Garance voyageuse rougissante en hiver
Rubia peregrina (Garance voyageuse) appartient au clan Rubiaceae, de même que les célèbres Gaillets (Galium spp). Les membres de cette famille présentent le plus souvent des tiges carrées, ainsi que des feuilles verticillées, c'est à dire disposées en couronne ou en étoile autour de la tige. Leurs fleurs sont généralement discrètes, à quatre ou cinq pétales. Celles de la Garance voyageuse pointent en été (entre juin et aout) cinq pétales jaunes pâles terminés en pointe. Elles sont réunies en cymes généreuses à l’aisselle des feuilles et à l’extrémité des rameaux, compensant leur discrétion par le feu d'artifice de leur assemblée.
Fleurs de la Garance voyageuse en été: "Oh la belle verte!"
Peignons ces roses en rouge, du plus éclatant des rouges, il faut les peindre coûte que coûte sans en perdre une goutte!
(Alice au pays des merveilles, Walt Disney)
La Garance voyageuse est une vivace forestière qui aime la lumière et les sols secs. On la croise le long des lisières des forêts sèches, ou dans les bois clairs. Ses feuilles coriaces, brillantes et persistantes rougissent à l'approche de l'hiver. Le genre Rubia emprunte d'ailleurs son nom au latin ruber, rouge: les Garances sont des célèbres plantes tinctoriales. La Garance des teinturiers (Rubia tinctorum) a été largement cultivée, depuis la Grèce antique, son rhizome permettant d'obtenir une teinture rouge pur. La Garance voyageuse a parfois été utilisée en ce sens, mais sans connaitre d’industrialisation, ses racines plus minces offrant un colorant moins vif, rouge-orangé. Vous en conviendrez, il est difficile de se passer d'une touche de (nez) rouge dans la vie... Merci les Garances!
* Pas très drôle / Très drôle
Des feuilles verticillées (2 à 5), ovales-lancéolées, persistantes, coriaces et surtout crochues: accroche toi à la Garance voyageuse, j'enlève l'échelle!
- Il serait possible de me coller à vous pendant quelques jours?
- Ah mais toute la vie si vous voulez!
(Taxi 3, Gérard Krawczyk)
Si les feuilles de certains Gaillets (Gaillet gratteron) sont réputées pour leur pouvoir agrippant, la Garance voyageuse n'a pas à rougir de ce côté : les siennes sont bardées d'aiguillons qui accrochent les fourrures des animaux ou les vêtements des promeneurs. La belle est capable de s’agripper au point de vous griffer superficiellement la peau. Ses crochets lui permettent d'ériger sa longue tige (ligneuse à la base, jusqu'à 2 mètres de longueur) vers la lumière en prenant appui sur d'autres végétaux, sur une clôture ou sur un grillage; à l'occasion, ils lui permettent aussi de faire un bout de route grâce à votre bas de pantalon, dispersant peut-être quelques fruits au passage.
Baies de la Garance voyageuse en automne: "Hep taxi!"
Ses baies lisses et noires à maturité (légèrement toxiques et laxatives pour l'homme) sont surtout destinées à être picorées par les animaux, à commencer par les rouges-gorges. Des oiseaux rouges, forcément, qui propagent les fruits qu'ils consomment en les rejetant via leurs fientes. La Garance voyageuse est une habituée du «taxi crotte» (endozoochorie), empruntant les intestins des volatiles, des chèvres ou des moutons pour parvenir à ses fins. Pourtant, malgré son goût du voyage qu'elle porte jusque dans son nom (peregrina est «l'étrangère» en latin), la Garance voyageuse semble absente dans le nord et le nord-est de la France.
On raconte que le lait, l'urine, la laine ou même le bec et les os des animaux qui consomment régulièrement la Garance voyageuse se teintent de rouge... Je ne saurais dire si c'est vrai, mais les jeunes feuilles tendres de la Garance voyageuse sont parfois grignotées par le Crache sang (Timarcha tenebricosa). Ce gros coléoptère aux élytres soudées (il est incapable de voler) se nourrit des Gaillets et apparentés. Dérangé ou menacé, il excrète des goutes d'hémolymphe rouge-orangé, une «encre» sanguine au goût peu appétant qui le protège de ses prédateurs. Bref, lui aussi fait dans le vermillon, surtout quand il voit rouge!
Crache-sang sur Garance voyageuse, bois de la Brie à Vivonne (86)
En guise de conclusion, impossible de faire l'impasse sur une célèbre revue qui emprunte le nom de notre Sauvage: depuis 1988, La Garance voyageuse livre directement dans la boite aux lettres de ses abonnés, saisons après saisons, des articles rigoureux, drôles, dessinés, forcément accrocheurs et attachants (Garance oblige) autour du monde végétal. Avis aux apprentis botanistes!
Pour aller plus loin:
- Rubia peregrina sur Tela-botanica
- Numéro de découverte de la revue La Garance Voyageuse
Vous seriez surprise de voir ce avec quoi on peut vivre.
(Docteur House, David Shore)
Mais ne brulons pas les étapes et revenons au commencement: on pourrait partir à la rencontre de nos pionnières en visitant des paysages hostiles à la végétation: terres nues, rocailles, macadam... Les parterres citadins que l'on foule au quotidien sont de bons terrain pour observer l'art de la conquête végétale: lichens, mousses, puis cortège des Sauvages... Inlassablement, la vie répète la même partition, depuis sa victoire sur le minéral il y a 500 millions d'années jusqu'à l'assaut d'un trottoir devant votre arrêt de bus.
* La forêt arrive !
Je vous propose une expérience sur ce thème bien plus absurde, mais je l’espère, tout aussi inspirante: laissons les aventurières venir à nous! Le protocole est assez simple à réaliser puisqu'il s'agit de mettre en place un semblant de misère et de voir ce qu'il advient. Libre à vous d'adapter le principe à votre sauce, il ne s'agit dans le fond que de s'émerveiller à partir de trois fois rien!
L'idéal eut été de partir d'un simple caillou et d'attendre le premiers lichens, mais il m'aurait fallu plus d'une vie pour vous livrer cet article. Un récipient rempli de sable ou de graviers permettrait probablement à un substrat de s'installer au fil du temps; le jeu tentera peut-être les plus patients. Partons plutôt d'un substrat déjà bien établi: remplissons quelques godets d'un terreau quelconque. Les plus pressés ramasseront de la terre au bord d'un chemin, en des endroits variés, récoltant de par là même un stock de semences aussi prometteur qu'aléatoire.
Les pots sont placés dans des endroits différents (exposition, environnement...), au jardin ou au balcon, et laissés aux bons soins de la météo et du temps qui passe. La terre séchant très rapidement dans les pots ou les godets, un petit coup d’arrosoir de temps en temps favorisera la l'accueil des invitées à venir.
L'Euphorbe omblette (Euphorbia peplus), première surprise dans notre petit jardin du hasard!
Lathrée écailleuse (Lathraea squamaria), la star poitevine du 1er mai!
En ce premier mai, jour où il est bon de manifester son goût pour la nature, une trentaine de stagiaires attendent le botaniste Yves Baron (ancien maître de conférences en biologie végétale à l’université de Poitiers), route de la Cassette à Poitiers. Promesse est faite d'en apprendre un peu plus sur la Vallée de la Boivre (cette dernière est un petit affluent du Clain et emprunte son nom au vieux français «bièvre» désignant le Castor), sur un territoire classé Zone Naturelle d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique.
Les poitevins autour du professeur Yves Baron, serez-vous retrouver son chapeau?
Le groupe est conséquent, preuve s'il en fallait une de l'attrait pour la nature des poitevins. Pas de quoi décourager l'ancien professeur qui guidait autrefois les étudiants de l'université: parfois plus d'une centaine par sortie terrain! Quoi qu'il en soit, Yves Baron attire les botanistes comme les Lamiers attirent les bourdons: plusieurs groupes adaptés à l'étroitesse des chemins se forment naturellement autour du professeur et d'autres naturalistes éclairés.
La promenade débute sur les coteaux calcaires qui encadrent le fond de Vallée, royaume du Chêne pubescent (Quercus pubescens). C'est l'Aubépine monogyne (Crataegus monogyna) qui ouvre le cortège. Nous profitons de sa floraison parfumée tout en observant ses feuilles très découpée (pennatifides) qui la distingue de l'Aubépine à deux styles (Crataegus laevigata), aux feuilles doucement lobées, plus forestière, que nous croiserons plus tard en sous bois.
Un seul style au cœur des fleurs de l'Aubépine monogyne (en premier), 2 à 3 styles au cœur des fleurs de l'Aubépine à deux styles (en second).
Sur les coteaux, c'est encore l'heure de la discrète Potentille de printemps (Potentilla verna), première Potentille de l'année. Accrocheuse, la Garance voyageuse (Rubia peregrina) inaugure le défilé des Rubiacées qui suivront (Gaillets). Quelques Laitues sauvages (Lactuca serriola) orientent le groupe dans la bonne direction (on les surnomme les «Laitues boussole», voir l'article de Sauvage du Poitou). Au passage, Yves Baron nous apprend à faire un sifflet avec une tige de Pissenlit (Taraxacum sect. Ruderalia): la botanique s'apprivoise d'autant mieux avec le regard et le sourire de l'enfance.
De gauche à droite : Potentille de printemps, Garance voyageuse, Laitue scariole et Pissenlit.
En redescendant vers le fond de la Vallée, le milieu se referme; l'occasion de s'intéresser à quelques arbustes en passant: la Viorne lantane (Viburnum lantana) ouuvre ses jeunes feuilles comme une gueule de dragon. Quelques Cornouillers sanguins (Cornus sanguinea) bien exposés rougissent (de plaisir?). Le Troène d'Europe (Ligustrum vulgare) affiche des rameaux bigarrés, les feuilles d'hiver contrastant avec les nouvelles, plus claires. Au passage, on croise l'abracadabrantesque Daphné lauréole (Daphne laureola), une autochtone aux allures de plante exotique.
De gauche à droite : Viorne lantane, Cornouiller sanguin, Troène d'Europe et Daphné lauréole.
En bord de Boivre, la forêt alluviale reprend ses droits. C'est l'occasion de faire connaissance avec la Lathrée écailleuse (Lathraea squamaria, photo en tête d'article), une plante parasitaire, espèce déterminante pour la Vienne, rare sur le territoire français. Pas de Muguet de mai à l'horizon, mais le trésor du jour a pour compagnie le cortège des sauvages de sous-bois: Jacinthe des bois (Hyacinthoides non-scripta), Lamier jaune (Lamium galeobdolon), Ail des ours (Allium ursinum) ou encore Sceau de Salomon (Polygonatum multiflorum).
De gauche à droite : Jacinthe des bois, Lamier jaune, Ail des ours et Sceau de Salomon.
Au détour d'un chemin forestier, les promeneurs remontent finalement sur un versant calcaire. Le milieu s'ouvre à la lumière, offrant une prairie où les Orchidées poussent comme des pâquerettes dans un jardin. Il n'en faut pas plus pour que le groupe s'éparpille à quatre pattes... A chacun sa loupe, à chacun sa dose d’émerveillement!
La tête cramoisie de l'Orchis brûlé (Neotinea ustulata)... La faute à la loupe?
Le défilé du premier mai se termine en un bouquet fantastique: Orchis bouffon (Anacamptis morio), Ophrys araignée (Ophrys aranifera)... Il n'y a guère que la peu courante Véronique prostrée (Veronica prostrata) et l'excentrique Muscari à Toupet (Muscari comosum) pour rivaliser avec le gang des Orchidacées et tirer quelques derniers crépitements aux appareils photos!
De gauche à droite: Orchis bouffon, Ophrys araignée, Véronique prostrée et Muscari à Toupet.