Sariette commune, Poitiers quartier Chilvert
Clinopodium vulgare (Sariette commune ou Clinopode commun) appartient aux Lamiaceae, la famille des Sauvages aromatiques à fleurs en forme de gueule ouverte (voir notre article complet sur le sujet). L'arôme n'est pourtant pas le point fort de la Sariette commune qui est peu odorante, voire pas du tout. Son surnom de Grand Basilic est donc un poil fanfaron. Hors floraison, la subtilité ou l'absence de son parfum nous aidera éventuellement à la différencier de l'Origan commun, aux feuilles parfumées ressemblantes.
Feuilles lancéolées ou ovales, densément poilues de la Sariette commune (les feuilles de l'Origan ne sont couvertes que de quelques poils éparses).
J'ai envie d'être heureux, de dormir dans un vrai lit, d'avoir des racines...(Léon, Luc Besson)
Malgré ses allures de couchette, les ancien accordaient à la Sariette commune des vertus toniques. Elle est comestible, mais ses feuilles relativement coriaces et son manque de saveur n'en font pas un met de premier choix. En tout cas en ce qui nous concerne: les butineurs manquent rarement le festin de ses fleurs mellifères à la fin de l'été. Tinctoriale, la Sariette confiées à des mains habiles (pas les miennes) permet d'obtenir une teinture jaune.
Fleurs purpurines de la Sariette commune réunies en gros de verticilles axillaires et terminaux compacts.
La Sariette commune est une vivace tout-terrain: ses colonies sont capable de s'installer dans tous les milieux, jusqu'aux zones fortement perturbés par l'homme, avec une léger penchant pour les lisières forestières ou les bois parsemés. Ses tiges et ses calices ciliés restent érigés jusqu'au début de l'hiver, les fruits étant dispersés par le vent ou par les animaux de passage.
Sariette commune de Décembre, Poitiers bords de Boivre
Le genre Clinopodium recense six espèces sur le territoire français. Impossible de se quitter sans mentionner un autre incontournable du genre, dont le parfum ne laissera personne indifférent:
Faux! Faux! Complètement faux! J’ai envie de te dire menteur!
(Brice de nice, James Huth)
Si le Calament glanduleux est une «fausse» menthe, il a parfois été surnommé Fausse Marjolaine ou Faux Nepeta... Bref, difficile pour le Sauvageon de se défaire de l'aura de faussaire qu'on lui prête. Il n'a pourtant rien à envier à ses sœurs Lamiacées les plus renommées.
Utilisé comme condiment dans la cuisine corse et italienne, le Calament glanduleux est commercialisé sous le nom de «népita» («nipitella» en Italie) et parfume les légumes, les poissons ou les viandes. On lui prête des vertus digestives (particulièrement contre les problèmes d'aérophagie). Au moyen âge, on le prescrivait contre le hoquet. Quant à la fraicheur de son parfum: un randonneur du sud de la France m'a confié un jour qu'il lui arrivait d'utiliser le Sauvageon comme dentifrice de fortune... En se frottant la plante sur les dents!
Clinopodium nepeta subsp. sylvaticum, une autre sous espèce. Surnommé le Calament des bois, Celui-ci préfère les bois et les lisières forestières et dresse des fleurs plus grandes que l’espèce type, aux couleurs généralement mieux marquées.
Pour aller plus loin:
- Clinopodium vulgare sur Tela-botanica
- Clinopodium vulgare: identification assistée par ordinateur
- Clinopodium nepeta sur Tela-botanica
Clinopodium acinos, alias le «Petit Basilic», un autre «Clinopode» des pelouses sèches.
Colonie de Grande Consoude, Poitiers bords de Clain
Symphytum officinale (Grande Consoude) appartient à la famille Boraginaceae, aux côtés de la Bourrache officinale (Borrago officinalis), de la Vipérine commune (Echium vulgare) ou des Myosotis. Les membres de ce clan présentent souvent des inflorescences caractéristiques en «queue de scorpion» (cyme scorpioïde) et sont souvent couverts de poils raides: les Boraginacées doivent leur nom au latin burra, la «burre», une étoffe en laine rêche et grossière qui habillait autrefois les moines. Ainsi, les feuilles et les tiges anguleuses de la Grande Consoude sont vêtues d'une moumoute de poils hérissés non piquants.
Inflorescence en «queue de scorpion» de la Grande Consoude: des fleurs à 5 sépales et 5 pétales soudés en un tube.
La Grande Consoude est une vivace imposante (jusqu'à 120 centimètres de hauteur) qui s'installe de préférence dans les prés ou les boisements humides, à proximité de l'eau (rivières, étangs, marais...). Ses fleurs affichent des couleurs variées suivant les colonies (blanches, jaunes, roses, purpurines...). De plus, comme souvent chez les Boraginacées (voir notre article sur les Myosotis), la coloration des fleurs peut varier en fonction de leur maturité, indiquant aux insectes quelle corolle il convient de visiter en priorité.
Yo-ho, quel bonheur d’être un voleur! On vide les coffres et les pichets!
(Peter Pan, Walt Disney)
Les fleurs de la Grande Consoude présentent une caractéristique peu banale: les organes sexuels (pistil et étamines) bénéficient d'une double protection, celle du tube formé par les pétales, mais aussi celle de cinq écailles qui les recouvrent à l'intérieur de la corolle. Autant dire que cette forteresse met à mal certains butineurs invités par les couleurs et le parfum de la Sauvage (imperceptible pour l'homme). Les insectes munis d'une longue trompe tirent leur épingle du jeu, mais ce sont le plus souvent les bourdons qui profitent du trésor mellifère: ceux-ci peuvent forcer le passage, ou mieux, percer directement la base de la corolle grâce à leurs mandibules pour atteindre le précieux nectar.
A l'intérieur du coffre-fort des fleurs de la Grande Consoude, 5 écailles forment un cône protecteur autour des organes sexuels.
Une fois la corolle fracturée depuis l’extérieur par les bourdons, d'autres insectes profitent de l'ouverture. C'est là un véritable braquage végétal, puisque la Grande Consoude est délestée de son butin sans que les insectes ne viennent se frotter à ses organes sexuels. La Grande Consoude n'est donc pas une bonne reproductrice sexuée, la faute au blindage interne de ses fleurs! Heureusement, elle compense par une capacité de reproduction végétative très efficace qui lui permet de coloniser rapidement les espaces propices (sol profond, riche et humide). Championne du bouturage, elle peut aisément repartir depuis le moindre fragment de racine.
Bourdon fracturant une corolle de Consoude par l’extérieur: au voleur!
De par sa biomasse imposante et sa vigueur, la Grande Consoude a été considérée comme une fourragère généreuse, apte à nourrir veau, vache, cochon, couvée... Autrefois, l'homme consommait parfois ses racines (pelées et cuites à l'eau) et surtout ses feuilles au goût légèrement iodé qui peuvent faire office de «filet de poisson végétal» (pané, testé et approuvé). Aujourd'hui, on considère qu'une consommation exagérée ou régulière de la Sauvage serait dangereuse pour l'homme, à cause de la présence d’alcaloïdes hépatotoxiques, particulièrement dans ses racines. La Grande Consoude rejoint donc la liste des aliments sympathiques-mais-dont-il-ne-faut-pas-abuser (quelque part entre les chips Springles et les fraises Tagada?).
Si la Grande Ortie manque rarement dans les jardins particuliers, la présence de la Grande Consoude est plus anecdotique. Il convient donc de l'importer si on veut la garder à portée de ciseaux. Il suffit pour l'inviter de prélever un morceau de tige et un bout de racine, puis de la replanter sur un sol profond. Mais en terrain propice, la belle peut se montrer envahissante et difficile à déloger une fois en place. C'est pourquoi on préfère généralement à la Grande Consoude des spécimens sélectionnés pour leur générosité, leur robustesse et leur stérilité (ils ne se ressèment pas). La variété la plus célèbre dans les potagers se nomme Bocking 14, un cultivar stérile de l'hybride fertile Symphytum x uplandicum, croisement entre Symphytum officinale, la Grande Consoude, et Symphytum asperum, la Consoude Hérissée... Dans la nature comme en horticulture, les métissages font lois!
Symphytum x uplandicum, un hybride qui se naturalise ici et là. Polymorphe, il mélange les caractéristiques de ses deux parents: feuilles peu décurrentes (feuilles longuement décurrentes chez l'Officinale / non décurrentes chez l'Hérissée), poils un peu piquants (non piquants chez l'Officinale / très piquants chez l'Hérissée).
Pour aller plus loin:
- Symphytum officinale sur Tela-botanica
- Symphytum officinale: identification assistée par ordinateur
- La Consoude est-elle toxique? sur le site passeportsante.net
Lecture recommandée:
- La Consoude, trésor du jardin de Bernard Bertrand (éditions de Terran)
Consoude tubéreuse (Symphytum tuberosum): une autre espèce indigène discrète (20 à 60 centimètres de hauteur) à la tige ronde et aux fleurs toujours jaunes claires. Sa répartition se limite à la moitié sud de la France.
Souvenez-vous de notre petite leçon de botanique joyeuse consacrée aux fleurs. Il était question de sexualité et du rôle indispensable des insectes (ou du vent) dans la reproduction des Sauvages:
Cette nouvelle série d'articles vous propose d'explorer plus avant les mécanismes de la pollinisation mis en œuvre par les insectes. Laissons Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou, nous conter quelques fables naturalistes, en commençant par celle de la Sauvage et du coléoptère...
Au cours de vos pérégrinations champêtres, il vous est sûrement arrivé de rencontrer une Cétoine dorée (Cetonia aurata), ce coléoptère aux reflets métalliques qui tient autant de l’insecte que du bijou. En vous approchant de la bestiole, accrochée à une Reine-des-prés (Filipendula ulmaria), vous l’avez peut-être vue brouter comme une vache les fleurs de la Sauvage, se remplissant la panse de pollen.
Cétoine dorée visitant une Reine-des-prés: la Reine et son joyau!
A première vue, on pourrait croire qu'en tordant ainsi les étamines et le pistil, cette Cétoine castre la plante. En réalité - c’est là un des arrangements géniaux que la nature a concocté - le coléoptère féconde la fleur tout en l'esquintant. En effet, au cours de son broutage, la Cétoine s'est couverte de grains de pollen qui se sont collés sur son corps. Alors, au passage, l'insecte en dépose une partie sur le pistil. Ce phénomène, non recherché par notre Cétoine, parfaitement aléatoire (tout comme le vent, un autre grand pollinisateur), fonde le principe de base de la pollinisation des plantes par les insectes floricoles. Mais celle-ci est plus ou moins efficace et varie selon les différents ordres d’insectes, comme nous le verrons au cours de cette série d'articles dédiés aux pollinisateurs à six pattes.
L'interlocuteur me semble, comment dirais-je... Un peu rustique, le genre agricole.
(Les Tontons flingueurs, Georges Lautner)
Revenons à notre Cétoine et à ses cousins coléoptères. Leur relation de pollinisation avec les fleurs se nomme cantharophilie et correspond, du point de vue de l‘évolution des insectes pollinisateurs, au stade le plus archaïque. Pourquoi? Parce que la plupart des coléoptères possède des pièces buccales de type broyeur, non des langues sophistiquées comme celles des mouches ou des abeilles, encore moins des trompes comme celles des papillons. Autant dire que du point de vue des techniques de prélèvement du nectar, les coléoptères ne font pas dans la dentelle.
Gros plan sur la bouche (appelée clypeus) de cette Trichie fasciée (Trichius fasciatus): un petit côté bec de canard, une ergonomie de brouteur plus appropriée à la tonte des étamines qu’à l’absorption du nectar.
Notre Cétoine, comme certains coléoptères, ne se nourrit pas de nectar mais de pollen. Les dégâts qu’elle cause aux fleurs ne concernent pas seulement les organes sexuels mais aussi les pétales et d’autres pièces florales, ce qui en fait une pollinisatrice bourrue. Il arrive même que les dégâts causés à la fleur ne soient pas compensés par l’acte de pollinisation; le risque est d'autant plus grand lorsque le coléoptère est glabre, le pollen s'agrippant difficilement sur les insectes non poilus.
Duo de Draps mortuaires (Oxythyrea funesta) sur Marguerite commune (Leucanthemum vulgare). Ces cétoines
n'ont pas ménagé le capitule de la fleur: étamines, pistils, pétales, tout y passe!
D’autres espèces, comme celles du genre des Cérambycidés (ou longicornes), plus distinguées, se nourrissent tant de pollen (qu’elles ramassent avec leurs mandibules) que de nectar (qu’elles lèchent avec les autres pièces buccales mieux adaptées). Quel est le secret de cette adaptation? Plutôt que d'avoir des mandibules perpendiculaires à l’axe du corps, les longicornes ont un cou et des mâchoires dirigées vers l’avant, dans le prolongement du corps, ce qui leur permet de siroter le nectar en profondeur dans la fleur.
Les fleurs sont aussi des lieux de rencontre: ici un couple de Pseudovadonies livides (Pseudovadonia livida) dont on note la forme des pièces buccales mieux adaptées au butinage que d'autres coléoptères.
Ici, un couple de Petits Capricornes (Cerambyx scopolii), des longicornes floricoles… et sans pudeur à table!
Les coléoptères apprécient avant tout les fleurs aux odeurs fortes et fruitées offrant des nectars très sucrés. Les Sauvages les plus visitées présentent des inflorescences larges regroupant des petites fleurs (Apiacées, Sureau, Sorbier…), mais également des fleurs isolées à large corolle (Rosacées, Renonculacées…). D’ailleurs, ne surnomme-t-on pas notre Cétoine dorée «Hanneton des roses»? Par leur planitude et leur ouverture, ces fleurs offrent des pistes d’atterrissage de premier choix, ainsi qu'un accès facilité au pollen et au divin breuvage.
L'inflorescence plate de l'Achillée millefeuille (Achillea millefolium) en fait une Sauvage très courue par les coléoptères. Ce Sténoptère roux (Stenopterus rufus) ne s'y est pas trompé… et l’Achillée non plus : son pollen s'agglomère facilement dans les poils de l’insecte, ce qui lui permet d’être facilement transporté de pistil en pistil.
«Plus lourd que l’air, à peine dirigeable, têtu et ronchonnant, il arrive tout de même au but, avec ses ailes en chocolat.»
(Chapitre «Hanneton» dans «Histoires naturelles», Jules Renard)
Dans nos contrées tempérées, s’ils sont d’indéniables pollinisateurs, les coléoptères n’arrivent cependant pas à la patte des mouches, abeilles et autres papillons car ils sont nettement plus statiques qu’eux. Pourquoi dépenser de l’énergie de fleur en fleur alors que, protégés par leur carapace et leurs sécrétions répulsives, ils peuvent se la couler douce dans les corolles durant des heures? Bref, la cantharophilie, c’est un peu de la pollinisation peinarde: on choisit des fleurs faciles à butiner pour y faire bronzette. Pas étonnant que notre Cétoine soit aussi dorée!
Pour aller plus loin:
- La Cétoine dorée (Cetonia aurata) sur le site Quel est cet animal?
- Le Drap mortuaire (Oxythyrea funesta) sur le site Quel est cet animal?
- Le Petit Capricorne (Cerambyx scopolii) sur le site Quel est cet animal?
- Le Sténoptère roux (Stenopterus rufus) sur le site Quel est cet animal?
- Les Coléoptères et les fleurs sur le site de l'Inra.
Ces deux espèces de chrysomèles du genre Cryptocephalus passent leur temps en chaise longue sur cette renoncule, transformée en terrasse!