Fleurs nectarifères de la Bryone dioïque.
Bryonia dioica (Bryone dioïque ou Naveau sauvage en poitevin-saintongeais) appartient au clan Cucurbitaceae dont les membres sont tous plus ou moins rampants ou grimpants. C’est la famille des courges, des courgettes, des cornichons, des pastèques… Côté Sauvages en revanche, les Cucurbitacées sont très peu représentées sur le sol français. En dehors du sud de la France (où l’on peut aussi rencontrer le Concombre d’âne, Ecbalium elaterium), on ne recense qu’une seule représentante spontanée sur notre territoire : l’ensorcelante Bryone dioïque.
Jeune pousse de Bryone dioïque, Biard (86)
Son nom trouve ses racines dans le grec ancien bryô signifiant «pousser avec vigueur». Ceux qui la côtoient dans leur jardin savent que la Sauvage n'a pas usurpé son titre. Bryonia dioica est une grimpante à croissance rapide qui se hisse en enroulant ses vrilles sur les plantes ou les branches alentour. Elle peut mesurer en fin de saison 4 à 6 mètres de long!
Quand la Bryone dioïque attrape un Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris) : Mais lâche moi la feuille!
Les vrilles de la Bryone se déroulent et s’allongent comme des fouets, décrivant de grandes rotations, à la recherche d’un support à agripper. Sensibles, les vrilles changent de stratégie, s’enroulant et se resserrant rapidement (24 heures leur suffisent) lorsqu’elles entrent en contact avec un objet dont la taille et la rugosité leur conviennent. Cette sensibilité au toucher émerveillait le naturaliste Charles Darwin qui consacra toute une monographie aux vrilles (On the Movements and Habits of Climbing Plants, 1865). En 1863, le naturaliste écrit à son ami et botaniste Asa Gray: «Mon principal cheval de bataille actuel (…), c’est les vrilles; leur sensibilité au toucher est merveilleuse». Comme on le comprend!
Feuilles de la Bryone dioïque: alternes, sinuées dentées, palmatilobées en 3 à 5 lobes aigus.
Bryonia dioica est, comme son nom l'indique, dioïque; c'est à dire que les plants présentent des fleurs (jaunâtres ou verdâtres) en étoile soit mâles, soit femelles (il faut donc au minimum deux plantes pour espérer une fructification).
L’Andrène de la bryone (Andrena florea), une abeille solitaire qui récolte exclusivement le pollen des Bryones pour garnir les cellules larvaires de son nid.
La racine et les fruits (des baies rouges à maturité) de Bryonia dioica sont très toxiques; ils étaient autrefois utilisés comme vomitifs en médecine populaire, non sans dangers. La médication consistait à laisser fondre un peu de sucre dans un trou creusé à même la racine charnue. Le sirop obtenu servait alors de puissant purgatif. Au 18ème siècle, le médecin botaniste français Jean Thore la surnommait «le médicament féroce»!
Fruits (baies toxiques) de la Bryone dioïque, Poitiers quartier Chilvert
Bryonia dioica est vivace par sa grosse racine pivotante (ses parties aériennes disparaissent pendant l'hiver). La partie souterraine de la plante peut provoquer par simple contact cutané des irritations! On raconte cependant que pendant la Terreur (Révolution française), des fugitifs affamés la consommèrent en la râpant dans l'eau puis en la lavant abondamment; la recette reste périlleuse, et le résultat certainement peu agréable en bouche, d'où son surnom de Navet du diable.
- Mais peut être êtes vous un peu sorcière...
- Pourquoi dire cela ?
- Parce que vous m’avez ensorcelé.
(Sleepy hollow, Tim Burton)
Bryonia dioica était une habituée des grimoires de magie. On lui accordait des pouvoirs protecteurs et on la plantait autour des fermes pour protéger les cultures et les animaux domestiques. La racine de Bryonia dioica remplaçait parfois l'authentique Mandragore (Mandragora officinarum), plus difficile à dénicher, dans les chaudrons des sorcières...
Car il faut dire qu'à l'image de la Mandragore, la racine de Bryonia dioica est vaguement anthropomorphe. Il suffisait que la partie souterraine de la plante présente une forme munie d'un corps, de deux jambes et de deux bras pour enflammer les imaginations! Jusqu'à la fin du 19ème siècle, les guérisseurs ambulants ne manquaient pas d'afficher sur leurs étalages des racines de Bryonia dioica à silhouette humaine, parfois munies de sexes masculins ou de seins... Comme autant de signes attestant des pouvoirs magiques de la Sauvage.
Bryone dioïque, Poitiers quartier Chilvert
Pour aller plus loin :
- Identification assistée par ordinateur
- Bryonia dioica sur Tela-botanica
- Les vrilles de la Bryone, mode d'emploi sur le site Zoom Nature
- Le secret des vrilles de la Bryone sur le site Zoom Nature
- Les insectes de la Bryone sur le blog de Vincent Albouy
Bien que la Bryone dioïque soit toxique pour nombre d’espèces, la Coccinelle de la Bryone (Henosepilachna argus) en a fait son menu exclusif… A l’exception du sud de la France où l’insecte grignote aussi quelques cucurbitacées cultivées, ce qui lui vaut parfois le surnom de Coccinelle du melon. Le Navet du diable à la table d'une Bête à bon Dieu, quoi de plus normal finalement?
Renouée du Japon, Poitiers quartier Chilvert
Reynoutria japonica (Renouée du japon) appartient à la famille Polygonaceae, aux côtés des Sarrasin, Rhubarbes et autres Rumex. La Sauvage se dresse sur une tige solide parcourue de plusieurs «nœuds», signe distinctif des Renouées, qu'elles soient minuscules (Polygonum aviculare, la petite Renouée des oiseaux) ou géantes, comme la Renoué du Japon.
Pour le grand public, la désignation Renouée du Japon recouvre généralement trois plantes proches, assez difficiles à différencier: Renoutrya japonica (la Renouée du Japon à proprement parler, aux feuilles brusquement tronquées à la base et glabres à la face inférieure), Reynoutria sachalinensis (la Renouée de Sakhaline, plus rare, dont les feuilles, plus grandes, sont cordées à la base et possèdent quelques poils épars sur les nervures à la face inférieure) et Reynoutria x-bohemica (la Renouée de Bohême, une hybride des deux précédentes, très vigoureuse et compétitive). Les trois fausses jumelles ont des comportements semblables.
Les grandes renouées sont d'excellentes comestibles. C'est d'ailleurs à ce titre qu'elles furent introduites en Europe, dès le moyen âge, depuis l'Asie (Chine, Corée, Japon et Sibérie). Capables de produire une biomasse importante en un temps record, elles ont tout le potentiel de bonnes fourragères (en pratique malheureusement, le bétail n'en raffole pas). L'homme préfère consommer les jeunes pousses ou l'extrémité des grandes tiges, cuites dans l'eau comme des asperges.
Jeune pousse d'une renouée géante, Poitiers quartier Chilvert
Les grandes renouées profitèrent d'une seconde vague d'importation vers l'Europe au 18ème siècle, sans doute pour leurs qualités ornementales: elles poussent haut et vite, avant d’agrémenter, à la fin de l'été, leurs massifs de fleurs blanches très mellifères (précieuses pour les insectes à l'approche de l'automne). L’espèce Reynoutria japonica ne dispose a priori pas de pieds mâles fertiles en France (des hybridations avec les autres renouées géantes, pour peu qu'elles se croisent sur un même territoire, restent possibles, pouvant aboutir à des spécimens fertiles).
Fleurs de la Renouée du Japon en automne: un festin pour les diptères!
A ce point de l'article, on est en droit de se demander comment la Renouée du Japon a réussit à devenir l'archétype même de la plante invasive, et pourquoi la simple évocation de son nom cause des sueurs froides à ceux qui la côtoient de près... Car il se trouve que la Sauvage est aujourd'hui épinglée comme une véritable peste végétale, une terreur surveillée de très près par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature!
Reynoutria japonica est vivace, avec des rhizomes démesurés capables de s'enfoncer à 2m de profondeur et de s'étendre jusqu'à 7m autour d'un seul pied. Ses racines libèrent une toxine dans le sol, pénalisant toute vie végétale alentour, histoire de saper la concurrence. Si l'on tente de s'en débarrasser, il faut savoir que le moindre centimètre de rhizome oublié en terre donnera naissance à un nouveau plant... De plus, en milieu humide (bords de rivières), une tige emportée par le courant et laissée à même le sol suffit pour démarrer une bouture.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les colonies géantes de Reynoutria japonica imposent le respect. Fauchées aux pieds, elles sont capables de repartir de plus belles et ce en un temps record (les jeunes pousses peuvent atteindre 3m de hauteur en une seule saison), occupant un espace ahurissant et laissant tous les autres végétaux sur le carreau. Autant de paysages où la biodiversité est mise à mal.
Feu d'artifice automnal de la Renouée du Japon
Les plus perspicaces se demanderont peut être: comment se fait-il qu'une plante présente sur le territoire depuis le Moyen-âge devienne brusquement, au 20ème siècle, une hors-la-loi incontrôlable? Qui a fâché Reynoutria japonica?
Répondre à cette question reste une affaire de spécialistes, mais on peut entendre aujourd'hui quelques pistes de réflexions intéressantes:
Revenons aux origines asiatiques de Reynoutria japonica: au Japon, la Sauvage habitait le plus souvent les flancs des volcans; autant dire des sols naturellement hostiles et perturbés. Reynoutria japonica est donc dès son berceau une plante coriace, élevée à la dure, qui se sent comme un pied dans une pantoufle sur les sols métallifères. Les pollutions industrielles qu’elle tolère ont favorisé l'expansion de la sauvage en milieu urbain (et au-delà depuis) en pénalisant ses concurrentes. Mais surtout, les travaux de terrassement autour des villes ont boosté sa propagation : rien de tel que quelques coups de pelleteuses dans ses rhizomes pour la disperser. Aujourd'hui, Reynoutria japonica est devenue, à force de voyages et surtout à force de côtoyer l'homme, une invasive avec laquelle il convient de faire preuve d'humilité et de la plus grande vigilance.
Addenda (février 2016): les scientifiques anglais terminent cette année un programme de recherche démarré en 2004, qui vise à tester l'introduction de prédateurs naturels de la Renouée du Japon en Europe (sur son aire d'origine, l'expansion de la Sauvage est naturellement contrôlée par la faune autochtone). Un psylle (sorte de petite cigale), Aphalara itadori, présente des résultats très prometteurs; tout laisse à penser que son introduction sera validée puis généralisée sous peu. (source: La Garance voyageuse, N°112)
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Reynoutria japonica sur Tela-botanica
- Une recette de cuisine originale pour (essayer de) se réconcilier avec la Sauvage!
Millepertuis perforé, Poitiers bords de Boivre
Hypericum perforatum (Millepertuis perforé ou Milleperdu en poitevin-saintongeais) appartient aux Hypericaceae, un clan qui porte son nom. Cette petite famille ne compte qu’un seul genre en France (moins d’une dizaine de genres dans le monde), les Hypericum qui réunissent une grosse vingtaine d’espèces.
Millepertuis, vient du vieux français et signifie «mille trous»: leurs feuilles donnent l'impression d'être criblées d'une multitude de trous minuscules. En réalité la Sauvage n'est pas perforée, mais recouverte de petites poches transparentes emplies d'une huile essentielle aux nombreuses vertus.
- Tes chaussettes, elles sont trouées.
- Ah! Mais celles-ci ce sont celles de la nuit, les pieds aiment bien respirer la nuit.
- Alors pourquoi n’en changes-tu pas le jour?
- Parce que celles du jour sont pleines de trous.
(Million Dollar Baby, Clint Eastwood)
Feuilles du Millepertuis perforé: opposées, sessiles, ovales, oblongues ou linéaires... Et percées de mille trous!
Le Millepertuis perforé est une vivace qui affectionne les zone bien drainées et bien exposées, les prairies ou les lisières clairsemées. Ses stolons assurent son expansion, pendant qu'il se resème généreusement chaque année. Sur un sol à sa convenance, il peut rapidement prendre de la place.
A la suite de son introduction de l'autre côté du globe (Australie), le Millepertuis perforé est d'ailleurs devenue une invasive problématique (au port bien plus imposant que sous nos latitudes). De même en Amérique du Nord, où l'introduction récente de deux Chrysomèles (Chrysolina hyperici et Chrysolina quadrigemina), prédatrices naturelles de la Sauvage, semble toutefois freiner sa prolifération.
Une des nombreuses Chrysomèles (ici la Chrysomèle du millepertuis, Chrysolina hyperici) dont les larves et les imagos boulottent les Millepertuis jusqu'à la tige!
Les panicules de fleurs apparaissent entre juin et septembre, avec un pic de floraison autour du 24 juin (d'où le surnom d'Herbe de la Saint Jean). Chaque fleur éclose se pare d'une couleur rousse en fanant, dès le lendemain. Notez les pétales jaunes — à la symétrie imparfaite — bordés de points noirs: ces coquetteries, ainsi que les deux lignes saillantes présentes sur la tige (il faut réunir les deux critères), vous permettront de différencier Hypericum perforatum des autres Hypericum qui n'ont malheureusement pas les mêmes vertus.
Fleurs du Millepertuis perforé: 5 pétales à la symétrie imparfaite, denticulés d'un seul côté, ponctués de noir, 30 à 60 étamines soudées entre elles par leur base entourent 3 carpelles soudés entre eux (les 3 styles divergent franchement).
Le Millepertuis à quatre ailes (Hypericum tetrapterum), un habitué des milieux humides en été qui se distingue de par les quatre angles ailés qui longent sa tige.
Le Millepertuis hérissé (Hypericum hirstutum) qui colonise les bois, les haies ou les prés ombragés. Il se distingue de par sa pilosité et ses sépales bordés de glandes noires.
On pensait jadis le Millepertuis perforé capable de faire fuir les esprits maléfiques qui viennent parfois tourmenter les hommes... Certains le nommaient Chasse diable! Dans une version contemporaine (mais c'est sans doute la même histoire), le Sauvageon est devenu une médication contre les états dépressifs.
Les études cliniques reconnaissent aujourd'hui l'efficacité du Millepertuis perforé comme antidépresseur. Comme tout médicament, il convient de considérer cas par cas sa posologie, son dosage, ses interactions avec d'éventuels autres traitements (surtout avec d'autres antidépresseurs) et ses éventuels effets secondaires.
Panicules de fleurs du Millepertuis perforé, Poitiers bords de Boivre
Il existe une autre utilisation ancestrale du Millepertuis perforé: après avoir soigné les coups de blues, le Sauvageon remédierait aussi aux coups de soleil! La lotion rougeâtre qu'on obtient en laissant macérer ses fleurs dans de l'huile d'olive (remplir une bouteille de sommités fleuries fraîches, couvrir entièrement avec l'huile) pendant 30 jours en plein soleil (filtrer avant usage) calmerait les légers coups de soleil (application externe) et soulagerait les douleurs musculaires ou articulaires en massage. Attention cependant à ne pas s'exposer au soleil après une application de ce macérât: il y a risque d'hypersensibilisation (de même lors de la cueillette, prudence).
Pour aller plus loin:
- Hypericum perforatum sur Tela-botanica
- Hypericum perforatum: identification assistée par ordinateur
- Hypericum hirsutum sur Tela-botanica
- Hypericum hirsutum: identification assistée par ordinateur
- Hypericum tetrapterum sur Tela-botanica
- Hypercium tetrapterum: identification assistée par ordinateur
- Considérations chimique pour une utilisation du Millepertuis perforé sur Phytomania
- Antidépresseurs végétaux (Forum Med Suisse n°48, novembre 2002)
- Identification des Chrysomèles sur le site Les insectes