Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Amorpha fruticosa (Amorphe buissonante ou Indigo du bush) est un arbuste à croissance rapide de la famille des Fabaceae, celle des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces ou encore Gesses... Une confrérie au milieu de laquelle notre Sauvage fait office d'excentrique: Amorpha est d’ailleurs la «déformée» en grec, tant ses fleurs ne ressemblent guère a celles de ses consœurs.
Amorpha fruticosa est une Sauvage américaine (Amérique du Nord et Mexique), importée sur le territoire européen dès le 18ème siècle pour ses qualités ornementales: elle pousse vite, son système racinaire étendu fixe efficacement les berges et les talus, sa floraison est élégante et très mellifère.
Amorphe buissonante, à l'ombre d'une autre invasive: l'Ailanthe Faux-vernis du Japon.
Si certaine région française sont déjà très impactées par sa présence, Amorpha fruticosa reste une curiosité botanique en Poitou Charentes: on ne recense que quelques pieds sauvages autour de Poitiers. Pour le botaniste Yves Baron (Les plantes sauvages & leurs milieux en Poitou-Charentes), ceux ci nous auraient été laissés par le passage de l'armée américaine en 1917 (volontairement ou fortuitement). Ce qui ferait d'Amorpha fruticosa une plante polémochore, un terme inventé par les botanistes pour qualifier les végétaux importés lors des guerres (littéralement «dispersé par la dispute»)!
- T’es de quelle tribu?
- L’armée américaine.
(La planète des singes, Tim Burton)
Feuilles imparipennées de l'Amorphe buissonante qu'on pourrait confondre avec celles d'un autre membre du clan Fabaceae, le Robinier faux-accacia (Robinia pseudoacacia).
Dans les parties les plus colonisées au sud du pays, c'est le long des cours d'eau, au bord des lacs et des marais, que Amorpha fruticosa aime planter ses racines; elle supporte cependant n'importe que type de sol, même les plus pauvres et les plus secs... Ce qui ne va pas sans poser quelques préoccupations:
En terrain favorable, la Sauvage se resème abondamment. Ses graines lourdes et imposantes restent généralement à proximité du pied mère, mais présentent un pouvoir germinatif exceptionnel (certains auteurs avancent un taux de réussite de 80%). La croissance rapide des nouveaux nés asphyxie la concurrence alentour. A cette reproduction sexuée efficace s'ajoute une forte capacité à la multiplication végétative, via des rejets vigoureux, ainsi que des tiges et des racines qui se bouturent sans peine en milieu humide.
Fruits (gousses) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa ne connait pas de prédateurs sous nos latitudes (ses feuilles et ses gousses contiendrait des toxines la mettant à l'abri des ravageurs). Elle supporte le froid, la sécheresse comme les grands vents. Bref, dans le sud du pays (et dans les pays du bassin méditerranéen, comme l'Italie), la belle a déjà gagné son titre d'invasive et rejoint les rangs du grand banditisme végétal au côté de la Renouée du Japon ou de la Jussie.
Foliole "perforée" de petites glandes (contenant des substances aromatiques) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa profite des erreurs de gestion (absence de programme de végétalisation après des coupes à blanc ou des réfections de berges) pour s'implanter avant tout le monde. Ainsi, du côté de la Vallée du Rhône, certaines colonies d'Amorpha fruticosa semblent échapper à tout contrôle, comme l’atteste cette impressionnante carte postale envoyée par un ami qui herborise sur les berges de la Lône de Caderrouse (84):
Amorpha fruticosa est également susceptible de bouleverser les milieux naturels qu'elle colonise... Par la richesse qu'elle apporte au sol! Comme les autres membres Fabaceae, la Sauvage puise ses forces depuis l'azote atmosphérique (grâce à une symbiose avec une bactérie, ou nodosité, voir l'article sur Medicago arabica). Force qu'elle rend au sol au fur et à mesure de son dépérissement (c'est la raison pour laquelle nombre de Fabaceae sont utilisés comme «engrais verts»). Sa présence est donc marquante pour le sol, au risque de voir certaines populations végétales, pour qui une forme de pauvreté du milieu est une nécessité, se faire définitivement déloger.
- Qu'est ce que tu viens me chanter là avec ces pauvres? Plus vite ces crève-la-faim repartiront et plus vite arriveront les Yankee! Et eux au moins ils ne paient pas en monnaie de singe! Ils règlent en dollars! Et cash!
(Le Bon la Brute et le Truand, Sergio Leone)
Fleurs en épis de l'Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Pour l'heure, du côté du Poitou, la présence très discrète (mais surveillée) de la Sauvage Yankee n’inquiète guère. Elle est même, de par sa rareté à l'état sauvage, une «attraction botanique» à l'heure de sa floraison atypique: chaque fleur est constituée d'un unique pétale pourpre, enroulé sur lui même comme une galette mexicaine, d'où jaillissent ses étamines oranges. Des atouts qui attirent quelques promeneurs, mais surtout les butineurs qui se bousculent autour de ses fleurs à la fin du printemps.
Pour aller plus loin:
- Amorpha fruticosa sur Tela-botanica
Origan commun, Poitiers chemin de la Cagouillère
Origanum vulgare (Origan commun ou Marjelène en poitevin-saintongeais) appartient à la grande famille Lamiaceae, dont les membres présentent des tiges à section carrée et des fleurs en forme de bouche (voir l'article complet sur le sujet pour la petite histoire).
Son nom vient des mots grecs Oros et Ganos, respectivement «montagne» et «éclat». Origanum vulgare est donc la «beauté des montagnes», et on se demande bien pourquoi, dans la mesure où le Sauvageon trouve probablement ses origines autour du bassin méditerranéen (il peut pousser jusqu'à 2000 mètres d'altitude).
- C’est marrant, j’aurais juré que les montagnes rocheuses étaient plus rocheuses que ça.
- Ouais, ils racontent vraiment n’importe quoi à la télé.
(Dumb & Dumber, Frères Farrelly)
Origan commun, Poitiers chemin de la Cagouillère
De ses origines méditerranéennes, Origanum vulgare a gardé le goût des sols rocheux, arides, des rocailles bien exposées au soleil. Un simple mur peut lui suffire. Il est vivace et coriace: il supporte des température jusqu'à -15°C l'hiver et ne connait quasiment ni maladies, ni prédateurs dans des conditions ordinaires (on peut tout de même citer les chenilles de l'Azuré du serpolet, voir plus bas).
Fleurs de l'Origan commun: quatre étamines saillantes (deux d'entre elles dépassent nettement au dessus des lèvres) se dressent depuis une corolle formée d'une lèvre supérieure plane et échancrée et d'une lèvre inférieure étalée et trilobée.
Feuilles de l'Origan commun: opposées, entières (ou vaguement denticulées), ovales ou elliptiques.
Origanum vulgare se récolte (et se consomme) comme le Thym: on fait sécher les parties aériennes de la plante (sans les racines) en bouquets, pendus la tête en bas, dans un local bien aéré. A vrai dire, en cuisine, Origanum vulgare a
d'avantage d'odeur qu'il n'a de goût... L'Origan préconisé dans les recettes est généralement issu d'une autre Sauvage méditerranéenne, l'Origan marjolaine (Origanum majorana), cultivée chez nous comme une aromatique annuelle: une sudiste qui ne survit pas à l'humidité et au froid des hivers picto-charentais (mais réchauffement climatique oblige, les temps peuvent changer).
Pour profiter pleinement de la saveur d'Origanum vulgare, notre Origan sauvage et local, le mieux reste d'emprunter la recette du «thé solaire» au botaniste François Couplan: placer la plante dans une gamelle pleine d'eau et laisser quelques heures en plein soleil; dans ce mode d'infusion délicat (et poétique), les substances les plus volatiles seules sont extraites...
Tasse de thé solaire à l'Origan commun: pas besoin de réchaud!
Origanum vulgare améliorerait le transit et soulagerait les troubles digestifs et intestinaux (ballonnements et flatulences). Jadis, il a été considéré comme un philtre d'amour: quelques feuilles jetées discrètement dans l'assiette de son (ou sa) bien-aimé(e) pouvant faire pencher son cœur du bon côté. Dans d’autres versions, il servait à assaisonner la nourriture des ouvriers agricoles au Moyen-âge, pour leur donner le sourire et de par là même du cœur à l’ouvrage; les nourrices allaitantes le consommaient pour mettre leur bébé de bonne humeur. Bref, l’Origan apporte à nos pizzas une note de soleil, mais peut-être aussi une touche d’amour et d’humour !
- Je suis quasiment sûr que nous avons affaire à un serial killer.A sa décharge, l’Azuré du serpolet est une espèce protégée qui se raréfie en France. Sa disparition est due à la nécessité pour le papillon de bénéficier dans son milieu tant de ses plantes hôtes (Origan commun ou Thym serpolet) que d’un nombre suffisant de fourmilières de Myrmica. En Poitou-Charentes, elle est considérée comme assez rare. Aussi, si vous la croisez, admirez la magie de son vol bleu, rapide et nerveux, et oubliez ses mœurs de hors-la-loi!
- Un quoi ?
- Un tueur en série.
- Ah! Un serial killer!
( La cité de la peur, les Nuls)
- Origanum vulgare sur Tela-botanica
Origan commun à la fin de l'été: les fleurs disparaissent peu à peu, reste le spectacle fascinant des bractées pourpres.
Bourrache officinale, Poitiers quartier Chilvert
Borago officinalis (Bourrache officinale ou Borage en poitevin-saintongeais) fait office de chef de clan chez les Boraginaceae, dont les membres affichent souvent un système pileux très développé (Consoudes, Buglosses, Vipérines, Myosotis...)! Son nom viendrait du latin burra, la «burre», une étoffe en laine grossière qui habillait les moines: une référence à la texture de ses feuilles rêches, garnies de poils durs.
Bourrache officinale, Poitiers bords de Clain
Borago officinalis est une anuelle à croissance rapide. Elle aime l'eau, les sols riches en matière organique et les nitrates. Elle commence sa floraison dès que le pied atteint une quinzaine de centimètres (ce qui ne l'empêche pas de continuer à grandir ensuite): comme toute annuelle qui se respecte, la Sauvage vit dans l'urgence de la reproduction! En tout et pour tout, Borago officinalis est capable de fleurir 8 à 10 mois dans l'année...
Borago officinalis est une plante mellifère de première classe, au même titre que la Phacélie (Phacelia tanacetifolia) et la Vipérine (Echium vulgare), deux autres membres du clan Boraginaceae) semées par les apiculteurs pour booster la production. Les abeilles en raffolent, et c'est leur faire un beau cadeau que d'entretenir quelques pieds au jardin.
Fleur de Bourrache officinale: 5 sépales, une corolle bleu intense à 5 lobes, 5 étamines en cône autour du pistil. Une Sauvage qui se butine la tête en bas! (abeille solitaire, Anthophora sp.)
Borago officinalis est une célèbre comestible: elle a été (et est encore) cultivée pour ses feuilles, ses fleurs ou ses graines. Des études récentes révèlent pourtant la présence d'alcaloïdes hépatotoxiques (concentrés dans la feuille et les tiges) susceptibles d'augmenter les risques de tumeur au foie (de même que chez la Consoude). Certes, personne n'est jamais tombé raide mort en croquant la belle; n'empêche que la considérer comme un met inoffensif est discutable (disons qu'il faudrait aussi considérer qu'un verre de vin est complétement inoffensif). S'il n'y a pas de quoi la rayer définitivement des assiettes, il convient de ne pas faire de Borago officinalis un régime soutenu et régulier.
Feuilles hérissées de poils piquants de la Bourrache officinale: alternes, les supérieures sessiles et embrassantes, les inférieures ovales et longuement pétiolées (pétiole ailé).
La Sauvage a pourtant été cultivée en tant que légume dans bon nombre de pays d'Europe (Espagne et Pays-bas par exemple), même si elle constitue rarement un plat principal; elle est généralement utilisée en accompagnement ou en assaisonnement dans les recettes. Crue, en salade (gare aux poils piquants!), Borago officinalis présente un léger goût iodé (certains diraient un goût d'huitre) inimitable.
- C’est la dernière fois que j’achète des fruits chez toi Tom! C’est ce que tu appelles frais? Il y avait plus de petites créatures poilues dans tes fruits qu’il n’y avait de fruit. Tu devrais ouvrir une boucherie, pas une épicerie.
(Arnaques, crimes et botanique, Guy Ritchie)
Ses feuilles peuvent ainsi agrémenter une omelette ou une soupe (gardez à l'esprit leur relative toxicité)... On peut aussi les faire frire en beignet, salés ou sucrés (en Grande Bretagne, on en fait d'excellent desserts au miel). Quant aux fleurs, inoffensives et comestibles (vous pouvez vous lâcher), elles sont très en vogue dans les restaurants où elles décorent agréablement les plats!
Colonie de Bourrache officinale, Poitiers bords de Clain
Au fil de l'histoire, Borago officinalis s'est taillée une solide réputation de plante médicinale. Grecs et romains considéraient la Sauvage comme une source... De courage et de joie. Les fleurs de la plante, macérées dans du vin, étaient consommées pour se donner du baume au cœur avant la bataille, ou pour guérir les esprits mélancoliques. Certains auteurs rapprochent le nom Bourrache du celte barrach, «courage», peut-être parce que la Sauvage insufflait la bravoure à celui qui la mangeait ou la portait à sa boutonnière.
Borago officinalis a aussi été utilisée en médecine populaire pour soigner et adoucir la toux (peut-être à cause de sa richesse en mucilage lorsqu'elle est cueillie fraîche), ou pour ses pouvoirs sudorifiques (pour d'autres, c'est là que se trouve l'origine de son nom: abû araq — Bourrache — signifiant «père de la sueur» en arabe).
En usage externe, la Sauvage est aujourd'hui proposée sous la forme d'une huile (onéreuse) tirée de ses graines, qui présenterait des vertus adoucissantes, assouplissantes et revitalisantes... Bref, une caresse et un véritable élixir de jouvence pour la peau!
Est-ce parce qu'elle a l'air suspecte, mal rasée et un poil toxique que la Bourrache n'attire presque aucune chenille de papillon de jour? Allez savoir... Toutefois, nous avons dit «presque»: il arrive que notre sauvage régale la chenille du Petit Nacré (Issoria lathonia), même si elle est loin d'égaler les Violettes, largement préférées par le papillon. La Bourrache n'est ainsi pas souvent citée dans la littérature comme plante-hôte larvaire du Petit Nacré. En Provence, le fait est avéré mais il demeure rare («La vie des papillons» de Tristan Lafranchis, 2015). Dans l'ouest de la France, seules deux observations en 1897 et 1912 attestent cette «relation» entre Bourrache et Petit Nacré ! («La lettre de l'Atlas Entomologique Régional n°14», mars 2001).
Le Petit Nacré, ici sur une Centaurée (Centaurea sp), recto verso!
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
-Borago officinalis sur Tela-botanica
Une Bourrache aux fleurs blanches comme neige? Les cas de dépigmentation ne sont pas rares chez les végétaux. Ce phénomène est peut-être dû à la mutation ponctuelle d’un des nombreux gènes qui participent à la synthèse des pigments et donc des couleurs des feuilles ou des fleurs.