Achillée millefeuille, Saint-Auvent (67)
Achillea millefolium (Achillée millefeuille) appartient au vaste clan Asteracea, les plantes aux très nombreuses fleurs réunies en un gros «capitule» (Pâquerettes, Pissenlits, Marguerites...). Un piège initiatique pour les apprentis botanistes, car en le voyant, on est immédiatement tenté de le ranger parmi les Apiaceae (Ombellifères), les plantes à «ombelles» (inflorescence en forme de parapluie). Il se trouve que dans le cas d'Achillea millefolium, les botanistes utilisent le terme «corymbe» plutôt que celui d'«ombelle», qui renvoie à une inflorescence en grappe plate, où les fleurs (ici les capitules) sont alignées sur un même plan horizontal.
La Sauvage tire son nom d'Achille, héros mythique de la guerre de Troie, qui s'en servit pour guérir des blessures (pas les siennes, mais celle d'un roi, car en dehors de son célèbre talon, Achille était invulnérable).
Tu connaîtras la gloire mon fils, on écrira l'histoire de tes exploits pour les milliers d'années à venir, le monde n'oubliera jamais ton nom : Achille.
(Troie, Wolfgang Petersen)
C'est en tant que plante-médecine qu'Achillea millefolium a tissé sa légende à travers l'histoire, depuis les tombes néandertaliennes (où des traces de la Sauvage ont été observées, parmi d'autres pharmacopées rudimentaires), en passant par les Celtes, jusqu'à la première guerre mondiale (où elle — «l'Herbe aux militaires» — faisait partie du kit de premier secours fourni à chaque soldat). Mais avant de revenir sur les pouvoirs de cet infirmier végétal, observons le de plus près:
Feuilles alternes, bipennatisequées de l'Achillée millefeuille, Poitiers sous Blossac
Ses inflorescences blanches roses caractéristiques (qui apparaissent à la belle saison, entre juin et octobre), disposées en «corymbe», combinées à ses «mille feuilles» vertes foncées, en réalité des feuilles finement découpées (comme des plumes) devraient nous permettre de l'identifier sans grandes difficultés.
Corymbe de capitules très fréquenté de l'Achillée millefeuille, Beauvoir (86)
Achillea millefolium est une vivace et se propage autant par ses racines traçantes (reproduction végétative) que par ses graines grises qu'il ressème spontanément chaque année. Il affectionne les terrains dégagés, riches et secs, les prairies, mais aussi les bords des routes et des chemins, où il dresse ses tiges raides de 20 à 70cm de hauteur (à moins qu'une tondeuse à gazon ne les raccourcisse, ce qui ne perturbe pas outre mesure notre Sauvage).
Des tiges qui vous permettront de fabriquer, dans le respect des traditions, un set de baguettes pour pratiquer le rituel du Yi-Jing, le célèbre livre divinatoire de l'empire du milieu (un autre Achillée fut aussi utilisée pour fabriquer les baguettes du Yi-Jing, l'Achillée ptarmique, Acchillea ptarmica). Reconnaissez que notre Sauvage a su faire sa place dans l'histoire, que ce soit aux côtés des traités fondateurs de Chine, ou dans les récits mythologiques européens.
Au cœur de la terre naissent les racines (c'est en accumulant petit à petit qu'on parvient à ce qui est grand et élevé).
(Tirage n°46 «Croissance» du Yi-Jing)
Achillée millefeuille, Dagneux 0()
Lorsqu'il s'incruste au potager, Achillea millefolium devient un excellent auxiliaire. Dans les allées, il couvre le sol au même titre qu'un gazon, car il supporte le piétinement. Mais contrairement à une simple pelouse, la Sauvage est très serviable: elle donne de la vigueur aux plantes alentour, son odeur âcre repousse nombre de prédateurs pendant que ses fleurs attirent les pollinisateurs (abeilles, papillons...) et les syrphes (redoutables prédateurs des pucerons).
Fauchée, Achillea millefolium fournit un paillage généreux. Sa décoction (100g de fleurs pour 1l d'eau) accélère la formation du compost, ou (diluée à 1 pour 10) fait office de traitement anti-fongique... Bref, Achillea millefolium est une véritable manne pour le jardinier!
Sexe, pollen et Achillée millefeuille : les trois ingrédients d'une bonne légende? (couple de Pseudovadonia livida)
Ses jeunes pousses, ses fleurs et ses feuilles sont comestibles. L’Achillée millefeuille dégage une saveur amère et intense. Elle sera généralement utilisée comme condiment dans les salades, les soupes ou les omelettes, plutôt que comme plat principal. Dans les pays nordiques, ses inflorescences ont parfois servi à aromatiser la bière. Autre particularité culinaire : un sachet de graines de la sauvage était jadis placé dans les tonneaux de vin pour aider à la bonne conservation de ce dernier.
Un joli ton rosé pour cette Achillée millefeuille, alias «Saigne nez»
Mais revenons à ce qui à fait la popularité d'Achillea millefolium: son utilisation médicale. Difficile d'être exhaustif sur le sujet... La Sauvage mériterait quelques chapitres à elle seule. Les études lui reconnaissent plus de 120 composés chimiques dont 82 huiles essentielles. Néanmoins, on peut retenir les usages les plus courants:
En poitevin saintongeais, Achillea millefolium est plus connue sous le nom de Saigne nez. La Sauvage ne pratique pas la boxe à ses heures perdues, mais se révèle hémostatique en usage externe. La tisane de ses parties aériennes fleuries (fraîches ou séchées) appliquée en cataplasme, en friction douce ou en bain, est anti-inflammatoire et cicatrisante. Une recette qui a traversé l'histoire, des chevaliers du moyen-âge jusqu'au poilus des tranchées de la première guerre mondiale! Dans une version plus contemporaine, le randonneur peut appliquer directement quelques feuilles mâchées pour arrêter le saignement d'une (légère) coupures.
En usage interne, la même tisane soulage les douleurs menstruelles ainsi que les douleurs abdominales digestives. En inhalation, elle fera également bon effet dans le traitement des infections des voies respiratoires (rhumes, maux de gorge...).
Voilà une Sauvage qui, depuis des dizaines de milliers de siècles, œuvre pour ne jamais se voir affubler du sobriquet de «mauvaise herbe»... Gageons que la renommée et la légende d'Achillea millefolium perdurent longtemps!
Pour aller plus loin:
- Achillea millefolium sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Fleur de l'Aigremoine eupatoire, Marçay (86)
Agrimonia eupatoria (Aigremoine eupatoire ou Grimoine en poitevin saintongeais) appartient à prestigieuse famille des Rosaceae, celle des Roses bien sûr (on en compte plus de 40.000 variétés!), mais aussi celle des Framboisiers, des Mûriers, des Pommiers et autres géants producteurs de fruits: les Rosacées fournissent l'essentiel des fruits consommés par l'homme en zone tempérée. Leurs fleurs affichent souvent (ce n'est pas une règle absolue) cinq pétales et cinq sépales. Leurs feuilles alternes et généralement stipulées sont souvent composées et dentées. L'Aigremoine, faute de réjouir les amateurs de confitures, affiche fièrement ses armoiries familiales avec ses fleurs jaunes à cinq pétales, presque sessiles (en réalité très courtement pétiolées), réunies en grappes allongées et ses feuilles imparipennées profondément dentées.
Feuilles imparipennées de l'Aigremoine eupatoire, à 5-9 folioles ovales-lancéolés, profondément dentés, entremêlés de segments plus petits.
L'Aigremoine eupatoire est une vivace qui dresse ses grappes (30 à 60cm de hauteur) dans les prairies sèches, les taillis, les bords de route et de chemins en été (commune sur le territoire français, la belle se fait plus rare sur le pourtour méditerranéen).
Pour fuir la fournaise au ras du sol en été, rien de tel que de grimper sur un brin d'Aigremoine eupatoire!
L'Aigremoine doit peut-être son nom à son affection pour les friches, agrios étant le «sauvage» en grec et monias le «solitaire». Si l'Aigremoine est assurément un(e) Robinson(ne) des terrains vagues, l’étymologie de son nom mérite bien quelques paragraphes supplémentaires, tant la belle a déjà fait couler d'encre au cours de l'histoire...
Aigremoine eupatoire et Carotte sauvage (Daucus Carotta) méli-mélo: quand la nature fait de l'Ikebana.
Selon certains auteurs, c'est au souverain Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.) que l'Aigremoine emprunterait son nom d’espèce: eupatoria. On raconte que Mithridate consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à l'égard tentatives d'empoisonnement sur sa royale personne. Bien sûr, Mithridate s'intéressait aussi aux antidotes: plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Aigremoine eupatoire ou de l'Eupatoire à feuilles de chanvre (Eupatorium cannabinum), déjà croisée dans les pages de Sauvages du Poitou. Autant de plantes à qui l'on prêtait autrefois des vertus anti venin plutôt fantaisistes.
Au-delà de la légende du «Roi des poisons», eupatoria n'est peut être qu'une variation autour du grec hêpar désignant le foie, la Sauvage étant jadis prescrite pour remédier aux troubles hépatiques... Quant à son nom de genre, Agrimonia, il pourrait aussi évoquer une «taie de l’œil» en grec (une taie est une tâche qui se forme sur la cornée), l'Aigremoine ayant été citée dans des médications visant à soigner certaines affections oculaires.
Difficile de démêler le vrai du malentendu (je vous recommande sur ce sujet l'enquête du site Books of dante, voir lien en bas de page), mais l'Aigremoine eupatoire reste une médicinale indétrônable des manuels de médecine populaire et de phytothérapie. On lui prête plus sérieusement des qualités astringentes, cicatrisantes, antidiarrhéiques, antidiabétiques... Aujourd'hui encore, les sommités fleuries de l'Aigremoine eupatoire sont inscrites à très officielle «liste A de la pharmacopée française». Attention toutefois: une espèce jumelle moins commune, l'Aigremoine odorante (Agrimonia procera), ne présente nulle vertus médicinales connues, les deux espèces pouvant s'hybrider à l'occasion.
Fruits crochus de l'Aigremoine eupatoire (des akènes enveloppés dans les restes du calice) qui agrippent les poils et les vêtements des animaux de passage pour dissémination (zoochorie); ceux de l'Aigremoine odorante présentent des crochets extérieurs réfléchis vers la tige à maturité.
Elle est rugueuse votre tisane...
(Le Gendarme et les Extra-terrestres, Jean Girault)
Moins connue, l'utilisation de l'Aigremoine eupatoire à des fins tinctoriales permet de donner aux laines ou au coton une couleur d'or dite «nankin», quelque part entre l'abricot et le chamois: un doré tout à fait royal, disons... Eupatorien!
Aigremoine eupatoire: une ligne élégante tracée à l'encre d'or!
Pour aller plus loin :
- Agrimonia eupatoria sur Tela-botanica
- Agrimonia eupatoria : identifications assistée par ordinateur
- Agrimonia eupatoria à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
Aigremoine eupatoire, Poitiers bords de Boivre
Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard (86)
Anthyllis vulneraria (Anthyllide vulnéraire) appartient à la famille Fabaceae (ex Légumineuses), au côté des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces, Gesses... Autant de Sauvages aux feuilles généralement composées et aux fleurs irrégulières caractéristiques (voir notre article complet sur le sujet), dites «papilionacées». Des papillons, les Fabacées en ont capté toute l'élégance. Mais l'Anthyllide vulnéraire a troqué le clinquant contre le bizarre, optant pour une floraison des plus originale: la Sauvage regroupe ses fleurs en d'étranges capitules, à la manière d'un trèfle un peu dégarni (elle est parfois surnommée le «Trèfle des sables» ou «Trèfle jaune»), sur des têtes cotonneuses. L'Anthyllide vulnéraire tire d'ailleurs son nom de la pilosité de ses calices, anthos étant la fleur en grec, et ioulos le duvet.
Fleurs «papilionacées» de l'Anthyllide vulnéraire, comme plantées sur une boule de coton: une corolle formée d'un étendard, de deux ailes latérales d'une carène au centre.
Tant qu'on ne choisit pas, tout reste possible.
(Mr. Nobody, Jaco van Dormael)
L'Anthyllide vulnéraire colonise les plateaux calcaires et les pelouses arides (pH élevé). Tantôt décrite comme annuelle, tantôt comme vivace, la belle n'a probablement pas encore fait son choix... De même pour la couleur de ses fleurs (à observer entre juin et septembre) qui varient du jaune au rouge, en passant par le blanc, en fonction des régions et surtout selon ses envies.
Autogame, l'Anthyllide vulnéraire est apte à faire des bébés toute seule. Il n'étonnera personne qu'un tel polymorphisme, combiné à des capacités d'auto-reproduction, finisse par fixer ici et là de nombreuses sous espèces localisées (surtout dans les hot spots de biodiversité comme les Alpes, les Pyrénées, le midi de la France ou la Corse), pour la plus grande joie des botanistes qui pensaient avoir fait le tour de la question.
Fleurs jaunes ou blanches, teintées de rouge de l'Anthyllide vulnéraire
L'Anthyllide vulnéraire n'est pas pour autant boudée par les butineurs. Loin de là: les amateurs de photographie peuvent planter leurs trépieds à ses côtés, le spectacle est assuré tout l'été. Autogame donc, mais aussi allogame (fécondée par les insectes)... L'Anthyllide vulnéraire a décidément du mal à choisir. Elle aurait de toute façon tort de le faire puisqu'elle cumule tous les avantages!
L'Anthyllide vulnéraire: une Sauvage indépendante... Mais rarement seule!
L'Anthyllide vulnéraire renferme des tanins, des saponines, du mucilage, des flavonoïdes et des acides organiques. Un cocktail généralement considéré comme impropre à la consommation (rien de dramatique, elle serait légèrement laxative), mais suffisamment riche lui permettre de se tailler une réputation de plante médicinale, et ce depuis la Grèce antique. Pour rappel, «vulnéraire» désigne ce qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures: essentiellement, la Sauvage fut utilisée en application externe (cataplasme) pour ses qualités cicatrisantes, désinfectantes et anti-inflammatoires. Ainsi, elle était autrefois prescrite pour soigner les brûlures, les plaies et autres bosses.
Feuille alternes, composées imparipennées et pubescentes de L'Anthyllide vulnéraire: 3 à 5 folioles, la terminale étant la plus grande... Comme une grosse bosse?
L'Anthyllide vulnéraire entrait dans les bouquet permettant de produire le «thé suisse», ou «vulnéraire suisse», une potion végétale jadis vendue par les colporteurs pour traiter et soigner les commotions. La recette du thé suisse variant en fonction des intuitions de l'herboriste (parfois du charlatan) qui le confectionnait, l'efficacité du breuvage fut remis en cause et la pratique peu à peu oubliée. Si la médecine contemporaine ne retient pas grand chose de l'Anthyllide vulnéraire, reste que les lépidoptéristes, à l'instar d'Olivier Pouvreau pour Sauvages du Poitou, lui réservent une place d'honneur bien méritée...
Dans la chaleur écrasante d’une ancienne carrière calcaire, les bouquets d’Anthyllides s’épanouissent comme autant de petites coupoles jaunes et rouges. Nous sommes le 29 juin 2015, une vague de canicule s’est abattue sur la France. Dans cette fournaise, les Anthyllides ont droit à un curieux visiteur: un minuscule papillon s’évertue à passer de fleur en fleur, y déposant à chaque fois de microscopiques œufs blancs verdâtres. Il est alors facile de s’assurer de l’identité de ce lilliputien. Avec un peu d’habitude, on identifie la famille de l’insecte: il s’agit là d’un Lycaenidae, la grande famille des Cuivrés, des Thècles et des Azurés (les «petits papillons bleus»). Vu le milieu (ancienne carrière), la taille infime de l’insecte (ce qui fait de lui le plus petit Azuré de France) et étant donné que notre Sauvage lui sert de plante-hôte larvaire, il s’agit bien de Cupido minimus, l’Argus frêle. On pourrait éventuellement le confondre avec un de ses cousins poitevins, l’Azuré de la faucille (Cupido alcetas) dont on peut croiser certains spécimens minuscules, mais ce dernier préfère en général les milieux mésophiles, ce qui fait que les deux espèces ont peu de chances de se croiser.
Argus frêle sur Anthyllide vulnéraire
Vous ne rencontrerez pas facilement l’Argus frêle. En Poitou, c’est un habitant des pelouses sèches, des coteaux calcaires, des anciennes carrières où s’épanouit l'Anthyllide vulnéraire, son unique plante-hôte larvaire. De plus, avec sa petite voilure, il passe volontiers inaperçu, d’autant que ses couleurs sont plutôt ternes: avec un dessous gris à ocelles noirs et un dessus très sombre, on est très loin du bariolage carnavalesque d’un Machaon! Dans nos contrées, l’Argus frêle apparaît en juin en deux générations. La chenille est myrmécophile (elle vit en association avec certaines fourmis), comme presque toutes celles des Lycaenidae. Elle finira son développement au printemps de l’année suivante après avoir passé l’hiver en diapause, enroulée dans une feuille sèche ou dans le sol. Fait notable: entre son réveil printanier et sa nymphose, la chenille ne se nourrit pas, ce qui fait qu’elle aura passé de longs mois sans s’alimenter. Ce comportement constitue un trait commun caractérisant les espèces du genre Cupido. En résumé: imago minuscule et terne, chenille pénitente... L’argus frêle ne serait-il pas un adepte de la sobriété volontaire?
Argus frêle: le plus petit Azuré de France, à peine plus gros qu'une mouche!
Pour aller plus loin :
- Anthyllis vulneraria : identification assistée par ordinateur
- Anthyllis vulneraria sur Tela-botanica
Anthyllide vulnéraire et Ophrys de l'Argenson (Ophrys argensonensis), un tableau des prairies calcaires poitevines en été (Vouneuil-sous-Biard, 86)