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Plantains: le pied au jardin!
Date 19/11/2018
Ico Villes, chemins & terrains vagues

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare

Grand Plantain, Poitiers quartier gare


Plantago major (Grand Plantain) fait office de chef de clan chez les Plantaginaceae, une famille bigarrée qui regroupe des Sauvages aussi diverses que les Véroniques (Veronica spp), les Digitales (Digitalis spp), les Linaires (Linaria spp) ou la délicate Cymbalaire des murs (Cymbalaria muralis)... A moins d'être généticien (ou papillon), difficile de trouver un fil conducteur dans ce grand bazar.


Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare

La célèbre rosette de feuilles ovales et entières, aux nervures parallèles, du Grand Plantain: en réalité, des feuilles alternes disposées en spirale, chaque feuille s'écartant de la précédente selon un angle immuable de 144°.

- A-t-elle l’air pâle ou verte?

- Elle a l’air écrabouillée!

(La fée Clochette, Bradley Raymond)

Le Grand Plantain est une vivace très commune (c'est généralement une des première plantes qu'on apprend à identifier) qui s'installe sur les sols fortement piétinés et baignés de soleil. Un poil masochiste, le Sauvageon s'implante jusque sur les parkings, ou devant une sortie de garage, ses parties aériennes pouvant résister jusqu'au passage d'une roue de voiture.


Si le Grand Plantain préfère les sols tassés, c'est parce que la concurrence s'y fait rare. Mais tous les terrains lui conviennent, jusqu'à 2000 mètres d'altitude. Sa capacité d'adaptation lui a permis de s'exporter jusque dans les colonies européennes au 16ème siècle; les amérindiens l'avaient surnommé White man's footprint, «l'empreinte de l'homme blanc», car sa présence marquait les terres foulées par les européens. Chose amusante, les européens avaient eux-mêmes choisi le nom Plantago pour désigner la Sauvage, planta étant la plante du pied en latin, une référence à la forme de ses feuilles. Des histoires de pied, quoi de plus normal pour un végétal qui se laisse volontiers piétiner?


Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier Chilvert

Grand sur un sol riche (jusqu'à 50 cm), chétif sur un terrain misérable, tolérant face aux herbicides comme aux pollutions urbaines, le Grand Plantain fait partie de ces Sauvages dont la plasticité et la capacité d'adaptation forcent le respect.


Un des secrets de la résistance du Grand Plantain repose sur ses feuilles épaisses. En déchirant une feuille transversalement, on voit apparaitre des fils (correspondants aux nervures) capables de s’allonger tels des élastiques. Les enfants peuvent s'amuser à étirer ces «cordes» végétales, la plus longue remportant le concours, à condition qu'elle ne casse pas. Des feuilles en forme de banjo, un jeu de cordes élastiques: le Grand Plantain a un peu l'allure d'un instrument fantastique. Il est parfois surnommé outre manche Angel's HarpLa harpe des anges»), ou plus récemment Beatles'GuitarLa guitare des Beatles»)!


Plantago major, Sauvages du Poitou!


En France, le genre Plantago rassemble une vingtaine d’espèces. On croisera parmi les plus communes:

Plantago lanceolata, Plantain lancéolé, Vouneuil-sous-Biard (86)
Feuilles longuement lancéolées et inflorescences courtes en épis du Plantain Lancéolé.

Le Plantain lancéolé (Plantago lanceolata) est l'autre célébrité du genre. Vivace, il s'adapte à tout type de sol, son aspect variant en fonction de la situation. Pour le botaniste Gérard Ducerf (Encyclopédie des plantes bio-indicatrices volume 1), ses colonies les plus fournies signent les prairies bien équilibrées (eau, fertilisant, matière organique, activité microbienne...).

Plantago coronopus, Plantain Corne-de-cerf, Poitiers quartier gare
Feuilles finement découpées, comme les bois d'un cerf, du Plantain Corne-de-cerf.

Le Plantain Corne-de-cerf (Plantago coronopus) est une annuelle (ou bisanuelle) des milieux pauvres et sablonneux. On le rencontre sur le littoral, mais aussi dans les villes où il peut se contenter d'un bout de trottoir, d'autant plus que le sel lui convient parfaitement (salage de la voirie en hiver).

Plantago media, Plantain moyen, Vouneuil-sous-Biard
Floraison flashy du Plantain moyen: une excentricité inhabituelle pour le genre discret des Plantains!

Enfin, le Plantain moyen (Plantago media) est une vivace dont les feuilles ressemblent au Grand Plantain. On peut le croiser au bord des chemins, sur les pelouses sèches... Il se distingue de par sa floraison spectaculaire: corolle blanche et étamines rosées ou liliacées.

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers bords de Boivre
Inflorescence en épis (surnommée «queue de rat») du Grand Plantain: jusqu'à 10.000 graines par année pour un seul pied. Et autant de munitions pour les garnements qui en font une mitraillette champêtre!

Les graines des Plantains font le régal des oiseaux granivores, une aubaine en milieu citadin. Elles gonflent et deviennent collantes au contact de l'eau, puis se dispersent en adhérant aux chaussures des passants (zoochorie). Jadis, des petites mains récoltaient les tiges fructifères du Grand Plantain (le plus fourni en la matière) pour en faire commerce auprès des éleveurs d'oiseaux: très nourricières, les semences font office de barre énergétique pour les volatiles élevés en cage.

Pour l'homme aussi, les Plantains sont de bonnes comestibles, riches en protéines, en minéraux et en vitamines. Leurs feuilles et leurs graines sont consommées comme des légumes dans de nombreux pays d'Europe. Les feuilles crues du Grand Plantain ou du Plantain lancéolé évoquent un peu le gout des champignons. Le Plantain corne-de-cerf et sa saveur légèrement salée, moins amères que les autres Plantains, est souvent le préféré dans les assiettes.

Plantago major, Grand Plantain, Poitiers quartier gare
Fruits (capsules) du Grand Plantain en hiver: une mangeoire naturelle à oiseaux.

Mais la célébrité des Plantains repose d'avantage sur leurs vertus médicinales que leurs qualités culinaires. La résistance au piétinement du Grand Plantain inspira autrefois la croustillante théorie des signatures (qui voulait que l'aspect d'un végétal exprime ses vertus thérapeutiques): surnommé «La plante des coups», on estimait le Sauvageon capable d'aider à la cicatrisation des vilaines blessures. Autre temps, autres mœurs: la version contemporaine, plus soft, recommande l'application de ses feuilles fraiches pour soulager les piqûres d'insectes ou d'ortie, ou l'application en cataplasme de ses feuilles pour soigner les ampoules du randonneur. Il faut dire que le Plantain est à la fois astringent (asséchant, donc cicatrisants) et émollient (adoucissant, donc anti-inflammatoire): une formule magique, quelque part entre le feu et l'eau!

Si les Plantains ont été considérés comme des panacées au fil de l'histoire, leurs composés chimiques n'intéressent pas seulement les herboristes: on raconte que les chamois blessés se roulent dans le Plantain des Alpes (Plantago alpina) pour soigner leurs plaies. Plus près du Poitou, un gang de chenilles s'intéresse aux substances concentrées dans leurs feuilles; l'heure pour nous d'écouter une nouvelle histoire d'Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou.


Le Petit monde des Plantains


Un terrain abandonné par l’agriculture, une friche, un lieu où la nature reprend ses droits... Voilà un décor idéal pour notre Plantain qui vient jouer les colons. Et avec lui, un papillon que l’on qualifie également d’espèce pionnière: la Mélitée du plantain (Melitaea cinxia). C'est un papillon assez commun sous nos latitudes, que l’on croise d’avril à août en Poitou.


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago de Mélitée du plantain fraîchement émergé... Tremblez, Plantains!


Vous l’aurez donc compris, avec un nom pareil, notre bestiole compte sur les Plantains pour élever sa progéniture. Au printemps, sitôt qu’elle a repéré un site avec une bonne densité de Plantains, la femelle Mélitée dépose ses œufs en tas de 50 à 300 sous les feuilles. Une fois écloses, les petites chenilles se mettent à tisser une sorte de chapiteau de fortune en toile de soie où elles commencent à se faire les dents. Et si, à force de se bâfrer de feuilles, notre Sauvage est mise à nue, aucun souci: les mini-larves partent à la recherche d’un autre pied de Plantain en filant des corridors de soie.


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Chenilles de Mélitée du Plantain ayant tissé leur chapiteau.


Les mois se succèdent. Avec l'arrivée des mauvais jours, les chenilles nées durant l’été (la Mélitée du Plantain produisant deux générations par an, une au printemps et une l’été) se ménagent un nid de feuilles reliées par des fils de soie. Elles y passent l’hiver par groupes de 10 à 60. Puis, au mois de mars de l’année suivante, elles pointent de nouveau le bout de leur nez, même par quelques degrés seulement. Il n’est alors pas rare de les observer en train de se dorer la pilule au soleil, aidées par leur livrée sombre… Si toutefois vous parvenez à les trouver car elles ressemblent alors étrangement aux épis des Plantains en boutons.


Mélitée du Plantain, Sauvages du Poitou!


Melitaea cinxia, Mélitée du plantain (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Parvenus à leur ultime mue, les chenilles de la Mélitée du plantain se dispersent pour aller se nymphoser. A ce moment, il n’est pas rare de les trouver galopant sur les chemins. Celles-ci, trouvées sur une piste cyclable étaient en cours de sauvetage!

- Pâtisseries empoisonnées, beignets mortels, macaron foudroyants...
- Pas mal!
(Astérix et Cléopâtre, René Goscinny et Albert Uderzo)
La Mélitée du plantain ne tire pas simplement de sa plante-hôte larvaire un moyen de se gorger de protéines pour devenir un insecte parfait. Les feuilles des Plantains concentrent deux substances, l’aucubine et le catalpol, qui protègent la plante contre les maladies fongiques et les herbivores. Au moment de la ponte, les femelles Mélitées cherchent les pieds de Plantain qui concentrent le plus ces deux composés (le Plantain lancéolé en est le plus gros producteur) pour que leur chenilles en profitent à leur tour. Ces substances agissent d’ordinaire comme des inhibiteurs de croissance chez la plupart des insectes... Alors que chez nos Mélitées, c’est l’inverse! Et ce n’est pas tout: en absorbant l’aucubine, les chenilles développent une amertume qui les rendent peu appétissantes au goût des prédateurs (araignées, guêpes, punaises, oiseaux...). Enfin, le catalpol améliore les défenses immunitaires des chenilles, permettant à leur organisme «d’étouffer» les œufs pondus dans leur chair par les parasitoïdes (notamment des ichneumons comme Cotesia melitaearum). Il semble même que la relative toxicité du Plantain perdure chez le papillon adulte... Donc avis aux prédateurs: avec le Plantain, risque de plantage!


Notons que deux autres espèces de Mélitées poitevines pondent sur les Plantains (on compte en France une cinquantaine d’espèces de papillons susceptibles de profiter de leurs feuilles): la Mélitée orangée (Melitaea didyma) et la Mélitée des scabieuses (Melitaea parthenoides), toutes deux moins communes que la Mélitée du plantain.


Melitaea didyma, Mélitée orangée (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago et chenille de Mélitée orangée


Melitaea parthenoides, Mélitée des scabieuses (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Imago et chenille de Mélitée des scabieuses



Pour aller plus loin:

- Plantago major sur Tela-botanica

- Plantago lanceolata sur Tela-botanica

- Plantago coronopus sur Tela-botanica

- Plantago media sur Tela-botanica

- L'usage médicinal des Plantains à travers l'histoire sur le blog Books of Dante

- La relation toxique d’une Mélitée avec un Plantain sur le site de Zoom Nature

 

Carotte Sauvage: le palace à insectes
Date 28/07/2018
Ico Prairies

Daucus carotta, Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre

Bractées caractéristiques de la Carotte Sauvage, Poitiers bords de Boivre


Daucus carota (Carotte sauvage ou Pascanade en poitevin-saintongeais) appartient aux Apiaceae (ex Ombellifères), le clan des Sauvages aux fleurs à cinq pétales disposées en «ombelles». Une famille mi ange mi démon, dans laquelle on croise de nombreuses autres espèces domestiquées par l'homme comme le Céleri (Apium graveolens), le Panais (Pastinaca sativa), le Persil (Petroselinum crispum) ou la divine Angélique officinale (Angelica archangelica)... Mais aussi quelques terreurs comme la titanesque et brûlante Berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum) ou la Grande Ciguë (Conium maculatum), une célèbre empoisonneuse.


Daucus carotta, Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre

Feuille alternes et généralement bipennatiséquées de la Carotte sauvage qui dégagent une odeur typique de carotte au froissement.


La Carotte sauvage affectionne les sols riches, chauds (elle est nettement thermophile), baignés de soleil. Elle brandit ses fleurs en parasol en été, jusqu'à un bon mètre de hauteur, puis compte sur les animaux de passage pour disséminer ses fruits crochus (des diakènes) qui s'accrochent aux fourrures ou vêtements des animaux de passage (epizoochorie). Chétive à flanc de mur ou de falaise, basse en terrain régulièrement fauché: la Sauvage est très polymorphe et possède une surprenante capacité d'adaptation à son environnement.


Daucus carotta, Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre
Carotte sauvage en été: un joli panier rempli de fruits crochus.

Il resterait pas dans cette ville un genre d’hôtel trois étoiles avec des draps propres, de bons oreillers et un room service?

(Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg)

Au jardin, Daucus carota est le centre de toutes les attentions: elle abrite ou nourrit guêpes, abeilles solitaires, syrphes, coléoptères (leptures, œdémères, téléphores), araignées en embuscade... Ses fleurs offrent un nectar et un pollen abondants et faciles d'accès.


Le petit monde de la Carotte sauvage, Daucus carota, Poitiers bords de Boivre
L'heureuse clientèle de la Carotte sauvage! De haut en bas et de gauche à droite:  Sauterelle ponctuée (Leptophyes punctatissima), Ectophasia crassipennis, Téléphore fauve (Rhagonycha fulva) et Thomise variable (Misumena vatia).


L'inflorescence de la Carotte Sauvage se replie à maturité pour former un panier miniature. Un nid douillet dans lequel se cache (entre autres) la Punaise arlequin (Graphosoma italicum), rayée de rouge et noir, qui se régale de la sève de l'Ombellifère. De leur côté, les oiseaux apprécient les graines de la Sauvage et boulottent au passage quelques locataires à six pattes sur les tables dressées en ombelles. Les volatiles délaissent cependant les Punaises arlequin à cause de leur tenue de groom, le rouge évoquant une certaine toxicité et les rayures un danger potentiel (guêpes, frelons...).


Graphosoma italicum et Daucus carota, Poitiers bords de Boivre

Une tenue rouge et noir pour la Punaise arlequin sur son luxueux lit de Carotte sauvage!

Palace, la vie en première classe,
Palace, moins de stress, plus de strass, (...)
Eh oui, ça c'est Palace!
(Palace, Jean-Michel Ribes)
On a donc grand intérêt à tolérer la belle au jardin, où elle est un véritable palace pour la faune et où elle se ressème naturellement. De mon expérience, le contrôle de son expansion — c'est à dire son arrachage au besoin — reste plutôt aisé (en tout cas guère plus compliqué que de récolter des Carottes).

Daucus carota, le palace à insectes! Sauvages du Poitou

Comme toute destination touristique qui se respecte, la Carotte sauvage arbore fièrement son enseigne: on observe parfois au cœur de ses inflorescences une minuscule fleur sombre (rouge, bordeaux ou brune), surnommée la «Mouche de la Carotte», chargée d'attirer la clientèle des butineurs (rien à voir avec la véritable Mouche de la Carotte, Psila rosae, une ravageuse redoutée des jardiniers).


Au centre des inflorescences de la Carotte sauvage: la (fausse) «Mouche de la Carotte».

Au potager, la Sauvage côtoiera peut-être ses semblables domestiquées. L’espèce Daucus carota regroupe de nombreuses sous-espèces diversifiées: si Daucus carota, la Sauvage, est souvent annuelle (pas toujours), les carottes cultivées par les jardiniers (Daucus carota subsp. sativus var sativus, une des 12 sous-espèces) sont bisannuelles. Elles produisent leur délicieuse partie souterraine la première année, puis fleurissent l'année suivante pour assurer leur reproduction... Ce qui arrive rarement dans la mesure où elles se font croquer entre temps. La carotte cultivée est le résultat de nombreuses années de recherche et de tâtonnement par l'homme qui a sélectionné les spécimens les plus intéressants par pollinisations croisées.


Daucus carota, Carotte sauvage, Poitiers gare

Carotte sauvage sur un mur perchée, Poitiers quartier gare.

Tu vois, la liberté c’est de pouvoir manger des carottes râpées dans l’emballage.

(Camping, Fabien Onteniente)

La racine de Daucus carota est comestible (bien qu'un peu plus fibreuse et amère que la carotte cultivée). Elle n'a d'intérêt gustatif que si elle est récoltée avant floraison. Malheureusement, sans ses fleurs caractéristiques, il est difficile de distinguer les Carottes sauvages de ses consœurs ombellifères mortelles (Ciguë...). L'odeur agréable et les poils hirsutes (recouvrant la tige et les feuilles) sont des indices pour identifier le bon légume, mais d'une manière générale, la cueillette des ombellifères est un sport extrême (et donc dangereux) qui exige une certaine expertise botanique.


Daucus carota, Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre

Les ombelles d'ombellules de la Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre


Daucus carota, la Sauvage, a été introduites dans les jardins bien avant l'«invention» (conjointe de l'homme et de la nature) des célèbres légumes oranges. A l'époque, il n'était pas tant question d'en faire son menu, mais plutôt de profiter de ses vertus médicinales: une infusion de graines de carotte serait diurétique, faciliterait la digestion et régulerait les fonction intestinales.


Tout le monde connait la réputation des carottes: elles donneraient un teint hâlé à la peau et rendraient aimable. Il est vrai que la racine est riche en carotène (qui stimule la mélanine qui protège la peau de l'exposition au soleil), mais il faudrait un régime sévère sur plusieurs mois pour voir apparaître un début de bronzage; quant à sa faculté à rendre aimable, elle vient sans doute de cette vieille tradition qui consiste à montrer une carotte à un âne bougon pour le faire avancer, tout sourire!


Daucus carota, Sauvages du Poitou !


Finalement, un palace ne mérite cette appellation que si la population qui le fréquente est à la hauteur du décorum. Confions le mot de la fin à Olivier Pouvreau, le lépidoptériste de Sauvages du Poitou vêtu pour l'occasion de son costume de majordome, pour nous présenter un des clients les plus prestigieux des établissements Daucus Carota...



Le petit monde de Daucus carota


Il vous est déjà peut-être arrivé de trouver une splendide chenille verte à rayures noire et orange boulottant vos pieds de carottes. Si c’est le cas, il s’agit de celle du Machaon (Papilio machaon), un papillon tout aussi spectaculaire de par sa taille et ses motifs. Le Machaon appartient au genre Papilio, un gang de Sauvages constamment sur son 31. Son crédo? La classe sinon rien!


Machaon, Papilio machaon (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Chenille de Machaon avant la nymphose.


A le voir voler, le Machaon me fait penser à la réunion d’un insecte et d’un oiseau. Il déambule d’un vol plutôt tranquille, toujours élégant, avec des battements d’ailes amples et, me semble-t-il, sans ces courts planés typiques du Flambé (Iphiclides podalirius), son cousin classieux avec qui on le confond souvent.


Machaon, Papilio machaon (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Le Machaon: quelque part entre l’insecte et l’oiseau.


Pour pondre, la femelle Machaon inspecte les Carottes, mais aussi le Fenouil, le Persil, l’Aneth… Plantes les plus souvent choisies dans nos régions parmi plus de 40 espèces d’Apiacées recensées en Europe. La chenille qui s’en nourrira, outre sa tenue de spectacle toujours impeccable, se fait aussi prestidigitatrice: si on la dérange, elle déploie un appendice orange exhalant une odeur fétide situé à l’arrière de sa tête… Ce curieux organe s’appelle osmétérium. Notre magicienne peut même aller jusqu’à baver un liquide noir pour repousser les casse-pieds environnants. Vous me direz que, pour une fois, le Machaon ne verse pas dans le standing de l’entomologie chic.


Machaon, Papilio machaon (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Œuf de Machaon: aux racines de l'élégance...


En Poitou, le Machaon papillonne en deux générations d’avril à septembre. Cet endimanché permanent n’est pas très exigeant dans le choix de ses lieux de vol mais semble préférer les biotopes chauds et secs, les milieux ouverts, les allées forestières, les jardins. Alors si vous criez haro sur une chenille de machaon mâchouillant une feuille de vos chères carottes, n’oubliez pas cet aphorisme que les machaons aiment à se rappeler de génération en génération: «jardinier, dans ton code de bonne conduite, ne nous fait pas croire que les carottes sont cuites!»


Machaon, Papilio machaon (crédit photo: Olivier Pouvreau)

Parmi les nombreuses fleurs butinées, le Machaon préfère celles de couleur pourpre, rose ou bleue. Ici, on dirait qu'il tente de séduire un Trèfle des prés !




Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
- Daucus carota sur Tela-botanica


Daucus carota, Carotte sauvage, Poitiers bords de Boivre

La tendresse chez les Carottes sauvages...

 

Vocabulaire de la botanique (6): inflorescences et capitules
Date 13/11/2017
Ico Initiation à la botanique joyeuse!
Inflorescences et capitules, Sauvages du Poitou
Dans l'ordre: grappe de la Cardamine des prés, épi de la Verveine officinale, ombelle du Lierre grimpant et capitule du Cirse commun.

Après les articles consacrés aux fleurs régulières et aux fleurs irrégulières, continuons notre promenade autour des mots qui nous permettent de décrire, et donc d'observer avec acuité, les fleurs de nos Sauvages. Notre vocabulaire est suffisamment fourni pour décrire les organes sexuels des plantes un par un, jusque dans le détail. Reste à prendre un peu de recul pour regarder l'ensemble: l'inflorescence. La fleur est-elle seule et isolée, tel un Robinson perché en haut de son cocotier? Ou les fleurs sont-elles au contraire nombreuses sur la tige, réunies en bande?
Rassemblez vos hommes. On se met en formation...
(Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg)

Les inflorescences simples, Sauvages du Poitou

Grappe: ensemble de fleurs pédicellées sur un axe, le pédicelle étant la petite ramification qui porte la fleur, l'ultime pédoncule en quelque sorte.

Épi: ensemble de fleurs sessiles (dépourvues de pédicelle) sur un axe.

Corymbe: les fleurs, aux pédicelles de plus en plus courts au fur et à mesure qu'on se rapproche du sommet, s'épanouissent toutes sur un même plan.

Les inflorescences simples, Sauvages du Poitou

Ombelle: les fleurs sont portées par des pédicelles rayonnants, égaux ou presque.

Cyme bipare: deux axes secondaires s'insèrent sous l'axe principal (ex: Mouron des oiseaux).

Cyme unipare: sous l'axe principal s'insère une seule ramification secondaire, qui porte elle-même une ramification, etc. Lorsque l'ensemble dessine une «queue de scorpion», on parle de Cyme scorpioïde (ex: Myosotis des champs).

Comme pour les fleurs, la diversité des inflorescences peut être une réponse façonnée par l’évolution à la diversité des insectes qui les fréquentent (et vice versa, les insectes évoluant aussi pour répondre à l’anatomie de leurs fleurs préférées). Ainsi, grappes et épis sont bien adaptés au vol stationnaire de certains insectes, alors que les grandes ombelles forment des pistes d’atterrissage praticables pour les gros coléoptères.


Cette liste n'est bien sûr pas exhaustive, et plusieurs combinaisons sont possibles. Vous connaissiez déjà les feuilles simples et les feuilles composées... Voilà maintenant les inflorescences simples et les inflorescences composées!


Les leçons de botanique de Sauvages du Poitou!


Exemple d'inflorescence composée: les grappes de grappes des fleurs du Troène commun (Ligustrum vulgare) qui forment ce qu'on appelle une «panicule». Ce n’est pas les butineurs qui se plaindront d'une telle surenchère, les fleurs du Troène commun étant aussi mellifères que parfumées.


Ligustrum vulgare, Troène commun, Poitiers Chilvert

Panicule dense du Troène commun, Poitiers quartier Chilvert


Il est une famille de Sauvages, les Apiaceae ou «Ombellifères», qui s'est fait une spécialité dans la confection d'ombelles sophistiquées. Certains membres du clan vont jusqu'à afficher des ombelles d'ombelles (on parle plutôt d'ombelles d'ombellules), à l'image de l’omniprésent Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris) au printemps.


Anthriscus sylvestris, Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre

Ombelle d'ombellules du Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre


Je capitule! Vous m'avez conquis sans résistance!

(La Tulipe noire, Christian-Jacque)

Pourtant, même la plus inspirée des Ombellifères ne peut rivaliser avec l'ingéniosité des Asteracées (les «Composées») qui semblent atteindre des sommets d'astuce en matière d'inflorescence. Il faut dire que les Astéracées sont une des familles les plus récentes dans la grande histoire de l'évolution végétale, et qu'elles bénéficient à ce titre des trouvailles les plus modernes en matière de reproduction.


Le coup du capitule, Sauvages du Poitou!


Les Astéracées ont miniaturisé leurs fleurs, de manière à pouvoir en entasser le plus grand nombre sur un seul réceptacle... Jusque-là, rien d'extraordinaire. Mais elles ont aussi conçu un emballage marketing très particulier à destination des butineurs: les minuscules fleurs (les «fleurons») sont regroupées en une inflorescence qui prend l'apparence d'une grosse fleur unique, nommée capitule. Ainsi, certaines fleurs se chargent d'imiter les pétales à la périphérie (les fleurons ligulés), pendant que les autres dessinent un cœur au centre (les fleurons tubuleux). Le butineur, pensant plonger dans une fleur aux rondeurs généreuses, pollinise d'un coup d'un seul une myriade de fleurs...


Le Capitule par Sauvages du Poitou!

Si l'on appelle sépales les feuilles spécialisées qui entourent et protègent une fleur, on appelle bractées les feuilles spécialisées qui entourent et protègent une inflorescence (ou un capitule). La collerette formée par l''ensemble des bractées se nomme involucre.


Difficile de rendre hommage à la richesse des fleurs à capitule en quelques coups de crayons. Les variations sur ce thème sont nombreuses : les fleurons peuvent être stériles, mâles, femelles ou les deux en même temps. Le dessin ci-dessus pourrait illustrer, par exemple, le capitule du Séneçon jacobée (Jacobaea vulgaris), qui présente des fleurons tubuleux hermaphrodites (mâles et femelles) au centre de ses fleurs, et des fleurons ligulés strictement femelles à leur périphérie.

Jacobaea vulgaris, Séneçon jacobée, Poitiers bords de Boivre

Capitules du Séneçon jacobée, Poitiers bords de Boivre


En terme de pollinisation (et donc de reproduction) les Astéracées ont en quelque sorte initié l'ère industrielle du règne végétal! Marketing, efficacité, industrie... On ne fait pas dans la poésie champêtre, mais remarquez comme les fleurs à capitules vivent en parfaite adéquation avec leur temps (et donc le notre). Sur les 10 sauvages les plus obersvées dans les villes françaises (source Sauvages de ma rue), la moitié sont des Asteracées: Pissenlit, Laiteron potager, Laitue scariole, Séneçon commun et Vergerette du Canada. Alors si vous découvrez avec cet article les subtilités du capitule, sachez que vous avez forcément observés ceux ci à maintes reprises, et ce depuis votre tendre enfance...


Leucanthemum vulgare, Marguerite commune, Biard (86)

Capitule de la Marguerite commune, Biard (86)


Ainsi, la Marguerite commune (Leucanthemum vulgare) présente des fleurons tubuleux jaunes en son centre, et des fleurons ligulés blancs à sa périphérie. Cette Mélitée orangée (Melitaea didyma), coincée comme un marque-page entre «je t’aime à la folie » et « pas du tout», l’a sans doute compris: nul amoureux (et surtout nul botaniste) n’a jamais effeuillé les pétales de la Marguerite. Ce sont les fleurons ligulés qu'on effeuille!

Achillea millefolium, Achillée millefeuille, Beauvoir (86)
Achillée millefeuille, Beauvoir (86)


Enfin, regardons de près les fleurs de l'Achillée millefeuille (Achillea millefolium): si cette sauvage a l'allure d'une Ombellifère, elle n'en a que l'allure. Chacune des petites fleurs de ses corymbes est en réalité un capitule constitué de fleurons tubuleux et ligulés blancs (parfois rosés). On peut dire de ce membre de la famille Asteracée que ses inflorescences (composées) sont des corymbes de capitules... Pas moins!

T’es comme Superman, mais sans les collants.

(90210 Beverly Hills, Rob Thomas)

Pourtant, même la légendaire Achillée s'incline devant l’Edelweiss (Leontopodium nivale), une montagnarde qu'on rencontrera peut être si l'on parvient à passer la barre des 1200 mètres d’altitude (même avec une échelle de pompier, c'est impensable dans le Poitou). L'Edelweiss rassemble des capitules jaunes (composés de fleurons tubuleux) par paquet de cinq ou six, et les entoure d'une couronne de feuilles blanches pointues et duveteuses (des bractées) qui revêtent l'allure de pétales. En somme, l’Edelweiss, une super Sauvage, a inventé le capitule de capitules, le super capitule!


Leontopodium nivale, Edelweiss, Sauvages du Poitou!


D'autres leçons de botanique consacrées aux fleurs sur Sauvages du Poitou:

- Le vocabulaire de la botanique (4): les fleurs régulières

- Le vocabulaire de la botanique (5): les fleurs irrégulières

- Le vocabulaire de la botanique (7): Poacées, herbes, céréales, pelouses et gazons


Articles consacrés à la pollinisation par les insectes sur Sauvages du Poitou:

- Insectes pollinisateurs (1): la Sauvage et le coléoptère

- Insectes pollinisateurs (2): la Sauvage et le diptère

- Insectes pollinisateurs (3): la Sauvage et le papillon


Pour aller plus loin:

- L'inflorescence sur Wikipedia.

 

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