Feuille imparipennée de l'Ailanthe Faux-vernis du Japon
Ailanthus altissima (Ailanthe ou Faux-vernis du japon) appartient à la petite famille d'arbres et de plantes tropicales Simaroubaceae. Ce spécimen nous permet d'ouvrir une nouvelle catégorie sur Sauvages du Poitou, celle du «Grand banditisme». Ici, pas de casses de banques, mais quelques végétaux suffisamment invasifs pour engendrer des inquiétudes environnementales à l'échelle locale (à tort ou à raison). Avec Ailanthus altissima, c'est surtout les chefs de trains qui s'inquiètent, tant la hors-la-loi prolifère le long des lignes de chemin de fer!
Forêt squelettique d'Ailanthe Faux-vernis du Japon en hiver, Poitiers Mérigotte
Ailanthus altissima est un arbre originaire de Chine, à croissance rapide. Son nom vient de l'expression chinoise Ailanto, «Arbre du paradis». Le végétal ne le doit pas à sa grandeur (en moyenne 15m de hauteur à maturité), mais à sa promptitude à monter au ciel (il peut atteindre sa taille adulte en moins de 25 ans). Dans les grandes villes chinoises, on lui donne également le sobriquet moins sympathique de Chouchun, soit le «Printemps puant»! Il est vrai que les feuilles et les fleurs mâles (l'arbre est dioïque) dégagent une odeur plutôt désagréable...
Importé en occident pour «enchinoiser» les jardins, Ailanthus altissima a su se faire apprécier pour son allure et sa culture aisée, tout particulièrement au cœur des cités et des zones industrielles. Car l'arbre est un dur à cuire: il ne craint ni la sécheresse, ni les pollutions comme le dioxyde de soufre, la poussière de ciment, les fumées, l'ozone, le mercure... La SNCF, ou plutôt les compagnies qui l'ont précédée, y ont vu un excellent moyen de verdir les abords misérables des voies ferrées, tout en consolidant les talus qui les longent grâce à ses puissantes racines.
Ailanthe Faux-vernis-du-Japon: attention danger?
Chéri. J’ai quelque chose à te dire... il y a une famille de chinois dans notre salle de bains.
(500 jours ensemble, Marc Webb)
Et c'est là que la nature échappe au bon vouloir de l'homme... La formidable adaptation d'Ailanthus altissima aux milieux pollués, où la concurrence végétale est forcément réduite à peau de chagrin, combinée à sa croissance rapide, l'on promu sur la liste rouge des invasives dans de nombreux pays (Danemark, Hongrie, Suisse, Espagne, Canada et USA; en France, on s'en méfie plus ou moins selon les régions). De plus, Ailanthus altissima affiche une efficacité insolente dans ses modes de reproduction: véritable usine à graines (celles ci sont dispersées par le vent), l'arbre est capable de propager de nombreux rejets ou de se cloner depuis un fragment de racine (reproduction végétative). Fauché à la base du tronc, il drageonne et repart de plus belle, se multipliant, telle une hydre!
Samares de l'Ailanthe Faux-vernis-du-Japon,
Poitiers quartier gare
Ailanthus altissima peut se montrer très pénible dans les jardins particuliers. Sa prolifération spectaculaire en milieu citadin devrait surtout nous inciter à nous inquiéter sur le triste état des sols, d'avantage que sur le Sauvageon lui-même: Ailanthus altissima pousse souvent là où rien ne pousse, à l’exception d'autres gangsters increvables comme la Renouée du Japon, le Robinier faux-accacia ou le Buddleia de David...
Petits bourgeons hémisphériques et cicatrices foliaires en forme de cœur de l'Ailanthe Faux-vernis du Japon.
Et dans la mesure où les villes restent souvent des lieux peu propices à une végétation diversifiée, reconnaissons au moins une qualité à Ailanthus altissima: une enquête récente («Les pieds d'arbre en ville», par Vigie Nature) portant sur la biodiversité au pieds des arbres citadins montre que Ailanthus altissima n'est pas le plus hostile lorsqu'il s'agit de cohabiter avec les autres Sauvages. C'est même à son pied, et au pied du Platane (Platanus hispanica), que l'on trouve le plus grand nombre d’espèces spontanées.
Les chinois d'hier et d'aujourd'hui utilisent leur «Arbre du paradis» pour fabriquer bon nombre de pharmacopées médicales traditionnelles. La toxicité de la Sauvage (feuilles et écorces peuvent donner des irritations allergiques) nous incite cependant à couper court et à en déconseiller tout usage, interne ou externe.
Ailanthe Faux-vernis du Japon dans la force de l'âge.
Les interactions entre Ailanthus altissima et l'homme à travers l'histoire sont remarquables, qu'elles soient volontaires, accidentelles, amicales ou conflictuelles. Le rôle que l'arbre a joué dans l'industrie textile en est une illustration: l'arbre est la plante hôte des chenilles du Bombyx de l'Ailanthe (Samia cynthia). Les cocons de ces dernier permettent de confectionner une soie meilleure marché (bien que plus grossière) que la soie véritable (celle des Bombyx du mûrier, Bombyx mori). Des colonies d'Ailanthus altissima furent ainsi installées dans les Cévennes au 19ème siècle pour accueillir sur notre territoire le Bombyx de l'Ailanthe et remplacer les célèbres vers à soie, alors ravagés par la maladie. L'industrie ne remporta pas un franc succès, les européens préférant la finesse et la brillance de la véritable soie. Subsistent aujourd'hui au cœur des Cévennes, à l'heure des tissus de synthèse, de vastes colonies d'Ailanthus altissima.
Quant à son papillon exotique, le Bombyx de l'Ailanthe, il vole encore ici et là. Il y a cependant peu de chances de le croiser dans le Poitou: les derniers spécimens observés en France se cantonnent autour de Paris, dans les régions bordelaise et alsacienne.
Pour aller plus loin:
- Ailanthus altissima sur Tela-botanica
Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Alliaria petiolata (Alliaire) appartient à la famille Brassicaceae, dont les membres, souvent cultivés par l'homme, se démarquent par leurs saveurs remarquables et recherchées (choux, navet, moutarde, raifort, roquette, cresson...).
Rien ne vaut le chou pour accompagner le chou.
(Charlie et la chocolaterie, Tim burton)
Alliaire, Poitiers le Porteau
Les feuilles dentées et cordées à son sommet (mais réniformes et crénelées à la base de la plante) pourraient, faute d'attention, faire penser à la piquante Ortie... Ses petites fleurs blanches à quatre pétales empêchent toute confusion, de même que l'odeur d'ail dégagée par ses feuilles lorsqu'elles sont froissées entre les doigts. En effet, Allium en latin, c'est l'ail. Dans le Poitou, on fait preuve de simplicité quand il s'agit de nommer la belle: Alliaria petiolata est l'«Herbe à l'ail».
Grappes de fleurs de l'Alliaire: 4 sépales, 4 pétales, 6 étamines autour du pistil.
L'Alliaire est une bisannuelle qui colonise les terres fraîches, ombragées, riches en matière organique végétale. Elle laisse ses feuilles seules apparaître la première année. La seconde année, elle montre ses fleurs puis ses longs fruits (siliques) porteurs des générations à venir; à la suite de quoi elle entame une dernière phase de reproduction via un bourgeonnement sous-terrain. La méthode s'avère efficace, lui permettant de s'installer durablement sur de vastes territoires. A tel point qu'aux États-Unis, à la suite de son introduction par l'homme, et en l'absence de ses prédateurs naturels européens (insectes, herbivores...), l'Alliaire est devenue une invasive redoutée.
Toi tu commences à me baver sur les rouleaux...
(Invasion U.S.A., Joseph Zito)
Colonie d'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
A l'image de l'Ail, on lui reconnait des vertus antiseptiques (désinfectantes) lorsqu'elle est appliquée en cataplasme, sur des plaies mineures ou des piqures d'insectes. Mais c'est surtout en bouche que la Sauvage se démarque.
J’aime bien votre haleine, mais vous aurez la même demain?
(RRRrrrr, Alain Chabat)
Jeune feuille (réniforme et cordée) d'Alliaire la première année,
à ne pas confondre avec le Lierre terrestre! (Poitiers bords de Boivre)
Les graines contenues dans ses longs fruits (siliques), une fois écrasées, peuvent également remplacer les graines de moutarde dans la préparation de sauces. La recette est connue de longue date, puisqu'on a retrouvé des semences d'Alliaire, sous forme de micro-fossiles de cellules végétales, dans des poteries préhistoriques qui servaient à stocker la nourriture il y a environ 6000 ans!
La recette du shérif : Beurre d'Alliaire
- Mixer 100 grammes de feuilles crues (sans le pétiole) avec 200 grammes de beurre. Rajouter huile d'olive, jus de citron et sel à votre convenance... Tartinez et dégustez!
Dans la famille des Piérides (papillons diurnes de taille moyenne, souvent blancs tachetés de noir), certaines espèces se nourrissent de divers «choux», autrement dit, de crucifères, parmi lesquelles se trouve notre Alliaire...
Personnages:
Madame Piéride du navet (Pieris napi), Madame Piéride de la rave (Pieris rapae), Madame Aurore (Anthocharis cardamines).
La scène se déroule dans un fossé humide au mois d'avril.
Madame Piéride du navet en tenue estivale (les nervures des ailes postérieures sont moins soulignées de gris que pour les individus de printemps)
SCÈNE UNIQUE
Madame Piéride du navet, rencontrant Madame Aurore
Tiens! Comment va?
Madame Aurore
Mission réussie! Pas moins de trois messieurs pour me courtiser! J'ai finalement accepté les avances de celui dont le parfum m'a le plus grisé. Ah, ces phéromones! Les deux autres m'ont poursuivi mais j'ai utilisé ma technique habituelle pour les dissuader de m'approcher: je lève l'abdomen pour leur signifier «halte-là!»
Madame Piéride du navet
Vous avez bien de la chance. Pour ma part, je viens juste d'émerger et j'attends que des messieurs viennent me tourner autour mais... (un vol vif la surprend)
Madame Piéride de la rave
Hello les filles! Je suis un peu essoufflée car je viens d'échapper à deux mâles harcelants. Entre nous, l'un d'eux a été plus gentil que l'autre, hi hi!
Madame Aurore
Je vois... Cela dit, je suis comme toi, fécondée! Ça te dit de suivre le fossé? J'irais bien pondre sur l'Alliaire, son goût d'ail ravit les chenilles.
Madame Piéride de la rave
Bonne idée! (S'adressant à Madame Piéride du navet) Tu viens? Tu trouveras peut-être ton adonis dans le coin?
Madame Piéride du navet
D’accord, allons chercher l'Alliaire, c'est la saison! Vous savez ce que chantent les piérides de mon espèce?
«Nous, Piérides,
Qui aimons les crucifères
Par dessus tout,
Nous sommes vraiment
Trop chou!»
À gauche, Madame Aurore en train de se refuser à un mâle; à droite, Monsieur Piéride de la rave, faute d'avoir réussi à photographier Madame! (ce papillon, bien que commun, ne se pose presque jamais et est extrêmement farouche)
Chenille d'Aurore boulottant une silique d'Alliaire: tout le génie de la nature dans ce mimétisme.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Alliaire au micro de Sauvages du Poitou
- Identification assistée par ordinateur
- Alliaria petiolata sur Tela-botanica
Siliques de l'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Buglosse toujours verte, Poitiers bords de Clain
- Quoi la vache ? C’est toi la vache !
(La Haine, Mathieu Kassovitz)
Pentaglottis sempervirens (Buglosse toujours verte) appartient aux Boraginaceae, le clan de la Bourrache ou de la Consoude. Pentaglottis sempervirens partage d'ailleurs avec ses deux sœurs le goût de la majesté, puisqu'à maturité, elle peut atteindre un bon mètre de hauteur. Son nom courant, Buglosse, tire son origine du grec et signifie «langue de bœuf», une référence à la forme de ses feuilles raides et longues (jusqu'à 30cm de long), ovales, acuminées (se terminant brusquement en pointe à leur extrémité), sessiles en haut de la tige et longuement pétiolées à la base.
La Buglosse toujours verte apprécie les terres humides, ombragées et riches en azote. Ses grappes de fleurs bleues apparaissent entre avril et septembre. C'est une vivace qui se multiplie abondamment chaque année par semis spontanés et par bourgeonnement des racines. Et pourtant... Vous n'en croiserez pas à tout bout de champs.
Feuille de Buglosse toujours verte: un air de Consoude... Poitiers bords de Clain
Si la Buglosse toujours verte est assez courante dans le nord ouest de notre pays et en Bretagne, sa présence est moins marquée dans le Poitou. Chez nos voisins des Pays de Loire, elle est devenue si rare qu'un arrêté (1993) l'a placée en espèce protégée. Dans le sud ouest, il faut être un sacré veinard pour la croiser; quand aux promeneurs de l'est de la France, ils n'ont quasiment aucune chance de rencontrer la belle...
Petites fleurs bleues de la Buglosse toujours verte, Poitiers bords de Clain
Tu as la main, verte, mais de quelle couleur est le reste ?
(Batman & Robin, Joel Schumacher)
On nomme Pentaglottis sempervirens la «toujours verte» à cause de ses feuilles (les plus jeunes sont agréables en salade ou en potage), mais c'est de la teinture rouge qu'on peut fabriquer à partir de ses racines. Ses fleurs bleues comestibles sont parfois utilisées dans la cuisine sauvage comme décorations; leur goût séduit cependant bien moins que celui de sa sœur de sève, la Bourrache.
Buglosse toujours verte, Poitiers bords de Clain
Pour aller plus loin:
- Pentaglottis sempervirens sur Tela-botanica