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Renoncule scélérate : MDR !
Date 15/04/2018
Ico Zone humide

Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre

Fleur de la Renoncule scélérate: gare au rire jaune!


Ranunculus sceleratus (Renoncule scélérate) appartient à la famille nombreuse Ranunculaceae, dont le nom viendrait du latin Rena, «grenouille», à cause de l'attrait pour l'eau de certains de ses membres. Tel est le cas de la Renoncule scélérate et de certaines de ses consœurs que nous avons déjà croisé sur Sauvages du Poitou, telles que la Ficaire (Ficaria verna), la Renoncule rampante (Ranunculus repens) ou le Populage des marais (Caltha palustris)... Autant de «Boutons d'or» qui ne craignent pas (voir raffolent) de la baignade.


Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre

Grenouille dans une autre vie, Renoncule scélérate dans celle-ci!


Mais ne faisons pas trop vite de toutes les Renonculacées des pirates: dans ce clan, l'originalité est de mise et les exceptions font la règle. Reste que la plupart d'entre elles se plaisent à jouer les empoisonneuses, et Ranunculus sceleratus excelle en la matière. Avec ses feuilles basales qui rappellent celles du céleri (certains l'appellent Renoncule à feuilles de céleri), la Sauvage est un piège redoutable pour le bétail comme pour l'apprenti cueilleur...


Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre

Tige creuse et feuilles à trois lobes de la bien nommée «Renoncule à feuilles de céleri»

- Je suis mort de rire!

- Si seulement c'était vrai...

(Hercule, Walt Disney)

Au Moyen Âge, Ranunculus sceleratus était plus connue sous le sobriquet de «Céleri du rire». Toxique, la belle n'a pourtant rien d'une blague: son ingestion peut provoquer des troubles neurologiques, cardiaques, respiratoires ou digestifs chez le bétail. Chez l'homme, elle provoque — entre autres réjouissances mortelles — une contraction de la bouche et des joues, imposant un sourire forcé au malheureux qu'elle empoisonne. Pour certains auteurs, Ranunculus sceleratus correspond à la plante assassine autrefois nommée Sardonia par les romains (pour d'autres, Sardonia pourrait être la terrible Oenanthe safranée, Oenanthe crocata, ou plus simplement la Renoncule sarde, Ranunculus sardous), d'où serait tirée l'expression «rire sardonique», un rire marqué par la douleur qui suscite plus l’horreur qu'une franche partie de rigolade.


Ranunculus sceleratus : mort de rire! Sauvages du Poitou


Appliquée longuement sur la peau, Ranunculus sceleratus peut provoquer des cloques. A l'image d'une autre Renonculacée bien connue, la Clématite vigne blanche (Clematis vitalba), la Renoncule scélérate fut utilisée jadis par les mendiants pour s'infliger des ulcérations afin de susciter la pitié des badauds; elle aussi fut surnommée l'«Herbe aux gueux». Notez que la nature est bien faite: s'il vous prenait l'envie folle de la brouter, son âcreté vous brûlerait probablement la langue avant que la Sauvage ne vous transforme en un triste clown. De même pour le bétail qui boude généralement — et heureusement — ses fleurs fraiches (la Sauvage perd sa toxicité une fois coupée et séchée dans les foins). On rapporte qu'un certain Dr. Krapf, alors médecin d'un Duc de Toscane, en fit jadis lui même la périlleuse expérience:

«Après avoir mâché des feuilles, il éprouva d'abord une salivation abondante : bientôt sa langue s'enflamma, s’écorcha, son extrémité était crevassée, elle ne recevait plus l'impression des saveurs; les dents agacées étaient douloureuses et les gencives gonflées de rouge saignaient au moindre attouchement.» (Dictionnaire des sciences médicales, tome 47)

Ce même Dr. Krapf poussa l'exploration jusqu'à avaler une fleur entière à la fin d'un bon dîner. Faute de se poiler, l'homme de science éprouva quelques symptômes forts désagréables:

«Il ne tarda pas à ressentir en divers endroits du bas-ventre des douleurs des plus incommodes, et d'une nature inexprimable, mais qui se faisaient sentir très vivement; un quart d'heure après, il eut un léger évanouissement et des mouvements convulsifs de longue durée dans l'intérieur du bas-ventre.» (Histoire des plantes vénéneuses de la Suisse, M. le Baron de Haller)

Pour la petite histoire, le médecin poussa la bouchon jusqu'à ingérer quelques gouttes du suc de la plante qui le laissèrent dans un état pire que les précédents. Après quoi, c'est son chien qui continua malgré lui ces douloureuses expérimentations.


Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre

Petites fleurs jaunes de la Renoncule scélérate, Poitiers bords de Boivre

Je suis une fosse à purin... Non, pire que ça: je suis la pourriture qui se nourrit de la fosse à purin.

(Le mariage de mon meilleur ami, P.J. Hogan)

Reste le plaisir de la contemplation, qui ne devrait pas nous convulser les yeux: Ranunculus sceleratus est une annuelle qui pointe ses jolis boutons d'or entre avril et septembre. Plutôt présente en Poitou (à l'exception de la Charente) comme dans le nord du pays, les colonies de la Sauvage se font plus parsemées dans la moitié sud; elle est même une rareté en région Rhône-Alpes où elle bénéficie d'un statut de protection. Ranunculus sceleratus affectionne tout particulièrement les eaux riches en matière organique animale: les mares, les fossés, les rigoles où se déversent purins, lisiers... Une fosse septique ou une station d'épuration sont pour elle des lieux de villégiature. Reste-t-il encore un drôle qui rêverait d'en faire sa salade?


Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre
Renoncule scélérate en plein brasse: la Laure Manaudou des fosses septiques.


Pour aller plus loin:

- Ranunculus sceleratus sur Tela botanica


Renoncule scélérate, Ranunculus sceleratus, Poitiers bords de Boivre

Fruits (akènes) de la Renoncule scélérate, comme autant de fous rires à venir.

 

Eupatoire à feuilles de chanvre: Legalize It?
Date 21/09/2017
Ico Zone humide

Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre

Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre


Eupatorium cannabinum (Eupatoire à feuilles de chanvre) appartient aux Asteraceae, le vaste clan des Sauvages à capitules et à fruits plumeux, celui du roi Pissenlit et de la reine Pâquerette. Selon certains auteurs, c'est à un tout autre souverain que l'Eupatoire emprunterait son nom de genre: celui de Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.). La tentative d'assassinat étant une tradition familiale chez les Mithridate, le roi s'intéressait de près à l'herboristerie, ne serait-ce que pour ne pas finir empoisonné par son entourage. On raconte qu'il consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à leur égard; bien sûr, Mithridate «le grand» s'intéressait aussi à leurs antidotes. Plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Eupatoire à feuilles de chanvre, qu'on a considéré jadis comme un remède aux morsures de serpent.


Argynnis paphiaboivre sur Eupatorium cannabinum, Poitiers bords de boivre

Un Tabac d'Espagne (Argynnis paphiaboivre) examine les petits capitules allongés (chacun composés d'une dizaine de fleurs au plus), réunis en corymbes ramifiés, de l'Eupatoire à feuilles de chanvre.


La Sauvage doit son nom d’espèce (cannabinum ou «chanvrine» en français) à ses feuilles composées (en 3 à 5 folioles pétiolulées) et dentées, qui évoquent un peu les feuilles du cannabis. A vrai dire, cette comparaison reste un poil suspecte... Voir stupéfiante!


Eupatorium cannabinum, Legalize it! Sauvages du Poitou


Faut-il le préciser: malgré son nom, l'Eupatoire à feuilles de chanvre ne gagne pas à être fumée. Ni mangée d'ailleurs: à cause de la présence d'alcaloïdes, elle serait légèrement toxique (c'est à dire à dire à très forte dose ou en cas de consommation appuyée ou régulière). Les animaux la boudent généralement, à l'exception des chèvres qui manquent rarement d’appétit quel que soit la salade.


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre

Feuilles de l'Eupatoire à feuilles de chanvre: Legalize It?


L'Eupatoire à feuilles de chanvre est une vivace pionnière caractéristique des marais, des bords des fossés et des lisières forestières humides. C'est une des «signatures» des mégaphorbiaies: dessinant les frontières entre zone humide et forêt, les mégaphorbiaies sont des prairies inondables peuplées d'une végétation dense, haute, luxuriante et colorée. Des milieux où la biodiversité explose, et où les naturalistes aiment flâner bottes aux pieds et appareil photo en bandoulière.


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Nouaillé-Maupertuis (86)

Eupatoire à feuilles de chanvre, un festival reggae pour les papillons! (L’Écaille chinée, Callimorpha quadripunctaria)

On n'est pas là pour se faire engueuler on est là pour voir le défilé!

(Boris Vian)

L'Eupatoire à feuilles de chanvre participe très généreusement au grand festin des praires humides: bien que n'intéressant pas spécialement les abeilles, la Sauvage est un véritable aimant à papillons. Sa richesse en nectar, le rose de ses fleurs, les plateformes d’atterrissage de ses corymbes sont autant d'atouts aux yeux et aux antennes des rhopalocères. A la belle saison, n'hésitez pas à planter votre chaise à ses côtés: 14 juillet ou non, défilé et feux d'artifices colorés sont assurés tout l'été! Les plus chanceux inviteront directement la Sauvage dans leur jardin, pour peu qu'ils disposent d'un coin de terre riche et humide, et pourrons alors remiser leur télévision au placard.


Vanessa atalanta sur Eupatorium cannabinum, Beauvoir (86) Aglais io sur Eupatorium cannabinum, Poitiers bords de Boivre Vanessa cardui sur Eupatorium cannabinum, Beauvoir (86)

Le Vulcain (Vanessa atalanta), le Paon du jour (Aglais io) et la Belle-Dame (Vanessa cardui) défilant sur le boulevard Eupatoire à feuilles de chanvre, excusez du peu!


Une croyance populaire veut que les cerfs blessés au combat de l'amour soignent leurs plaies en se frottant contre la Sauvage. Ainsi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre serait cicatrisante en usage externe (feuilles fraiches). En usage interne, feuilles et racines (infusion, décoction, poudres...) seraient digestives (des études récentes tendent à montrer que son usage faciliterait effectivement la sécrétion de la bile), stimulante pour le système immunitaire, anti-inflammatoire... La Sauvage est aussi une plante tinctoriale, permettant d'obtenir un colorant, à mi-chemin entre le jaune et le vert clair (la coloration dépend de la période de récolte).


Une palette bien fournie sur laquelle se sont greffé au cours des siècles de nombreuses légendes: portée sur soi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre est sensée booster notre potentiel de séduction. Ainsi, on conseillait aux femmes d'en glisser un brin sous leur jupe les soirs de bal... Et qui sait, faute de ramener un(e) prétendant(e) à la maison, la méthode reste peut-être un bon moyen de s'offrir la compagnie d'une bande de papillons!


Eupatoire à feuilles de chanvre, soyez la reine (le roi) du bal! Sauvages du Poitou


Pour aller plus loin:

- Eupatorium cannabinum sur Tela botanica

- Eupatorium cannabinum: identification assistée par ordinateur

- L'entomofaune de l'Eupatoire chanvrine par André Lopez, sur le site de Société d'Etude des Sciences Naturelles de Béziers (page 9)

- L'Eupatoire à feuilles de chanvre: utilisation médicinale à travers l'histoire sur le blog Books of Dante


Eupatorium cannabinum, Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Clain

Les fruits (akènes) de l'Eupatoire à feuilles de chanvre en automne, Poitiers bords de Clain

 

Au Fer-à-cheval: le rendez-vous des papillons
Date 26/06/2017
Ico Prairies

Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval, Beauvoir (86)

Fer-à-cheval, Beauvoir (86)


Hippocrepis comosa (Fer-à-cheval ou Hippocrepis à toupet) est un membre du clan Fabaceae, au côté de célébrités telles que les Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces, Gesses... Des plantes, sauvages ou cultivées, qui produisent généralement des fruits en gousse (on les surnomme «Légumineuses» lorsque c'est le cas). C'est d'ailleurs à ses fruits que Hippocrepis comosa doit son surnom équestre. Hippos est le «cheval» en grec, crepis la «chaussure»: ses gousses se tortillent curieusement, dessinant une guirlande de fers à cheval!


Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval, Beauvoir (86)

Fruits caractéristiques (gousses) du Fer-à cheval, Beauvoir (86)


Hippocrepis comosa est une vivace qui plante ses souches légèrement ligneuses sur les prairies «à papillons», rases et sèches à tendance calcaire, à la limite de la rocaille. Elle est plutôt commune dans le Poitou, comme dans le reste de la France, à l'exception du Limousin où la belle tend à disparaître. Ses fleurs jaunes pointent entre avril et juin au dessus d'un méli-mélo de verdure: si la Sauvage est qualifiée de «chevelue» (comosus en grec), c'est à cause du couvert des ses feuilles entremêlées.


Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval, Biard (86)

Feuille du Fer-à-cheval: imparipennée, 7 à 17 folioles obovales à linéaires.

Regarde papa, un papillon!

(Je suis une légende, Francis Lawrence)

Le calice des fleurs jaunes, réunies par 5 à 12 en ombelles, présentent les atouts caractéristiques des «Papilionacées» (voir notre article consacré à ce sujet): un étendard redressé et échancré (en haut), deux ailes (sur les côtés) et une carène (en bas).


Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval, Poitiers rochers du Porteau

Fleurs du Fer-à-cheval, comme autant de rondes de papillons jaunes!


Faute de se pencher suffisamment, on pourrait confondre ses fleurs avec celles de quelques autres spécimens de Fabacées. A commencer par celles du Lotier corniculé (Lotus corniculatus). Ce dernier fleurit un poil plus tard (mai) que le Fer-à-cheval (dès avril). Le Lotier corniculé préfère les prairies mésophiles, mais nos deux Sauvages se fréquentent souvent au printemps. L'examen des feuilles évitera tout amalgame: elles sont strictement trifoliées chez le Lotier corniculé, nombreuses et imparinpennées chez le Fer-à-cheval.


Lotier corniculé, Lotus corniculatus, Saint Aignan (41)

Lotier corniculé: un étendard bombé vers l’avant, comme s’il avait le vent dans le dos!


La Petite Coronille (Coronilla minima), une autre habituée des prairies sèches qui fleurit dès le mois de mai, ressemble aussi à notre Fer-à-cheval. Mais la Petite Coronille présente des folioles charnues, comme cartilagineuses, d'un vert glauque caractéristique qui se repère de loin avec un peu d'habitude.


Coronilla minima, Petite Coronille, Plateau de Thorus (86)

Petite Coronille: des feuilles imparipennées en 7 à 9 folioles glauques et charnues.


Les «Papilionacées» doivent leur appellation à la forme de leurs fleurs; mais il se trouve qu'elles intéressent souvent les lépidoptères, ou plus exactement, leurs chenilles qui en font leur festin. Le Fer-à-cheval est assez représentatif en la matière (c'est aussi vrai pour le Lotier corniculé et la Petite Coronille), au point que sa découverte par le promeneur précède forcément celle d'un carnaval de papillons, et vice versa!


Le Fer-à-cheval constitue en effet un véritable banquet pour nombre de rhopalocères (dits, pour simplifier, «papillons de jour») qui l’ont adoptée pour la bouloter (chenilles) et/ou pour la butiner (adultes). Dès lors, quoi de plus naturel que de laisser Olivier Pourvreau, notre lépidoptériste maison, poursuivre le récit de cet article...


« En France, on compte onze espèces de rhopalocères utilisant le Fer-à-cheval comme nourriture pour leurs chenilles (on appelle ça une «plante hôte larvaire» — si vous voulez faire de l’effet lors d’une sortie naturaliste, parlez de «PHL»). Bref, notre Sauvage est le troquet des pelouses sèches calcicoles!

Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval


Présentons le papillon le plus distingué de ce groupe d’habitués de l’hôtel-restaurant du Fer-à-cheval: le Bel Argus (Polyommatus bellargus). S’il est le plus remarquable, c’est qu’il est à coup sûr le plus remarqué: de mai à septembre, se balader sur un coteau calcaire suffit souvent pour voir miroiter le bleu céleste des mâles (les anglais ont baptisé ce papillon adonis blue, c’est dire s’il est un canon de beauté grecque chez les papillons).


Polyommatus bellargus, Bel Argus (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Au rendez-vous du Fer-à-cheval: une cantine pour les chenilles du Bel Argus, open bar pour les adultes!


Le Bel Argus ne s’écarte que très rarement des stations de Fer-à-cheval, même réduites. Il m’est arrivé une unique fois d’observer un mâle posé sur la berge d’une rivière, loin de la moindre touffe de sa plante préférée. Ce n’est que plus tard que je découvris, à une centaine de mètres de là, un rocher colossal dont le sommet était tapissé de touffes jaunes... Le papillon s’était simplement écarté de sa colonie pour s’abreuver sur la terre humide.


Hippocrepis comosa, Fer-à-cheval (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Trois Bel Argus se cachent dans cette colonie de Fer-à-cheval, saurez-vous les retrouver?

- Mais qu’est-ce que c’est que cette matière? Mais c’est de la merde!

- Non, c’est kloug.

(Le père noël est une ordure, Jean-Marie Poiré)

Les mâles apparaissent une dizaine de jours avant les femelles et sont plus abondants qu’elles (règle courante chez les papillons). On peut alors les observer virevolter ensemble, se rassemblant parfois en paquets autour d’excréments ou sur le sol humide qu’ils pompent de leur trompe. On dit qu’ils vont «aux sels minéraux», substances qui amélioreraient leur fécondité! Les femelles sont bien plus discrètes: d’abord par leurs couleurs, leur recto étant brun chocolat, même s’il n’est pas rare qu’elles arborent des suffusions bleues, certaines femelles finissant même pas ressembler à des mâles (on les appelle les «femelles bleues»); ensuite par leur comportement, moins «toutes façades dehors» que leurs géniteurs: elles volent moins, souvent posées dans la végétation basse.


Polyommatus bellargus, Bel Argus (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Le Bel Argus peut butiner le nectar des fleurs ou les excréments... Un goût pour le sucré/salé bien à lui!


D’après le lépidoptériste Tristan Lafranchis, les fleurs butinées par le Bel Argus dépendent du sexe et de la période de l’année. Au printemps, les mâles butinent le Fer-à-cheval alors que les femelles préfèrent les fleurs du Lotier corniculé. Durant l’été, le Lotier cette fois-ci intéresse les mâles tandis que les femelles vont siroter une plus large gamme de fleurs…


Au printemps et en été (le Bel Argus ayant deux générations dans le Poitou), la femelle dépose entre 50 et 100 œufs sur les feuilles et les tiges du Fer-à-cheval. Les petites chenilles sont nocturnes. A leur troisième stade, elles sont prises en charge par les fourmis. Cette association chenille/fourmis (la chenille fournissant aux fourmis un miellat en échange de leur protection contre les prédateurs) est courante dans la famille des Lycaenidae à laquelle appartient le Bel Argus: on la nomme «myrmécophilie».


Œuf de Polyommatus bellargus sur Hippocrepis comosa (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Œuf de Bel Argus au revers d’une foliole de Fer-à-cheval.


Chenille de Polyommatus bellargus sur Hippocrepis comosa (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Chenille de Bel argus en insolation sur une foliole de Fer-à-cheval. 2 millimètres au plus!


Un autre «petit bleu» virevolte au-dessus des pelouses sèches : le Bleu nacré (Polyommatus coridon). Moins commun que le Bel argus dans nos contrées, il s’en rapproche par son goût pour les mêmes milieux où trône notre Sauvage ainsi que par les mœurs de sa chenille, nocturne et myrmécophile. Il s’en écarte par contre sur deux points: il ne vole qu’en une seule génération estivale (entre juillet et septembre) et son butinage porte plutôt sur les composées, les Sauvages à la mode scabieuses et les lamiacées.


Polyommatus coridon, Bleu nacré (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Bleu nacré mâle perché sur une graminée.


Le Fluoré (Colias alfacariensis) est également un habitué des stations de Fer-à-cheval. Il s’agit d’un papillon de taille moyenne qui pilote en Formule 1 et butine en fast-food! Pire: non seulement il ne se laisse pas facilement observer, mais il est de plus confondu avec un de ses cousins, le Soufré (Colias hyale)...


Fluoré, Colias alfacariensis, Sauvages du Poitou!


À tel point qu'on ne fit du Fluoré une espèce distincte du Soufré qu’en 1944. Il s’avère qu’il n’est de toute façon pas chose aisée de distinguer les deux espèces dans la nature mais que, pour simplifier, si vous trouvez un de ces papillons jaunes sur une pelouse sèche calcicole, il y a de fortes chances pour que ce soit un Fluoré, le Soufré préférant les champs de trèfles ou de luzernes.


Une fois qu’un mâle a fécondé une femelle, celle-ci pond isolément ses œufs sur les folioles du Fer-à-cheval.


Colias alfacariensis, Fluoré (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Fluoré femelle sirotant une Dipsacacée, une famille de Sauvages dont certains membres sont très prisés par nombre de papillons pour leur nectar.


Cette exploration du petit monde du Fer-à-cheval s’achève par l’excentrique Zygène transalpine (Zygaena transalpina). Les zygènes sont des papillons diurnes à l’aspect typique: ailes élégantes, d’un noir métallisé constellées de taches généralement rouges, tels des dandys en redingote! Comme de nombreux insectes aux couleurs vives (le rouge notamment), leur aspect est un signal aux prédateurs signifiant: «halte là, je suis toxique!». Si quelques prédateurs n’en pâtissent pas (comme certaines punaises ou araignées), la grande majorité évite ainsi de croquer les zygènes car elles secrètent des alcaloïdes toxiques et du cyanure qui auraient de quoi faire chanter un Requiem aux mantes religieuses, grandes chasseresses d’insectes!


Zygaena: des empoisonneuses! Sauvages du Poitou


La Zygène transalpine se rencontre en été. Attention, elle peut être vite confondue avec sa cousine, plus commune, la Zygène de la filipendule (Zygaena filipendula)… mais s’en distingue notamment par le somment clair de ses antennes. Comme la plupart de ses consœurs, cette zygène aime butiner certaines Dipsacacées (les fausses jumelles Scabiosa columbaria et Knautia arvensis) et le Panicaut champêtre (Eryngium campestre), autres locataires des pelouses sèches, ces milieux si riches en surprises floristiques et faunistiques! »


Zygaena transalpina, Zygène transalpine (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Zygène transalpine: une empoisonneuse en imperméable noir à pois rouges…


Pour aller plus loin:

- Hippocrepis comosa sur Tela-botanica.

- Lotus corniculatus sur Tela-botanica.

- Coronilla minima sur Tela-botanica.

 

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