Fasciation « smiley » chez l’Herbe de saint Jacques... Une bonne bouille pour une Sauvage qui n'attire pourtant pas les sympathies!
Jacobaea vulgaris (Herbe de saint Jacques, Séneçon jacobée ou Sanisson — pour Séneçon — en Poitevin-saintongeais) appartient à la grande famille Asteraceae, dont les membres présentent une multitude de fleurs minuscules accolées les unes aux autres pour former des capitules (un observateur non averti risque de considérer le capitule comme une fleur unique, mais c'est un trompe l’œil). Longtemps considérée et identifiée comme un Séneçon (d'où son appellation encore utilisée de Séneçon jacobée), la belle a récemment (2005) gagné son titre de noblesse botanique et le droit de porter un nom spécifique: Jacobaea. Une dénomination inspirée de son pic de floraison situé autour de la Saint Jacques (25 Juillet).
Mais vous voyez bien que Jacquart c’est mieux que Jacquouille, alors si vous ne comprenez pas ça vous n’avez qu’a prendre de la Juvamine bordel!
(Les visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Capitules de l'Herbe de saint Jacques, Poitiers bords de Boivre
On croise deux Jacobeae proches (aux feuilles assez polymorphes, ce qui ne facilite rien) sur les routes du Poitou: Jacobeae vulgaris (Herbe de saint Jacques ou Séneçon jacobée) en abondance et, plus rarement, Jacobaea erucifolia (Séneçon à feuille de roquette). Un critère de différenciation intéressera les apprentis botanistes: le calicule (petites feuilles spécifiques à la base du calice) du Séneçon jacobée est court et discret alors que celui du Séneçon à feuille de roquette est lâche et très développé.
Calicule court de l'Herbe de saint Jacques, Poitiers bords de Boivre
Jacobaea vulgaris est une vivace (parfois bisanuelle) pionnière et souvent solitaire qui s'installe principalement sur les bords de route, les friches agricoles, les terrains vagues, les lisières... La Sauvage dresse ses fleurs pendant la saison estivale, entre juin et aout. On racontait autrefois que la longue tige de Jacobaea vulgaris faisait partie des «ramons», les tiges et rameaux sur lesquels chevauchaient les sorcières pour se rendre au sabbat. Par la suite, les ramons se transformèrent en de vulgaires balais dans l'imaginaire collectif.
Herbe de saint Jacques, Poitiers bords de Boivre
Jacobaea vulgaris est toxique. Sa consommation (fraiche ou fauchée) est dangereuse pour les porcs, les chevaux ou les bovins, les alcaloïde qu'elle contient pouvant léser le foie des animaux; la Sauvage souffre pour cette raison d'une mauvaise réputation, et nombreux sont ceux qui lui font la chasse, à commencer par les éleveurs équins.
Feuille de l'Herbe de saint Jacques: pennatipartite en segments lobés ou crénelés, les inférieures pétiolées, les supérieures sessiles et embrassantes.
Jacobaea vulgaris est en revanche une ressource de premier choix
pour les oiseaux et pour les papillons de nuit. Entre les chenilles tigrées du remarquable
Goutte de sang (Tyria jacobaeae) et la Sauvage, c'est une véritable histoire d'amour... Et d'équilibre. Lorsque les chenilles pullulent et dévorent les fleurs (les chenilles en profitent pour se bourrer d'alcaloïdes, dissuadant les oiseaux de les bouloter), Jacobaea vulgaris abonde moins l'année suivante. Les chenilles en manque de nourriture se font plus rares la troisième année, permettant à la plante de proliférer. Les chenilles font alors leur retour en nombre la quatrième année, la boucle est bouclée! A vous d'observer, il y a des années à chenilles et des années à Herbes de saint Jacques...
Chaque espèce possède des instincts qui en fin de compte créent un équilibre avec la nature. Chaque espèce sauf celle dans laquelle je venais de naitre.
(Kyle XY, Eric Bress et J. Mackye Gruber)
Chenilles du Goutte de sang sur Herbe de saint Jacques, Biard (86)
Pour aller plus loin:
- Jacobaea vulgaris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Un autre Séneçon à l'allure proche de notre Herbe de saint Jacques, mais dont les feuilles linéaires permettent une identification aisée: le Séneçon du cap (Senecio inaequidens). Une vivace originaire d'Afrique du sud, largement naturalisée dans le sud de la France, qui voyage peu à peu vers le Nord de l'Europe: comme ici, fraîchement débarquée d'un train sur le quai en gare de Poitiers!
Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Alliaria petiolata (Alliaire) appartient à la famille Brassicaceae, dont les membres, souvent cultivés par l'homme, se démarquent par leurs saveurs remarquables et recherchées (choux, navet, moutarde, raifort, roquette, cresson...).
Rien ne vaut le chou pour accompagner le chou.
(Charlie et la chocolaterie, Tim burton)
Alliaire, Poitiers le Porteau
Les feuilles dentées et cordées à son sommet (mais réniformes et crénelées à la base de la plante) pourraient, faute d'attention, faire penser à la piquante Ortie... Ses petites fleurs blanches à quatre pétales empêchent toute confusion, de même que l'odeur d'ail dégagée par ses feuilles lorsqu'elles sont froissées entre les doigts. En effet, Allium en latin, c'est l'ail. Dans le Poitou, on fait preuve de simplicité quand il s'agit de nommer la belle: Alliaria petiolata est l'«Herbe à l'ail».
Grappes de fleurs de l'Alliaire: 4 sépales, 4 pétales, 6 étamines autour du pistil.
L'Alliaire est une bisannuelle qui colonise les terres fraîches, ombragées, riches en matière organique végétale. Elle laisse ses feuilles seules apparaître la première année. La seconde année, elle montre ses fleurs puis ses longs fruits (siliques) porteurs des générations à venir; à la suite de quoi elle entame une dernière phase de reproduction via un bourgeonnement sous-terrain. La méthode s'avère efficace, lui permettant de s'installer durablement sur de vastes territoires. A tel point qu'aux États-Unis, à la suite de son introduction par l'homme, et en l'absence de ses prédateurs naturels européens (insectes, herbivores...), l'Alliaire est devenue une invasive redoutée.
Toi tu commences à me baver sur les rouleaux...
(Invasion U.S.A., Joseph Zito)
Colonie d'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
A l'image de l'Ail, on lui reconnait des vertus antiseptiques (désinfectantes) lorsqu'elle est appliquée en cataplasme, sur des plaies mineures ou des piqures d'insectes. Mais c'est surtout en bouche que la Sauvage se démarque.
J’aime bien votre haleine, mais vous aurez la même demain?
(RRRrrrr, Alain Chabat)
Jeune feuille (réniforme et cordée) d'Alliaire la première année,
à ne pas confondre avec le Lierre terrestre! (Poitiers bords de Boivre)
Les graines contenues dans ses longs fruits (siliques), une fois écrasées, peuvent également remplacer les graines de moutarde dans la préparation de sauces. La recette est connue de longue date, puisqu'on a retrouvé des semences d'Alliaire, sous forme de micro-fossiles de cellules végétales, dans des poteries préhistoriques qui servaient à stocker la nourriture il y a environ 6000 ans!
La recette du shérif : Beurre d'Alliaire
- Mixer 100 grammes de feuilles crues (sans le pétiole) avec 200 grammes de beurre. Rajouter huile d'olive, jus de citron et sel à votre convenance... Tartinez et dégustez!
Dans la famille des Piérides (papillons diurnes de taille moyenne, souvent blancs tachetés de noir), certaines espèces se nourrissent de divers «choux», autrement dit, de crucifères, parmi lesquelles se trouve notre Alliaire...
Personnages:
Madame Piéride du navet (Pieris napi), Madame Piéride de la rave (Pieris rapae), Madame Aurore (Anthocharis cardamines).
La scène se déroule dans un fossé humide au mois d'avril.
Madame Piéride du navet en tenue estivale (les nervures des ailes postérieures sont moins soulignées de gris que pour les individus de printemps)
SCÈNE UNIQUE
Madame Piéride du navet, rencontrant Madame Aurore
Tiens! Comment va?
Madame Aurore
Mission réussie! Pas moins de trois messieurs pour me courtiser! J'ai finalement accepté les avances de celui dont le parfum m'a le plus grisé. Ah, ces phéromones! Les deux autres m'ont poursuivi mais j'ai utilisé ma technique habituelle pour les dissuader de m'approcher: je lève l'abdomen pour leur signifier «halte-là!»
Madame Piéride du navet
Vous avez bien de la chance. Pour ma part, je viens juste d'émerger et j'attends que des messieurs viennent me tourner autour mais... (un vol vif la surprend)
Madame Piéride de la rave
Hello les filles! Je suis un peu essoufflée car je viens d'échapper à deux mâles harcelants. Entre nous, l'un d'eux a été plus gentil que l'autre, hi hi!
Madame Aurore
Je vois... Cela dit, je suis comme toi, fécondée! Ça te dit de suivre le fossé? J'irais bien pondre sur l'Alliaire, son goût d'ail ravit les chenilles.
Madame Piéride de la rave
Bonne idée! (S'adressant à Madame Piéride du navet) Tu viens? Tu trouveras peut-être ton adonis dans le coin?
Madame Piéride du navet
D’accord, allons chercher l'Alliaire, c'est la saison! Vous savez ce que chantent les piérides de mon espèce?
«Nous, Piérides,
Qui aimons les crucifères
Par dessus tout,
Nous sommes vraiment
Trop chou!»
À gauche, Madame Aurore en train de se refuser à un mâle; à droite, Monsieur Piéride de la rave, faute d'avoir réussi à photographier Madame! (ce papillon, bien que commun, ne se pose presque jamais et est extrêmement farouche)
Chenille d'Aurore boulottant une silique d'Alliaire: tout le génie de la nature dans ce mimétisme.
Pour aller plus loin:
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Alliaire au micro de Sauvages du Poitou
- Identification assistée par ordinateur
- Alliaria petiolata sur Tela-botanica
Siliques de l'Alliaire, Poitiers bords de Boivre
Mais quelle est cette Sauvage qui envahit les murs et les trottoirs de la ville? (Pariétaire de Judée)
Parietaria judaica (Pariétaire de Judée) appartient aux Urticaceae, la famille des piquantes Orties. C'est une Sauvage qui vous est certainement familière — au moins de visu — si vous vivez à proximité de falaises ou de vieux remparts... Son nom vient du latin Paries, c'est à dire «mur» ou «paroi». C'est là qu'elle préfère s'installer et pousser. Plus généralement, elle est très courante au cœur des villes; elle fait partie du prestigieux top 10 des Sauvages les plus observées dans nos cités (source: Sauvages de ma rue).
Pariétaire de Judée: la Garde de Nuit veille au pied du Mur...
Parietaria judaica est une vivace au port ramifié et couché (ou partiellement dressé). Ses racines sécrètent une substance capable de dissoudre la roche pour s'y enfoncer d'avantage et y puiser sa maigre nourriture. C'est peut-être ce qui lui vaut son appellation local: dans le Poitou, elle est surnommée la Perce-pierre.
Des clôtures de pierres ne sauraient barrer la route à l’amour.
(Roméo + Juliette, Baz Luhrmann)
Jeunes feuilles de la Pariétaire de Judée: alternes, ovales ou obovales, acuminées.
Il faut ramener le forage de Parietaria judaica à la juste échelle végétale, lente et discrète, pas de quoi écrouler des châteaux forts! Plus que ses racines, ce sont les fleurs de la Sauvage qui lui cause une mauvaise presse: son pollen fait partie des grands allergisants de notre temps. Il peut être la cause d’asthmes, de démangeaisons, de rhinites... Transporté par le vent, celui ci ne va toutefois généralement pas bien loin, et c'est à proximité des plantes que les symptômes se font le plus sentir.
Atchoum! Oh je suis désolé, je suis allergique aux conneries!
(I, robot, Alex Proyas)
Fleurs discrètes de la Pariétaire de Judée, Poitiers quartier gare
Différencier la Pariétaire de judée de la Pariétaire officinale demande un examen minutieux des inflorescences à la loupe ou à la binoculaire (les bractées sont soudées chez la Pariétaire de Judée, libres entre elles chez l'officinale). La Pariétaire officinale, plus rare sur le territoire, préfère la proximité de l'eau. Elle présente à maturité un port plus haut, dressé, non ramifié et des feuilles plus longues (feuilles jusqu'à 10cm contre feuilles de 3 à 4 cm maximum pour la Pariétaire de Judée). La confusion n'est toutefois pas dramatique, les deux Sauvages étant d'excellentes comestibles, appréciées de l'homme comme des chenilles et des papillons (les vanesses vouent parfois une véritable passion aux urticacées, voir notre article sur la Grande Ortie).
Au même titre que l'Ortie (mais en beaucoup moins goûteuses), les jeunes pousses de Parietaria judaica sont bonnes en salade (crues), en gratin ou en soupe (cuites). Si elle manque un peu de caractère en bouche, il est bon de noter que son usage permet d'adoucir le goût prononcé d'autres plantes dans les recettes, tout en apportant sa richesse en mucilages (adoucissants), tanins (asséchants et usage externe) et nitrates de potassium (diurétiques).
Pour aller plus loin :
- Parietaria judaica sur Tela-botanica
- La Pariétaire: Ange ou démon? sur le site Zoom Nature
Pariétaire de Judée: un îlot de verdure sur un océan de macadam.