu es la cible du Terminator.
(Terminator, James Cameron)
Il va sans dire qu'il faut éviter les cueillettes pour laisser la Sauvage se reproduire autant que possible. Mais surtout, il faut travailler d'arrache-pied à la sauvegarde des zones humides et encourager les modes de culture propres — Fritillaria meleagris est particulièrement sensible aux pollutions causées par les produits phytosanitaires — autour de celles ci: réduction des engrais, rétablissement de zones tampons autour des cultures... En attendant, notez, si vous avez un coin de jardin humide, qu'il est toujours possible de tenter de domestiquer Fritillaria meleagris en se procurant des bulbes chez un horticulteur.
Sous les jupes de la Fritillaire pintade: des fleurs tournée vers le sol, généralement solitaire (on peut exceptionnellement croiser des spécimens à 2 ou 3 fleurs), 6 tépales en damier pourpres et blancs, 6 étamines autour d'un pistil surmonté de 3 stigmates.
La reproduction végétative de Fritillaria meleagris (via son bulbe) est un processus lent et laborieux... Côté reproduction sexuée, la Pintade se montre tout aussi nonchalante: sa floraison printanière s'étale sur un court mois, avant d'offrir des fruits (de grosses capsules) qui se ressème spontanément. Les jeunes pousses qui pointent au printemps suivant ne montreront pas de fleurs... Avant la troisième ou quatrième année!
Feuilles de la Fritillaire pintade: alternes, minces, embrassantes, souvent arquées vers le sol.
Toute la plante (plus particulièrement le bulbe) renferme un alcaloïde, l'impérialine, qui peut s'avérer mortel pour l'homme en cas d'ingestion (risque d'hypotension et d'arrêt cardiaque). C'est toujours ça de gagné: Fritillaria meleagris ne risque pas de finir dans un panier fleuri, au milieu d'une récolte printanière de Sauvages comestibles! Et ce n'est pas une raison pour ne pas prendre soin d'elle, car, et c'est Jean Giono qui le dit (Un roi sans divertissement):
«On ne peut pas vivre dans un monde où l’on croit que l’élégance exquise du plumage de la pintade est inutile.»
Des trous dans la Pintade... Assassin!
Le coupable se révèle en fin de saison : Le Criocère du lis (Crioceris lilii), mangeur de Fritillaire, fait moins le malin lorsque ne restent que les fruits!
Pour aller plus loin:
- Fritillaria meleagris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
L'hommage à la Dame du Poitou par une autre Dame du Poitou, Marie Corneille, artiste et botaniste des Deux-Sèvres de la fin du 19ème siècle; Une planche dénichée parmi les trésors du Fonds ancien de la bibliothèque universitaire de Poitiers.
Lierre grimpant, Poitiers bords de Clain
Hedera helix (Lierre grimpant ou Herre en poitevin-saintongeais) appartient au clan Araliaceae. Si cette famille exotique compte 1300 espèces à travers le monde (essentiellement des arbres, des buissons et des lianes, dont le célèbre Ginseng), elle ne disposait jusqu’ici que d’une unique espèce indigène sur le sol français, mais pas des moindres : le Lierre grimpant. La classification récente lui accorde la compagnie de quelques Hydrocotyles, des plantes aquatiques ou semi-aquatiques.
Hedera vient du latin hedea, la «corde»; helix est la «spirale». Hedera helix évoque le lasso tournoyant des jeunes rameaux à la recherche d'un support à cramponner. Car il n'aura échappé à personne qu'Hedera helix est une liane grimpante. Pour certains, c'est une liane arbustive, pour d'autres, une liane arborescente. Alors, le Lierre grimpant: arbuste ou arbre? Le suspens repose sur les caractéristiques étonnantes du sauvageon... Difficile, à première vue, de le considérer comme un arbre: il est incapable de tenir debout tout seul. Et pourtant, Hedera helix peut atteindre une hauteur de 30 mètres de haut. La durée de vie d'un seul pied peut dépasser le siècle! Dans les bois, notre regard admiratif se pose généralement sur les grands arbres centenaires, plutôt que sur le Lierre grimpant, omniprésent... Mais derrière un pied de Lierre se cache peut être un des grands doyens de la forêt.
Ses tiges ligneuses peuvent épaissir jusqu'à 20cm de diamètre... C'est beaucoup et c'est peu, si on considère la longueur potentielle du végétal (jusqu'à 30 mètres). Son bois blanc, dur et léger, fournit une ressource honorable en ébénisterie ou en vannerie.
Pied ligneux et épais du Lierre grimpant, Migné-Auxance (86)
Lierre grimpant, une explosion de vie au cœur des villes (Rochefort, 17)
Hedera helix est une Sauvage coriace, qui se contente de trois fois rien (elle a toutefois besoin de soleil et d'un sol riche pour fleurir). Son développement aisé sur terre ou en l'air, en tout lieu, crée des couloirs de circulation et d'échange pour la faune urbaine entre les diverses zones de nature (parcs, jardins, friches, etc.).
Enfin, le Lierre grimpant est une plante dépolluante, capable d’absorber dans l'air des éléments dangereux pour l'homme (comme le benzène des gaz d'échappement).
C’est comme si je ne pouvais pas respirer sans toi.
(Grey’s Anatom, Shonda Rhimes)
Parmi les nombreux butineurs qui comptent sur les fleurs tardives du Lierre grimpant, la Collète du lierre (Colletes hederae), une abeille solitaire qui porte le nom de sa plante favorite, en récolte le pollen pour garnir les loges souterraines qui accueilleront ses larves.
S'il est une caractéristique qui illustre la formidable capacité d'adaptation d'Hedera helix, c'est son feuillage aux mille visages. Le Lierre grimpant est une inépuisable source de divertissement pour celui qui cherche des formes inattendues. Souvenez-vous de notre série d'articles sur la reconnaissance des formes foliaires en botanique: plantez-vous devant un vieux pied de Lierre grimpant et vous aurez toute la matière nécessaire pour commencer un entrainement intensif!
Échantillon de la palette infiniment variée des feuilles du Lierre grimpant, Poitiers
On considère deux grands types de feuilles du Lierre grimpant (toutes les nuances intermédiaires sont possibles): les feuilles juvéniles, palmées (3 ou 5 lobes plus ou moins prononcés), et les feuilles des rameaux florifères, ovales et aiguës, voir lancéolées.
Les feuilles palmées optimisent la captation de lumière en zone ombragée: pour rappel, le Lierre grimpant a besoin pour fleurir d'une terre riche en matière organique (un sol de type forestier) et surtout d'un bonne dose de soleil (sans expositions aux photons, le pied reste stérile). Au sommet de son escalade, les feuilles lancéolées offrent une moindre prise au vent, et laissent passer la lumière vers les étages inférieures.
Laissons entrer le soleil, la terre vous dit : hello!
(Charlie et la Chocolaterie, Tim Burton)
Les fruits charnus (des drupes), d'abord verts, murissent en hiver et deviennent noirs; les oiseaux, en attendant le retour du printemps, s'en régalent. Les graines germeront au cour de l'été suivant, une fois tombée au sol.
Fruits charnus (drupes) du Lierre grimpant à la fin de l'automne: les décorations de Noël sont déjà de sortie?
Chez Hedera helix, les fruits et les feuilles (dans une moindre mesure) sont toxiques. Ce n'est pas une des Sauvage les plus virulentes de la forêt; ses feuilles ont même été utilisées autrefois en tant que remède purgatif. À mois d'être un spécialiste en la matière, on s'abstiendra de consommer la Sauvage, sous quelle que forme que ce soit.
Toxique pour l'homme, le Lierre grimpant n'en reste pas moins une aubaine pour la chenille du Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus) au cœur de l'hiver !
Pour rendre un hommage en fanfare au merveilleux Lierre grimpant, et avant de lever le rideau sur une bien curieuse scène de théâtre, je vous propose une toute autre utilisation, garantie 100% inoffensive (à moins que le ridicule tue, mais au dernière nouvelle, ce n'était pas le cas)!
Le sifflet du Shérif (ou nunu en poitevin saintongeais)!
Réunir le matériel suivant:
- Un morceau de branche de Noisetier (15 cm de long sur 1,5 cm de diamètre)
- 3 belles feuilles de Lierre grimpant
- Une étoile de shérif (ingrédient optionnel)
Fendre la branche de noisetier sur 4 cm dans le sens de la longueur. Insérer dans la fente 3 belles feuilles de Lierre grimpant superposées. A l'aide d'une lame tranchante, couper très proprement la partie des feuilles qui dépasse de la branche. Souffler de toutes ses forces! Si le sifflet ne produit aucun son, c'est que nos trois «anches» de Lierre grimpant ont été mal taillées; recommencer, et s'appliquer à une découpe nette et précise. Prêts pour une démonstration?
Personnages:
Lierre grimpant centenaire (rôle tenu par Hedera helix).
Azuré des nerpruns femelle (rôle tenu par Celastrina argiolus).
La scène se déroule dans une haie, l'été, quelque part dans le Poitou.
SCÈNE UNIQUE
LIERRE GRIMPANT
Madame, vous revoilà! Sommes-nous déjà en septembre?
AZURÉ DES NERPRUNS
Eh oui, comme toutes les fins d’été, au moment où vous allez fleurir, je viens vous rendre visite!
LIERRE GRIMPANT
Vous ne me manquiez pas!
AZURÉ DES NERPRUNS, ironique
Vous, si. Savez-vous que vous êtes à croquer, même si pour beaucoup, vous n'êtes qu'un infect poison?
LIERRE GRIMPANT
Ce sont vos flatteries qui sont infectes! Il se dit d'ailleurs que vous pondez sur des dizaines de plantes réparties sur quinze familles!
AZURÉ DES NERPRUNS
Dont vous...
LIERRE GRIMPANT
Trop souvent!
AZURÉ DES NERPRUNS
Mais je vous aime!
LIERRE GRIMPANT
Aimez les autres, faites tourner la liste, dispersez-vous, fichez-moi la paix!
AZURÉ DES NERPRUNS
Allons, raisonnons: vos fleurs et votre feuillage sont si luxuriants et mes larves si modestes que mes affaires à votre égard ressemblent davantage à des chatouilles qu'à de cruelles morsures.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte le Lierre grimpant au micro de France Bleu Poitou
- Hedera helix sur tela-botanica
- Hedera helix: identification assistée par ordinateur
Lecture recommandée:
- La Hulotte numéro 106 et 107, entièrement consacré au Lierre grimpant
Le Lierre grimpant, ou comment transformer un piquet de clôture en hôtel-restaurant 5 étoiles pour insectes et oiseaux!