Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Silene latifolia (Compagnon blanc ou Chipôza-bourru en poitevin saintongeais!) appartient à la famille Caryophyllaceae, au côté de la Stellaire holostée ou de la Saponaire officinale par exemple, déjà croisées dans les pages du blog. A l'inverse de sa fausse jumelle aux fleurs rouges ou roses qui s'active en journée, le Compagnon rouge (Silene dioica), le Compagnon blanc préfère la vie nocturne: ce sont essentiellement les papillons de nuit qui assurent sa pollinisation, attirés par le parfum et le nectar que la Sauvage produit en plus grande quantité la nuit tombée.
La vie est tout de même une chose bien curieuse... Pour qui sait observer entre minuit et trois heures du matin.
(Le quai des brumes, Marcel Carné)
Jeune pousse de Compagnon blanc, Biard (86)
Les Silènes doivent leur nom à leur à leur calice renflé qui rend hommage au dieu grec Seilênos — père adoptif du truculent Dionysos — qu'on représente généralement avec un gros ventre. Une famille divine qui savait surement bien boire et bien manger, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit!
Calice velu du Compagnon blanc (Poitiers bords de Clain)
Notez que dans la famille des Silènes, c'est de loin le Silène enflé qui présente le plus grand tour de ceinture (Silène vulgaris, qu'on rencontrera essentiellement en terrain sec, et que les enfants transforment en pétard en éclatant le calice contre le dos de leur main)!
Un autre Silène: le Silène enflé au ventre gonflé comme un ballon de baudruche et aux jeunes feuilles glabres au goût de petit pois!
Moi, j’ai la vie dans mon ventre, alors que toi, t’as que des tacos pourris dans le bide.
(Juno, Jason Reitman)
Compagnon blanc — la sauvage noctambule aux fleurs blanches — et Compagnon rouge — la diurne aux fleurs rouges ou roses — sont deux vivaces peu regardantes quant à la nature du sol; leurs colonies sont toutefois plus éclatantes sur les terres riches en matière organique végétale.
Compagnon rouge (Silene dioica), un couche tôt qui préfère les rayons du soleil à ceux de la lune!
Si le Compagnon blanc préfère les sols calcaires, le Compagnon rouge se plaît d'avantage sur les sols siliceux, ce qui n'empêche pas les deux espèces de se rencontrer. Lorsque le soleil a rendez vous avec la lune, les hybridations ne sont pas rares: il peut en résulter une sorte de Compagnon à fleurs... Roses pâles!
Compagnon rouge (en haut à gauche), Compagnon blanc (en haut à droite) et hybride (en bas).
Silene Latifolia est une plante dioïque, c'est à dire qu'elle présente des pieds strictement mâles ou strictement femelles. A partir de mai, ce sont les étamines proéminentes qui nous permettent de distinguer les messieurs.
A gauche, fleur femelle du Compagnon blanc: 5 pétales échancrés entourant 5 styles recourbés. A droite, fleur mâle: 5 pétales échancrés entourant 10 étamines dressées.
Les dames quant à elles affichent en leur centre cinq styles recourbés et un calice nettement plus renflé. Leur «ventre dodu» renferme les graines et les générations futures en fin de floraison; la capsule dentée peut, lorsqu'elle est sèche, servir à confectionner un sifflet pour les enfants... A moins que les chenille des Noctuelles (Hadena sp.), qui aiment s'y cacher, ne l'aient croqué entre temps!
Capsule à 10 dents du Compagnon blanc, Poitiers bords de Clain
Les voies de la nuit (et surtout celles de la génétique) étant impénétrables, il existe également des pieds de Silene latifolia hermaphrodites qui mêlent pistil et étamines dans leur ventre. Ces spécimens sont capables d'enfanter avec n'importe quel pied autour d'eux, mâle ou femelle, mais restent de piètres reproducteurs, ce qui explique sans doute leur rareté.
Feuilles du Compagnon blanc: opposées, sessiles, poilues, lancéolées et ondulées.
Le taux de saponines (des substances qui permettent aux végétaux qui les produisent de se protéger contre les insectes et les maladies) de Silene latifolia augmente progressivement au fur et à mesure de la croissance: si les jeunes pousses peuvent éventuellement être considérées comme comestibles, les pieds les plus avancés deviennent potentiellement toxiques. A cause de leur teneur en saponines, les parties souterraines de Silene latifolia ont parfois été utilisées pour confectionner savon ou lessive, même si c'est généralement sa consœur Saponaire officinale (Saponaria officinalis) qu'on préférait pour cet usage. Prêts pour une virée nocturne? A vos lampes de poche!
Pour aller plus loin:
- Silene latifolia : identification assistée par ordinateur
- Silene latifolia sur Tela-botanica
- Silene dioica : identification assistée par ordinateur
- Silene dioica sur Tela-botanica
- Silene vulgaris : identification assistée par ordinateur
- Silene vulgaris sur Tela-botanica
Un autre Silène, habitué des talus herbeux et rocailleux, nommé le Silène penché (Silene nutans) à cause de ses fleurs inclinées en panicule unilatérale.
Carte postale de vacances : Silène à une fleur ou Silène maritime (Silene uniflora), un Silène au port prostré des rivages ouverts et sablonneux de la côte Atlantique.
Grande Mauve, bord de champs à Biard (86)
Malva sylvestris (Grande Mauve ou Fouacé en poitevin saintongeais), fait office de reine du bal dans le clan qui porte son nom, Malvaceae. Mauve est la couleur de ses fleurs; mais difficile de dire qui de la couleur ou de la fleur donna son nom à l'autre, tant la Sauvage est emblématique et choyée par l'homme depuis toujours...
Fleur à 5 lobes échancrés de la Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
Malva sylvestris est une vivace (qui se comporte souvent en bisanuelle sous nos latitudes), dont les fleurs s'ouvrent entre mai et la fin de l'été. La belle passe difficilement inaperçue: sa tige et ses rameaux poilus peuvent dépasser le mètre de hauteur sur un sol propice.
Grande Mauve, Poitiers bords de Boivre
L'ancien nom latin de Malva sylvestris était Omnimorbia, c'est à dire «toutes les maladies»: ses propriétés adoucissantes étaient connus de tous. Ses fleurs et ses feuilles (fraîches ou séchées), en infusion ou en gargarisme, apaiseraient les inflammations comme les toux sèches, les gorges enrouées ou les aphtes. Appliquées en compresse, elles soulageraient panaris, furoncles ou hémorroïdes...
Princesse, t’es tellement douce que même le sel à le gout du sucre avec toi.
(Boulevard de la mort, Quentin Tarentino)
Bref, Malva sylvestris est une caresse rafraîchissante pour le corps qui souffre, mais pas seulement: Pythagore recommandait la tisane bleue à ses élèves pour adoucir les passions et pacifier l'esprit! Pour certains historiens, Malva viendrait d'ailleurs du grec malasso qui signifie «ramollir» ou «adoucir». Les grecs, puis les romains, la considéraient comme une plante sacrée apte à élever les âmes vers la lumière, sans doute inspirés par la faculté de la Sauvage à tourner ses fleurs vers le soleil.
Dire que Malva Syvestris est une plante comestible est une litote... Il serait plus juste de la considérer comme un véritable légume tant elle a été cultivée et consommée depuis les temps préhistoriques! Arabes, chinois, européens l'ont mangée crue en salade, cuite en soupe, en farce ou en ragoût. Elle est riche en sels minéraux, vitamines A, B1, B2 et C, en protéines complètes, en fer et en calcium.
On préfère généralement les fleurs et les jeunes feuilles, car ces dernières en vieillissant feront d'avantage sentir la qualité mucilagineuse (visqueuse et humidifiante) de la Sauvage... Tout le monde n’apprécie pas, mais c'est une particularité utile en cuisine: les parties aériennes de Malva sylvestris (ou une décoction des parties souterraines) peuvent épaissir un velouté ou une crème maison (en lieu et place de produits industriels de type Maïzena).
Les jeunes fruits circulaires (surnommés les «fromages» à cause de leur forme, pas de leur goût) sont tendres et se grignotent en salade (après les avoir débarrassés de leurs calices).
«Fromage» (fruit, un schizocarpe) de la Grande Mauve,
Poitiers quartier Chilvert
Sa culture aisée devrait nous inciter à la réintégrer dans les potagers, à l'image des romains qui préféraient garder la belle à portée de ciseau au fond de leurs jardins plutôt que de lui courir après à travers la campagne.
«Con un huerto y un malva hay medicina para un hogar» (Un jardin potager et de la Mauve constituent des remèdes suffisants pour un foyer)
(Maxime populaire espagnole)
Dans un cornet constitué d'un double calice, des pétales enroulés comme une glace à l'italienne: une signature de la famille des Malvacées (Grande Mauve, Poitiers)
Si les Anciens estimaient la Grande mauve comme apte à élever les âmes vers la lumière, deux papillons de nos régions ont bien compris que la Sauvage pouvait aussi aider leurs chenilles à s’envoler vers le ciel une fois leur métamorphose réalisée! Car la Grande mauve est aussi le garde-manger larvaire de l’Hespérie de l’alcée (ou Grisette, Carcharodus alceae) et de la Belle dame (Vanessa cardui).
Hespérie de l’alcée, Migné-Auxances (86)
A vrai dire, nos deux papillons n'ont pas que la Sauvage comme casse-croûte. En effet, l’Hespérie de l’alcée s’intéresse également à d’autres membre du clan Malvaceae (telle la Mauve musquée, Malva moschata) tandis que la Belle dame disperse ses œufs sur pas moins de... 70 espèces de plantes appartenant à 8 familles végétales!
Belle Dame, forêt de Vouillé (86)
Pour aller plus loin:
- Malva sylvestris sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
- La Grande Mauve à travers l'histoire, un article du blog Books of dante
Bourrache officinale, Poitiers quartier Chilvert
Borago officinalis (Bourrache officinale ou Borage en poitevin-saintongeais) fait office de chef de clan chez les Boraginaceae, dont les membres affichent souvent un système pileux très développé (Consoudes, Buglosses, Vipérines, Myosotis...)! Son nom viendrait du latin burra, la «burre», une étoffe en laine grossière qui habillait les moines: une référence à la texture de ses feuilles rêches, garnies de poils durs.
Bourrache officinale, Poitiers bords de Clain
Borago officinalis est une anuelle à croissance rapide. Elle aime l'eau, les sols riches en matière organique et les nitrates. Elle commence sa floraison dès que le pied atteint une quinzaine de centimètres (ce qui ne l'empêche pas de continuer à grandir ensuite): comme toute annuelle qui se respecte, la Sauvage vit dans l'urgence de la reproduction! En tout et pour tout, Borago officinalis est capable de fleurir 8 à 10 mois dans l'année...
Borago officinalis est une plante mellifère de première classe, au même titre que la Phacélie (Phacelia tanacetifolia) et la Vipérine (Echium vulgare), deux autres membres du clan Boraginaceae) semées par les apiculteurs pour booster la production. Les abeilles en raffolent, et c'est leur faire un beau cadeau que d'entretenir quelques pieds au jardin.
Fleur de Bourrache officinale: 5 sépales, une corolle bleu intense à 5 lobes, 5 étamines en cône autour du pistil. Une Sauvage qui se butine la tête en bas! (abeille solitaire, Anthophora sp.)
Borago officinalis est une célèbre comestible: elle a été (et est encore) cultivée pour ses feuilles, ses fleurs ou ses graines. Des études récentes révèlent pourtant la présence d'alcaloïdes hépatotoxiques (concentrés dans la feuille et les tiges) susceptibles d'augmenter les risques de tumeur au foie (de même que chez la Consoude). Certes, personne n'est jamais tombé raide mort en croquant la belle; n'empêche que la considérer comme un met inoffensif est discutable (disons qu'il faudrait aussi considérer qu'un verre de vin est complétement inoffensif). S'il n'y a pas de quoi la rayer définitivement des assiettes, il convient de ne pas faire de Borago officinalis un régime soutenu et régulier.
Feuilles hérissées de poils piquants de la Bourrache officinale: alternes, les supérieures sessiles et embrassantes, les inférieures ovales et longuement pétiolées (pétiole ailé).
La Sauvage a pourtant été cultivée en tant que légume dans bon nombre de pays d'Europe (Espagne et Pays-bas par exemple), même si elle constitue rarement un plat principal; elle est généralement utilisée en accompagnement ou en assaisonnement dans les recettes. Crue, en salade (gare aux poils piquants!), Borago officinalis présente un léger goût iodé (certains diraient un goût d'huitre) inimitable.
- C’est la dernière fois que j’achète des fruits chez toi Tom! C’est ce que tu appelles frais? Il y avait plus de petites créatures poilues dans tes fruits qu’il n’y avait de fruit. Tu devrais ouvrir une boucherie, pas une épicerie.
(Arnaques, crimes et botanique, Guy Ritchie)
Ses feuilles peuvent ainsi agrémenter une omelette ou une soupe (gardez à l'esprit leur relative toxicité)... On peut aussi les faire frire en beignet, salés ou sucrés (en Grande Bretagne, on en fait d'excellent desserts au miel). Quant aux fleurs, inoffensives et comestibles (vous pouvez vous lâcher), elles sont très en vogue dans les restaurants où elles décorent agréablement les plats!
Colonie de Bourrache officinale, Poitiers bords de Clain
Au fil de l'histoire, Borago officinalis s'est taillée une solide réputation de plante médicinale. Grecs et romains considéraient la Sauvage comme une source... De courage et de joie. Les fleurs de la plante, macérées dans du vin, étaient consommées pour se donner du baume au cœur avant la bataille, ou pour guérir les esprits mélancoliques. Certains auteurs rapprochent le nom Bourrache du celte barrach, «courage», peut-être parce que la Sauvage insufflait la bravoure à celui qui la mangeait ou la portait à sa boutonnière.
Borago officinalis a aussi été utilisée en médecine populaire pour soigner et adoucir la toux (peut-être à cause de sa richesse en mucilage lorsqu'elle est cueillie fraîche), ou pour ses pouvoirs sudorifiques (pour d'autres, c'est là que se trouve l'origine de son nom: abû araq — Bourrache — signifiant «père de la sueur» en arabe).
En usage externe, la Sauvage est aujourd'hui proposée sous la forme d'une huile (onéreuse) tirée de ses graines, qui présenterait des vertus adoucissantes, assouplissantes et revitalisantes... Bref, une caresse et un véritable élixir de jouvence pour la peau!
Est-ce parce qu'elle a l'air suspecte, mal rasée et un poil toxique que la Bourrache n'attire presque aucune chenille de papillon de jour? Allez savoir... Toutefois, nous avons dit «presque»: il arrive que notre sauvage régale la chenille du Petit Nacré (Issoria lathonia), même si elle est loin d'égaler les Violettes, largement préférées par le papillon. La Bourrache n'est ainsi pas souvent citée dans la littérature comme plante-hôte larvaire du Petit Nacré. En Provence, le fait est avéré mais il demeure rare («La vie des papillons» de Tristan Lafranchis, 2015). Dans l'ouest de la France, seules deux observations en 1897 et 1912 attestent cette «relation» entre Bourrache et Petit Nacré ! («La lettre de l'Atlas Entomologique Régional n°14», mars 2001).
Le Petit Nacré, ici sur une Centaurée (Centaurea sp), recto verso!
Pour aller plus loin:
- Identification assistée par ordinateur
-Borago officinalis sur Tela-botanica
Une Bourrache aux fleurs blanches comme neige? Les cas de dépigmentation ne sont pas rares chez les végétaux. Ce phénomène est peut-être dû à la mutation ponctuelle d’un des nombreux gènes qui participent à la synthèse des pigments et donc des couleurs des feuilles ou des fleurs.