Vipérine commune, Poitiers bords de Boivre
Echium Vulgare (Vipérine commune) appartient aux Boraginaceae, dont la Bourrache fait office de chef de clan; on reconnait d'ailleurs chez Echium Vulgare des traits familiers (je pense à la Bourrache mais aussi à la Buglosse), à commencer par sa grandeur (jusqu'à 1m de hauteur), sa piquante pilosité (évitez de l'empoigner à pleines mains!) et ses abondantes fleurs bleues! Le nom Vipérine (Echium en grec) viendrait de ses fleurs en forme de gueules ouvertes de serpents. Pour d'autres, le nom vient plutôt de l'utilisation ancienne et fantasque de la plante comme remède contre les morsures des reptiles. De toute façon, vous avez infiniment plus de chances de vous faire poinçonner par la Vipérine que par une Vipère : la pilosité de la plante est piquante, évitez de l'empoigner à pleines mains !
T’as pas le choix, faut que tu pisses sur mon pied. Ça tuera le venin. S’il te plaît, pisse dessus! Pipi là, sur mon pied! Fais pipi sur mon pied! Vas-y sinon c’est l’amputation! Pisse dessus!
(Lost les disparus, J.J.Abrams, D.Lindelof et J.Lieber)
Grappe de fleurs de la Vipérine commune, décidément très reptilienne!
Echium Vulgare est bisanuelle. Lors de son premier été, elle développe une simple rosette de feuilles oblongues et lancéolées étalées au sol. Elle fleurit la seconde année, entre avril et août. Sa présence indique souvent un sol pauvre, peu profond, caillouteux, brûlé par le soleil, tant et si bien qu'on pourrait dire qu'elle est le signe (inquiétant ou non, suivant le contexte)... D'une absence de sol!
Jeune rosette de Vipérine commune, Poitiers quartier Chilvert
Echium Vulgare renferme un alcaloïde toxique (la cynoglossine, un paralysant proche du curare) en très petite quantité. Pas de quoi tirer la sonnette d’alarme, mais on évitera d'en faire recette, ne serait-ce qu’à cause de son piquant. Ses fleurs en infusion ont été utilisées pour soulager la toux, mais il faut noter que ses partie aériennes sont inscrites à la liste B de la pharmacopée française qui recense les plantes médicinales dont les effets indésirables potentiels sont supérieures au bénéfice thérapeutique attendu.
Étourdie, une Vipérine rompt avec le traditionnel bleu de son clan et enfile des chaussettes blanches! (un phénomène accidentel mais pas forcément rare)
Malgré son surnom, la Vipérine n'intéresse guère les serpents. Ses fleurs attirent en revanche une foule de butineurs: abeilles, bourdons, papillons... L’Osmie crochue pourrait présider ce fan club bien fourni: les femelles de cette abeille noire à pilosité blanche, au vol nerveux, récoltent exclusivement le pollen bleu de la Vipérine pour le stocker dans les cellules de leurs nids d’argile.
Osmie crochue (Hoplitis adunca, mâle), Poitiers quartier gare
Faites l'expérience de vous poser quelques minutes, à la belle saison, devant un pied de Vipérine en fleur: c'est décoiffant tant ça grouille de vie! La Sauvage est mellifère au possible, pendant des semaines durant. On considère qu'un hectare de Vipérines permet aux abeilles de produire 300 à 400 kg de miel!
Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses? Où sont les fèves, les pâtés de cerf? Qu'on ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice!
(Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Incroyable Echium vulgare qui transforme le désert en festin... Si vous disposez d'un coin de terrain sec, caillouteux, très exposé, semez la belle et régalez les butineurs!
Pour aller plus loin:
- Echium vulgare sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
La Vipérine commune offre ses nombreux fruits (tétrakènes) à la fin de l'été, Buxerolles (86)
S'il n'y en avait que 10! La liste est loin d’être exhaustive: il y a très peu de végétaux spontanés qui nécessitent de déclencher une guerre des tranchées au jardin... Disons qu'en guise d'illustration (et d'introduction à une manière de repenser ses espaces verts paisiblement), voilà 10 Sauvages communes qui méritent toute notre hospitalité, qu'on n'arrachera plus sans égards, qu'on ne désherbera plus à coup de potions chimiques ou bio-magiques, qu'on se contentera de regarder avec des yeux d'abeilles, heureux, émerveillés de leur simple présence et... Plein de gourmandises!
Il y a trois choses inévitables dans la vie : la mort, les impôts... Et la paix.
(Prison Break, Paul Scheuring)
1 - Le Lamier pourpre (Lamium purpurum), une annuelle qui régale les premiers butineurs affamés au printemps (merci pour eux), qui couvre et protège les sols laissés à nus en hiver... Et qui — lorsqu'elle prolifère — s'avère excellente en salade, riche en sels minéraux et en fer!
Lamier pourpre, Poitiers quartier Chilvert
2 - Le Mouron des oiseaux (Stellaria media), une annuelle qui n'a pas volé son surnom tant ses nombreuses graines régalent le peuple à plume... Mais pas seulement, c'est aussi la reine des salades sauvages, délicieuse, riche en calcium, en silice, en magnésium et en vitamine! Elle est souvent le signe d'un sol riche et sain; au jardin, vous pouvez la considérer comme un compliment fleuri!
Mouron des oiseaux, Poitiers quartier Chilvert
3 - Le Myosotis des champs (Myosotis arvensis), une poésie jetée à la face du désert... Cette belle annuelle s'installera de préférence dans les recoins les plus pauvres du jardin, comme pour sublimer les parcelles stériles (à l'inverse du Mouron des oiseaux, lorsque le Myosotis des champs prolifère, c'est le signe inquiétant de l'état misérable du sol; l'arracher n'aidera surement pas à améliorer la situation!). De plus, sa tisane aurait des vertus relaxantes pour le système nerveux... Avec le Myosotis, tout le monde se détend!
Myosotis des champs, Poitiers quartier Chilvert
4 - La Pâquerette (Bellis perennis), une vivace qui égaie les pelouses chaque printemps; elle aussi est une comestible, riche en calcium. Ses fleurs aux nombreuses vertus médicinales (calmante, antalgique...) devraient nous inciter à la faire pousser directement dans les trousses à pharmacie! Les pollinisateurs apprécieront sa floraison prolongée (elle fleurit quasiment toute l'année, en dehors des périodes de gel).
Pâquerette, Poitiers quartier Chilvert
5 - La Cardamine hérissée (Cardamina hirsuta), une annuelle solitaire, capable de se nicher dans le moindre interstice... Une Sauvage comestible, tonique, riche en vitamine A et C, au goût piquant (comme le Cresson). La belle est une invité timide, à l'image de ses fleurs blanches, étroites et délicates. On peut lui faire belle place au jardin: aucun risque de se faire déborder!
Cardamine hérissée, Poitiers quartier Gare
6 - Le Grand Plantain (Plantago major) — ainsi que les autres Plantains —, des vivaces qu'on trouvera souvent installées près des sols compactés, les passages fréquents (voitures ou chaussures). Le Plantain réussit à pousser là où il n'y a guère que les les cailloux qui tirent leur épingle du jeu... Sauf que contrairement à ces derniers, la Sauvage se révèle être une excellente comestible, dont les jeunes feuilles au goût de sous bois et de champignons agrémentent merveilleusement les soupes! Puis c'est une plante-médecine, cicatrisante et anti inflammatoire. Près du garage, entre une poignée de graviers poussiéreux et un bouquet de Plantain, mon choix est fait!
Grand plantain, Poitiers quartier gare
7 - Le Lierre terrestre (Glechoma hederacea), une vivace rampante à ne pas confondre avec le Lierre grimpant (Hedera helix), qui peut proliférer dans les recoins ombragés du jardin... Malgré son expansion, je n'en ai jamais assez! Depuis la Grèce antique, l'homme pense la Sauvage capable de nous guérir de tous les maux. Dans mon armoire à pharmacie, ses feuilles récoltée et séchées rejoignent les remèdes d'hiver: sa tisane fait merveille contre les affections
pulmonaires en tout genre (toux, asthme, grippe, bronchite..). Le lierre terrestre, c'est un peu le bon docteur!
Lierre terrestre, Poitiers quartier Chilvert
8 - Le Géranium Herbe-à-Robert (Geranium robertianum), un véritable Géranium sauvage, annuel le plus souvent. Laisser la belle s'installer au jardin est un parti-pris qui ne fera pas forcément l'unanimité: elle dégage une allure — et une odeur qui repousse les moustiques — terriblement sauvage. C'est un petit bout de forêt à elle seule. Elle assure un couvre sol fleurit du début du printemps à la fin de l'automne. L'Herbe-à-Robert s'adapte à tous les sols; ses feuilles prennent une coloration rouge vermillon en cas de sécheresse: une coquetterie estivale qui me console lorsque la pluie se fait rare et que le reste de la végétation grille au jardin!
Géranium Herbe-à-Robert, Poitiers bords de Boivre
9 - Le Trèfle des prés (Trifolium pratense), une célèbre vivace pour représenter le clan des Légumineuses sauvages, ses sœurs de sève: Trèfles, Luzernes ou encore Vesces... Autant de plantes dont il faut parfois contrôler l'occupation géographique, mais qui sont une véritable bénédiction pour les sols. Ces plantes sont capables d'utiliser l'azote atmosphérique pour assurer leurs propres ressources (richesse qu'elles offrent au sol lorsqu'elles sont fauchées sur place, voir Medicago arabica). Certaines d'entre elles supportent sans broncher le piétinement (Trèfle blanc nain par exemple), restent vertes en hiver comme en été, structurent et enrichissent le sol, nourrissent les butineurs... Je me demande parfois en quoi on peut leur préférer une pelouse bien proprette et bien rangée? Vive le trèfle, à trois ou à quatre feuilles pour les plus chanceux!
Trèfle des prés, Poitiers bords de Boivre
10 - Le Pissenlit (Taraxacum sect. Ruderalia), une vivace qu'on ne présente plus, une fleur aux couleurs dorées de l'enfance... Pas toujours la bienvenue au jardin: parfois envahissante, toujours solidement enracinée. Pourtant, s'il je devais n'en garder qu'une seule, ce serait elle! Tout le monde connait ses qualités gustatives, des racines jusqu'aux fleurs... Mais considérez ceci: entre le printemps et la fin de l'automne, c'est pas moins de 93 espèces d'insectes qui auront profité de ses fleurs très mellifères. Le Pissenlit est une chance pour la biodiversité, et s'il prolifère au jardin, ou dans le reste du monde, c'est parce que la nature est bien faite!
Pissenlit, Poitiers
Herbe à Robert, Poitiers bords de Boivre
Geranium robertianum (Herbe à Robert) appartient aux Geraniaceae, la famille des véritables géraniums «sauvages» (les célèbres fleurs de nos balcons étant en réalité des Pelargonium). Le terme Geranium dériverait du terme grec Geranos, la «grue», les fruits du Geranium présentant des petites pointes ressemblant au bec (ou à la tête) du volatile.
Geranium robertianum doit peut être son surnom à St Robert, évêque de Salzbourg, qui en découvrit les nombreuses vertus médicinales au 8ème siècle (selon d'autres sources, Robert serait simplement une déformation du mot latin ruber qui signifie «rouge»).
Duo de fleurs de l'Herbe à Robert: 5 sépales, 5 pétales roses ou rouges, 10 étamines pourpres (rangées selon deux cercles imbriqués de 5 étamines) autour d'un pistil composé de 5 carpelles soudés.
L'Herbe à Robert est annuelle; elle peut en certaines circonstances être bisannuelle, voire vivace, et se perpétuer depuis ses rhizomes stolonifères. Mais c'est généralement grâce à ses graines, disséminées depuis des capsules explosives, qu'elle assure sa multiplication. Elle fleurit entre avril et octobre; ses petites fleurs — qui s'épanouissent et flétrissent dans un laps de temps très court pour laisser place à des capsules poilues — apparaissent toujours deux par deux sur chaque pédoncule.
Duo de fruits (capsules) de l'Herbe à Robert: quand les Sauvages font leur Hellfest!
Il existe une espèce très proche souvent confondue, bien que moins commune, le Géranium pourpre, Geranium purpureum, dont la répartition en France se concentre au sud d'une diagonale allant de Normandie jusqu’en Savoie. Dans le Poitou, les deux espèces peuvent se côtoyer. Les fleurs du Géranium pourpre sont plus petites que celles de l'Herbe à Robert, rose-pourpre vif et leurs anthères sont jaunes, alors qu'elles sont rouge/orangé chez l'Herbe à Robert. Mais gare au piège: chez les deux espèces, les anthères une fois ouvertes sont couvertes d'un pollen jaune!
Le délicat Géranium pourpre, aux anthères jaunes d'or.
Géranium pourpre à gauche, Herbe à Robert à droite: une histoire de taille et d'étamines!
- Qui c’est lui?
- Lui? C’est la main du Diable.
- Lui aussi?
- Oui... mais lui c’est la gauche.
(On l’appelle Trinita, Enzo Barboni)
L'Herbe à Robert tolère tout type de sols et d'expositions (elle prolifère sur les sols forestiers riches en matière organique). Elle est à ce point capable d'adaptation que dans une situation de sécheresse (ou à l'approche de l'hiver), ses feuilles découpées se couvrent d'une pigmentation rouge-vermillon qui la protège de la déshydratation.
Dans le Poitou, l'Herbe à Robert est parfois surnommée Fourchette du diable, à cause des longues pointes qui terminent ses duo de fruits. Il faut reconnaitre que la Sauvage est rusée comme un diable : en séchant, par un effet ressort lié à l’enroulement de leurs parois, ses fruits explosent et projettent les semences à plusieurs dizaines de centimètres autour de la plante! On raconte que les sorcières plantaient jadis l'Herbe à Robert devant leur maison pour être averties de l'arrivée d'un visiteur, les fleurs se tournant en direction de l'intrus. Aujourd'hui, on plante parfois la Sauvage devant les fenêtres: son odeur repousserait les moustiques. On peut obtenir le même effet en frottant ses feuilles sur sa peau... Mais rien ne vaut la bonne vieille citronnelle!
Feuilles de l'Herbe à Robert: opposées, palmatiséquées en des segments petiolulés (comme munis d'un petit pétiole), eux mêmes pennatifides.
Il n'est pas une partie de l'Herbe à Robert qui n'est été utilisée par l'homme (elle a sans doute été introduite en Europe en tant qu'herbe médicinale): la plante est très tannique et donc astringente. En infusion, elle permet de lutter contre diarrhée, dysenterie et soulage les inflammations de l'estomac, des intestins ou des reins (néphrites); en gargarisme, elle permet de traiter les angines et les inflammations des amygdales; en usage externe, elle est cicatrisante, soulage les maux de dents... Autrefois, sa racine était utilisée pour tanner les cuirs.
- Vous me prenez pour le diable ?
- Vous en avez la beauté.
(Arsène Lupin, Jean-Paul Salomé)
Herbe à Robert, diaboliquement belle! Même un ange comme la Piéride du navet (Pieris napi) s'y laisse prendre...
Pour aller plus loin:
- D'autres espèces citadines de Géraniums sur Sauvages du Poitou
- Norb de Sauvages du Poitou raconte l'Herbe à Robert au micro de France Bleu Poitou
- Geranium robertianum: identification assistée par ordinateur
- Geranium robertianum sur Tela-botanica
- l'Herbe-à-Robert sur le site de Zoom Nature
- Geranium purpureum sur Tela-botanica
La naissance de Robert (Herbe à Robert et ses cotylédons caractéristiques en forme de rein)