Muscari à toupet, Biard Petit Mazay (86)
Muscari comosum (Muscari à toupet) appartient à la famille Asparagaceae (ex Liliaceae) dans les classifications récentes, le clan des Asperges, mais aussi de la Dame d'Onze heures, du Muguet de mai ou du Fragon déjà chroniqués dans les pages de Sauvages du Poitou. Les Muscaris doivent leur nom au Muscari musqué (Muscari macrocarpum), une Sauvage moitié turque, moitié crétoise, dont les fleurs jaunes et pourpres dégagent une odeur de «musc». Mais malgré son patronyme, notre Muscari à toupet ne dégage aucun parfum.
L'incroyable danse des Muscaris à toupet, Biard aéroport (86)
Muscari comosum trouve également ses origines autour du bassin méditerranéen (Turquie, Iran...). La Sauvage en garde un goût prononcé pour la lumière, les sols riches, sablonneux et bien drainés. En France, c'est une locataire des plateaux calcaires et des bords de routes baignés de soleil où elle plante ses bulbes (elle est vivace).
Épis de fleurs du Muscari à toupet, entre authenticité et contrefaçon végétale...
Entre fin du printemps et début de l'été, l'inflorescence à nulle autre pareille du Muscari à toupet mélange fausses fleurs violettes hérissées (stériles) à son sommet et fleurs fertiles, aux couleurs plus ternes, disposées en grappes lâches en dessous.
Comosum est la «chevelure» en latin: si la Sauvage se coiffe avec un pétard, c'est sans doute pour augmenter ses chances d'attirer les butineurs qui trouveront finalement le précieux nectar dans ses fleurs fertiles, plus discrètes.
Le Muscari à toupet est une monocotylédone qui présente de longues feuilles linéaires, repliées en gouttière. Avant floraison, ses feuilles s'étalent mollement sur le sol, formant un méli-mélo de boucles serpentiformes, ce qui lui vaut le surnom d'Ail-à-la-Serpent en poitevin-saintongeais.
Feuilles linéaires repliées en gouttière du Muscari à Toupet
À l'image de certaines Liliacées (sa famille dans la classification classique) comme l'oignon, l'ail ou l’échalote, les bulbes du Muscari à toupet sont comestibles après cuisson. Ébouillantés dans de l’eau vinaigrée, ces petits «oignons sauvages» sont salés, poivrés et mis en bocal dans de l'huile d'olive. Ainsi, les «lampascioni» (littéralement les «petites torches») sont des condiments incontournables de la cuisine italienne (région des Pouilles) où ils accompagnent les viandes. Malheureusement, les colonies de Muscaris à toupet que j'observe en Poitou sont peu denses. Tenter une récolte leur serait préjudiciable, mieux vaut se rabattre sur une épicerie italienne qui nous fournira des bulbes issus des cultures!
- Je parie que tu es super jolie les cheveux détachés.
- Mais ils sont détachés...
(Jackpot, Tom Vaughan)
On peut croiser dans les mêmes milieux un autre Muscari, un poil plus précoce dans la saison, aux feuilles filiformes et à la floraison nettement moins spectaculaire: le Muscari à grappes (Muscari neglectum; attention, il existe d'autres espèces proches, c'est un genre assez subtil).
Le discret Muscari à grappes (Biard, 86)
Ici, pas de punk attitude, juste une petite grappe de fleurs violettes dégageant une légère odeur de prune... Très loin de l'extravagance d'un Muscari comosum 'plumosum', un cultivar monstrueux du Muscari à toupet issu de l'horticulture, dont l'inflorescence explosive (entièrement stérile) ferait passer les membres du groupe The Cramps pour un boys band d'opérette!
Fruits (capsules) du Muscari à toupet en juin, Biard Petit Mazay (86)
Pour aller plus loin:
- Muscari comosum: identification assistée par ordinateur
- Muscari comosum sur Tela-botanica
- Muscari neglectum: identification assistée par ordinateur
- Muscari neglectum sur Tela-botanica
- Lampascioni, des bulbes mangés dans les Pouilles
Mélitée du Plantain (Melitaea cinxia) sur Muscari à toupet: on frôle la crise d'épilepsie devant tant de couleurs!
Les botanistes sont souvent passés maîtres dans l'art de ranger. Non pas qu'il soient devenus des champions de Tetris à force de remplir des herbiers, mais plutôt parce que l'approche naturaliste repose beaucoup sur la reconnaissance de ce qui ressemble (on range dans le même tiroir) et de ce qui diffère (c'est le moment d'ouvrir un nouveau tiroir!).
Jusqu'en 1998, la classification dite «classique» des végétaux se basait sur les particularités morphologiques évidentes des plantes (ce qui reste une approche très pertinente sur le terrain). Après cette date, c'est une classification dite «phylogénétique» qui prend le relais (APG): l'approche génétique permet de prendre en compte les liens de parenté entre les végétaux au delà de leur apparence, et de mieux comprendre leur histoire. Cette classification moderne fut révisée, ou plutôt affinée, en 2003 (APG II), en 2009 (APG III) puis en 2016 (APG IV)... Nul doute qu'elle le sera encore à l'avenir!
Mille pardons, messer. Je devais effectuer un léger changement à mon blason afin qu’on ne me confonde pas avec mon méprisable cousin.
(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Bref, classer les plantes revient en quelque sorte à tracer des arbres généalogiques, à déterminer qui ressemble à qui, qui est parent avec qui, à étudier les traits propres (les «armoiries») de chaque lignée de Sauvages.
A chaque Sauvage correspond une espèce. Les membres d'une même espèce se ressemblent comme deux gouttes d'eau et sont interféconds entre eux. Les espèces sont regroupées en genres. Les membres d'un même genre affichent aussi des traits communs évidents, quoique plus lointains. Leurs similitudes rend toutefois les hybridations possibles. Les genres sont regroupés en familles, puis les familles en ordres, etc.
Je me souviens de votre père racontant autour d’un feu de camp comment sa maison avait obtenu son blason...(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Je veux de nouveau sentir le vent dans mes cheveux!Les membres de cette famille royale produisent souvent des semences à soies (des akènes équipés pour le vol, comme le célèbre «pompon» du Pissenlit) que le vent emporte à la conquête de nouveaux territoires.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Étaient-ils vingt, étaient-ils vingt mille?... Sous les arbres se massaient tous les sauvageons du monde.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
A quoi servent les amis riches s’ils ne mettent leurs richesses à votre disposition?C'est pourquoi on retrouve dans leurs rangs de nombreux «engrais verts»: Trèfles (Trifolium spp), Luzernes (Medicago spp), Vesces (Vicia spp), Gesses (Lathyrus spp), mais aussi des stars du potager comme les Fèves, les Haricots ou les Pois... Autant de Sauvages ou de plantes domestiquées qui renferment leurs fruits dans des gousses (un fruit sec qui s'ouvre par deux fentes).
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Et puis il y a les roses. Quel parfum délicat, les roses, n’est-ce pas? Surtout lorsqu’il y en a tant. Cinquante, soixante, soixante-dix mille roses... Je ne saurais vraiment dire combien il en reste, mais trop pour que je me soucie de les dénombrer, de toute façon.Le clan Rosacée fait preuve d'une indéfectible loyauté envers l'homme: cette famille fournit l'essentiel des fruits consommés en zone tempérée. La pomme est peut-être sa plus grande réussite (c'est le fruit le plus consommé au monde après les agrumes et la banane). Et puisque l’amour et les lois de l’attraction sont à l'origine de tout fruit, n’oublions pas la Rose, son indétrônable ambassadrice des parcs et des jardins, qui compte plus de 40.000 variétés!
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Les gardes postés aux portes du château portaient des justaucorps de cuir et avaient pour emblème deux masses de guerre croisées sur une croix blanche en forme de X.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Fruits (akènes) de la Clématite vigne-blanche, Poitiers bords de Boivre
Clematis vitalba (Clématite vigne-blanche ou Viouche en poitevin-saintongeais) est une liane appartenant aux Ranunculaceae, un vaste gang de Sauvages toxiques et bigarrées.
Clematis vient du grec klematis qui signifie «sarment», le rameau grimpant de la vigne dont notre Sauvage a l'allure. Vitalba est la fusion des mots latins vitis et alba, littéralement la «vigne blanche», un nom inspiré de la couleur de ses fleurs et de ses fruits.
Fleur de Clématite vigne-blanche: 40 à 80 étamines libres! La fleur ne possède en réalité pas de pétales, mais 4 à 5 sépales blancs qui ressemblent à des pétales (pétaloïdes).
Clematis vitalba est une vivace vigoureuse qui aime la richesse des milieux de type forestiers. Elle apprécie également les excès d'azote des milieux urbains (pollution automobile). En ville, malgré ses airs d'envahisseuse, elle est un atout de taille pour la biodiversité: ses fleurs sont susceptibles d'abriter et de nourrir une faune variée: abeilles, bourdons, papillons...
L'Horisme rayé (Horisme vitalbata) et l'Eupithécie de la Clématite (Eupithecia haworthiata), parmi les nombreuses créatures fantastiques qui dépendent des Clématites, leur plante hôte.
Ses feuilles composées imparipennées affichent des folioles très polymorphes: généralement ovales, lancéolées, un peu en forme de cœur (cordées) à leur base, tantôt entières, crénelées ou dentées... Une palette de formes bien fournie!
Feuilles composées de la Clématite vigne-blanche
Ses fruits plumeux (des akènes surnommés «les cheveux de vierge») restent accrochés longtemps, jusqu'au cœur de l'hiver (alors même que la Sauvage a perdu ses feuilles), comme autant de boules argentées qui attendent d'être dispersés par le vent.
Soleil d'hiver sur les fruits de la Clématite vigne-blanche,
Poitiers bords de Clain
Les tiges de Clematis vitalba s'épaississent et se lignifient en vieillissant, formant des lianes enchevêtrées, suffisamment épaisses pour supporter le poids d'un enfant! Une aubaine pour les apprentis Tarzans, ou pour les vanniers qui ont parfois utilisée la Sauvage dans la confection de leurs ouvrages.
Liane épaisse de la Clématite vigne-blanche
Les lianes s'appuient sur d'autres végétaux, généralement les arbres, pour grimper jusqu'à la lumière. Pour ce faire, elles doivent combiner longueur (il faut être capable d'atteindre la canopée, aussi haute soit elle), souplesse et surtout légèreté, sans quoi elles risqueraient de s'effondrer sous leur propre gigantisme. Les tiges de Clematis vitalba, loin d'être pleines, sont naturellement percées de trous (visibles à l’œil nu): c'est toujours ça de moins à porter.
Tiges poreuses de la Clématite vigne-blanche: le secret de la légèreté?
Clematis vitalba est toxique; un contact cutané avec sa sève est irritant. Autrefois, les mendiants se massaient la peau avec ses feuilles fraiches pour s'infliger des plaies et susciter la pitié des passants. Un marketing masochiste qui va valu à la Sauvage le sobriquet d'«Herbe aux gueux».
Clématite vigne-blanche, Poitiers quartier gare
On raconte également que les garnements d'antan se frottaient les feuilles de la Sauvage dans les narines: le saignement qui s'en suivait permettant d'obtenir une excuse pour ne pas se rendre à l'école! Les coquins en profitaient pour courir la campagne, et peut être pour fumer une cigarette sauvage faite d'un bout de liane poreuse de Clematis vitalba... Une bien mauvaise idée! Car aux effets toxiques de la fumée se rajoute le risque d'ulcération des lèvres ou de la bouche.
«La Clématite sauvage sèche, qu'on appelait la Viouche, était plus facile à fumer. On trouvait cette plante aux longues ramifications dans les haies ou le long des vieux murs humides. On en coupait des tiges bien sèches de cinq à dix centimètres qu'on allumait à un bout. Les bâtonnets ainsi confectionnés sont parcourus de long canaux longitudinaux au travers desquels on pouvait aspirer l'air par un bout et entretenir, de cette manière, la braise conique coiffant l'autre extrémité de ces cigarettes rustiques. La fumée avait une saveur piquante et, après quelques tirées, la langue était soumise à une insupportable irritation si bien qu'il était rare de consommer jusqu'au bout une tige de Viouche incandescente.»
(extrait de Pique-Boche, jeune Poitevin des années noires de Jean Daniau, éditions Cheminements)
Pour aller plus loin:
- Norb raconte la Clématite vigne-blanche au micro de France Bleu Poitou
- Clematis vitalba sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
La Clématite flamme (Clématis flammula) est une autre liane, aux feuilles non dentées, bipennées, et aux fleurs parfumées. Sa répartition est essentiellement méditerranéenne; croisée ici à la gare de Poitiers, les fruits volants de la Sauvage auront peut-être profité d'un train pour faire le voyage!