Tous les matins, dès le lever, La Carioca te fais bouger. Et quand tu danses, chaque petit pas te mets en joie pour la journée...
(La cité de la peur, Les Nuls)
Regarde! Tu vois, là-bas, les champs de blé? (...) Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste! Mais (...) ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé... (Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry)
Galeopsis tetrahit, Biard (86)
Galeopsis tetrahit est une de ces rares Sauvages qui porte le même nom en latin comme en français (d'après le référentiel de l'INPN, elle a bien sûr en pratique des surnoms pittoresques suivant les régions, tels que Chanvre sauvage ou Chanvre bâtard). Membre évident des Lamiaceae, le clan des Sauvages à fleurs en forme de bouche (voir notre article complet sur ce sujet), le Galéopsis tetrahit porte fidèlement, jusque dans son nom, sa gueule grande ouverte: Galeopsis est littéralement en grec «celui qui a l'aspect de la belette».
Fleurs purpurines du Galéopsis tetrahit à la fin de l'été: une corolle en tube muni de deux lèvres. La lèvre supérieure est hérissée de poils, comme pour dire aux butineurs: «c'est en dessous qu'il faut se poser!»
Quoi ma gueule? Qu'est-ce qu'elle a ma gueule?
(Johnny Hallyday, Ma gueule!)
Difficile de dire si les fleurs du Sauvageon ressemblent à un museau de mammifère, mais souvenez vous qu'une autre Lamiacée, le Lamier jaune (Lamium galeobdolon), portait déjà le sobriquet de «celle qui pue la belette» (traduction de galeoblolon en grec). Il faut croire que Carl von Linné, le saint patron des botaniste, était dans sa période belette lorsque qu'il baptisa les deux spécimens!
A l'image des nombreux Lamiers, ses proches cousins, on pourrait confondre le Galéopsis tetrahit avec la Grande Ortie (Urtica dioica). Le Lamier jaune (Lamium galeobdolon) est surnommé «Ortie jaune», le Lamier blanc (Lamium album) «Ortie morte», le Lamier pourpre (Lamium purpureum) «Ortie rouge»... Le Galéopsis tetrahit s'en sort mieux que ses congénères puisque beaucoup préfère l’appeler «Ortie royale»! Une référence à son port prestigieux (jusqu'à 1 m de hauteur), ou à ses couronnes d'épines (ses calices) qui peuvent surprendre celui qui s'y frotte.
Calice hérissé de 5 pointes du Galéopsis tetrahit (notez le renflement caractéristique de la tige sous les nœuds).
C'est bien sûr un tort que de confondre le Galéopsis tetrahit avec la Grande Ortie. De plus, un œil averti notera quelques excentricités qui démarquent le Galéopsis tetrahit de ses cousins Lamiers: ses feuilles présentent des nervures pennées (rangées comme des arrêtes de poisson), alors que les Lamiers affichent un réseau de nervures complexes (réticulées). Coquetterie supplémentaire, on peut observer un léger renflement sous chaque nœud le long de la tige.
le Galéopsis tetrahit est une annuelle assez polymorphe qui colonise les lisières et les clairières des forêts alluviales. Ailleurs (friches, bord des routes ou dans votre jardin), il signe des sols frais mais lumineux, riches et chargés en matière organique végétale. Son expansion peut se montrer exubérante lors des coupes forestières, le Sauvageon prenant tous ses concurrents de court (jusqu'aux jeunes pousses d'arbres) dès le retour de la lumière. Introduite dans le nord des États-unis au cours du 20ème siècle, sa vigueur lui doit d'être considérée comme une invasive potentielle outre Atlantique.
Alors je vais tenter de l'anglo-normand. Avec un petit chromosome de tarbais pour améliorer les antérieurs. Qu'est ce que t'en penses?
(Le cave se rebiffe, Gilles Grangier)
Dans la nature, des hybridations entre espèces proches sont toujours possibles. Elles aboutissent le plus souvent à l'apparition de spécimens aussi fascinants que stériles (tout le monde connait le cas du mulet, croisement entre un âne et une jument).
Dans le domaine très créatif du végétal, il n'est pas rare que ces hybridations produisent de nouvelles espèces fertiles: c'est le cas pour notre Galéopsis tetrahit, qu'on sait aujourd'hui issu de l'hybridation naturelle entre d'autres Galéopsis (G.speciosa et G.pubescens). Son nom d’espèce, tetrahit, exprime le doublement de ses chromosomes: le Galéopsis tetrahit est «tétraploïde», c'est à dire qu'il possède un double stock de chromosomes issus de ses parents, dont les bagages chromosomiques dissemblables ne pouvaient que s’additionner, pas s'assembler.
Très mellifère, l'Ortie royale offre un festin de roi aux butineurs.
Tout hybride qu'il est, le Galéopsis tetrahit n'en reste pas moins une Lamiacée: il est mellifère, aromatique et médicinal. Réputé antianémique, reminéralisant et astringent (pour sa haute teneur en silice et en tannin), le Sauvageon est bien sûr comestible, même si sa consommation n'est pas chose courante. On peut lire dans les ouvrages de l'ethnobotaniste François Couplan que les feuilles du Galéopsis tetrahit auraint été consommées régulièrement en Pologne, bouillies et servies avec de la pomme de terre, de la farine d'avoine et du lait. Reste que sa forte odeur risque de dissuader les cueilleurs: pour certains, le Galéopsis tetrahit se caractéristique d'avantage par un parfum de belette que par une gueule de belette!
Pour aller plus loin
- Galeopsis tetrahit sur Tela-botanica
- Galeopsis tetrahit: identification assistée par ordinateur
Chrysomèles du Galéopsis (Chrysolina fastuosa) dos à dos sur le Galéopsis à feuilles étroites (Galeopsis angustifolia), une des 10 autres espèces de Galéopsis présentes en France.
Asphodelus albus (Asphodèle blanc ou Allée en poitevin saintongeais) appartient au clan qui porte son nom Asphodelaceae (ex-Liliaceae). L'origine du nom de la Sauvage semble perdu dans les limbes de l'histoire, remontant probablement à des langues oubliées d'origines non indo-européennes. Il pourrait signifier «sceptre» pour certains auteurs, mais rien n'est moins sûr, même si de nos jours beaucoup appellent encore la Sauvage Bâton blanc ou Bâton royal. Il faut dire que les Asphodèles sont entourés d'une aura fantastique et séculaire, leurs chandelles (jusqu'à 1,50m) couronnées de blanc ne passant guère inaperçues dans le paysage.
Fleurs inodores, blanches ou rosées de l'Asphodèle blanche (chacune portant 6 tépales marqués d'une nervure verte).
C'est autour du mois d'avril que les grappes denses des fleurs mellifères de l'Asphodèle blanche s'offrent aux butineurs. Abondante dans la partie ouest de la France, la Sauvage colonise les lisières forestières et les landes, préférant les sols acides, dégradés par le surpâturage, le piétinement, le soleil brulant ou les incendies répétés... Car si Esteban (des Mystérieuses Cités d'or) est le fils du soleil, l'Asphodèle est probablement celui du feu!
- Tout le monde a besoin d'un hobby...
- Quel est le votre?
- La résurrection.
(Skyfall, Sam Mendes)
L'Asphodèle blanche est une plante pyrophyte (qui aime le feu): les incendies la favorise par rapport à la concurrence. Lorsque le feu ravage une parcelle (ou lors des coupes forestières à blanc), les racines tuberculeuses de l'Asphodèle — qui ressemblent à une botte de radis — supportent sans trembler le passage des flammes. Le paysage mortifère qui s'en suit lui convient à ravir, et l'on voit parfois l'Asphodèle surgir des cendres tel un phénix. Notez que c'est d'ailleurs autour de Pâques, les fêtes de la résurrection dans la tradition chrétienne, que l'Asphodèle montre ses premières fleurs.
Colonie d'Asphodèle blanc entre forêt silicicole et asphalte brulant de la départementale 611 (Fontaine-le-Comte, 86).
L'Asphodèle blanche est une vivace qui se propage efficacement via ses parties souterraines enfoncées une vingtaine de centimètres sous le niveau du sol, un des secrets de sa résistance au feu. La légende veut que ses racines profondes nourrissent les morts. Jadis, les vivants ont aussi tenté de manger les tubercules en période de disette, cuits dans plusieurs eaux... A vrai dire, ce sont surtout les sangliers qui en raffolent.
Fruits foncés et toxiques de l'Asphodèle blanc (capsules globuleuses), Forêt domaniale de Vouillé-Saint-Hilaire (86)
Des racines qui chatouillent les tréfonds, des fleurs flamboyantes dressées vers le ciel: il n'en fallait pas moins pour que l'Asphodèle devienne une Sauvage psychopompe, chargée d'accompagner les défunts dans leur dernier voyage. Dans la Grèce antique, on la plante autour des tombes. La Plaine des Asphodèles est un paysage fantastique de la mythologie grecque, présenté comme une sorte d'oubliette fleurie, quelque part entre enfer et paradis. L'Asphodèle a conservé une partie de son aura ésotérique sur le pourtour méditerranéen: il n'y a pas si longtemps, on célébrait encore les morts dans les cimetières corses en enflammant des épis floraux d'Asphodèle (généralement Asphodelus ramosus) trempés dans l'huile d'olive.
Depuis le bord de la route, l'Asphodèle blanc vous souhaite un bon voyage... Espérons de tout cœur que ça ne soit pas le dernier (c'est peut-être la sécurité routière qui les a plantés là pour inciter les conducteurs à la prudence)!
Les tiges sèches de l'Asphodèle, récoltées à la fin de l'été, sont remarquables de solidité comme de légèreté (attention lors de la cueillette, il existe une Asphodèle protégée — Asphodelus arrondeaui — du côté de la Bretagne). Elles peuvent servir à la vannerie, au modélisme, d'épées pour les enfants, d'allumettes pour les campeurs ou de cigarettes pour les garnements (à la mode «Viouche»)... Gare, à trop jouer avec l'Asphodèle, le risque d'embrasement n'est jamais bien loin!
Pour aller plus loin:
- Asphodelus albus: identification assistée par ordinateur
- Asphodelus albus sur Tela-botanica
- L'asphodèle entre ciel et terre, un texte poétique du site Botanique-Jardins-Paysages
- La croustillante légende de Bartolu et de l'Asphodèle (Corse) sur le blog Terres de femmes
Touffe de feuilles raides, longues et étroites, pliées en gouttière de l'Asphodèle blanc, un peu à la mode poireau: le «Poireau de chien» ou le «Poireau du diable» sont deux autres surnoms de la Sauvage.