Le 6 octobre 1793, au sortir de la Révolution française, le peuple français las de fêter les saints chrétiens et pressé de dessiner les contours de la République inaugure un nouveau calendrier, dit «républicain». Ce 6 octobre où Saint Bruno devait être célébré (le lendemain du jour rendant hommage à Sainte Fleur, il eût été dommage d'en faire l'impasse), le calendrier et le moine chartreux sont mis au placard alors que le soleil se lève sur le quinzième jour du mois de vendémiaire.
Vendémiaire est le premier des trois mois de l'automne dans le calendrier républicain, le mois du raisin des vendanges, qui sera suivit par les brouillards de brumaire puis les frissons de frimaire. L'année est alors découpée en douze mois de trente jours chacun et la part belle est faite à la nature: l'hiver traverse les mois de nivôse (la neige), pluviôse (la pluie) et ventôse (le vent). Le printemps se partage entre les mois de germinal (la germination), floréal (les fleurs) et prairial (les prairies). Finalement, l'été exprime l'aboutissement avec les mois de messidor (les moissons) thermidor (les chaleurs) et bien sûr fructidor (les fruits).
Une poésie naturaliste qui a de quoi réjouir les apprentis botanistes que nous sommes. D'autant plus que, cerise sur le gâteau (cerise est le nom du 19ème jour du mois de messidor), ce sont les fleurs qui remplacent les noms de saints du vieux calendrier grégorien. Ainsi, vendémiaire est le mois des Colchiques (4ème jour) ou de l'Amarante (8ème jour), brumaire celui de l’Héliotrope (6ème jour) ou de la Scorsonère (8ème jour), frimaire celui de la Chicorée (3ème jour) ou du Lierre (18ème jour)...
L'hiver célèbre l'étrange Fragon (3ème jour de pluviôse), la mystérieuse Hellébore (11ème jour de pluviôse), les Lichens (17ème jour de pluviôse) ou le délicieux Mouron (18ème jour de ventôse).
De haut en bas et de gauche à droite: Fragon, Hellébore fétide, Lichen (Usnea sp) et Mouron des oiseaux.
Le printemps, qui s'ouvre avec les bien nommées Primevères (1er jour de germinal) est une explosion de couleurs où se succèdent les vernales comme le Muguet (7ème jour de floréal) ou les Jacinthes (9ème jour de floréal). Suivent la merveilleuse Fritillaire (22ème jour de floréal) et la divine Angélique (4ème jour de prairial).
Peut-être vous demandez-vous sous les auspices quelle fleur êtes vous nés? Ou quelle Sauvage partage avec votre prénom sa journée sur le calendrier? Il est possible de trouver la correspondance entre une date de notre calendrier en vigueur - le grégorien - et celle du calendrier républicain grâce aux calculatrices en ligne; j’utilise celle du site de Patrick Lecoq, un passionné de généalogie. Puis en consultant le rapport historique fait à la Convention nationale relatif au calendrier républicain, trouvez quel acteur du vivant - animal, minéral ou végétal - est célébré en cette journée particulière. Notez qu'on fête également ici et là les outils qui honorent le lien entre l'homme et la nature (serpette, plantoir, arrosoir, ruche...), et que six jours surnommés «les sans culottes» célèbrent la vertu, le génie, le travail, l'opinion (jour où chacun est invité à s'exprimer librement), la récompense (gratitude) et bien sûr la Révolution.
Ainsi et par exemple, le blog Sauvages du Poitou a vu le jour le 17 mars 2015. L'outil proposé par Patrick Lecoq nous indique une correspondance au 26ème jour de ventôse. Dans le calendrier républicain, on découvre que ce jour célèbre notre star des herbes folles, le roi Pissenlit!
Pour aller plus loin :
- Calculatrice pour convertir les dates du calendrier Grégorien en dates du calendrier Républicain.
- Le calendrier républicain sur Wikipedia
Véronique de Perse, Poitiers bords de Boivre
Veronica persica (Véronique de Perse ou Arrouil en poitevin-saintongeais) appartient aux Plantaginaceae. Ce clan réunit des sauvages très diverses sous la houlette des Plantains qui font office de chefs de famille. Au delà du patrimoine génétique, difficile de trouver des points communs entre une Véronique, un Plantain, une Digitale, une Linaire ou la belle Cymbalaire des murs... L'exercice serait peut-être plus évident si nous étions des papillons: la Mélitée du Plantain abandonne ses chenilles aux Plantains comme à quelques Véroniques, la Mélitée orangée oscille entre Plantains, Linaires, Digitales ou Véroniques. Comme quoi, dans le domaine de la botanique, les insectes possèdent un feeling qui nous fait parfois défaut!
La Véronique de Perse est probablement la plus répandue et la plus connue de son genre. Annuelle, elle fleurit presque toute l'année (de mars à octobre, parfois au-delà lors des hivers doux), de partout, même si sa préférence va aux sols riches en azote et en matière organique comme les potagers et les terres cultivées.
Feuilles larges, rondes à ovales et dentées de la Véronique de Perse.
L’évasion est un droit, je dirais même plus, un devoir!
(Mesrine: l’Instinct de mort, Jean-François Richet)
L'introduction de la Véronique de Perse en Europe est pourtant récente, située autour du 19ème siècle. Originaire du Sud-Ouest de l'Asie, on raconte qu'elle se serait évadée du célèbre jardin botanique de Karlsruhe en Allemagne (les jardins botaniques du monde entier sont de formidables vecteurs de propagations pour nos indomptables Sauvages). Sa naturalisation rapide et sa prolifération repose sur sa capacité à fleuri, à grainer et à germer quatre saisons sur quatre, en toutes circonstances.
Les Veroniques sont des plantes basses qui affichent le plus souvent ce type de fleurs à quatre pétales inégaux, d'où pendent deux étamines comme une jolie paire de boucles d'oreille. On recense une quarantaine d’espèces sur le territoire français, dont la détermination n'est pas toujours aisée. Le temps passé à dénicher et à reconnaitre les Veronica est largement récompensé par le spectacle de leurs floraisons. Parmi les plus célèbres (ou les plus communes):
Véronique officinale, la médicinale.
La Véronique officinale (Veronica officinalis) est une vivace qui pousse sur les sols secs et pauvres, dans les prairies ou les cultures. Ses feuilles ovales ou obovales sont mollement velues et finement dentées en scie; ses fleurs sont réunies en grappes grêles (presque en épis).
De nos jours, la Véronique officinale est pourtant la seule de son genre à être considérée comme plante médicinale par la pharmacopée française. L'infusion de ses sommités fleuries est réputée tonique, expectorante, diurétique et surtout digestive. Autrefois, elle fut utilisée en application externe pour soigner les plaies ou les maladies de peau chroniques, comme la gale ou la lèpre. C'est d'ailleurs à Sainte Véronique que les toutes les Veronica empruntent leur nom: la légende raconte que Véronique, une femme pieuse de Jérusalem, essuya à l'aide d'un tissu le visage du Christ lors de son ascension au Calvaire. Le visage du Christ s'imprima sur le linge, devenu relique sacrée (la «Sainte face»). Véronique aurait ensuite guérit miraculeusement l'empereur Tibère de la lèpre en lui révélant le tissu...
Véronique petit-chêne, la forestière.
Terminons notre promenade en un bouquet final de Véroniques qui, loin d'être exhaustif, illustre la richesse, la diversité et la beauté du genre. A vous de jouer, «attrapez-les toutes» comme le propose la devise des chasseurs de Pokémon! Un conseil avant de partir: pensez à photographier les capsules et à observer de près la pilosité de la plante avant de consulter votre flore préférée, ce sont souvent des critères discriminants pour les cas les plus ardus.
Véronique faux mouron d'eau (Veronica anagalloides), une locataire des zones humides, et Véronique cymbalaire (Veronica cymbalaria), une habituée des littoraux atlantiques et méditerranéens, ici égarée sur un trottoir à Poitiers!
Véronique en épi (Veronica spicata), plutôt montagnarde en France à l'état naturel, aux inflorescences spectaculaires, et Véronique luisante (Veronica polita), une adventice plus discrète que la Véronique de Perse, aux feuilles presque luisantes, aux capsules non aplaties recouvertes de poils glanduleux.
Véronique couchée (Veronica prostrata), une locataire des pelouses calcaires sèches, et Véronique à feuilles de serpolet (Veronica serpyllifolia), une belle adventice des jardins.
Pour aller plus loin:
- Veronica persica sur Tela-botanica
- Veronica persica : identification assistée par ordinateur
- Le thé de l'Europe, ou les propriétés des Véroniques par Nicolas Andry de Boisregard (1704)Rassemblez vos hommes. On se met en formation...
(Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg)
Grappe: ensemble de fleurs pédicellées sur un axe, le pédicelle étant la petite ramification qui porte la fleur, l'ultime pédoncule en quelque sorte.
Épi: ensemble de fleurs sessiles (dépourvues de pédicelle) sur un axe.
Corymbe: les fleurs, aux pédicelles de plus en plus courts au fur et à mesure qu'on se rapproche du sommet, s'épanouissent toutes sur un même plan.
Ombelle: les fleurs sont portées par des pédicelles rayonnants, égaux ou presque.
Cyme bipare: deux axes secondaires s'insèrent sous l'axe principal (ex: Mouron des oiseaux).
Cyme unipare: sous l'axe principal s'insère une seule ramification secondaire, qui porte elle-même une ramification, etc. Lorsque l'ensemble dessine une «queue de scorpion», on parle de Cyme scorpioïde (ex: Myosotis des champs).
Comme pour les fleurs, la diversité des inflorescences peut être une réponse façonnée par l’évolution à la diversité des insectes qui les fréquentent (et vice versa, les insectes évoluant aussi pour répondre à l’anatomie de leurs fleurs préférées). Ainsi, grappes et épis sont bien adaptés au vol stationnaire de certains insectes, alors que les grandes ombelles forment des pistes d’atterrissage praticables pour les gros coléoptères.
Cette liste n'est bien sûr pas exhaustive, et plusieurs combinaisons sont possibles. Vous connaissiez déjà les feuilles simples et les feuilles composées... Voilà maintenant les inflorescences simples et les inflorescences composées!
Exemple d'inflorescence composée: les grappes de grappes des fleurs du Troène commun (Ligustrum vulgare) qui forment ce qu'on appelle une «panicule». Ce n’est pas les butineurs qui se plaindront d'une telle surenchère, les fleurs du Troène commun étant aussi mellifères que parfumées.
Panicule dense du Troène commun, Poitiers quartier Chilvert
Il est une famille de Sauvages, les Apiaceae ou «Ombellifères», qui s'est fait une spécialité dans la confection d'ombelles sophistiquées. Certains membres du clan vont jusqu'à afficher des ombelles d'ombelles (on parle plutôt d'ombelles d'ombellules), à l'image de l’omniprésent Cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris) au printemps.
Ombelle d'ombellules du Cerfeuil des bois, Poitiers bords de Boivre
Je capitule! Vous m'avez conquis sans résistance!
(La Tulipe noire, Christian-Jacque)
Pourtant, même la plus inspirée des Ombellifères ne peut rivaliser avec l'ingéniosité des Asteracées (les «Composées») qui semblent atteindre des sommets d'astuce en matière d'inflorescence. Il faut dire que les Astéracées sont une des familles les plus récentes dans la grande histoire de l'évolution végétale, et qu'elles bénéficient à ce titre des trouvailles les plus modernes en matière de reproduction.
Les Astéracées ont miniaturisé leurs fleurs, de manière à pouvoir en entasser le plus grand nombre sur un seul réceptacle... Jusque-là, rien d'extraordinaire. Mais elles ont aussi conçu un emballage marketing très particulier à destination des butineurs: les minuscules fleurs (les «fleurons») sont regroupées en une inflorescence qui prend l'apparence d'une grosse fleur unique, nommée capitule. Ainsi, certaines fleurs se chargent d'imiter les pétales à la périphérie (les fleurons ligulés), pendant que les autres dessinent un cœur au centre (les fleurons tubuleux). Le butineur, pensant plonger dans une fleur aux rondeurs généreuses, pollinise d'un coup d'un seul une myriade de fleurs...
Si l'on appelle sépales les feuilles spécialisées qui entourent et protègent une fleur, on appelle bractées les feuilles spécialisées qui entourent et protègent une inflorescence (ou un capitule). La collerette formée par l''ensemble des bractées se nomme involucre.
Difficile de rendre hommage à la richesse des fleurs à capitule en quelques coups de crayons. Les variations sur ce thème sont nombreuses : les fleurons peuvent être stériles, mâles, femelles ou les deux en même temps. Le dessin ci-dessus pourrait illustrer, par exemple, le capitule du Séneçon jacobée (Jacobaea vulgaris), qui présente des fleurons tubuleux hermaphrodites (mâles et femelles) au centre de ses fleurs, et des fleurons ligulés strictement femelles à leur périphérie.
Capitules du Séneçon jacobée, Poitiers bords de Boivre
En terme de pollinisation (et donc de reproduction) les Astéracées ont en quelque sorte initié l'ère industrielle du règne végétal! Marketing, efficacité, industrie... On ne fait pas dans la poésie champêtre, mais remarquez comme les fleurs à capitules vivent en parfaite adéquation avec leur temps (et donc le notre). Sur les 10 sauvages les plus obersvées dans les villes françaises (source Sauvages de ma rue), la moitié sont des Asteracées: Pissenlit, Laiteron potager, Laitue scariole, Séneçon commun et Vergerette du Canada. Alors si vous découvrez avec cet article les subtilités du capitule, sachez que vous avez forcément observés ceux ci à maintes reprises, et ce depuis votre tendre enfance...
Capitule de la Marguerite commune, Biard (86)
Enfin, regardons de près les fleurs de l'Achillée millefeuille (Achillea millefolium): si cette sauvage a l'allure d'une Ombellifère, elle n'en a que l'allure. Chacune des petites fleurs de ses corymbes est en réalité un capitule constitué de fleurons tubuleux et ligulés blancs (parfois rosés). On peut dire de ce membre de la famille Asteracée que ses inflorescences (composées) sont des corymbes de capitules... Pas moins!
T’es comme Superman, mais sans les collants.
(90210 Beverly Hills, Rob Thomas)
Pourtant, même la légendaire Achillée s'incline devant l’Edelweiss (Leontopodium nivale), une montagnarde qu'on rencontrera peut être si l'on parvient à passer la barre des 1200 mètres d’altitude (même avec une échelle de pompier, c'est impensable dans le Poitou). L'Edelweiss rassemble des capitules jaunes (composés de fleurons tubuleux) par paquet de cinq ou six, et les entoure d'une couronne de feuilles blanches pointues et duveteuses (des bractées) qui revêtent l'allure de pétales. En somme, l’Edelweiss, une super Sauvage, a inventé le capitule de capitules, le super capitule!
D'autres leçons de botanique consacrées aux fleurs sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique (4): les fleurs régulières
- Le vocabulaire de la botanique (5): les fleurs irrégulières
- Le vocabulaire de la botanique (7): Poacées, herbes, céréales, pelouses et gazons
Articles consacrés à la pollinisation par les insectes sur Sauvages du Poitou:
- Insectes pollinisateurs (1): la Sauvage et le coléoptère
- Insectes pollinisateurs (2): la Sauvage et le diptère
- Insectes pollinisateurs (3): la Sauvage et le papillon
Pour aller plus loin:
- L'inflorescence sur Wikipedia.