Fleur de l'Aigremoine eupatoire, Marçay (86)
Agrimonia eupatoria (Aigremoine eupatoire ou Grimoine en poitevin saintongeais) appartient à prestigieuse famille des Rosaceae, celle des Roses bien sûr (on en compte plus de 40.000 variétés!), mais aussi celle des Framboisiers, des Mûriers, des Pommiers et autres géants producteurs de fruits: les Rosacées fournissent l'essentiel des fruits consommés par l'homme en zone tempérée. Leurs fleurs affichent souvent (ce n'est pas une règle absolue) cinq pétales et cinq sépales. Leurs feuilles alternes et généralement stipulées sont souvent composées et dentées. L'Aigremoine, faute de réjouir les amateurs de confitures, affiche fièrement ses armoiries familiales avec ses fleurs jaunes à cinq pétales, presque sessiles (en réalité très courtement pétiolées), réunies en grappes allongées et ses feuilles imparipennées profondément dentées.
Feuilles imparipennées de l'Aigremoine eupatoire, à 5-9 folioles ovales-lancéolés, profondément dentés, entremêlés de segments plus petits.
L'Aigremoine eupatoire est une vivace qui dresse ses grappes (30 à 60cm de hauteur) dans les prairies sèches, les taillis, les bords de route et de chemins en été (commune sur le territoire français, la belle se fait plus rare sur le pourtour méditerranéen).
Pour fuir la fournaise au ras du sol en été, rien de tel que de grimper sur un brin d'Aigremoine eupatoire!
L'Aigremoine doit peut-être son nom à son affection pour les friches, agrios étant le «sauvage» en grec et monias le «solitaire». Si l'Aigremoine est assurément un(e) Robinson(ne) des terrains vagues, l’étymologie de son nom mérite bien quelques paragraphes supplémentaires, tant la belle a déjà fait couler d'encre au cours de l'histoire...
Aigremoine eupatoire et Carotte sauvage (Daucus Carotta) méli-mélo: quand la nature fait de l'Ikebana.
Selon certains auteurs, c'est au souverain Mithridate VI Eupator (132-63 av.J.-C.) que l'Aigremoine emprunterait son nom d’espèce: eupatoria. On raconte que Mithridate consommait régulièrement diverses substances toxiques, à petite dose, afin de développer une résistance à l'égard tentatives d'empoisonnement sur sa royale personne. Bien sûr, Mithridate s'intéressait aussi aux antidotes: plusieurs Sauvages ont hérité du nom du roi botaniste, à l'image de notre Aigremoine eupatoire ou de l'Eupatoire à feuilles de chanvre (Eupatorium cannabinum), déjà croisée dans les pages de Sauvages du Poitou. Autant de plantes à qui l'on prêtait autrefois des vertus anti venin plutôt fantaisistes.
Au-delà de la légende du «Roi des poisons», eupatoria n'est peut être qu'une variation autour du grec hêpar désignant le foie, la Sauvage étant jadis prescrite pour remédier aux troubles hépatiques... Quant à son nom de genre, Agrimonia, il pourrait aussi évoquer une «taie de l’œil» en grec (une taie est une tâche qui se forme sur la cornée), l'Aigremoine ayant été citée dans des médications visant à soigner certaines affections oculaires.
Difficile de démêler le vrai du malentendu (je vous recommande sur ce sujet l'enquête du site Books of dante, voir lien en bas de page), mais l'Aigremoine eupatoire reste une médicinale indétrônable des manuels de médecine populaire et de phytothérapie. On lui prête plus sérieusement des qualités astringentes, cicatrisantes, antidiarrhéiques, antidiabétiques... Aujourd'hui encore, les sommités fleuries de l'Aigremoine eupatoire sont inscrites à très officielle «liste A de la pharmacopée française». Attention toutefois: une espèce jumelle moins commune, l'Aigremoine odorante (Agrimonia procera), ne présente nulle vertus médicinales connues, les deux espèces pouvant s'hybrider à l'occasion.
Fruits crochus de l'Aigremoine eupatoire (des akènes enveloppés dans les restes du calice) qui agrippent les poils et les vêtements des animaux de passage pour dissémination (zoochorie); ceux de l'Aigremoine odorante présentent des crochets extérieurs réfléchis vers la tige à maturité.
Elle est rugueuse votre tisane...
(Le Gendarme et les Extra-terrestres, Jean Girault)
Moins connue, l'utilisation de l'Aigremoine eupatoire à des fins tinctoriales permet de donner aux laines ou au coton une couleur d'or dite «nankin», quelque part entre l'abricot et le chamois: un doré tout à fait royal, disons... Eupatorien!
Aigremoine eupatoire: une ligne élégante tracée à l'encre d'or!
Pour aller plus loin :
- Agrimonia eupatoria sur Tela-botanica
- Agrimonia eupatoria : identifications assistée par ordinateur
- Agrimonia eupatoria à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
Aigremoine eupatoire, Poitiers bords de Boivre
Fleurs du Lychnis fleur de coucou, Poitiers bords de Boivre
Lychnis flos-cuculi (Lychnis fleur de coucou) appartient à la famille Caryophyllaceae, celle des Œillets, des Saponaires, des Silènes ou des Stellaires... Autant de nymphes aux fleurs (le plus souvent disposés en cymes bipares) élégamment découpées, comme si les belles s’apprêtaient à se rendre au bal des Sauvages. Pour le Lychnis fleur de coucou, on pourrait parler d'un mariage princier plutôt que d'un bal de fin de saison. Le promeneur appréciera la couture soignée de ses cinq pétales divisés en quatre étroites lanières, deux principales et deux plus fines; un joli coup de ciseau de la part de Dame Nature.
Quand les prétendants bourdonnent au bal du Lychnis fleur de coucou!
Si j'avais une belle robe rouge comme toi, je pleurerais surement pas.
(L'homme qui aimait les femmes, François Truffaut)
Notez que pour les anglophones, la Sauvage s'appelle Ragged-robin, un nom évoquant plutôt un Robin (Robin des bois, mais aussi un Rouge-Gorge) vêtu de lambeaux. Entre la robe de soirée et les haillons déchirés d'un bandit au grand cœur, à vous de choisir le poème qui vous aidera à vous souvenir de l'identité de notre joli spécimen.
Feuilles opposées, embrassantes, oblongues lancéolées à la base, lancéolées linéaires au sommet du Lychnis fleur de coucou.
Mais revenons à notre latin. Le Lychnis fleur de coucou emprunte son nom scientifique au grec luchnos, la «lampe». Au vu de ses atouts, on pourrait penser à la couleur éclatante de sa floraison. On raconte qu'on aurait jadis confectionné des mèches de lampes à partir de ses feuilles (c'est probablement d'autres espèces proches qui ont servis à cet usage)... A moins que ce ne soit à cause de ses fruits, des capsules qui rappellent à certains auteurs la forme d'une vieille lanterne.
Capsule dentée du Lychnis fleur de coucou, un phare dans la prairie humide?
Le Lychnis fleur de coucou est une vivace locataire des prairies humides. Comme d'autres fleurs portant le sobriquet de «Coucou», il pointe à partir d'avril ou mai, lorsque le Coucou (l'oiseau squatteur de nid) rentre chanter en Europe après sa grande tournée asiatique ou africaine.
- Qu'est ce qui s'est passé? Ça va?
- Il m'a bavé dessus...
- Mais c'est génial!
(SOS Fantôme, Ivan Reitman)
Il n'est pas rare d'observer sur les tiges de notre Sauvage des amas de mousse blanche, qu'on surnomme «crachat de Coucou» (on peut observer ce genre de phénomène sur toute sorte d'autres plantes), comme si l'oiseau migrateur avait eut plaisir à marquer de sa salive l'une des fleurs portant son nom. Il s'agit en réalité de la maison d'une larve d'une Cicadelle écumeuse — un petit insecte proches des Cigales (il en existe de nombreuses espèces) — qui suce la sève des plantes, sans toutefois leur causer de grands dommages. Via des glandes salivaires situées dans son abdomen, cette larve produit une mousse qui la recouvre et la protège des prédateurs comme des aléas de la météo... Et voilà un partenaire de plus pour notre reine du bal qui a décidément l'art de faire baver ses prétendants!
«Crachat de Coucou» (larve d'une Cicadelle écumeuse sur Lychnis fleur de coucou)
Pour aller plus loin :
- Lychnis flos-cuculi sur Tela-botanica
- Lychnis flos-cuculi : identification assistée par ordinateur
- Les Cicadelles écumeuses sur le site insectes-net.fr
Lychnis fleur de coucou, Poitiers bords de Boivre
Lampsane commune sur le macadam, Poitiers quartier gare
Lapsana communis (Lampsane commune ou Géline en poitevin-saintongeais) appartient au vaste clan Asteraceae, la famille des fleurs à capitules (une inflorescence fournie qui prend l'apparence d'une grosse fleur unique). La Sauvage adopte dès l'été une dégaine très citadine, le style «Pissenlit» (Taraxacum sect. Ruderalia), avec ses capitules jaunes entièrement composés de fleurons ligulés jaunes (comprenez de petites fleurs en forme de languettes). Elle rejoint donc le célèbre gang à pompons jaunes des Séneçons (Senecio vulgaris, Jacobaea vulgaris), des Laiterons (Sonchus sp), des Picrides (Picris hieracioide, Helminthotheca echioides) ou autres Laitues (Lactuca sp)...
Feuilles inférieures lyrées (lobées, avec un lobe terminal beaucoup plus grand que les autres) de la Lampsane, une bonne piste pour la reconnaître.
La Lampsane est une annuelle qui affectionne les sols enrichis en azote (amendements excessifs, pollution...). Ses colonies se ressèment très efficacement (un pied peut produire de 500 à quelques dizaines de milliers de graines) dans les jardins, les zones de friches, les bords de route, les parcs ou les bois près des ville...
Capitule de Lampsane, Poitiers bords de Boivre
A moins d'élever des lapins (qui raffolent de ses feuilles) et des poules (qui se régalent de ses graines, à tel point que la Sauvage est parfois surnommée Poule grasse), la Lampsane peut prendre ses aises au jardin de manière spectaculaire, la belle pouvant atteindre un bon mètre de hauteur.
Toute annuelle qu'elle est, le botaniste Gérard Guillot (Guide des plantes des villes et des villages chez Belin) note qu'on observe parfois quelques spécimens vivaces de Lapsana communis. Ces derniers seraient des reliques de cultures anciennes (des variétés sélectionnées par l'homme), la Sauvage étant autrefois domestiquée dans les potagers, probablement depuis les temps préhistoriques.
Les fruits (akènes) de la Lampsane ne possèdent pas d'aigrettes, ces petites soies chères aux Astéracées qui permettent à leurs semences de s'envoler... Une inaptitude au vol qui n'empêche pas la Sauvage de se ressemer efficacement et abondamment.
Il faut dire que la Sauvage en a sous la feuille: tout d'abord, la Lampsane est une bonne comestible, même si elle gagne en amertume avec l'âge, une caractéristique que l'on retrouve chez nombre d'Astéracées (Pissenlit, Laitues...). En salade, on préférera les jeunes rosettes aux vieux pieds, plus fournis mais amers (leur amertume est moindre après cuisson).
Lampsane commune, Poitiers bords de Boivre
La Lampsane est surtout une célèbre médicinale, réputée diurétique (son nom viendrait du grec lapadzo, littéralement «je purge») et antidiabétique. A la fin des années 90, une étude pharmaceutique lui reconnait pas moins de 40 constituants chimiques (sans dangers pour la consommation humaine), dont les fameuses lactones que renferme le latex de plusieurs Astéracées, en partie responsable de leur amertume. Leur éventuel usage thérapeutique reste à défricher, mais nul doute que la Lampsane est loin de nous avoir livré tous ses secrets...
- T'as de sacrés beaux seins toi, j'aimerais bien avoir les mêmes... Les miens à côté c'est Laurel et Hardy!
(La Soupe aux choux, Jean Girault)
Surnommée Herbe-aux-mamelles (Nipplewort en anglais), la Sauvage était autrefois (parfois encore aujourd'hui) utilisée en cataplasme pour soigner les engorgements, les congestions et les crevasses des seins des mères et des nourrices. Pour certains auteurs, c'est à la bonne vieille théorie des signatures que l'on doit cette croyance ancienne, les capitules (ou plus exactement les jeunes boutons formés par les capitules sur le point de s'ouvrir) pouvant rappeler des mamelons.
Jeune boutons floraux de Lampsane: il fallait avoir l'esprit drôlement placé pour y voir une grappe de mamelons, mais les naturalistes ont généralement l'esprit drôlement placé!
Pour aller plus loin:
- Lapsana communis sur Tela-botanica
- Lapsana communis : identification assistée par ordinateur
Chez la Lampsane, la ponte d’une petite guêpe spécifique (Timaspis lampsanae) peut provoquer un renflement sur la tige (une «galle»), dans lequel se cachent et se nourrissent les larves de l’insecte.