Fleur de la Renoncule scélérate: gare au rire jaune!
Ranunculus sceleratus (Renoncule scélérate) appartient à la famille nombreuse Ranunculaceae, dont le nom viendrait du latin Rena, «grenouille», à cause de l'attrait pour l'eau de certains de ses membres. Tel est le cas de la Renoncule scélérate et de certaines de ses consœurs que nous avons déjà croisé sur Sauvages du Poitou, telles que la Ficaire (Ficaria verna), la Renoncule rampante (Ranunculus repens) ou le Populage des marais (Caltha palustris)... Autant de «Boutons d'or» qui ne craignent pas (voir raffolent) de la baignade.
Grenouille dans une autre vie, Renoncule scélérate dans celle-ci!
Mais ne faisons pas trop vite de toutes les Renonculacées des pirates: dans ce clan, l'originalité est de mise et les exceptions font la règle. Reste que la plupart d'entre elles se plaisent à jouer les empoisonneuses, et Ranunculus sceleratus excelle en la matière. Avec ses feuilles basales qui rappellent celles du céleri (certains l'appellent Renoncule à feuilles de céleri), la Sauvage est un piège redoutable pour le bétail comme pour l'apprenti cueilleur...
Tige creuse et feuilles à trois lobes de la bien nommée «Renoncule à feuilles de céleri»
- Je suis mort de rire!
- Si seulement c'était vrai...
(Hercule, Walt Disney)
Au Moyen Âge, Ranunculus sceleratus était plus connue sous le sobriquet de «Céleri du rire». Toxique, la belle n'a pourtant rien d'une blague: son ingestion peut provoquer des troubles neurologiques, cardiaques, respiratoires ou digestifs chez le bétail. Chez l'homme, elle provoque — entre autres réjouissances mortelles — une contraction de la bouche et des joues, imposant un sourire forcé au malheureux qu'elle empoisonne. Pour certains auteurs, Ranunculus sceleratus correspond à la plante assassine autrefois nommée Sardonia par les romains (pour d'autres, Sardonia pourrait être la terrible Oenanthe safranée, Oenanthe crocata, ou plus simplement la Renoncule sarde, Ranunculus sardous), d'où serait tirée l'expression «rire sardonique», un rire marqué par la douleur qui suscite plus l’horreur qu'une franche partie de rigolade.
Appliquée longuement sur la peau, Ranunculus sceleratus peut provoquer des cloques. A l'image d'une autre Renonculacée bien connue, la Clématite vigne blanche (Clematis vitalba), la Renoncule scélérate fut utilisée jadis par les mendiants pour s'infliger des ulcérations afin de susciter la pitié des badauds; elle aussi fut surnommée l'«Herbe aux gueux». Notez que la nature est bien faite: s'il vous prenait l'envie folle de la brouter, son âcreté vous brûlerait probablement la langue avant que la Sauvage ne vous transforme en un triste clown. De même pour le bétail qui boude généralement — et heureusement — ses fleurs fraiches (la Sauvage perd sa toxicité une fois coupée et séchée dans les foins). On rapporte qu'un certain Dr. Krapf, alors médecin d'un Duc de Toscane, en fit jadis lui même la périlleuse expérience:
«Après avoir mâché des feuilles, il éprouva d'abord une salivation abondante : bientôt sa langue s'enflamma, s’écorcha, son extrémité était crevassée, elle ne recevait plus l'impression des saveurs; les dents agacées étaient douloureuses et les gencives gonflées de rouge saignaient au moindre attouchement.» (Dictionnaire des sciences médicales, tome 47)
Ce même Dr. Krapf poussa l'exploration jusqu'à avaler une fleur entière à la fin d'un bon dîner. Faute de se poiler, l'homme de science éprouva quelques symptômes forts désagréables:
«Il ne tarda pas à ressentir en divers endroits du bas-ventre des douleurs des plus incommodes, et d'une nature inexprimable, mais qui se faisaient sentir très vivement; un quart d'heure après, il eut un léger évanouissement et des mouvements convulsifs de longue durée dans l'intérieur du bas-ventre.» (Histoire des plantes vénéneuses de la Suisse, M. le Baron de Haller)
Pour la petite histoire, le médecin poussa la bouchon jusqu'à ingérer quelques gouttes du suc de la plante qui le laissèrent dans un état pire que les précédents. Après quoi, c'est son chien qui continua malgré lui ces douloureuses expérimentations.
Petites fleurs jaunes de la Renoncule scélérate, Poitiers bords de Boivre
Je suis une fosse à purin... Non, pire que ça: je suis la pourriture qui se nourrit de la fosse à purin.
(Le mariage de mon meilleur ami, P.J. Hogan)
Reste le plaisir de la contemplation, qui ne devrait pas nous convulser les yeux: Ranunculus sceleratus est une annuelle qui pointe ses jolis boutons d'or entre avril et septembre. Plutôt présente en Poitou (à l'exception de la Charente) comme dans le nord du pays, les colonies de la Sauvage se font plus parsemées dans la moitié sud; elle est même une rareté en région Rhône-Alpes où elle bénéficie d'un statut de protection. Ranunculus sceleratus affectionne tout particulièrement les eaux riches en matière organique animale: les mares, les fossés, les rigoles où se déversent purins, lisiers... Une fosse septique ou une station d'épuration sont pour elle des lieux de villégiature. Reste-t-il encore un drôle qui rêverait d'en faire sa salade?
Pour aller plus loin:
- Ranunculus sceleratus sur Tela botanica
Fruits (akènes) de la Renoncule scélérate, comme autant de fous rires à venir.
Tabouret perfolié, Poitiers bords de Clain
Microthlaspi perfoliatum (Tabouret perfolié) appartient à la famille Brassicaceae (ex Crucifères), dont les membres présentent des fleurs à quatre pétales «en croix». Le port du Tabouret perfolié nous évoquera probablement d'autres Sauvages discrètes et urbaines de ce clan: Cardamine hérissée (Cardamine hirsuta), Draves (Draba verna ou Draba muralis), Capselle bourse-à-pasteur (Capsella bursa-pastoris), Arabette des dames (Arabidopsis thaliana)...
Tabouret perfolié, Poitiers bords de Boivre
Comme ses consœurs, Microthlaspi perfoliatum présente des fruits secs caractéristiques, les siliques (dans le cas du Tabouret perfolié, on parlera plutôt de silicules, celles-ci étant plus larges que longues), qui sont un critère d'identification important chez les Brassicacées. Chaque membre de ce clan affecte une forme géométrique particulière: circulaire, linéaire, recourbée, en poire, triangulaire...
Pour sa part le Tabouret perfolié dresse sous ses petites grappes de fleurs des silicules arrondies et échancrées à leur extrémité (qu'il s'agit de ne pas confondre en milieu urbain avec les silicules triangulaires et échancrées de la Capselle bourse-à-pasteur, Capsella bursa-pastoris). Des fruits en forme de cuillère pour certains ou d'écus pour d'autres: le Tabouret se nomme Pennycress en anglais, qu'on pourrait traduire par «salade aux centimes».
Les cuillères (silicules) du Tabouret perfolié à gauche, les spatules de la Capselle bourse-à-pasteur à droite : attention à ne pas se mélanger les couverts!
Microthlaspi perfoliatum est une annuelle qui affectionne les milieux arides et calcaires: les vignes, les prairies sèches, les vieux murs, les friches urbaines... Notre Sauvage est précoce et pré-printanière: en un temps béni des botanistes où chaque jour du calendrier portait un nom de fleur plutôt qu'un nom de martyr (voir calendrier républicain), Thlaspi était d'ailleurs le nom du 21ème jour du mois de Pluviôse (correspondant au 9 février pour cette année 2018 de notre calendrier Grégorien).
- Comment il était petit?
- Petit. Très petit. Du moins par rapport à moi.
(Le Grand Bleu, Luc Besson)
Le Tabouret perfolié présente un port modeste (inférieur à 20 cm) ainsi que des fleurs minuscules (environ 3mm), comme en atteste son nom de genre, Microthlaspi, qui trouve ses origines dans le grec micro, «petit», et thlaein, «aplatir» (une allusion à ses fruits plats). Quant aux feuilles caulinaires du Tabouret perfolié, elles ne sont pas perfoliées, mais embrassantes. Vous avez donc botaniquement le droit de surnommer notre Sauvage le «Petit Tabouret à feuilles embrassantes»!
Rosettes basales et feuilles caulinaires embrassantes, entières ou dentées, du Tabouret perfolié
La famille... C'est le sujet tabou!
(Les visiteurs, Jean-Marie Poiré)
Si le Tabouret perfolié est le spécimen le plus commun parmi les nombreux Tabourets (en tout cas pour le Poitou, où nous n'avons guère l'occasion de croiser le Tabouret des champs, Thlaspi arvense), le genre Thlaspi (l'ancien genre de notre Microthlaspi perfoliatum) reste éminemment labyrinthique. Ses représentants sont régulièrement brassés ou reclassés vers d'autres genres proches (Noccaea, Iberis...), quand ils ne disparaissent pas ou ne donnent pas naissance à de nouveaux taxons. Aux dernières nouvelles, il se pourrait même que le Tabouret perfolié cache derrière ses chromosomes deux taxons de haut rang, pourtant guère différenciables à l’œil nu... Un imbroglio génétique qui nous rappelle que la botanique est une science tentaculaire, vivante — à l'image de son sujet d'observation — et que les certitudes y ont autant leur place qu'une bombonne de Roundup au jardin!
Pour aller plus loin:
- Microthlaspi perfoliatum sur Tela-botanica
Colonie de Tabouret perfolié, Poitiers bords de Clain
Le swag est un anglicisme qui renvoie à ce qui a belle allure. Avoir du swag, c'est avoir la classe, mais pas seulement à Dallas — l’intérêt resterait limité pour nous vu que pas grand chose n'y pousse —, mais partout et surtout ici, sur le pas de notre porte et dans nos jardins. Car la «mauvaise herbe» (braves gens, braves gens) a le swag, ce je ne sais quoi de raffiné qui ferait passer un défilé de haute couture pour une course en sacs. Et il ne s'agit pas seulement d'apparences flatteuses: chez les Sauvages, l'élégance est un art total. L'attitude et les mœurs impressionnent tout autant que la dégaine. Alors ne cherchez pas d'autres sources d'inspiration pour booster votre propre potentiel de swag au jardin: plutôt que de les arracher, mettez vous sans plus tarder à quatre pattes et admirez la leçon de savoir vivre de ces cinq dandys libres et printaniers.
- Alors comme ça tu as été élu l’homme le plus classe du monde! Laisse-moi rire! (...) La classe, c’est d’être chic dans sa manière de s’habiller...
- Excuse-moi de te dire ça mon pauvre José, mais tu confonds un peu tout. Tu fais un amalgame entre la coquetterie et la classe: tu es fou.
(La classe américaine, Michel Hazanavicius et Dominique Mezerette)
5 - Herbe-à-Robert: un swag diabolique.
Pendant que certains courent les jardineries à la recherche de Pélargoniums exotiques et colorés (étiquetés sous le nom de «Géraniums»), nos véritables Géraniums sauvages et locaux continuent d'être considérés comme de la mauvaise graine, quand ils ont la chance d'être considérés. Ils n'ont pourtant rien à envier aux monstres horticoles (si ce n'est que leur port est plus discret), et leur grande variété enchantera l'apprenti botaniste en quête de défis. En tête de ce gang, l'Herbe-à-Robert (Geranium robertianum) fait partie du cortège printanier qui rôde autour des habitations. En situation très exposée, l'Herbe-à-Robert — que certains surnomment la Fourchette du diable à cause de ses duos de fruits pointus — pigmente son feuillage tout en dentelle d'une coloration rouge vermillon, diaboliquement swag!
2 - Pâquerette, éternellement swag.
Bellis perennis (Pâquerette), littéralement la «beauté éternelle», a réussit là où ses consœurs sauvages astéraceées ont échoué: la modestie de son port et l'apparente simplicité de ses inflorescences remportent la plupart des suffrages. Alors que la moindre rosette de Pissenlit ou de Porcelle provoque des sueurs froides aux amateurs de pelouses en plastique, la Pâquerette suscite généralement tendresse et indulgence. Derrière sa candeur se cache pourtant une grande sophistication : ses inflorescences (des capitules) regroupent une multitudes de fleurs minuscules (des fleurons), jaunes et tubulaires en son centre, blanches et allongées comme des pétales à la périphérie. Capable d'adapter leur port en fonction du passage des tondeuses, les colonies de Pâquerettes fleurissent une grande partie de l'année, mais explosent surtout en une manifestation éclatante autour des fêtes de Pâques: un swag quasi biblique.
1 - Lamier pourpre: je suis swaggy!
S'il est une Sauvage qui mérite d'être célébrée dans les jardins et les potagers, c'est bien le Lamier pourpre (Lamium purpureum): la lamiacée offre ses lèvres nectarifères très tôt dans la saison (dès février), une aubaine pour les butineurs au sortir de l'hiver. Ses colonies les plus fournies assurent une couverture salutaire pour les sols en attente de culture. En invité discret, la Sauvage s'efface finalement à l'heure des premiers semis... Pour ne rien gâcher, le Lamier pourpre est d'une beauté à faire baver un caillou. Bref, ne dites plus swag: dites Lamier.