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Morelle noire: sorcellerie ou ratatouille?
Date 28/06/2019
Ico Villes, chemins & terrains vagues

Solanum nigrum, Morelle noire, Villeurbanne (69)

Morelle Noire, Villeurbanne (69)


Solanum nigrum (Morelle noire) appartient au clan Solanaceae, aux côtés des pommes de terre, des tomates, des aubergines, mais aussi des fantastiques Mandragore (Mandragora officinarum), Datura officinal (Datura stramonium) et Belladone (Atropa belladonna); des plantes connues pour leur toxicité ou leur pouvoirs psychotropes, due aux alcaloïdes qu'elles synthétisent pour se protéger des assauts des herbivores.


Solanum nigrum, Morelle noire, Louhossoa (64)
Morelle noire: ange ou démon?

- Comment vous trouvez le poulet?

- Mort.

(Après vous, Pierre Salvadori)

La Morelle noire n'est pas en reste: les baies noires qu'elle produit sont toxiques avant maturité. La solanine contenue dans ses fruits - substance que l'on retrouve aussi dans les parties vertes des pommes de terre ou les feuilles des pieds de tomates - est dangereuse pour l'homme comme pour les animaux domestiques. Ce qui vaut à la Morelle noire des surnoms poétiques, tels que Tue-chien ou Crève-poule en poitevin-saintongeais!


Solanum nigrum, Morelle noire, Louhossoa (64)

Baies mûres de la Morelle noire, Louhossoa (64)


Étonnamment, ses jeunes feuilles bouillies et ses fruits mûrs confits dans le vinaigre sont consommés dans certains pays (Europe de l'est, Afrique, Asie orientale): ses baies perdent leur toxicité à maturité (attention, la nature du sol et du climat jouent aussi un rôle dans sa dangerosité). C'est pourquoi on la croise parfois sur les étals des marchés multi-ethniques parisiens! En Amérique du Nord, on cultive une espèce alimentaire à gros fruits très proche de la Morelle noire (Solanum Retroflexum) surnommée Wonderberry (la «Baie miraculeuse»). Impossible de ne pas faire le parallèle avec l'histoire de la Tomate, qui fut considérée comme une plante ornementale toxique en France jusqu'au 17ème siècle, avant que d'être apprivoisée et adoptée par les cuisiniers. Pour certains auteurs, la réputation mortelle de la Morelle noire serait exagérée, injustement confondue avec celle de la Belledone (dictionnaire des drogues simples et composées de Alphonse Chevallier, Achille Richard et J.-A. Guillemin chez Béchet Jeune, 1828). Les oiseaux (Pigeons, Corneille noire, Rouge-gorge familier, Merle noir, Grives, Fauvettes...) picorent ses baies à maturité, puis les sèment via leurs fientes, propageant de par la même les semences sur le territoire (endozoochorie).

Solanum nigrum, Morelle noire, Poitiers bords de Clain
Morelle noire : des feuilles ovales à lancéolées, le plus souvent légèrement dentées ou lobées.

La Morelle noire est une annuelle, favorisée par les sols engorgés en matière organique, en azote et en potassium. La Sauvage apprécie les zones de décombres, ainsi que les amendements excessifs des cultures ou des jardins familiaux. Les pollutions industrielles ne la font guère trembler. Elle tolère certains métaux lourds (cadmium, arsenic) qu'elle peut accumuler dans ses racines et ses tiges. Une résistance qui en fait une candidate idéale pour la phytoremédiation des sols.

La Morelle noire peut montrer d'importantes variations morphologiques (plante glabre à légèrement pubescente, couleur des fruits, forme des feuilles...). La confusion avec d'autres Solanum reste possible. Toutes sont potentiellement toxiques.

Solanum villosum, Morelle poilue, Poitiers chemin de la Cagouillère
Une fausse jumelle: la Morelle poilue (Solanum villosum), une rudérale (relativement) velue dont les fruits sont rouges ou orangés à maturité.

Solanum chenopodioides, Morelle faux chénopode, Île de Ré (17) Solanum chenopodioides, Morelle faux chénopode, Île de Ré (17)
Autre fausse amie: la Morelle faux chénopode (Solanum chenopodioides), qu'on rencontre dans la sud de la France et sur la côté atlantique (ici sur l'Île de Ré). Elle se distingue de la Morelle noire de par son port arbustif, sa tige ligneuse à la base, ses fruits noir violacé et ses feuilles non ou peu dentées.

La Morelle douce-amère (Solanum dulcamara), très commune, présente quant à elle de jolies fleurs violettes, des baies rouges à maturité et un port de liane caractéristiques.
Depuis tout petit, je suis coupable: j'ai toujours été coupable.
(Rien à déclarer, Dany Boon)

En Europe, la famille Solanaceae est intimement liée à l'histoire de la sorcellerie. Mandragore, Belladone, Datura, Jusquiane: autant de plantes dangereuses, voir mortelles pour celui qui les utilise à mauvais escient, mais qui peuvent devenir de puissants psychotropes entre des mains initiées. On raconte que les sorcières fabriquaient un onguent avec la Morelle noire, dont elles se recouvraient le corps pour aller au sabbat en songe (assemblée nocturne de magiciennes)! Pour certains auteurs, Solanum viendrait d'ailleurs du latin solari, «je console», à cause de ses propriétés narcotiques et calmante (ses parties aériennes et ses fruits sont inscrits à la liste A des plantes médicinales de la pharmacopée française). La Morelle noire aurait également servi à confectionner une encre qui permettait de communiquer avec les défunts, ou des encens (aux fumées toxiques) pour faire offrande aux divinités crépusculaires... Brrrr!


Morelle noire, Sauvages du Poitou!


Bref, la Morelle noire s'est taillé à travers l’histoire une aura sulfureuse et peu catholique. Pas étonnant qu'elle reste aujourd'hui cantonnée au rayon des «mauvaises herbes» sous nos latitudes et que ses potentialités soient le plus souvent ignorées. Au village, sans prétentions, la Morelle a-t-elle mauvaise réputation?


Leptinotarsa decemlineata, larve de Doryphore, Poitiers quatier Bellejouanne

Larve de Doryphore: aux couleurs d'Halloween!


Peut-être que sa rédemption viendra des potagers où elle est parfois vue d'un bon œil par les jardiniers: les Doryphores (Leptinotarsa decemlineata, des grands amateurs de Solanacées) bouloteraient à l'occasion notre ex-magicienne plutôt que les rangs de patates (ou plus rarement de tomates ou d'aubergines). Après l'arrachage et la récolte des pommes de terre, attention à ne pas tolérer plus longtemps la (les) Morelle(s) autour des potagers: la Sauvage pourrait devenir un refuge de premier choix pour ces ravageurs croque-sorcières!


Solanum tuberosum, Pomme de terre, Poitiers quartier Chilvert

En guise de conclusion, deux incontournables du genre au potager: Solanum tuberosum, alias la Pomme de terre...


Solanum lycopersicum, Tomate cultivée, Poitiers quartier Chilvert

... Et Solanum lycopersicum, alias la Tomate cultivée. De la sorcellerie à la ratatouille, il n'y a qu'un tout petit chaudron!


Pour aller plus loin:

- Solanum nigrum sur Tela-botanica

- Solanum nigrum : identification assistée par ordinateur

- Solanum nigrum, un article de fond sur le blog de J.F.Dumas


Lecture recommandée:

- Black Nightshades: Solanum Nigrum L. and Related Species de Jennifer M. Edmonds, James A. Chweya aux éditions IPGRI (english)

 

Le petit jardin du hasard (plantes pionnières)
Date 26/02/2019
Ico Rencontres et billets d'humeur

On appelle «plantes pionnières» les Sauvages qui colonisent avant les autres un terrain fraichement perturbé (à cause d'un éboulement, d'un incendie, d'un chantier, de la mise en culture récente d'une parcelle...). De telles plantes sont souvent de grandes aventurières, capables de pousser sans sourciller malgré un environnement peu propice à la vie (pauvreté du sol, manque d'eau ou de lumière...). Cette conquête est le tout premier stade d'une longue succession écologique qui tend finalement vers le retour des espèces ligneuses, les arbres. Car à l'opposé de l’espèce humaine, la nature a l'heureuse tendance à transformer les déserts en boisements fertiles (du moins sous nos latitudes). Ainsi, un parking abandonné, laissé à lui même, tend finalement à redevenir forêt, celle-ci étant l'aboutissement et le point d'équilibre (nommé climax) du milieu naturel libéré de ses entraves.

Vous seriez surprise de voir ce avec quoi on peut vivre.

(Docteur House, David Shore)

Mais ne brulons pas les étapes et revenons au commencement: on pourrait partir à la rencontre de nos pionnières en visitant des paysages hostiles à la végétation: terres nues, rocailles, macadam... Les parterres citadins que l'on foule au quotidien sont de bons terrain pour observer l'art de la conquête végétale: lichens, mousses, puis cortège des Sauvages... Inlassablement, la vie répète la même partition, depuis sa victoire sur le minéral il y a 500 millions d'années jusqu'à l'assaut d'un trottoir devant votre arrêt de bus.


Forest is coming! Sauvages du Poitou

* La forêt arrive !


Je vous propose une expérience sur ce thème bien plus absurde, mais je l’espère, tout aussi inspirante: laissons les aventurières venir à nous! Le protocole est assez simple à réaliser puisqu'il s'agit de mettre en place un semblant de misère et de voir ce qu'il advient. Libre à vous d'adapter le principe à votre sauce, il ne s'agit dans le fond que de s'émerveiller à partir de trois fois rien!


Le petit jardin du hasard (1), Sauvages du Poitou!


L'idéal eut été de partir d'un simple caillou et d'attendre le premiers lichens, mais il m'aurait fallu plus d'une vie pour vous livrer cet article. Un récipient rempli de sable ou de graviers permettrait probablement à un substrat de s'installer au fil du temps; le jeu tentera peut-être les plus patients. Partons plutôt d'un substrat déjà bien établi: remplissons quelques godets d'un terreau quelconque. Les plus pressés ramasseront de la terre au bord d'un chemin, en des endroits variés, récoltant de par là même un stock de semences aussi prometteur qu'aléatoire.


Le petit jardin du hasard (2), Sauvages du Poitou!


Les pots sont placés dans des endroits différents (exposition, environnement...), au jardin ou au balcon, et laissés aux bons soins de la météo et du temps qui passe. La terre séchant très rapidement dans les pots ou les godets, un petit coup d’arrosoir de temps en temps favorisera la l'accueil des invitées à venir.


Le petit jardin du hasard (3), Sauvages du Poitou!

L'Euphorbe omblette (Euphorbia peplus), première surprise dans notre petit jardin du hasard!


Le jeu ne manque pas de sel et de magie: nous voilà les heureux propriétaires de mini-jardins dans lesquels on ne plante rien, mais où la vie pointera surement le bout de son nez! La vie surgira autant de l’extérieur que du sol lui même: la terre, toute quelconque qu'elle soit, comporte déjà son lot de semences invisibles en dormance. De plus, les graines peuvent compter sur leurs propres agences de voyage pour atteindre d'elles-mêmes les terra incongnita ainsi laissées à leur disposition (voir notre article sur le Grand voyage des Sauvages).

Le petit jardin du hasard (4), Sauvages du Poitou!
Un akène volant de Pissenlit échoue dans un godet: une promesse de naissance à venir?

Rendez-vous dans quelques semaines/mois/années pour partager nos découvertes (via le Facebook, le Twitter ou l'Instagram de Sauvages du Poitou, vous avez l'embarras du choix)? On pourra même échanger nos doubles, comme on échangeait jadis les images autocollantes des albums Panini. Bonne pioche!

Véronique de Perse, Gaillet Gratteron, Cardamine hérissée et Oxalis corniculé: un tirage printanier ordinaire, mais tellement réjouissant!
 

Plantains: le pied au jardin!
Date 19/11/2018
Ico Villes, chemins & terrains vagues

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare

Grand Plantain, Poitiers quartier gare


Plantago major (Grand Plantain) fait office de chef de clan chez les Plantaginaceae, une famille bigarrée qui regroupe des Sauvages aussi diverses que les Véroniques (Veronica spp), les Digitales (Digitalis spp), les Linaires (Linaria spp) ou la délicate Cymbalaire des murs (Cymbalaria muralis)... A moins d'être généticien (ou papillon), difficile de trouver un fil conducteur dans ce grand bazar.


Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare

La célèbre rosette de feuilles ovales et entières, aux nervures parallèles, du Grand Plantain: en réalité, des feuilles alternes disposées en spirale, chaque feuille s'écartant de la précédente selon un angle immuable de 144°.

- A-t-elle l’air pâle ou verte?

- Elle a l’air écrabouillée!

(La fée Clochette, Bradley Raymond)

Le Grand Plantain est une vivace très commune (c'est généralement une des première plantes qu'on apprend à identifier) qui s'installe sur les sols fortement piétinés et baignés de soleil. Un poil masochiste, le Sauvageon s'implante jusque sur les parkings, ou devant une sortie de garage, ses parties aériennes pouvant résister jusqu'au passage d'une roue de voiture.


Si le Grand Plantain préfère les sols tassés, c'est parce que la concurrence s'y fait rare. Mais tous les terrains lui conviennent, jusqu'à 2000 mètres d'altitude. Sa capacité d'adaptation lui a permis de s'exporter jusque dans les colonies européennes au 16ème siècle; les amérindiens l'avaient surnommé White man's footprint, «l'empreinte de l'homme blanc», car sa présence marquait les terres foulées par les européens. Chose amusante, les européens avaient eux-mêmes choisi le nom Plantago pour désigner la Sauvage, planta étant la plante du pied en latin, une référence à la forme de ses feuilles. Des histoires de pied, quoi de plus normal pour un végétal qui se laisse volontiers piétiner?


Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier Chilvert

Grand sur un sol riche (jusqu'à 50 cm), chétif sur un terrain misérable, tolérant face aux herbicides comme aux pollutions urbaines, le Grand Plantain fait partie de ces Sauvages dont la plasticité et la capacité d'adaptation forcent le respect.


Un des secrets de la résistance du Grand Plantain repose sur ses feuilles épaisses. En déchirant une feuille transversalement, on voit apparaitre des fils (correspondants aux nervures) capables de s’allonger tels des élastiques. Les enfants peuvent s'amuser à étirer ces «cordes» végétales, la plus longue remportant le concours, à condition qu'elle ne casse pas. Des feuilles en forme de banjo, un jeu de cordes élastiques: le Grand Plantain a un peu l'allure d'un instrument fantastique. Il est parfois surnommé outre manche Angel's HarpLa harpe des anges»), ou plus récemment Beatles'GuitarLa guitare des Beatles»)!


Plantago major, Sauvages du Poitou!


En France, le genre Plantago rassemble une vingtaine d’espèces. On croisera parmi les plus communes:

Plantago lanceolata, Plantain lancéolé, Vouneuil-sous-Biard (86)
Feuilles longuement lancéolées et inflorescences courtes en épis du Plantain Lancéolé.

Le Plantain lancéolé (Plantago lanceolata) est l'autre célébrité du genre. Vivace, il s'adapte à tout type de sol, son aspect variant en fonction de la situation. Pour le botaniste Gérard Ducerf (Encyclopédie des plantes bio-indicatrices volume 1), ses colonies les plus fournies signent les prairies bien équilibrées (eau, fertilisant, matière organique, activité microbienne...).

Plantago coronopus, Plantain Corne-de-cerf, Poitiers quartier gare
Feuilles finement découpées, comme les bois d'un cerf, du Plantain Corne-de-cerf.

Le Plantain Corne-de-cerf (Plantago coronopus) est une annuelle (ou bisanuelle) des milieux pauvres et sablonneux. On le rencontre sur le littoral, mais aussi dans les villes où il peut se contenter d'un bout de trottoir, d'autant plus que le sel lui convient parfaitement (salage de la voirie en hiver).

Plantago media, Plantain moyen, Vouneuil-sous-Biard
Floraison flashy du Plantain moyen: une excentricité inhabituelle pour le genre discret des Plantains!

Enfin, le Plantain moyen (Plantago media) est une vivace dont les feuilles ressemblent au Grand Plantain. On peut le croiser au bord des chemins, sur les pelouses sèches... Il se distingue de par sa floraison spectaculaire: corolle blanche et étamines rosées ou liliacées.

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers bords de Boivre
Inflorescence en épis (surnommée «queue de rat») du Grand Plantain: jusqu'à 10.000 graines par année pour un seul pied. Et autant de munitions pour les garnements qui en font une mitraillette champêtre!

Les graines des Plantains font le régal des oiseaux granivores, une aubaine en milieu citadin. Elles gonflent et deviennent collantes au contact de l'eau, puis se dispersent en adhérant aux chaussures des passants (zoochorie). Jadis, des petites mains récoltaient les tiges fructifères du Grand Plantain (le plus fourni en la matière) pour en faire commerce auprès des éleveurs d'oiseaux: très nourricières, les semences font office de barre énergétique pour les volatiles élevés en cage.

Pour l'homme aussi, les Plantains sont de bonnes comestibles, riches en protéines, en minéraux et en vitamines. Leurs feuilles et leurs graines sont consommées comme des légumes dans de nombreux pays d'Europe. Les feuilles crues du Grand Plantain ou du Plantain lancéolé évoquent un peu le gout des champignons. Le Plantain corne-de-cerf et sa saveur légèrement salée, moins amères que les autres Plantains, est souvent le préféré dans les assiettes.

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare
Fruits (capsules) du Grand Plantain en hiver: une mangeoire naturelle à oiseaux.

Mais la célébrité des Plantains repose d'avantage sur leurs vertus médicinales que leurs qualités culinaires. La résistance au piétinement du Grand Plantain inspira autrefois la croustillante théorie des signatures (qui voulait que l'aspect d'un végétal exprime ses vertus thérapeutiques): surnommé «La plante des coups», on estimait le Sauvageon capable d'aider à la cicatrisation des vilaines blessures. Autre temps, autres mœurs: la version contemporaine, plus soft, recommande l'application de ses feuilles fraiches pour soulager les piqûres d'insectes ou d'ortie, ou l'application en cataplasme de ses feuilles pour soigner les ampoules du randonneur. Il faut dire que le Plantain est à la fois astringent (asséchant, donc cicatrisants) et émollient (adoucissant, donc anti-inflammatoire): une formule magique, quelque part entre le feu et l'eau!

Si les Plantains ont été considérés comme des panacées au fil de l'histoire, leurs composés chimiques n'intéressent pas seulement les herboristes: on raconte que les chamois blessés se roulent dans le Plantain des Alpes (Plantago alpina) pour soigner leurs plaies. Plus près du Poitou, un gang de chenilles s'intéresse aux substances concentrées dans leurs feuilles; l'heure pour nous d'écouter une nouvelle histoire d'Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou.


Le Petit monde des Plantains


Un terrain abandonné par l’agriculture, une friche, un lieu où la nature reprend ses droits... Voilà un décor idéal pour notre Plantain qui vient jouer les colons. Et avec lui, un papillon que l’on qualifie également d’espèce pionnière: la Mélitée du plantain (Melitaea cinxia). C'est un papillon assez commun sous nos latitudes, que l’on croise d’avril à août en Poitou.


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago de Mélitée du plantain fraîchement émergé... Tremblez, Plantains!


Vous l’aurez donc compris, avec un nom pareil, notre bestiole compte sur les Plantains pour élever sa progéniture. Au printemps, sitôt qu’elle a repéré un site avec une bonne densité de Plantains, la femelle Mélitée dépose ses œufs en tas de 50 à 300 sous les feuilles. Une fois écloses, les petites chenilles se mettent à tisser une sorte de chapiteau de fortune en toile de soie où elles commencent à se faire les dents. Et si, à force de se bâfrer de feuilles, notre Sauvage est mise à nue, aucun souci: les mini-larves partent à la recherche d’un autre pied de Plantain en filant des corridors de soie.


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Chenilles de Mélitée du Plantain ayant tissé leur chapiteau.


Les mois se succèdent. Avec l'arrivée des mauvais jours, les chenilles nées durant l’été (la Mélitée du Plantain produisant deux générations par an, une au printemps et une l’été) se ménagent un nid de feuilles reliées par des fils de soie. Elles y passent l’hiver par groupes de 10 à 60. Puis, au mois de mars de l’année suivante, elles pointent de nouveau le bout de leur nez, même par quelques degrés seulement. Il n’est alors pas rare de les observer en train de se dorer la pilule au soleil, aidées par leur livrée sombre… Si toutefois vous parvenez à les trouver car elles ressemblent alors étrangement aux épis des Plantains en boutons.


Mélitée du Plantain, Sauvages du Poitou!


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Parvenus à leur ultime mue, les chenilles de la Mélitée du plantain se dispersent pour aller se nymphoser. A ce moment, il n’est pas rare de les trouver galopant sur les chemins. Celles-ci, trouvées sur une piste cyclable étaient en cours de sauvetage!

- Pâtisseries empoisonnées, beignets mortels, macaron foudroyants...
- Pas mal!
(Astérix et Cléopâtre, René Goscinny et Albert Uderzo)
La Mélitée du plantain ne tire pas simplement de sa plante-hôte larvaire un moyen de se gorger de protéines pour devenir un insecte parfait. Les feuilles des Plantains concentrent deux substances, l’aucubine et le catalpol, qui protègent la plante contre les maladies fongiques et les herbivores. Au moment de la ponte, les femelles Mélitées cherchent les pieds de Plantain qui concentrent le plus ces deux composés (le Plantain lancéolé en est le plus gros producteur) pour que leur chenilles en profitent à leur tour. Ces substances agissent d’ordinaire comme des inhibiteurs de croissance chez la plupart des insectes... Alors que chez nos Mélitées, c’est l’inverse! Et ce n’est pas tout: en absorbant l’aucubine, les chenilles développent une amertume qui les rendent peu appétissantes au goût des prédateurs (araignées, guêpes, punaises, oiseaux...). Enfin, le catalpol améliore les défenses immunitaires des chenilles, permettant à leur organisme «d’étouffer» les œufs pondus dans leur chair par les parasitoïdes (notamment des ichneumons comme Cotesia melitaearum). Il semble même que la relative toxicité du Plantain perdure chez le papillon adulte... Donc avis aux prédateurs: avec le Plantain, risque de plantage!


Notons que deux autres espèces de Mélitées poitevines pondent sur les Plantains (on compte en France une cinquantaine d’espèces de papillons susceptibles de profiter de leurs feuilles): la Mélitée orangée (Melitaea didyma) et la Mélitée des scabieuses (Melitaea parthenoides), toutes deux moins communes que la Mélitée du plantain.


Melitaea didyma, Mélitée orangée (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago et chenille de Mélitée orangée


Melitaea parthenoides, Mélitée des scabieuses (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago et chenille de Mélitée des scabieuses



Pour aller plus loin:

- Plantago major sur Tela-botanica

- Plantago lanceolata sur Tela-botanica

- Plantago coronopus sur Tela-botanica

- Plantago media sur Tela-botanica

- L'usage médicinal des Plantains à travers l'histoire sur le blog Books of Dante

- La relation toxique d’une Mélitée avec un Plantain sur le site de Zoom Nature

 

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