Forts de notre vocabulaire permettant de décrire les feuilles simples ou composées, leur disposition sur la tige, les fleurs régulières, irrégulières et leur agencement (inflorescences), nous sommes fin prêts à aborder l'automne, saison des fruits s'il en est une. Si les fleurs l'emportent généralement dans le cœur des promeneurs, les fruits qui leurs succèdent n'en sont pas moins pourvus d'élégance ou d'ingéniosité: souvenez-vous de notre comédie musicale consacrée aux grand voyage des semences, où il était question des milles et une ruses inventées par les Sauvages pour propulser leurs graines vers de nouveaux horizons.
Au jour, on est partis chez moi discuter de l'amour et des fruits (...)
Des pommes, des poires et des scoubidoubi-ou ah!
(Des pommes des poires, Sacha Distel)
En botanique, le fruit est un organe végétal contenant une ou plusieurs graines. Il est issu de la transformation du pistil - c'est à dire du (ou des) carpelle(s) - après la fécondation des ovules. Souvenez-vous de notre fleur «vraie»: après fécondation, les ovules deviennent des graines alors que les parois carpellaires deviennent l'enveloppe protectrice des graines qu'on appelle péricarpe. Considérons une cerise:
Si la cerise est un fruit simple (ce qui n'enlève rien à ses qualités), la métamorphose d'autres fruits peut-être plus tarabiscotée. Ainsi, chez la fraise, la partie charnue est issue de la transformation du réceptacle floral. Les petits points jaunes à sa surface correspondent à chaque carpelle et sont pour ainsi dire les véritables fruits... Pour la fraise, on parle de «faux fruit», car ce qu'on considère communément comme étant le fruit ne résulte pas seulement de la transformation du pistil.
Coupons maintenant les cheveux en quatre, ou plus exactement une pomme en deux. La partie que l'on croque se compose de l'ancien réceptacle floral ET de la paroi carpellaire, formant ensemble une masse charnue continue.
Le péricarpe (l'ensemble de l'enveloppe protectrice des graines) est toujours formé de trois couches distinctes. Dans le cas de cette pomme, la première couche est la peau à l'extérieure, ou épicarpe. La seconde est la partie médiane charnue, ou mésocarpe. Enfin, au cœur, l'endocarpe cartilagineux délimite les loges qui renferment les graines.
La crête iroquoise des akènes plumeux de la Clématite vigne blanche
Les fruits charnus sont de deux sortes: les drupes et les baies. C'est la qualité de l'endocarpe, la couche la plus proche de la graine, qui nous permet de distinguer l'une de l'autre. Si l'endocarpe est dur, autrement dit si un noyau protège les graines, c'est une drupe (cerise, olive, noix...). A l'inverse, si l'endocarpe est tendre, autrement dit si la graine est directement en contact avec la partie charnue, c'est une baie (tomate, raisin, concombre...).
A moins d'autopsier minutieusement les fruits, la distinction n'est pas toujours pas évidente... De plus, certains spécimens viennent compliquer l'examen. Une datte ou un avocat, pour les exemples les plus connus, ne possèdent pas de noyau, mais une grosse graine très dure: ce sont des baies. Une mûre est composée d'un amas de petits «fruits» contenant un minuscule noyau (suffisamment gros pour se coincer dans nos dents). On parle dans ce cas d'un amas de drupes, ou plus exactement de polydrupe.
Fruit de la Ronce (Rubus sp): une polydrupe... La mûre (l'amour?) est plus fort que tout!
Intéressons-nous maintenant aux fruits secs; pas tant les raisins ou les bananes séchées que vous cachez dans votre besace, mais aux fruits dont le péricarpe est constitué de tissus durs et minces. Là aussi, on distingue deux sortes de fruits secs: les fruits secs déhiscents et les fruits secs indéhiscents.
Les fruits secs déhiscents sont des fruits secs qui s'ouvrent spontanément pour libérer leurs graines, avant même d'être tombé sur le sol. La palette des possibilités est riche, on ne donnera ici que quelques exemples courants:
La gousse (que les botanistes appellent aussi «légume», ça se complique sur la carte du menu) est typique des «légumineuses» et s'ouvre par deux fentes de chaque côté. Ici les gousses toxiques de la Coronille changeante (Coronilla varia).
Le follicule, qui ne s'ouvre que par une seule fente. Ici, les follicules de l’Hellébore fétide (Helleborus foetidus).
Enfin, la capsule qui s'ouvre selon des fentes (ou des dents, des pores, des clapets, des couvercles...) multiples, spécifiques et/ou successives... A titre d'exemple et pour faire court - les capsules mériteraient un article à elles seules - ne citons ici que la modalité d'ouverture la plus courante chez les capsules des Brassicacées, nommées siliques.
De l'autre côté, les fruits secs indéhiscents sont des fruits secs qui ne s'ouvrent pas spontanément pour libérer leurs graines. Il faudra donc que l'embryon de la plante déchire son enveloppe en germant ou que l'enveloppe se décompose. Le plus grand représentant des fruits secs indéhiscents est l'akène, qui est constitué d'une graine unique (on parlera plutôt de caryopse chez les Poacées).
Chez les Astéracées, l’akène est souvent équipé de soies (réunies en un bouquet nommé aigrette) permettant aux semences de voler. Le fruit étant un critère d’identification important, il n’est pas rare de lire dans les flores des descriptifs poussés sur leur aspect: sont-ils lisses, ridés, glabres, pubescents…? De même, on peut dépeindre avec précision jusqu’aux soies d’un akène volant: sont-elles lisses, denticulées, plumeuses (hérissées de poils fins)…?
Observons quelques akènes pris au piège dans une toile d'araignée au jardin... de haut en bas et de gauche à droite: plumeux pour la Picride éperviaire (Picris hieracioides) / Rougeâtres, surmontés d'un long pied qui porte les soies plumeuses pour la Picride fausse viéprine (Helminthotheca echioides) / Ovales, écrasés et surmontés de plusieurs rangées de soies lisses pour le Laiteron potager (Sonchus oleraceus) / Allongés avec un sommet épineux, surmontés d'un long pied qui porte les soies lisses pour le roi Pissenlit (Taraxacum sect. Ruderalia).
Pour aller plus loin:
- Les différents types de fruits sur le site de l'université de la Sorbonne
- Les différents type de fruits sur le site Floranet
Sous le soleil de la Carline commune, Buxerolles (86)
Carlina vulgaris (Carline commune) appartient au vaste clan Asteraceae, celui du roi Pissenlit et de la reine Pâquerette. En la croisant, on pensera surtout à leur garde rapprochée: les «Chardons», une appellation fourre tout derrière laquelle se cache une grande diversité de Sauvages piquantes et mal rasées (Carduus, Cirsium et autres fausses consœurs). Si la Carline se confond parfois avec quelques Cirses défraichis en fin d'été, un œil averti remarquera immédiatement les reflets dorés de ses inflorescences (certains la surnomme Chardon doré), signant l'apothéose solaire de son existence plutôt qu'une fin de carrière.
Carline commune à gauche versus Cirse des champs (Cirsium arvense) à droite, même site, même jour et même piquants! (Buxerolles, 86)
Il faut dire que les feuilles et les bractées de la Carline commune empruntent leur allure à celles de certains «Chardons»: oblongues, pennatilobées et surtout piquantes. Les bractées externes (sous les inflorescences) forment un enchevêtrement d'épines, quelque part entre la dentelle fine et un instrument de supplice tout droit sorti d'un roman de Clive Barker.
Bouton floral de Carline commune: un trésor mellifère sous la garde d'une boule d'épine.
Mais pas de quoi cauchemarder: la Carline commune est une bisanuelle qui pointe ses capitules entre juillet et septembre sur les sols pauvres et secs, dans toute la France. Des lieux chauds et lumineux, fréquentés par nos papillons préférés qui se régalent à butiner la Sauvage très nectarifère. Les abeilles ne sont pas en reste. Par un beau jour d'été, le défilé semble incessant.
Azuré bleu céleste (Polyommatus bellargus) et Carline commune: quand le ciel a rendez-vous avec le soleil.
- Il y a des règles que vous devez suivre.
- Oui, et quelles sont ces règles?
- (...) Tenez le éloigné de l’eau. Ne le mouillez pas.
(Gremlins, Joe Dante)
Si les inflorescences de la Carline commune évoquent le soleil, le rapport que la Sauvage entretien avec l'astre de feu est sans équivoque: lui vouant une loyauté absolue, ses capitules ne s'offrent que par temps sec. Réagissant à l'humidité ambiante, ses bractées internes — qui ressemblent à une couronne de pétales — se referment immédiatement au contact de l'eau. En réalité, cette mécanique permet de protéger des intempéries les précieux fleurons (tous tubulés). Autrefois surnommée Herbe à la pluie, la Carline commune pourrait faire office de baromètre naturel. Pour les plus curieux, l'expérience peut se pratiquer à l'aide d'un brumisateur, au risque de vexer notre fleur hydrophobe.
La Carline doit son nom à Carolus, soit Charles. Pour certain auteurs, il s'agirait d'une référence à Charles Quint, à moins que ce ne soit Charlemagne: on raconte qu'un ange offrit au souverain un pied de Carline pour remédier à l'ensemble des maux de l'humanité. Dans d'autres versions, il s'agit de soigner la peste, pas moins. Bref, la Carline, c'est du lourd!
En dehors des contes et légendes, on trouve pourtant de références quant à l'utilisation de la Carline commune (elle est toutefois comestible, croquée à l'occasion par les chèvres et les moutons). La Carline à feuilles d'acanthe (Carlina acanthifolia) et la Carline acaule (Carlina acaulis), deux Sauvages plutôt alpines et courtes sur tige, sont en revanche réputées pour leur vertus culinaires et médicinales; la première pour son goût proche de celui de l'artichaut, la seconde pour ses vertus supposées tonifiantes, stomachiques et diurétiques. Dans le sud du pays, les grandes inflorescences de ces deux espèces sont parfois clouées sur les portes afin de servir de baromètre, leur capitule se refermant à l'approche de la pluie (même après avoir séché).
Carline est également un prénom révolutionnaire, fêté le 21ème jour de Thermidor, le mois des chaleurs forcément. Bien plus rare que la Sauvage, son usage n'a jamais transcendé les modes (au summum une vingtaine de petites filles en France en 2003). Alors qui sait, si vous cherchez un prénom original, solaire, pour une petite sauvageonne susceptible de guérir les maux de l'humanité (à l'exception des jours de pluie), l'idée est semée!
Pour aller plus loin:
- Carlina vulgaris sur Tela-botanica
- Carlina vulgaris: identification assistée par ordinateur
Reine-des-prés, Nouaillé-Maupertuis (86)
Filipendula ulmaria (Reine-des-prés) appartient au clan Rosaceae, celui des Roses et des Ronces bien sûr, mais aussi celui des célèbres Cerisiers, Pommiers, Poiriers et autres géants producteurs de fruits. Une famille incontournable pour l'alimentation humaine, à qui la Reine-des-prés fait honneur, même si sa consommation est aujourd'hui tombé en désuétude: comestible, elle a servi a aromatiser desserts, glaces, boissons, confitures, dentifrices même! Plus simplement, l'infusion de ses fleurs (récoltés avant leur épanouissement puis séchées) présente un parfum proche de l'amande. La tisane de ses parties aériennes (feuilles surtout) vendue dans le commerce, bien qu'agréable, présente moins de saveur.
Des petites fleurs à cinq pétales (réunies en corymbes), des feuilles composées (imparipennées et doublement dentées), des stipules exubérants (demi-circulaires et dentées) sont autant de caractéristiques qui marquent l’appartenance au clan Rosacée.
Filipendula ulmaria: uImaria serait tiré de «Ulmus», l'Orme, ses folioles ressemblant aux feuilles de l'arbre.
Je te laisse en train de barboter et vingt ans après, je te retrouve encore dans l'eau.
(Le Grand Bleu, Luc Besson)
La Reine-des-prés est une vivace qui colonise les prairies humides, les mégaphorbiaies baignées de soleil, les lisières d'aulnaies où elle côtoie d'autres géantes (jusqu'à 1m50 de hauteur pour la Reine-des-prés) comme l'Eupatoire à feuilles de chanvre (Eupatorium cannabinum), l'Angélique sylvestre (Angelica sylvestris) ou la Cardère sauvage (Dipsacus fullonum). Elle signe les sols engorgés en eau et en matière organique végétale: si vous voulez en faire la culture, il vous faudra lui trouver une parcelle fraiche, riche où elle ne connaitra jamais la soif.
Sous terre, les tubercules de la Reine-des-prés (également comestibles, bien qu'amers) semblent pendus à un réseau de fibres: la Sauvage leur doit son nom scientifique Filipendula, littéralement «suspendu à un fil» en latin.
Très mellifère, la Reine-des-prés est aussi surnommée «Plante aux abeilles».
A milieu du 19ème siècle, l'Abbé Obriat (Haute Marne) s'intéresse à l'usage médical de la Reine-des-prés, propulsant la Sauvage au panthéon des grandes médicinales. Le religieux utilise largement la plante — alors connue sous le nom de Spirée (à cause de ses fruits spiralés) — pour ses vertus diurétiques et anti-rhumatismales. D'autres hommes de science poursuivent l'investigation, mettant en évidence l'acide spirique concentré dans la plante, à partir duquel sera synthétisé un des principes actifs les plus célèbres au monde, et de loin le plus consommé: l'acide acétylsalicylique. C'est ce dernier que la firme Bayer dépose (1899) sous le nom d'«Aspirine», en hommage à la «Spirée». Ainsi, à l'aube du 20ème siècle, la Reine-des-prés devient aussi la reine des pharmacies!
Fruits (akènes) en spirale de la Reine-des-prés: La Spirée qui inspira l'Aspirine!
C'est l'heure des médicaments, l'heure des médicaments!
(Vol au-dessus d'un nid de coucou, Miloš Forman)
Même si la Reine-des-prés n'est pas un cachet d'Aspirine, sa consommation est à proscrire pour toute personne qui serait allergique au médicament. Cette précaution étant prise, la Sauvage reste une incontournable des herboristeries (ses sommités fleuries sont inscrites à la liste A de la Pharmacopée française), généralement utilisée dans le traitement des douleurs articulaires mineures, voir des maux de tête, des courbatures ou des états grippaux...
Ses vertus diurétiques on font également la reine des «tisanes régimes». Rafraichissante dans les cas d'acidité gastrique ou d'ulcères (causés par un excès d'Aspirine?!), on pourrait penser qu'il n'y a guère que les chagrins d'amour qu'elle ne peut soulager (pour soigner ces derniers, songez plutôt à un bouquet de Sauge!).
Et puisqu'on évoque les liens familiaux, approchons nous d'Olivier Pouvreau, lépidoptériste de Sauvages du Poitou, qui semble avoir repéré quelques paires d'ailes virevoltant autour de notre Reine-des-prés...
Parmi les nombreux insectes gravitant autour de Filipendula ulmaria, il est un papillon dont le nom est un peu trompeur : le Nacré de la sanguisorbe (Brenthis ino) aurait dû s’appeler Nacré de la reine-des-prés puisque celle-ci correspond à la plante-hôte larvaire préférée de sa chenille.
Nacré de la sanguisorbe : une allure générale élancée et une bordure marginale noire continue au dessus des ailes.
Nacré de la sanguisorbe : une cellule entièrement jaune au dessous des ailes.
Ce papillon, très rare en Poitou (seulement deux stations connues dans la Vienne), plus commun en altitude (en Auvergne par exemple) est inféodé aux prairies humides où croît sa reine préférée. Le Nacré de la sanguisorbe passe facilement inaperçu car de nombreux voisins lui ressemblent comme deux gouttes d’eau. Le Nacré de la ronce (Brenthis daphne) notamment, assez commun en Poitou, joue son frère jumeau et fait tourner en bourrique les lépidoptéristes en herbe quand il s’agit de les différencier… Aussi, l’équipe de Sauvages du Poitou vous livre quelques clés utiles au cas où vous auriez affaire à ce terrible cas de conscience!
Nacré de la ronce : une allure générale ronde et des taches noires marginales distinctes au dessus des ailes.
Nacré de la ronce : une cellule envahie de brun au dessous des ailes.
Pour aller plus loin:
- Filipendula ulmaria sur Tela-botanica
- Filipendula ulmaria : identification assistée par ordinateur
- Filipendula vulgaris sur Tela-botanica
- Filipendula vulgaris : identification assistée par ordinateur
- La Reine-des-prés à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
Le port forcément royal de la Reine-des-prés, Poitiers bords de Boivre