Anthyllide vulnéraire, Vouneuil-sous-Biard (86)
Anthyllis vulneraria (Anthyllide vulnéraire) appartient à la famille Fabaceae (ex Légumineuses), au côté des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces, Gesses... Autant de Sauvages aux feuilles généralement composées et aux fleurs irrégulières caractéristiques (voir notre article complet sur le sujet), dites «papilionacées». Des papillons, les Fabacées en ont capté toute l'élégance. Mais l'Anthyllide vulnéraire a troqué le clinquant contre le bizarre, optant pour une floraison des plus originale: la Sauvage regroupe ses fleurs en d'étranges capitules, à la manière d'un trèfle un peu dégarni (elle est parfois surnommée le «Trèfle des sables» ou «Trèfle jaune»), sur des têtes cotonneuses. L'Anthyllide vulnéraire tire d'ailleurs son nom de la pilosité de ses calices, anthos étant la fleur en grec, et ioulos le duvet.
Fleurs «papilionacées» de l'Anthyllide vulnéraire, comme plantées sur une boule de coton: une corolle formée d'un étendard, de deux ailes latérales d'une carène au centre.
Tant qu'on ne choisit pas, tout reste possible.
(Mr. Nobody, Jaco van Dormael)
L'Anthyllide vulnéraire colonise les plateaux calcaires et les pelouses arides (pH élevé). Tantôt décrite comme annuelle, tantôt comme vivace, la belle n'a probablement pas encore fait son choix... De même pour la couleur de ses fleurs (à observer entre juin et septembre) qui varient du jaune au rouge, en passant par le blanc, en fonction des régions et surtout selon ses envies.
Autogame, l'Anthyllide vulnéraire est apte à faire des bébés toute seule. Il n'étonnera personne qu'un tel polymorphisme, combiné à des capacités d'auto-reproduction, finisse par fixer ici et là de nombreuses sous espèces localisées (surtout dans les hot spots de biodiversité comme les Alpes, les Pyrénées, le midi de la France ou la Corse), pour la plus grande joie des botanistes qui pensaient avoir fait le tour de la question.
Fleurs jaunes ou blanches, teintées de rouge de l'Anthyllide vulnéraire
L'Anthyllide vulnéraire n'est pas pour autant boudée par les butineurs. Loin de là: les amateurs de photographie peuvent planter leurs trépieds à ses côtés, le spectacle est assuré tout l'été. Autogame donc, mais aussi allogame (fécondée par les insectes)... L'Anthyllide vulnéraire a décidément du mal à choisir. Elle aurait de toute façon tort de le faire puisqu'elle cumule tous les avantages!
L'Anthyllide vulnéraire: une Sauvage indépendante... Mais rarement seule!
L'Anthyllide vulnéraire renferme des tanins, des saponines, du mucilage, des flavonoïdes et des acides organiques. Un cocktail généralement considéré comme impropre à la consommation (rien de dramatique, elle serait légèrement laxative), mais suffisamment riche lui permettre de se tailler une réputation de plante médicinale, et ce depuis la Grèce antique. Pour rappel, «vulnéraire» désigne ce qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures: essentiellement, la Sauvage fut utilisée en application externe (cataplasme) pour ses qualités cicatrisantes, désinfectantes et anti-inflammatoires. Ainsi, elle était autrefois prescrite pour soigner les brûlures, les plaies et autres bosses.
Feuille alternes, composées imparipennées et pubescentes de L'Anthyllide vulnéraire: 3 à 5 folioles, la terminale étant la plus grande... Comme une grosse bosse?
L'Anthyllide vulnéraire entrait dans les bouquet permettant de produire le «thé suisse», ou «vulnéraire suisse», une potion végétale jadis vendue par les colporteurs pour traiter et soigner les commotions. La recette du thé suisse variant en fonction des intuitions de l'herboriste (parfois du charlatan) qui le confectionnait, l'efficacité du breuvage fut remis en cause et la pratique peu à peu oubliée. Si la médecine contemporaine ne retient pas grand chose de l'Anthyllide vulnéraire, reste que les lépidoptéristes, à l'instar d'Olivier Pouvreau pour Sauvages du Poitou, lui réservent une place d'honneur bien méritée...
Dans la chaleur écrasante d’une ancienne carrière calcaire, les bouquets d’Anthyllides s’épanouissent comme autant de petites coupoles jaunes et rouges. Nous sommes le 29 juin 2015, une vague de canicule s’est abattue sur la France. Dans cette fournaise, les Anthyllides ont droit à un curieux visiteur: un minuscule papillon s’évertue à passer de fleur en fleur, y déposant à chaque fois de microscopiques œufs blancs verdâtres. Il est alors facile de s’assurer de l’identité de ce lilliputien. Avec un peu d’habitude, on identifie la famille de l’insecte: il s’agit là d’un Lycaenidae, la grande famille des Cuivrés, des Thècles et des Azurés (les «petits papillons bleus»). Vu le milieu (ancienne carrière), la taille infime de l’insecte (ce qui fait de lui le plus petit Azuré de France) et étant donné que notre Sauvage lui sert de plante-hôte larvaire, il s’agit bien de Cupido minimus, l’Argus frêle. On pourrait éventuellement le confondre avec un de ses cousins poitevins, l’Azuré de la faucille (Cupido alcetas) dont on peut croiser certains spécimens minuscules, mais ce dernier préfère en général les milieux mésophiles, ce qui fait que les deux espèces ont peu de chances de se croiser.
Argus frêle sur Anthyllide vulnéraire
Vous ne rencontrerez pas facilement l’Argus frêle. En Poitou, c’est un habitant des pelouses sèches, des coteaux calcaires, des anciennes carrières où s’épanouit l'Anthyllide vulnéraire, son unique plante-hôte larvaire. De plus, avec sa petite voilure, il passe volontiers inaperçu, d’autant que ses couleurs sont plutôt ternes: avec un dessous gris à ocelles noirs et un dessus très sombre, on est très loin du bariolage carnavalesque d’un Machaon! Dans nos contrées, l’Argus frêle apparaît en juin en deux générations. La chenille est myrmécophile (elle vit en association avec certaines fourmis), comme presque toutes celles des Lycaenidae. Elle finira son développement au printemps de l’année suivante après avoir passé l’hiver en diapause, enroulée dans une feuille sèche ou dans le sol. Fait notable: entre son réveil printanier et sa nymphose, la chenille ne se nourrit pas, ce qui fait qu’elle aura passé de longs mois sans s’alimenter. Ce comportement constitue un trait commun caractérisant les espèces du genre Cupido. En résumé: imago minuscule et terne, chenille pénitente... L’argus frêle ne serait-il pas un adepte de la sobriété volontaire?
Argus frêle: le plus petit Azuré de France, à peine plus gros qu'une mouche!
Pour aller plus loin :
- Anthyllis vulneraria : identification assistée par ordinateur
- Anthyllis vulneraria sur Tela-botanica
Anthyllide vulnéraire et Ophrys de l'Argenson (Ophrys argensonensis), un tableau des prairies calcaires poitevines en été (Vouneuil-sous-Biard, 86)
Circée de Paris ou «Herbe aux sorcières», Biard bords de Boivre (86)
- Oh! Une sorcière si mignonne...
- Kiki, pour vous servir!
(Kiki la petite sorcière, Hayao Miyazaki)
Circaea lutetiana (Circée de Paris) appartient à la famille Onagraceae, aux côté des Onagres, des Épilobes, des Fushias de nos jardins ou des Jussies (Ludwigia sp), les terribles pirates des étangs et des cours d'eau. Pourtant, à l'heure où les monstres d'Halloween défilent à notre porte, notre Sauvage n'endosse pas un costume de corsaire, mais plutôt celui d'une sorcière: Circaea lutetiana est surtout connue sous le nom d'Herbe aux sorcières... Encore des salades de magiciennes me direz-vous? Que voulez-vous, les sorcières, de même que les curés, furent d'excellentes botanistes en leur temps; il est normale que les Sauvages leur rendent hommage de temps en temps.
Prenez garde, Circaea lutetiana n'est pas n'importe quelle sorcière: elle emprunte son nom à Circé (Kirkê en version originale), une puissante magicienne dans la mythologie grecque. Experte en drogues, en poisons et reine des métamorphoses, Cirsé est surtout célèbre pour sa participation au casting de l'Odyssée de Homère, où elle change les compagnons d'Ulysse en porcs. On raconte que ce sont les botanistes Mathias de l'Obel — alias Lobelius — et Jacques Daléchamps avant lui (XVIème siècle) qui désignèrent la plante comme celle utilisée par l'enchanteresse pour préparer la potion permettant de transformer les marins en cochons!
Circée de Paris (à gauche) dans Plantarum seu stirpium historia de Mathias de l'Obel (1576)
Circaea lutetiana a côtoyé d'autres plantes sorcières dans les grimoires (Mandragore, Morelle...), mais on sait aujourd'hui qu'elle ne se démarque ni pour sa dangerosité, ni pour ses vertus médicinales. Reste qu'elle est fortement tannique et plutôt impropre à la consommation (sans parler du risque de se transformer en cochon?).
Circée de Paris, Ainhoa (64)
- Bonjour monsieur, y a-t-il une sorcière dans cette ville?
- Non... J'en ai pas vu depuis longtemps.
- Alors je vais m'installer ici! (...) Je me présente: je suis sorcière, je m'appelle Kiki!
(Kiki la petite sorcière, Hayao Miyazaki)
C'est peut-être pour la différencier d'une autre Circée, la Circée des Alpes (Circaea alpina), que notre Sauvage devint la Circée de Paris (lutetiana pour Lutèce, le nom romain de la capitale française), ou en quelque sorte, Titi la petite sorcière! Elle est cependant commune sur l'ensemble du territoire, à l'exception de la région méditerranéenne (protégée en Provence-Alpes-Côte d'Azur). A l'inverse, la Circée des Alpes est rare en France, présente en région méditerranéenne et dans le sud-est seulement.
Paire de pétales échancrés des fleurs de la Circée de Paris en été: on observe bien l'ovaire infère, une des caractéristiques du clan Onagraceae.
Circaea lutetiana est une vivace qui recherche les sols riches, humides et ombragés des forêts riveraines (près des rivières et des ruisseaux). Certains auteurs peu enclins à la magie pensent d'ailleurs que sa qualité de «sorcière» serait une déformation de «sourcière», sa présence signalant souvent la proximité d'un point d'eau.
Les feuilles opposées, ovales, acuminées, denticulées de la Circée de Paris.
Le port modeste de Circaea lutetiana (une cinquantaine de centimètres) est largement compensé par ses colonies très fournies, en particulier sur les sols fréquentés par l'homme. Ses rhizomes souterrains assurent une expansion efficace, et ses fruits s'agrippent aux animaux de passage, à la manière du Gaillet gratteron, pour se disperser jusque dans les villes et les jardins (voir notre article sur l'epizoochorie). Pour le botaniste hollandais Herman Boerhaave (XVIIIème siècle), la Sauvage est liée à Circé à cause de ses fruits: les semences s'accrochent aux passants comme Circé attrape les voyageurs de passage. Ceux qui ont lu l’Odyssée savent combien Ulysse et ses compagnons ont eu du mal à se défaire de la magicienne, un brin collante; d'autres diront que Circé était juste attachante, à l'image de notre Sauvage, discrète, mais pas moins ensorcelante!
Fruits de la Circée de Paris (des capsules velues) qui restent visibles très longtemps en hiver, à l'affut des bas de pantalon des aventuriers.
Pour aller plus loin:
- Circaea lutetiana sur Tela-botanica
Eupatoire à feuilles de chanvre, Poitiers bords de Boivre
Eupatorium cannabinum (Eupatoire à feuilles de chanvre) appartient aux Asteraceae, le vaste clan des Sauvages à capitules et à fruits plumeux, celui du roi Pissenlit et de la reine Pâquerette. Selon certains auteurs, c'est à un tout autre souverain que l'Eupatoire emprunterait son nom de genre: celui de Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.). La tentative d'assassinat étant une tradition familiale chez les Mithridate, le roi s'intéressait de près à l'herboristerie, ne serait-ce que pour ne pas finir empoisonné par son entourage. On raconte qu'il consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à leur égard; bien sûr, Mithridate «le grand» s'intéressait aussi à leurs antidotes. Plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Eupatoire à feuilles de chanvre, qu'on a considéré jadis comme un remède aux morsures de serpent.
Un Tabac d'Espagne (Argynnis paphiaboivre) examine les petits capitules allongés (chacun composés d'une dizaine de fleurs au plus), réunis en corymbes ramifiés, de l'Eupatoire à feuilles de chanvre.
La Sauvage doit son nom d’espèce (cannabinum ou «chanvrine» en français) à ses feuilles composées (en 3 à 5 folioles pétiolulées) et dentées, qui évoquent un peu les feuilles du cannabis. A vrai dire, cette comparaison reste un poil suspecte... Voir stupéfiante!
Faut-il le préciser: malgré son nom, l'Eupatoire à feuilles de chanvre ne gagne pas à être fumée. Ni mangée d'ailleurs: à cause de la présence d'alcaloïdes, elle serait légèrement toxique (c'est à dire à dire à très forte dose ou en cas de consommation appuyée ou régulière). Les animaux la boudent généralement, à l'exception des chèvres qui manquent rarement d’appétit quel que soit la salade.
Feuilles de l'Eupatoire à feuilles de chanvre: Legalize It?
L'Eupatoire à feuilles de chanvre est une vivace pionnière caractéristique des marais, des bords des fossés et des lisières forestières humides. C'est une des «signatures» des mégaphorbiaies: dessinant les frontières entre zone humide et forêt, les mégaphorbiaies sont des prairies inondables peuplées d'une végétation dense, haute, luxuriante et colorée. Des milieux où la biodiversité explose, et où les naturalistes aiment flâner bottes aux pieds et appareil photo en bandoulière.
Eupatoire à feuilles de chanvre, un festival reggae pour les papillons! (L’Écaille chinée, Callimorpha quadripunctaria)
On n'est pas là pour se faire engueuler on est là pour voir le défilé!
(Boris Vian)
L'Eupatoire à feuilles de chanvre participe très généreusement au grand festin des praires humides: bien que n'intéressant pas spécialement les abeilles, la Sauvage est un véritable aimant à papillons. Sa richesse en nectar, le rose de ses fleurs, les plateformes d’atterrissage de ses corymbes sont autant d'atouts aux yeux et aux antennes des rhopalocères. A la belle saison, n'hésitez pas à planter votre chaise à ses côtés: 14 juillet ou non, défilé et feux d'artifices colorés sont assurés tout l'été! Les plus chanceux inviteront directement la Sauvage dans leur jardin, pour peu qu'ils disposent d'un coin de terre riche et humide, et pourrons alors remiser leur télévision au placard.
Le Vulcain (Vanessa atalanta), le Paon du jour (Aglais io) et la Belle-Dame (Vanessa cardui) défilant sur le boulevard Eupatoire à feuilles de chanvre, excusez du peu!
Une croyance populaire veut que les cerfs blessés au combat de l'amour soignent leurs plaies en se frottant contre la Sauvage. Ainsi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre serait cicatrisante en usage externe (feuilles fraiches). En usage interne, feuilles et racines (infusion, décoction, poudres...) seraient digestives (des études récentes tendent à montrer que son usage faciliterait effectivement la sécrétion de la bile), stimulante pour le système immunitaire, anti-inflammatoire... La Sauvage est aussi une plante tinctoriale, permettant d'obtenir un colorant, à mi-chemin entre le jaune et le vert clair (la coloration dépend de la période de récolte).
Une palette bien fournie sur laquelle se sont greffé au cours des siècles de nombreuses légendes: portée sur soi, l'Eupatoire à feuilles de chanvre est sensée booster notre potentiel de séduction. Ainsi, on conseillait aux femmes d'en glisser un brin sous leur jupe les soirs de bal... Et qui sait, faute de ramener un(e) prétendant(e) à la maison, la méthode reste peut-être un bon moyen de s'offrir la compagnie d'une bande de papillons!
Pour aller plus loin:
- Eupatorium cannabinum sur Tela botanica
- Eupatorium cannabinum: identification assistée par ordinateur
Les fruits (akènes) de l'Eupatoire à feuilles de chanvre en automne, Poitiers bords de Clain