Porcelle enracinée, Poitiers quartier gare
Hypochaeris radicata (Porcelle enracinée ou Vara en Poitevin-saintongeais) appartient au clan Asteraceae, le clan des fleurs à capitules (une inflorescence fournie qui prend l'apparence d'une grosse fleur unique). Encore une Sauvage à capitule jaune, à la mode «Pissenlit», qui rejoint la galerie des portraits de Sauvages du Poitou aux côtés des Laiterons, des Picrides, des Séneçons (Senecio vulgaris ou Jacobaea vulgaris) ou des «Laitues sauvages»... Vous vous en doutez, la liste est loin d'être terminée!
Hypochaeris radicata forme parfois des colonies importantes sur les sols abimés, piétinés, lessivés, à faible pouvoir de rétention (graviers, sables...). Mais on peut la croiser en toute situation et elle est souvent à l'aise en milieu urbain, même au cœur de la sécheresse. J'aime à croire (c'est de la botanique-fiction) que ses atouts sont le résultat d'une longue adaptation face aux attaques des jardiniers qui ne l'apprécient guère: bien malin celui qui réussira à la déloger, tant elle est ancrée et plaquée au sol... Puis son port à ras de terre lui permet de passer, sans frémir, sous les lames des faux et des tondeuses à gazon!
Rosette de la Porcelle enracinée plaquée au sol, bien à l'abri des rotofils: des feuilles sessiles, rugueuses et poilues, à lobes arrondis.
A vrai dire, les rosettes d'Hypochaeris radicata lui fournissent un autre avantage: rien ne peut pousser sous son tapis de feuilles plaqué au sol, même pas quelques brins d'herbe, et la Sauvage assure ainsi sa place au soleil et ses ressources, sans partage!
Fruits (akènes) de la Porcelle enracinée, Poitiers quartier gare
C'est le vent qui se charge de disperser ses nombreux fruits (des akènes plumeux). Les semences ne germent qu'en présence de lumière. Ainsi, dans une zone de friche ou une pelouse trop haute, les graines d'Hypochaeris radicata en manque de soleil attendent leur heure... Et lorsque passe finalement la tondeuse à gazon (encore elle, ces deux là sont décidément faites pour s'entendre), la Sauvage retrouve la lumière du jour et se décide à naitre, laissant rapidement la concurrence au tapis.
Nul doute qu'avec l'aide du réchauffement climatique (les sécheresses prolongées n'inquiètent guère la Sauvage) et les patrouilles des tondeuses et des rotofils qui s’accélèrent depuis l'interdiction des produits phytosanitaires, le règne d'Hypochaeris radicata dans les rues, les parcs et les jardins, est à venir!
Porcelle enracinée, Poitiers bords de Boivre
Les anciens connaissaient bien la Sauvage, dont ils mangeaient les feuilles croquantes, cuites ou crues, comme le Pissenlit (La Porcelle enracinée est bien moins amère que ce dernier). On dit que les porcs raffolent de ses racines qu'ils déterrent de leur groin, d'où peut-être son nom de Porcelle...
Galle de la Porcelle: Phanacis hypochoeridis est une petite guêpe (Cynipidae) qui confie ses larves aux Porcelles. Ce renflement qu'on aperçoit parfois sur la tige est leur garde manger et leur nurserie.
En revanche, la Sauvage souffre d'une aura nettement moins sympathique auprès des éleveurs de chevaux: elle serait toxique (fraiche ou séchée) et pourrait favoriser une grave altération de la locomotion (Harper) chez ceux qui la consomment. La plupart des chevaux boudent naturellement la plante et ne la mangent pas, mais il y a toujours un risque en cas de pénurie lors des sécheresses. Un sujet où des inconnues subsistent, mais la mauvaise réputation d'Hypochaeris radicata semble aujourd'hui faite!
Pour aller plus loin:
- Hypochaeris radicata sur Tela-botanica
- Identification assistée par ordinateur
Les capitules de la Porcelle logent souvent les Méligèthes (Meligethes spp) qui consomment son pollen et son nectar. Ces coléoptères affichent une attirance toute particulière pour les fleurs jaunes, sauvages ou cultivées. A tel point qu’ils peuvent se laisser séduire par n’importe quel objet de couleur jaune, y compris des vêtements!
Les botanistes sont souvent passés maîtres dans l'art de ranger. Non pas qu'il soient devenus des champions de Tetris à force de remplir des herbiers, mais plutôt parce que l'approche naturaliste repose beaucoup sur la reconnaissance de ce qui ressemble (on range dans le même tiroir) et de ce qui diffère (c'est le moment d'ouvrir un nouveau tiroir!).
Jusqu'en 1998, la classification dite «classique» des végétaux se basait sur les particularités morphologiques évidentes des plantes (ce qui reste une approche très pertinente sur le terrain). Après cette date, c'est une classification dite «phylogénétique» qui prend le relais (APG): l'approche génétique permet de prendre en compte les liens de parenté entre les végétaux au delà de leur apparence, et de mieux comprendre leur histoire. Cette classification moderne fut révisée, ou plutôt affinée, en 2003 (APG II), en 2009 (APG III) puis en 2016 (APG IV)... Nul doute qu'elle le sera encore à l'avenir!
Mille pardons, messer. Je devais effectuer un léger changement à mon blason afin qu’on ne me confonde pas avec mon méprisable cousin.
(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Bref, classer les plantes revient en quelque sorte à tracer des arbres généalogiques, à déterminer qui ressemble à qui, qui est parent avec qui, à étudier les traits propres (les «armoiries») de chaque lignée de Sauvages.
A chaque Sauvage correspond une espèce. Les membres d'une même espèce se ressemblent comme deux gouttes d'eau et sont interféconds entre eux. Les espèces sont regroupées en genres. Les membres d'un même genre affichent aussi des traits communs évidents, quoique plus lointains. Leurs similitudes rend toutefois les hybridations possibles. Les genres sont regroupés en familles, puis les familles en ordres, etc.
Je me souviens de votre père racontant autour d’un feu de camp comment sa maison avait obtenu son blason...(Le chevalier errant, George R.R. Martin)
Je veux de nouveau sentir le vent dans mes cheveux!Les membres de cette famille royale produisent souvent des semences à soies (des akènes équipés pour le vol, comme le célèbre «pompon» du Pissenlit) que le vent emporte à la conquête de nouveaux territoires.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Étaient-ils vingt, étaient-ils vingt mille?... Sous les arbres se massaient tous les sauvageons du monde.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
A quoi servent les amis riches s’ils ne mettent leurs richesses à votre disposition?C'est pourquoi on retrouve dans leurs rangs de nombreux «engrais verts»: Trèfles (Trifolium spp), Luzernes (Medicago spp), Vesces (Vicia spp), Gesses (Lathyrus spp), mais aussi des stars du potager comme les Fèves, les Haricots ou les Pois... Autant de Sauvages ou de plantes domestiquées qui renferment leurs fruits dans des gousses (un fruit sec qui s'ouvre par deux fentes).
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Et puis il y a les roses. Quel parfum délicat, les roses, n’est-ce pas? Surtout lorsqu’il y en a tant. Cinquante, soixante, soixante-dix mille roses... Je ne saurais vraiment dire combien il en reste, mais trop pour que je me soucie de les dénombrer, de toute façon.Le clan Rosacée fait preuve d'une indéfectible loyauté envers l'homme: cette famille fournit l'essentiel des fruits consommés en zone tempérée. La pomme est peut-être sa plus grande réussite (c'est le fruit le plus consommé au monde après les agrumes et la banane). Et puisque l’amour et les lois de l’attraction sont à l'origine de tout fruit, n’oublions pas la Rose, son indétrônable ambassadrice des parcs et des jardins, qui compte plus de 40.000 variétés!
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Les gardes postés aux portes du château portaient des justaucorps de cuir et avaient pour emblème deux masses de guerre croisées sur une croix blanche en forme de X.
(Le Trône de Fer, George R.R. Martin)
Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Amorpha fruticosa (Amorphe buissonante ou Indigo du bush) est un arbuste à croissance rapide de la famille des Fabaceae, celle des Fèves, Pois, Haricots, Trèfles, Luzernes, Vesces ou encore Gesses... Une confrérie au milieu de laquelle notre Sauvage fait office d'excentrique: Amorpha est d’ailleurs la «déformée» en grec, tant ses fleurs ne ressemblent guère a celles de ses consœurs.
Amorpha fruticosa est une Sauvage américaine (Amérique du Nord et Mexique), importée sur le territoire européen dès le 18ème siècle pour ses qualités ornementales: elle pousse vite, son système racinaire étendu fixe efficacement les berges et les talus, sa floraison est élégante et très mellifère.
Amorphe buissonante, à l'ombre d'une autre invasive: l'Ailanthe Faux-vernis du Japon.
Si certaine région française sont déjà très impactées par sa présence, Amorpha fruticosa reste une curiosité botanique en Poitou Charentes: on ne recense que quelques pieds sauvages autour de Poitiers. Pour le botaniste Yves Baron (Les plantes sauvages & leurs milieux en Poitou-Charentes), ceux ci nous auraient été laissés par le passage de l'armée américaine en 1917 (volontairement ou fortuitement). Ce qui ferait d'Amorpha fruticosa une plante polémochore, un terme inventé par les botanistes pour qualifier les végétaux importés lors des guerres (littéralement «dispersé par la dispute»)!
- T’es de quelle tribu?
- L’armée américaine.
(La planète des singes, Tim Burton)
Feuilles imparipennées de l'Amorphe buissonante qu'on pourrait confondre avec celles d'un autre membre du clan Fabaceae, le Robinier faux-accacia (Robinia pseudoacacia).
Dans les parties les plus colonisées au sud du pays, c'est le long des cours d'eau, au bord des lacs et des marais, que Amorpha fruticosa aime planter ses racines; elle supporte cependant n'importe que type de sol, même les plus pauvres et les plus secs... Ce qui ne va pas sans poser quelques préoccupations:
En terrain favorable, la Sauvage se resème abondamment. Ses graines lourdes et imposantes restent généralement à proximité du pied mère, mais présentent un pouvoir germinatif exceptionnel (certains auteurs avancent un taux de réussite de 80%). La croissance rapide des nouveaux nés asphyxie la concurrence alentour. A cette reproduction sexuée efficace s'ajoute une forte capacité à la multiplication végétative, via des rejets vigoureux, ainsi que des tiges et des racines qui se bouturent sans peine en milieu humide.
Fruits (gousses) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa ne connait pas de prédateurs sous nos latitudes (ses feuilles et ses gousses contiendrait des toxines la mettant à l'abri des ravageurs). Elle supporte le froid, la sécheresse comme les grands vents. Bref, dans le sud du pays (et dans les pays du bassin méditerranéen, comme l'Italie), la belle a déjà gagné son titre d'invasive et rejoint les rangs du grand banditisme végétal au côté de la Renouée du Japon ou de la Jussie.
Foliole "perforée" de petites glandes (contenant des substances aromatiques) de l'Amorphe buissonante, Poitiers Mérigotte
Amorpha fruticosa profite des erreurs de gestion (absence de programme de végétalisation après des coupes à blanc ou des réfections de berges) pour s'implanter avant tout le monde. Ainsi, du côté de la Vallée du Rhône, certaines colonies d'Amorpha fruticosa semblent échapper à tout contrôle, comme l’atteste cette impressionnante carte postale envoyée par un ami qui herborise sur les berges de la Lône de Caderrouse (84):
Amorpha fruticosa est également susceptible de bouleverser les milieux naturels qu'elle colonise... Par la richesse qu'elle apporte au sol! Comme les autres membres Fabaceae, la Sauvage puise ses forces depuis l'azote atmosphérique (grâce à une symbiose avec une bactérie, ou nodosité, voir l'article sur Medicago arabica). Force qu'elle rend au sol au fur et à mesure de son dépérissement (c'est la raison pour laquelle nombre de Fabaceae sont utilisés comme «engrais verts»). Sa présence est donc marquante pour le sol, au risque de voir certaines populations végétales, pour qui une forme de pauvreté du milieu est une nécessité, se faire définitivement déloger.
- Qu'est ce que tu viens me chanter là avec ces pauvres? Plus vite ces crève-la-faim repartiront et plus vite arriveront les Yankee! Et eux au moins ils ne paient pas en monnaie de singe! Ils règlent en dollars! Et cash!
(Le Bon la Brute et le Truand, Sergio Leone)
Fleurs en épis de l'Amorphe buissonante, Poitiers quartier Mérigotte
Pour l'heure, du côté du Poitou, la présence très discrète (mais surveillée) de la Sauvage Yankee n’inquiète guère. Elle est même, de par sa rareté à l'état sauvage, une «attraction botanique» à l'heure de sa floraison atypique: chaque fleur est constituée d'un unique pétale pourpre, enroulé sur lui même comme une galette mexicaine, d'où jaillissent ses étamines oranges. Des atouts qui attirent quelques promeneurs, mais surtout les butineurs qui se bousculent autour de ses fleurs à la fin du printemps.
Pour aller plus loin:
- Amorpha fruticosa sur Tela-botanica